jeudi 31 mai 2012

les Présidents de la République Française: 4ème partie: 1924 - 1931.


La page de la guerre est tournée. Sur le plan institutionnel, la République sort grandie de cette abominable épreuve. Ainsi que l'écrit René Rémond: "le régime a résisté. les institutions n'ont pas été emportées ni même suspendues. La République a triomphé là où l'Empire avait succombé. La victoire est autant la sienne que celle de la nation,et la plupart de ceux qui avaient des doutes ou des objections contre la République au nom du patriotisme rendent les armes au régime; la droite est ralliée et fait partie de la nouvelle  majorité qui a adopté l'appellation, combien significative! de Bloc républicain national et l'attachement à la nation." (1) Pour autant, de gros nuages annonciateurs d'orages commencent à s'amonceler sur la France. Mais ces orages s'abattront sur la classe politique et les hommes politiques. Pas sur la République, sauf de vaines tentatives d'Action Française et de son chef, Charles Maurras.

Paul DESCHANEL: 1855 - 1922. Président du 18 février 1920 au 20 septembre 1920.

Paul Deschanel
D'abord journaliste, sous-préfet, puis député, il présidera par deux fois la Chambre des Députés, de 1898 à 1902, puis de 1912 à 1920. Il sera élu par 734 voix contre Georges Clemenceau, victime à la fois de la majorité nationaliste "bleu horizon" et de l'hostilité militante de Aristide Briand.

Paul Deschanel était un orateur brillant, fin analyste de la vie politique de l'époque. Mais sans doute peu préparé - bien qu'il ait été candidat à trois reprises à la présidence - à l'exercice d'une telle fonction, il sombre dans une profonde dépression, en parallèle avec "le syndrome d'Elpenor" qui génère des troubles du comportement. Ainsi, tombé du train en pleine nuit à Montargis, en pyjama, il déclara au cheminot qui le retrouve: "mon ami, ça va vous étonner, vous ne me croirez pas, je suis le Président de la République." (2) Conscient de son état, il préfère démissionner le 21 septembre: "mon état de santé ne me permet plus d'assumer les hautes fonctions dont votre confiance m'avait investi." (2) Ce qui ne l'empêche pas, en 1921, d'être élu sénateur de Paris.

C'est sous son très court mandat qu'ont lieu les grèves des mineurs à Carmaux et celle des cheminots, cette dernière étant brisée par le gouvernement Millerand qui décrète le 22 mai la réquisition des chemins de fer, marquant ainsi l'échec de la grève générale à laquelle avait appelé la CGT. (18 000 cheminots révoqués!)

Sans ses problèmes de santé, quelle aurait été l'attitude de Paul Deschanel par rapport au rôle dévolu à la fonction présidentielle: dès 1910, il estimait que "c'est une hérésie constitutionnelle de considérer le Président de la République comme un rouage inerte ou d'assimiler notre président à un roi constitutionnel. Un chef élu ne peut être,  comme un prince héréditaire, l'arbitre impassible des partis, cette conception est contraire au texte et à l'esprit de notre Constitution." (3) En 1922, il interpelle le gouvernement: "Ce qui est à mes yeux un paradoxe insoutenable, c'est que le Président de la République n'ait le droit de communiquer avec les Chambres que pour donner sa démission: c'est qu'il ne puisse parler que pour mourir." (4)


Alexandre MILLERAND: 1849 - 1943. Président du 23 septembre 1920 au 11 juin 1924.

Alexandre MiIllerand
Avocat, puis journaliste avec Clémenceau, il est élu député en 1885 sur les bancs de l'extrême gauche. Il sera à l'origine des textes réglementant le temps de travail et instituant un repos hebdomadaire: "deux projets aboutissent, une loi limitant la durée du travail à douze heures dans les usines n'occupant que des hommes adultes où elle ne faisait jusque-là l'objet d'aucune réglementation, sauf dans les mines, et une autre loi limitant la durée à dix heures dans les usines où travaillaient à la fois des adultes et des enfants." (5) Plusieurs fois ministre, il se rapproche de la droite nationaliste et fait partie de la coalition du Bloc National qui remporte les élections de 1919. Il sera, en janvier 1920, nommé à la présidence du Conseil.

La présidence de Millerand est une présidence active. Il n'hésite pas à sortir de son rôle constitutionnel en critiquant ou en louant l'action gouvernementale, en intervenant directement dans conduite des affaires: ainsi, il pousse à l'occupation de la Rhur, au rétablissement des relations avec le Vatican ou désavoue le Président du Conseil, Aristide Briand, qui conduisait des négociations avec l'Angleterre.

