lundi 14 décembre 2020

"Françaises, Français"

 


 

 Voici le texte de l'allocution du Président de la République que vous auriez pu entendre hier soir.


Françaises, Français, mes chers, trop chers compatriotes.

Depuis le début de l'année, nous sommes confrontés à une pandémie d'une rare violence et à laquelle nous n'étions pas préparés.
Tous ou presque les États du monde sont atteints de ce virus qui a fait à l'heure où je vous parle plus d'un million de morts.

En France, même s'il y a eu des ratés, des tâtonnements, nous avons mis en place des dispositifs qui ont eu une relative efficacité. Comme nos voisins européens, mais aussi d'autres États à travers le monde.

Certes, nombre d'entre eux et pas des moindres, ont obtenu des résultats spectaculaires en mettant en oeuvre des procédures contraignantes et intrusives. Ce que nous et d'autres n'ont pas voulu ou pu réaliser.

Chez nous, le gouvernement, le Conseil Scientifique et moi-même n'avons pas su saisir une chance extraordinaire: celle d'écouter, de recueillir et d'appliquer les avis, les conseils et les injonctions des milliers, que dis-je, des millions d'épidémiologistes que notre pays bien aimé compte dans ses rangs. 

De même, nous n'avons pas entendu celles et ceux qui expliquaient doctement que le masque n'était qu'un gadget tout en nous accusant de ne pas en avoir suffisamment mis à la disposition de la population.

Début mars, nous avions pensé bien faire en demandant à chacune  et chacun de rester à la maison et de ne sortir que pour le strict nécessaire. Nous avions fermé les écoles et nombre de commerces tout en favorisant le télétravail et en indemnisant les salariés et les entreprises. Mais nombre de spécialistes ont pointé du doigt que fermer les écoles et universités allait à l'encontre de la nécessité de l'instruction publique et d'autres que cela nuisait gravement à l'économie.

Même si cette mesure s'est révélée relativement efficace, d'autres spécialistes ont jugé qu'autoriser les citoyens à reprendre une activité normale était prématuré et que le risque était grand pour les élèves et les étudiants de retourner en classe.

L'été a permis à beaucoup d'aller en vacances, de changer d'air et de retrouver familles et amis.

Mais le virus a continué de frapper, encore et encore et nos hôpitaux ont de nouveau été submergés et la mortalité due à ce virus repartir à la hausse.

Nous avons donc décidé de mettre en oeuvre un second confinement en facilitant toutefois les déplacements, en particulier pour tout ce qui concerne les activités professionnelles.  

Beaucoup de citoyen(ne)s épidémiologistes -et non des moindres- ont jugé que le gouvernement, le Conseil Scientifique et moi-même, nous nous affolions et surtout nous répandions la peur parmi la population.
Les mêmes ont jugé que fermer les lieux de culture, de sports, d'associations, de cultes était une atteinte insupportable aux libertés publiques et que nous étions, au gouvernement, les fossoyeurs de ces libertés. 


Des spécialistes ont longuement réfléchi et ont consenti à nous éclairer de leurs avis de spécialistes.
Mais, hélas, hélas, hélas, nous n'avons pas voulu ni écouter ni entendre tous ces citoyens spécialistes, connaisseurs, orfèvre en ces matières sans oublier les hommes et les femmes de l'art...

Et donc, nous pouvons les lire, les voir, les entendre un peu partout dans les médias nous rappeler à nous gouvernement, Conseil Scientifique et moi-même ce que nous aurions dû faire et ce que nous devons faire. 

Aussi, nous reconnaissons notre échec et nous nous inclinons devant tant de connaissances et de bonnes volontés.

Et pour aller jusqu'au bout de cette reconnaissance, nous allons tous démissionner. Moi le premier. Sachant qu'aucun d'entre nous ne se représentera et il en sera de même pour l'immense majorité des députés et sénateurs qui ont soutenu notre politique.

Il y aura donc de nouvelles élections, présidentielle puis législatives. Vous, citoyens, citoyennes, pourrez désigner celles et ceux, membres ou non des partis politiques qui, en spécialistes éminents qu'elles et qu'ils sont, sauront mettre en pratique leurs solutions pour endiguer la pandémie, mais aussi pour redonner à la France toutes les libertés qui lui ont été soustraites.

Vous, citoyennes, citoyens, vous aurez la parole et vos avis, vos conseils, vos injonctions seront mises en oeuvre par toutes et tous les spécialistes qui, depuis bien longtemps, vous caressent dans le sens du poil. 

