dimanche 25 octobre 2020

Le banquet des maires de France le 22 septembre 1900


 Le 22 septembre 1900, le Président de la République, Émile Loubet*, invite à Paris tous les maires de France pour un banquet républicain exceptionnel.
Alors qu'Alfred Dreyfus n'est pas encore tout à fait réhabilité - il faudra attendre l'arrêt de la Cour de Cassation du 12 juillet 1906 pour qu'il le soit totalement - il convient de réaffirmer et de conforter l'unité nationale mise à mal par les manoeuvres mensongères de l'état major et certains responsables politiques.
 

Elu dix huit mois auparavant, le nouveau président profite de l'exposition universelle* qui se tient à Paris depuis le 15 avril 1900 pour réunir ces élus "de terrain" qui ramèneront dans leurs villages l'idée que la République assure la puissance politique, militaire, industrielle et économique de la France.

 

 

Mais d'où vient l'idée d'un tel banquet?

Le premier banquet, peut-être alors appelé banquet civique, eut lieu le jour de la Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790 et se tint dans le parc de la Muette. Il s'agissait alors de partager le repas de façon fraternelle et égalitaire: aristocrates, ouvriers, paysans mangeaient à la même table, les mêmes mets et tous et toutes criaient "vive le roi".



  Les premiers banquets  appelés républicains furent organisés par des libéraux, en 1829, auxquels se joignirent les républicains, sous le règne de Charles X,  pour protester contre la politique du Premier ministre Jules de Polignac*.


 
Dès 1847, les opposants réformistes, monarchistes pour la plupart et quelques républicains, ne pouvant organiser de réunions politiques puisque interdites, eurent l'idée d'organiser "la campagne des banquets" afin d'expliquer leur demande de l'élargissement du corps électoral.

banquet du Chateau Rouge du 10 juillet 1847

Le premier banquet eut lieu le 10 juillet 1847 à Paris et réunit 1200 convives, dont 86 députés. Soixante dix autre suivront réunissant 17 000 personnes. Il n'est pas inutile de préciser que les femmes en sont généralement exclues.
Le 19 février 1849, François Guizot*, alors Président du Conseil du gouvernement de Louis Philippe 1er, tente d'interdire un banquet, organisé par des opposants républicains. Cette tentative sera l'une des causes de la révolution de 1848 et du renversement de la monarchie...



L'avant veille de cet évènement, présenté comme "l'apothéose de la République" par un journal radical, l'aéronaute et aviateur Alberto Santos-Dumont* tournait au-dessus de la Tour Effel à bord de son dirigeable numéro 4 avant de survoler les édifices des différents exposants et la grande roue  de plus de 70 mètres installée pour l'occasion .

 

 

Donc, ce 22 septembre 1900, près de 23 000 maires de métropoles et de villes coloniales - que des hommes bien sûr, leurs épouses ou maitresses n'étant pas à priori invitées - ont répondu à l'invitation du président Loubet. 
Imaginer l'organisation d'un tel évènement dépasse l'imagination. Ne serait-ce que l'arrivée des élus dans des trains bondés dans la capitale. Puis les loger, organiser diverses réceptions ainsi que des visites de l'exposition universelle.

 
Que faire déguster à une telle foule? Un repas froid bien sûr. Et faire venir de toute la France  ce qu'il fallait pour mettre dans les assiettes: 2 tonnes de saumon, 3 tonnes de bœuf, 2 430 faisans, 3 500 poulardes, 2 500 canetons, des dizaines de milliers de fruit pour réaliser "darnes de saumon glacées à la parisienne, filet de bœuf en Bellevue, pains de canetons de Rouen, ballottines de faisans Saint-Hubert, glaces succès" et dans les verres, 39 000 bouteilles: "Saint Julien, Haut Sauternes, Beaune, Margaux, Jean Calvet 1887, champagne Montebello et fine champagne", sans oublier 1200 litres de mayonnaise...


Et comme on ne mange pas avec ses doigts ni directement sur la table, il faut donc 125 000 assiettes, 55 000 fourchettes, 55 000 cuillères, 60 000 couteaux, 125 000 verres, 26 000 tasses à café, 3 500 salières, 2 800 compotiers, 700 pots de moutarde…

C'est une entreprise habituée de ces évènements de cette importance, Potel et Chabaud*, qui a mis en oeuvre le déroulement de cette journée mémorable. Il faut noter que cette entreprise fondée en 1820 continue d'oeuvrer à l'organisation de réceptions de haut niveau.


Il a fallu mettre en place une organisation quasi militaire avec un planning aussi serré que précis. Chaque participant, du grand chef en cuisine au dernier marmiton en passant par le plus humble balayeur devait connaitre avec précision son rôle dans cette journée.

Onze cuisines ont été installées dirigées par onze grands chefs qui avaient sous leurs ordres une vingtaine de chefs de partie et quatre cents cuisiniers, tous devant se synchroniser avec les deux mille maitres d'hôtels en habit et gants blancs.
Sept cents tables de dix mètres pour trente six couverts attendent les invités.