Mais ce qui surtout marqué sa présidence, c'est sa volonté affirmée de modifier la Constitution de 1875 afin de donner plus de pouvoirs au Président de la République. En 1919, il militait déjà pour un élargissement du corps électoral et une utilisation plus affirmée du droit de dissolution. 
Le 4 octobre 1923, il prononce un discours où il propose des modifications à la Constitution, mais aussi où il intervient directement dans la bataille électorale en faveur du Bloc National pour les élections législatives de mai 1924. Ce qui est perçu alors comme une atteinte aux principes républicains qui font que le Président ne saurait prendre parti. "Surtout, il suggère des retouches à la Constitution qui donneraient plus de stabilité à l'exécutif. Ces propositions, auxquelles la Constitution de 1958 a largement fait droit, nous paraissent aujourd'hui bien anodines, mais, dans le contexte politique du temps, elles sont ressenties comme autant d'atteintes à la Démocratie. Au regard de la tradition républicaine, l'intervention du président dans la bataille électorale est considérée par l'opposition de gauche comme un manquement grave aux devoirs de sa charge qui lui font obligation de rester neutre." (6)

Le Cartel des Gauches gagne les élections législatives. La cohabitation entre un président de droite et une Chambre des députés de gauche se révèle impossible. Alexandre Millerand est contraint de démissionner le 11 juin 1924.
Il sera l'année suivante élu sénateur, mandat qu'il exercera jusqu'en 1943, sans avoir pris part au vote de juillet 1940 donnant les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.


Gaston DOUMERGUE. 1863 - 1937. Président du 13 juin 1924 au 13 juin 1931.

Gaston Doumergue
Avocat, puis magistrat pendant une courte période en Algérie, il est élu député radical socialiste en 1893. Plusieurs fois ministres, il accède à la présidence du Conseil 1913. Il sera également président du Sénat en 1923.

C'est pendant son septennat que sera mis en place le statut concordataire de l'Alsace et de la Moselle. Ainsi que la retraite du combattant, les assurances sociales agricoles et les HBM: les habitations à bon marché.

Les difficultés financières amènent le président du Conseil, Henri Poincaré à mener une politique d'austérité après avoir dévalué le franc en 1926. La crise qui se déclenche aux Etats Unis en octobre 1929 va mettre à mal la politique économique qui semblait donner des résultats.

Gaston Doumergue sera, lui aussi, partisan d'une politique de fermeté par rapport à l'Allemagne, sans pouvoir pour autant réussir à la concrétiser. C'est sous son mandat, et en vertu des accords de Locarno, que la France évacuera la Rhur et la Rhénanie.

C'est également pendant son mandat que l'instabilité ministérielle sera la règle non écrite: il n'y aura pas moins de onze présidents du Conseil et seize ministères! La toute puissance des partis face à l'exécutif manifeste ainsi sa dérisoire et dangereuse suprématie. René Rémond écrit que "l'instabilité ministérielle est ainsi la conséquence du pouvoir que les partis politiques se sont arrogés." (7) Même s'il précise que les partis politiques "sont le reflet d'une opinion profondément divisée." (7)

Contrairement à son prédécesseur, G. Doumergue n'eut pas de prétentions à modifier la Constitution.  Au contraire, bien que se déclarant "républicain de gauche", qui "entend gouverner à gauche avec une majorité de gauche", il poursuit dans le message adressé aux Chambres: "respectueux de la Constitution dont je dois être le gardien, je resterai toujours dans le rôle qu'elle m'assigne. Ce rôle exige que je sois au-dessus des partis, afin d'être un arbitre impartial et indiscuté." 

Il ne se représentera pas pour un second mandat. Mais il poursuivra sa carrière politique en étant un des présidents du Conseil de l'un de ses successeurs, Albert Lebrun.


(1) in "la République souveraine, la vie politique en France 1879 - 1939", de René Rémond, éditions Arthème Fayard, page 387.
(2). in les Présidents de 1870 à nos jours, de Raphaël Piastra, éditions Eyrolles, 2012, page 71.
(3) ibid. page 70
(4) ibid. page 72
(5) in "la République, 1880 - 1932" de Maurice Agulhon, éditions Hachette, page 169.
(6) in "la République souveraine", page 96.
(7) ibid page 141

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