À savoir:

gauche, droite, extrême droite, extrême gauche, centre, centre droit, centre gauche, libertaires, identitaires, écolos pro nucléaire, écolos anti nucléaire, anarchistes, pêcheurs à la ligne, chasseurs, croyants, non croyants, athées, cultureux, sportifs, LGBT, commerçants sédentaires ou non sédentaires, artisans et bien d'autres, toutes et tous seront collectivement à votre écoute et à vos côtés. Pour le plus grand bien des Françaises, des Français et de la France.

Pour ma part, je quitte mes fonctions avec le regret de ne pas avoir réussi à endiguer la pandémie, mais sachant que d'autres, celles et ceux cité(e)s plus haut, réussiront, enfin essaierons de réussir, en étant à l'écoute de tous les avis, de tous les conseils, de toutes les injonctions. 

Je leur souhaite bien du plaisir.

Vive la République, vive la France.


ps: j'ai failli ajouter "et vive les pommes de terre frites", mais bon, restons sérieux, je suis encore président jusqu'à minuit ce soir, donc encore dix minutes...

 


 

samedi 5 décembre 2020

Marie MARVINGT, "la fiancée du danger"

 

Marie MARVINGT

Nous connaissons tous plus ou moins Amélia EAHHART* ou Alexandra DAVID-NÉEL* ou Anita CONTI* , mais qui connait Marie MARVINGT?
Pas moi en tout cas, pas avant que l'un de mes collègues de l'AMPA me fasse parvenir un lien vers cette femme d'exception et que, poussé par une saine curiosité, j'aille à sa recherche.

Marie MARVINGT est née en 1875 à Aurillac au sein d'une famille dont le père était fonctionnaire des postes et grand sportif.
Toute petite, Marie est initiée à la pratique sportive par son père. Ainsi à quatre ans, elle nage quotidiennement ses quatre kilomètres dans une rivière voisine. Ne dit-elle pas qu'elle a apprit à nager en même temps qu'à marcher!...
En 1880, la famille Marvingt retourne en Lorraine, alors territoire allemand. À l'école religieuse où elle étudie, Marie parle allemand, mais à la maison parle français.
Licenciée es lettres, elle étudie la médecine et le droit et apprend quatre langues, ainsi que l'espéranto, puis obtient son diplôme d'infirmière.


Après avoir assisté à des représentations dans un cirque, elle suivra une formation de trapéziste, de jongleuse, de cavalière et de funambule.
À quinze ans, elle fait le trajet en canoë de Nancy à Coblence par la Meurthe et la Moselle.

En 1899, à vingt quatre ans, elle obtient "le certificat de capacité pour conduire des automobiles." Ce qui à l'époque est assez exceptionnelle.
En effet, suite à une augmentation des accidents causés par les autos dans la capitale, le préfet de police, Louis Lépine décide en août 1893,  la mise en place d'un "certificat de capacité", délivré par la préfecture à des hommes de plus dix huit ans.  La vitesse étant limitée à 20 km/h en campagne et douze en ville.
Pour la petite histoire, la duchesse d'Uzès* a été la première femme à obtenir ce certificat en avril 1898, mais aussi la première femme à avoir été verbalisée pour un excès de vitesse à... 15 km/h!!! 

Marie refuse le mariage et la maternité. Ce qui se comprend aisément quand on sait son intense activité.

Dès le début des années 1900, elle participe, sans y être forcément autorisée, à des courses de vélo:

  • 1904: Nancy - Bordeaux
  • 1905: Nancy - Milan
  • 1906: Nancy - Toulouse
  • 1908: le tour de France: malgré le refus des organisateurs, elle participe à toutes étapes en partant peu après les coureurs. Elle terminera l'épreuve comme 36 hommes des 114 au départ!

Il n'est pas inutile de rappeler qu'à cette époque les femmes n'avaient pas le droit de porter le pantalon. Faire du vélo en compétition n'étant pas très efficace, elle porte la jupe culotte... 

En 1907, elle obtient le prix d'honneur de tir au fusil à 300 mètres, organisée par le ministère de la guerre.


Marie Marvingt
Mais elle ne fait pas que du vélo: en juillet 1905, elle fait la première féminine de la traversée Chamoz - Grépon* en 18 heures avec deux guides. D'autres escalades, la dent du Géant, la dent du Requin sont à mettre à son actif.
Entre 1908 et 1910, elle remporte plus de vingt médailles d'or à Chamonix dans des compétitions ausi différentes que le ski, le patinage artistique ou le gymkhana sur glace.
En janvier 1910, elle remporte la compétition féminine de bobsleigh à Chamonix.