Véritable chef d'état major, Monsieur Legrand distribue  un petit livret où chacun des participants sait ce qu'il doit faire ou ne pas faire. La rigueur organisationnelle est de rigueur.
Le vendredi, les tables sont garnies de leurs vaisselles.
Le samedi, dès cinq heures, le dressage des tables doit être mis en oeuvre, les vins ordinaires en carafe, les grands vins en bouteilles.
À onze heures, comme prévu, tout est prêt pour accueillir les invités.

Ceux-ci arrivent à l'heure et rejoignent leur table classées par ordre alphabétique suivant les départements.
Puis après la Marseillaise et le discours présidentiel, il est temps de passer aux choses sérieuses.



Mr Legrand dans sa De Dion Bouton 4ch
Pour veiller au grain, Monsieur Legrand conduit une De Dion 4 ch pour passer d'une tente à l'autre et donner ses ordres aux six bicyclistes qui, à leur tour, transmettent les consignes à qui de droit.

 

 Le programme des élus étant chargé, tout devait être bouclé en une heure trente, en laissant toutefois les convives savourer et apprécier les mets qui leur sont servis, n'hésitant pas non plus à remplir les verres autant de fois que cela est demandé.

Quand toutes ces agapes furent terminées, le président Loubet passa au milieu des maires ceints de leurs écharpes tricolores qui l'applaudirent à tout rompre.


Ce fut une belle journée saluée comme telle par la presse parisienne et locale. Sans doute quelques opposants dénoncèrent de telles folies dispendieuses, mais sans grande influence.

Le président Loubet avait réussi son pari: profiter du 108 ème anniversaire de la proclamation de la République pour rendre hommage aux élus des communes de toute la France et leur montrer la puissance de la France dans l'exposition universelle.

vue panoramique de l'exposition universelle de 1900 à Paris


 L'article "un jour, un festin, le banquet des maires" paru dans lemonde.fr du 18 août 2020, écrit par Stéphane Davet, m'a fourni de précieuses et indispensables informations. Qu'il en soit remercié.


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dimanche 18 octobre 2020

la peau de bouc

sur https://www.babelio.com/livres/Peron-Sur-la-peau-de-bouc/935317

 

 "peau de bouc": voilà bien une expression curieuse connue des seuls marins, qu'ils soient matelots, quartiers maitres, officiers mariniers et officiers.
Il s'agit du cahier de punitions sur lequel est inscrit le motif d'une demande de punition suite à une faute commise par un marin. Cela ne concerne que les seuls hommes et femmes du rang, matelots ou quartiers maitres. 



Il est possible qu'un officier marinier le soit également sans que toutefois cela dépasse le grade de second maitre de 1ère classe. Ce qui ne veut pas dire que les maitres, premiers maitres, maitres principaux, majors et officiers de tous grades puissent être exonérés de punition, mais sans passer par la peau de bouc et suivant une procédure particulière.

 

 

 

D'où vient cette appellation? Au temps de la Marine "en bois" ou de la Marine à voile, la peau de bouc était une peau de mouton, de chèvre ou de bouc tendue sur une planchette accrochée à la dunette -sur un voilier, la dunette était à l'arrière- et sur laquelle le capitaine d'armes -surnommé par tout un chacun "le bidel"- inscrivait le nom du marin qu'il fallait punir, le motif et la punition demandée.
 


Le commandant confirmait quasiment toujours la punition, puis la peau de bouc était grattée en attendant les prochaines demandes.


Alors, me demanderez-vous, n'aurait-il pas été plus simple de le faire sur une feuille de papier? Certes, mais peut-on imaginer une feuille de papier accrochée à la dunette, exposée au vent et aux embruns.
Et comme tout se modernise au fil du temps, la peau de bouc est devenu un banal cahier, toujours détenu par le bidel, en conservant, tradition oblige son appellation d'origine.

Ce n'est qu'en 1848 et de façon définitive que les punitions corporelles ont été supprimées dans la Marine et l'Armée de terre. 
Car, bien sûr, auparavant les demandes de punitions corporelles figuraient aussi sur la peau de bouc.
Le "code pénal des vaisseaux de 1790", reprenant largement les règlementations de l'ancien régime, comprenait deux sortes de punitions: les peines disciplinaires et les peines afflictives*.

 


Les premières allaient de la suppression du vin pendant trois jours à l'attachement au grand mat deux heures par jour pendant trois jours.



Les secondes allaient du fouet en passant par les fers jusqu'au supplice de la cale*, ce dernier supplice étant réservé pour les faits très graves,  pouvant entrainer la mort du supplicié.

 

le supplice de la cale

Ce n'est qu'en 1848 et 1851, puis en 1858 que les punitions corporelles furent bannies des codes de justice maritime en France*.


Les motifs pour figurer sur cette peau de bouc sont parfois d'une grande drôlerie, même si certains ne sont pas drôles du tout pour ceux qui en sont victimes.


Sur ce blog, quelques motifs dont je ne peux garantir l'authenticité: https://envelopmer.blogspot.com/2014/01/sur-la-peau-de-bouc.html
 
Pour conclure, je laisse le dernier mot au grand Tabarly qui évoque le capitaine d'armes dans Fanny de Laninon: 
 

 
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Soixante ans..... Déja!!!!

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