 Mais elle a une autre passion: l'aviation.

 




Elle débute en 1901 par un vol en ballon libre. Et là encore, elle ne fait pas les choses à moitié: en 1910, elle gagne le premier prix du concourt de distance entre Nancy et Neufchâteau ( Belgique).
En 1909, elle fait un voyage imprévu - et mouvementé -de 720 kms en 14 heures au-dessus de la mer du Nord.



Bien sûr, elle décide d'apprendre à piloter: le 8 novembre 1910, elle obtient son brevet de pilote. Elle est la troisième femme au monde à obtenir ce brevet.


Avec des industriels de l'aviation, elle va essayer de mettre au point une aviation sanitaire aux couleurs de la Croix Rouge. Elle conçoit avec un ingénieur un prototype qui ne sera jamais construit. Malgré le soutien de la direction de l'Aéronautique Militaire, du ministre de la guerre  et la présentation au salon de l'aviation, le projet n'aboutit pas, faute de financements.


Au cours de la première guerre mondiale, elle tente d'intégrer l'armée de l'air française. Remplaçant un pilote blessé, elle participe à deux bombardements, ce qui lui vaut la Croix de Guerre. Pour autant l'armée refuse de l'intégrer.


Marie Marvingt en soldat


En désespoir de cause, elle devient infirmière major pendant deux ans. Mais l'action lui manque: elle se fait passer pour un homme et intègre, comme simple poilu le 42ème bataillon de chasseurs à pied. Après 47 jours passés en 1ère ligne, elle est démasquée et doit quitter le front.

 

Le 11 novembre, lors de l'entrée de Maurice Genevoix au Panthéon, dans son discours, le Président Macron a évoqué Marie Marvingt:

"Marie MARVINGT, qui voulait tant défendre son pays qu'elle se déguisa en homme pour combattre en première ligne."

Elle sera cependant autorisée par le maréchal Foch en personne à rejoindre le 3ème régiment de chasseurs alpins en tant qu'infirmière.

 


 La guerre terminée, elle continue ses activités sportives: en avril 1920, elle établit un record de marche de 57 kms.

Mais si c'est une sportive accomplie, elle est aussi une intellectuelle reconnue: elle multiplie les conférences partout dans le monde, en Afrique, aux USA auprès de publics variés.
Elle se fait la propagandiste de l'aviation en général et de l'aviation française en particulier.
Elle écrit des articles pour plusieurs quotidiens: l'Excelsior, l'Intransigeant, le Figaro. 

En 1935, elle est nommée chevalier de la Légion d'Honneur.
À la même époque, en Mauritanie, elle met au point un ski métallique qui lui permet de skier sur les dunes du désert saharien. Un peu plus tard, les forces aériennes françaises adapteront ces skis sur les avions pour les atterrissages sur la neige.

Pendant la seconde guerre mondiale, elle est infirmière de l'air et met au point une suture chirurgicale qui permet de recoudre les blessures plus rapidement, évitant ainsi les infections. Elle travaille également avec des réseaux de résistance.

En 1959 - elle a 84 ans!!! - elle passe son brevet de pilote d'hélicoptère et l'année suivante, pilote le premier hélicoptère à réaction* au monde!!!
En 1961, en vélo, elle relie Nancy à Paris, pédalant dix heures par jour!!!

Marie Marvingt arrive à Washington

Marie Marvingt meurt le 14 décembre 1963, dans une sorte d'anonymat. Il est vrai qu'à cette époque, les détentrices de record ne faisaient pas la "une" des journaux, même si elle était couverte de médailles, reconnue comme une des femmes les plus étonnantes et des plus courageuses de ce XX ème siècle. 


À Aurillac, une modeste rue porte son nom. Mais pour ce que j'en sais, pas une ville, pas un village de Lorraine n'a donné le nom de Marie Marvingt à une rue, une place, un boulevard. Pas même à une impasse.

Allez comprendre...

Aussi bizarre que cela puisse paraitre, elle ne percevait pas de pension de retraite. 

Ce qui est tout aussi bizarre, c'est qu'elle soit tombée dans l'oubli. Sans doute parce qu'elle est morte dans son lit ou qu'elle ne faisait pas les gros titres de la presse à scandales. Allez savoir...


Elle a été surnommée par une revue "la fiancée du danger". Et c'est vrai que le danger, elle l'a côtoyé tout au long de sa vie. Sans pour autant le provoquer.


Pour conclure ce billet, je vais citer ce qu'a dit Marie Marvingt un mois après après un accident qui aurait pu lui coûter la vie le 12 décembre 1913, alors que l'avion qu'elle pilotait, à cause d'un brouillard particulièrement épais, avait dû atterrir en catastrophe dans un champ:
"Une fois de plus je reste la fiancée du danger, mais le mariage n'a pas été loin... [...] Mon casque était complètement enfoncé dans la terre, mon visage baignait dans le sang. Écrasée sous la masse de mon appareil, je respirais difficilement. Heureusement qu'avec ma main gauche, je pus creuser la terre près de ma bouche pour me permettre d'aspirer un peu d'air."


 


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dimanche 25 octobre 2020

Le banquet des maires de France le 22 septembre 1900


 Le 22 septembre 1900, le Président de la République, Émile Loubet*, invite à Paris tous les maires de France pour un banquet républicain exceptionnel.
Alors qu'Alfred Dreyfus n'est pas encore tout à fait réhabilité - il faudra attendre l'arrêt de la Cour de Cassation du 12 juillet 1906 pour qu'il le soit totalement - il convient de réaffirmer et de conforter l'unité nationale mise à mal par les manoeuvres mensongères de l'état major et certains responsables politiques.
 

Elu dix huit mois auparavant, le nouveau président profite de l'exposition universelle* qui se tient à Paris depuis le 15 avril 1900 pour réunir ces élus "de terrain" qui ramèneront dans leurs villages l'idée que la République assure la puissance politique, militaire, industrielle et économique de la France.

 

 

Mais d'où vient l'idée d'un tel banquet?

Le premier banquet, peut-être alors appelé banquet civique, eut lieu le jour de la Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790 et se tint dans le parc de la Muette. Il s'agissait alors de partager le repas de façon fraternelle et égalitaire: aristocrates, ouvriers, paysans mangeaient à la même table, les mêmes mets et tous et toutes criaient "vive le roi".



  Les premiers banquets  appelés républicains furent organisés par des libéraux, en 1829, auxquels se joignirent les républicains, sous le règne de Charles X,  pour protester contre la politique du Premier ministre Jules de Polignac*.


 
Dès 1847, les opposants réformistes, monarchistes pour la plupart et quelques républicains, ne pouvant organiser de réunions politiques puisque interdites, eurent l'idée d'organiser "la campagne des banquets" afin d'expliquer leur demande de l'élargissement du corps électoral.

banquet du Chateau Rouge du 10 juillet 1847

Le premier banquet eut lieu le 10 juillet 1847 à Paris et réunit 1200 convives, dont 86 députés. Soixante dix autre suivront réunissant 17 000 personnes. Il n'est pas inutile de préciser que les femmes en sont généralement exclues.
Le 19 février 1849, François Guizot*, alors Président du Conseil du gouvernement de Louis Philippe 1er, tente d'interdire un banquet, organisé par des opposants républicains. Cette tentative sera l'une des causes de la révolution de 1848 et du renversement de la monarchie...



L'avant veille de cet évènement, présenté comme "l'apothéose de la République" par un journal radical, l'aéronaute et aviateur Alberto Santos-Dumont* tournait au-dessus de la Tour Effel à bord de son dirigeable numéro 4 avant de survoler les édifices des différents exposants et la grande roue  de plus de 70 mètres installée pour l'occasion .

 

 

Donc, ce 22 septembre 1900, près de 23 000 maires de métropoles et de villes coloniales - que des hommes bien sûr, leurs épouses ou maitresses n'étant pas à priori invitées - ont répondu à l'invitation du président Loubet. 
Imaginer l'organisation d'un tel évènement dépasse l'imagination. Ne serait-ce que l'arrivée des élus dans des trains bondés dans la capitale. Puis les loger, organiser diverses réceptions ainsi que des visites de l'exposition universelle.

 
Que faire déguster à une telle foule? Un repas froid bien sûr. Et faire venir de toute la France  ce qu'il fallait pour mettre dans les assiettes: 2 tonnes de saumon, 3 tonnes de bœuf, 2 430 faisans, 3 500 poulardes, 2 500 canetons, des dizaines de milliers de fruit pour réaliser "darnes de saumon glacées à la parisienne, filet de bœuf en Bellevue, pains de canetons de Rouen, ballottines de faisans Saint-Hubert, glaces succès" et dans les verres, 39 000 bouteilles: "Saint Julien, Haut Sauternes, Beaune, Margaux, Jean Calvet 1887, champagne Montebello et fine champagne", sans oublier 1200 litres de mayonnaise...


Et comme on ne mange pas avec ses doigts ni directement sur la table, il faut donc 125 000 assiettes, 55 000 fourchettes, 55 000 cuillères, 60 000 couteaux, 125 000 verres, 26 000 tasses à café, 3 500 salières, 2 800 compotiers, 700 pots de moutarde…

C'est une entreprise habituée de ces évènements de cette importance, Potel et Chabaud*, qui a mis en oeuvre le déroulement de cette journée mémorable. Il faut noter que cette entreprise fondée en 1820 continue d'oeuvrer à l'organisation de réceptions de haut niveau.


Il a fallu mettre en place une organisation quasi militaire avec un planning aussi serré que précis. Chaque participant, du grand chef en cuisine au dernier marmiton en passant par le plus humble balayeur devait connaitre avec précision son rôle dans cette journée.

Onze cuisines ont été installées dirigées par onze grands chefs qui avaient sous leurs ordres une vingtaine de chefs de partie et quatre cents cuisiniers, tous devant se synchroniser avec les deux mille maitres d'hôtels en habit et gants blancs.
Sept cents tables de dix mètres pour trente six couverts attendent les invités.

Véritable chef d'état major, Monsieur Legrand distribue  un petit livret où chacun des participants sait ce qu'il doit faire ou ne pas faire. La rigueur organisationnelle est de rigueur.
Le vendredi, les tables sont garnies de leurs vaisselles.
Le samedi, dès cinq heures, le dressage des tables doit être mis en oeuvre, les vins ordinaires en carafe, les grands vins en bouteilles.
À onze heures, comme prévu, tout est prêt pour accueillir les invités.

Ceux-ci arrivent à l'heure et rejoignent leur table classées par ordre alphabétique suivant les départements.
Puis après la Marseillaise et le discours présidentiel, il est temps de passer aux choses sérieuses.



Mr Legrand dans sa De Dion Bouton 4ch
Pour veiller au grain, Monsieur Legrand conduit une De Dion 4 ch pour passer d'une tente à l'autre et donner ses ordres aux six bicyclistes qui, à leur tour, transmettent les consignes à qui de droit.

 

 Le programme des élus étant chargé, tout devait être bouclé en une heure trente, en laissant toutefois les convives savourer et apprécier les mets qui leur sont servis, n'hésitant pas non plus à remplir les verres autant de fois que cela est demandé.

Quand toutes ces agapes furent terminées, le président Loubet passa au milieu des maires ceints de leurs écharpes tricolores qui l'applaudirent à tout rompre.


Ce fut une belle journée saluée comme telle par la presse parisienne et locale. Sans doute quelques opposants dénoncèrent de telles folies dispendieuses, mais sans grande influence.

Le président Loubet avait réussi son pari: profiter du 108 ème anniversaire de la proclamation de la République pour rendre hommage aux élus des communes de toute la France et leur montrer la puissance de la France dans l'exposition universelle.

vue panoramique de l'exposition universelle de 1900 à Paris


 L'article "un jour, un festin, le banquet des maires" paru dans lemonde.fr du 18 août 2020, écrit par Stéphane Davet, m'a fourni de précieuses et indispensables informations. Qu'il en soit remercié.


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dimanche 18 octobre 2020

la peau de bouc

sur https://www.babelio.com/livres/Peron-Sur-la-peau-de-bouc/935317

 

 "peau de bouc": voilà bien une expression curieuse connue des seuls marins, qu'ils soient matelots, quartiers maitres, officiers mariniers et officiers.
Il s'agit du cahier de punitions sur lequel est inscrit le motif d'une demande de punition suite à une faute commise par un marin. Cela ne concerne que les seuls hommes et femmes du rang, matelots ou quartiers maitres. 



Il est possible qu'un officier marinier le soit également sans que toutefois cela dépasse le grade de second maitre de 1ère classe. Ce qui ne veut pas dire que les maitres, premiers maitres, maitres principaux, majors et officiers de tous grades puissent être exonérés de punition, mais sans passer par la peau de bouc et suivant une procédure particulière.

 

 

 

D'où vient cette appellation? Au temps de la Marine "en bois" ou de la Marine à voile, la peau de bouc était une peau de mouton, de chèvre ou de bouc tendue sur une planchette accrochée à la dunette -sur un voilier, la dunette était à l'arrière- et sur laquelle le capitaine d'armes -surnommé par tout un chacun "le bidel"- inscrivait le nom du marin qu'il fallait punir, le motif et la punition demandée.
 


Le commandant confirmait quasiment toujours la punition, puis la peau de bouc était grattée en attendant les prochaines demandes.


Alors, me demanderez-vous, n'aurait-il pas été plus simple de le faire sur une feuille de papier? Certes, mais peut-on imaginer une feuille de papier accrochée à la dunette, exposée au vent et aux embruns.
Et comme tout se modernise au fil du temps, la peau de bouc est devenu un banal cahier, toujours détenu par le bidel, en conservant, tradition oblige son appellation d'origine.

Ce n'est qu'en 1848 et de façon définitive que les punitions corporelles ont été supprimées dans la Marine et l'Armée de terre. 
Car, bien sûr, auparavant les demandes de punitions corporelles figuraient aussi sur la peau de bouc.
Le "code pénal des vaisseaux de 1790", reprenant largement les règlementations de l'ancien régime, comprenait deux sortes de punitions: les peines disciplinaires et les peines afflictives*.

 


Les premières allaient de la suppression du vin pendant trois jours à l'attachement au grand mat deux heures par jour pendant trois jours.



Les secondes allaient du fouet en passant par les fers jusqu'au supplice de la cale*, ce dernier supplice étant réservé pour les faits très graves,  pouvant entrainer la mort du supplicié.

 

le supplice de la cale

Ce n'est qu'en 1848 et 1851, puis en 1858 que les punitions corporelles furent bannies des codes de justice maritime en France*.


Les motifs pour figurer sur cette peau de bouc sont parfois d'une grande drôlerie, même si certains ne sont pas drôles du tout pour ceux qui en sont victimes.


Sur ce blog, quelques motifs dont je ne peux garantir l'authenticité: https://envelopmer.blogspot.com/2014/01/sur-la-peau-de-bouc.html
 
Pour conclure, je laisse le dernier mot au grand Tabarly qui évoque le capitaine d'armes dans Fanny de Laninon: 
 

 
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dimanche 27 septembre 2020

25 septembre 1911: explosion du cuirassé Liberté



 Le 25 septembre 1911, le cuirassé Liberté explosait en rade de Toulon. Pas moins de 500 victimes, des dégâts considérables et un traumatisme certain pour la Marine française. D'autant que quatre ans plus tôt, le 12 mars 1907, sur un bâtiment similaire, le Iéna*, une explosion moins importante mais de la même origine, causait la mort de 118 marins. Sans compter une explosion survenue sur le cuirassé Gloire le 20 septembre 1911 où 9 marins perdirent la vie.

Précisons qu'entre 1893 et 1911, de nombreux incidents de ce type eurent lieu sur d'autres bâtiments de moindre tonnage: Sully, Amiral Duperré, Vauban, Forbin, Charlemagne et bien d'autres.

D'autres explosions eurent lieu également dans des poudrières, à Tunis, Angoulème, Nice et surtout Lagoubran (quartier de la pyrotechnie de Toulon) qui fit 80 morts le 6 mars 1899. 

Toutes les enquêtes convergèrent sur l'origine de ces catastrophes: "la poudre B*". Cette poudre, à la différence des autres, ne produisait pas de fumée, ce qui était un avantage dans la mesure où elle n'encrassait les armes que très peu, qu'elle réduisait des deux tiers le chargement des munitions et, enfin, ne générant plus de fumée, elle rend plus difficile le repérage de la zone d'où proviennent les tirs.
Mais elle est fabriquée à base de nitrocellulose*, laquelle, "comme chacun sait", est un explosif fulminant dégageant de grandes quantités de gaz et de chaleur lors de sa combustion.

Sur le Liberté, il y avait un stock de plusieurs tonnes de cette poudre entreposées à l'avant du navire depuis douze ans!!! Malgré les avis d'ingénieurs qui soulignaient les dangers d'un tel stockage, l'état major de la Marine faisait la sourde oreille.

Peu après "le branle - bas" de 05h30, trois explosions secouent le navire. 

Le feu avait pris dans la soute avant tribord, dans les soutes à

gargousses* pour les pièces de 194m/m.
Les tentatives désespérées des marins pour noyer les soutes échouèrent les unes après les autres.
Des flammes de plus en plus hautes s'échappaient de l'avant rendant impossible la respiration des équipages qui tentaient l'impossible.
 

Des dizaines d'embarcations arrivaient de toutes part pour aider les marins du cuirassé.


L'officier de quart fait sonner "le poste d'abandon, mais à 05h53 précises, une déflagration gigantesque déchire le Liberté. Des centaines d'obus explosent simultanément. Des plaques d'acier, des tourelles sont projetées sur les bâtiments proches, faisant des dizaines de victimes.
Les embarcations venues à la rescousse furent détruites par le souffle de l'explosion. Des immeubles avaient été endommagés par ce même souffle.

 




Les victimes eurent droit à des funérailles nationales à Toulon, en présence du Président de la République, Mr Armand Fallières, de membres du gouvernement, du Parlement et des plus hautes autorités militaires. 



Le Liberté était une grosse "baille", pour reprendre l'expression argotique de la Marine: un équipage de 779 hommes; 15 000 tonnes; 134 mètres de long; un maitre beau (largeur) de 24 mètres pour un tirant d'eau de 8,40 m et une vitesse de 20 noeuds. Un rayon d'action de 8 400 miles à 10 noeuds nécessitant 1 850 tonnes de charbon. Deux tourelles de deux canons de 305 m/m, dix de 194 et d'autres de moindre calibre.
La cuirasse à elle seule pèse 5 000 tonnes avec une épaisseur de 28 cm à  hauteur de la ligne de flottaison.

Il était de la classe dite des "pré -  dreadnought", en référence aux bâtiments de guerre d'une nouvelle génération mise au point par les britanniques: artillerie principale d'un seul - gros - calibre, propulsion par une turbine à vapeur. 


le HMS Dreadnought, premier bâtiment de ce type

La "Royal Navy" a toujours été dominante sur toutes les mers et océans du globe: il lui fallait sécuriser les accès à ses nombreuses colonies à travers le monde. D'où la mise sur cale de ces énormes navires. 

 

L'Allemagne, bien que n'ayant peu de colonies, s'engagea dans une course contre la suprématie britannique. L'empereur Guillaume II déclara en 1911 que "la Kaiserliche Marine assurera à l'Allemagne une place au soleil. » En 1914, elle possédait treize dreadnoughts mais ne put en aligner que six.

En 1910, la Marine française, si elle était moins puissante que les Marines britanniques et allemande, alignait néanmoins pas mois de dix huit pré-dreadnoughts, dont le Liberté, et en 1914, six dreadnoughts.

Le Liberté faisait partie d'une série dont les autres bâtiments étaient le Démocratie, le Justice et le Vérité. 

Il fallait à cette époque affirmer les valeurs de la République...

 

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mardi 22 septembre 2020

Louise de Bettignies

 
Louise de Brettignies (famille de Brettignies)

Qui connait Louise de Brettignies? À dire vrai, peu de gens en ont même entendu parler. Pourtant, elle s'est engagée très vite dans la résistance à l'occupation allemande de Lille dès le début de la première Guerre Mondiale. Elle a espionné les troupes occupantes et dirigé un réseau d'espionnage. Ce faisant, elle est devenue une espionne. 
 
C'est l'objet de mon billet d'aujourd'hui.
 
Comment définir l'espionnage et celles et ceux qui le pratiquent?
"Personne  rétribuée appartenant à une police secrète non officielle... Espion et espionne, dans le contexte des guerres de 1870, 1914-1918, 1939-1945, avaient acquis des connotations négatives très fortes. (1)
 
Les espions ne sont pas reconnus comme des combattants. Quand ils sont capturés, ils ont droit, parfois, à un procès, mais le plus souvent un procès à charge et ils sont rarement acquittés, le plus souvent fusillés ou pendus. 
 
L'espionnage a toujours fait partie des relations internationales: espionnage scientifique, industriel, politique, militaire.

Timbre-poste en hommage
à Kim Philby, émis en 1990.
Certains espions sont connus, tels Kim Philby*, Anthony Blunt*, Guy Burgess*, trois des membres des "5 de Cambridge"*.
Mais aussi Günther Guillaume*, espion de la Stasi qui fit "tomber" le chanchelier Willy Brandt. Ou Richard Sorge*, ou Elie Cohen*. Et Ian Flemming, le "père" de James Bond. Sans oublier Vladimir Poutine qi a "opéré" en "mission" en RDA de 1985 à 1990.


La liste est longue de tous ces hommes qui ont espionné pour le compte de leur pays ou au profit de puissances étrangères, le plus souvent "ennemies".

S'il y a eu des hommes, il y a eu bien évidemment des femmes. 
 
La plus connue, chez nous est sans doute Mata Hari*. Certains historiens s'interrogent sur sa culpabilité.

Une autre française, Violette Morris*, et une britannique parmi tant d'autres, Odette Sansom*.




Louise Marie Henriette Jeanne de Brettignies nait à Saint Amand les Eaux le 16 juillet 1880 au sein d'une famille avec un nom à particule, mais peu fortunée.
 
En 1898, elle suit des études en Angleterre dans des établissements tenus par des Ursulines, puis à Oxford.
 
Elle sera par la suite préceptrice au sein d'une famille italienne à Milan et voyagera en Autriche et en Allemagne où elle sera en contact avec des membres de familles autrichiennes et  bavaroises. Elle est parfaitement trilingue: anglais, allemand et italien.

Dès octobre 1914, Lille, où se trouve Louise, est encerclée par les troupes allemandes. Elle a été recrutée comme infirmière par Germaine Féron-Vrau, responsable locale de la la Ligue Patriotique des Françaises.
 
Dès que Lille est occupée, Louise va s'impliquer aussitôt dans un réseau d'espionnage sous le nom Alice Dubois.

Dans un premier temps, elle va passer plus de trois cents lettres en Belgique, lettres confiées par l'évèque de Lille, Mgr Charost*.
 
Après un stage à Folkestone pour s'initier aux fondamentaux de l'espionnage, elle prend la tête d'un réseau d'espionnage pour le compte de l'armée britannique.
 
Ce réseau, le "réseau Alice", compte une centaine de personnes qui notent les déplacements des troupes allemandes, leurs armements.
 
Grace à ces renseignements, alors qu'il se déplaçait sur le font nord dans le plus grand secret, le train du kaiser Guillaume sera attaqué par l'aviation britannique, sans toutefois atteindre le train impérial.
 
Le réseau fait passer des soldats alliés vers les Pays Bas, prend des photos des tranchées allemandes.
 
Louise fait passer un document qui prévoit une attaque massive sur Verdun au commandement français qui n'en tient aucun compte. Une erreur d'appréciation et d'anticipation qui coûtera très cher aux troupes françaises.
 
Le 20 octobre 1915, Louise se rend à Bruxelles, mais à la gare de Froyennes, elle est arrêtée par des soldats allemands. Ils découvrent sur elle un document compromettant. Au cours de son arrestation, elle reçoit un violent coup de crosse à la poitrine.
Elle est jugée à Bruxelles par les autorités allemandes et condamnée à mort le 16 mars 1916. 

la tombe de Louise de Brettignies à Saint Amand les Eaux
la tombe de Louise de Brettignies à St Amand les eaux

La peine est commuée en travaux forcés à perpétuité. Mais elle meurt le 27 septembre 1918 des suites d'une opération chirurgicale due à un abcès  pleural causé sans aucun doute par ses conditions de détention particulièrement rudes. 

Elle sera décorée, à titre posthume, en 1920, de la Légion d'honneur, de la Croix de guerre avec palme et faite Officier de l'ordre de l'Empire britannique. Elle repose au cimetière de Saint-Amand-les-Eaux.
 
Après la guerre, un historien local affirme que les services secrets allemands auraient bénéficier d'informations venant des services britanniques pour détourner leur attention d'une opération en cours. En effet, les services britanniques étant très cloisonnés, il est surprenant que les arrestations des membres du réseau aient commencé dès la fin juillet 1915.
 
Reculant devant les protestations internationales, seuls, certains membres du réseau, Philippe Baucq* et Edith Cavell*     seront fusillés le 11 octobre 1915. Le reste du réseau, dont Louise, verra leur peine commuée en travaux forcés. 
 
monument en hommage à Louise de Brettignies à Lille


Louise de Brettignies fait partie de l'immense cohorte des anonymes qui ont fait de l'espionnage sans vraiment le savoir, mais qui, considérés comme des espions, ont payé de leur vie leur engagement patriotiqu
e.

timbre commémoratif édité par La Poste en 2018




 
(1) in "le Robert, dictionnaire historique de la langue française", sous la direction de Alain Rey, éditions Dictionnaires Le Robert, 3 ème édition janvier 2000, page 779. 
 
 
 
 

 
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