mercredi 20 novembre 2019

la minute de silence

Chaque commémoration, chaque hommage donne lieu à une minute de silence. Souvent, je me suis posé la question de savoir de quand datait cette tradition et quelle en était la raison. 
Je me suis donc décidé et je suis allé "surfer" sur internet, les différentes recherches dans mes bouquins n'ayant pas été vraiment concluantes.


La minute de silence était à l'origine un hommage collectif et unanime rendu à ceux qui étaient morts pour la patrie. Aujourd'hui encore, chacun se tient debout, les militaires au garde à vous. En l'occasion, nul ne saurait adopter une attitude nonchalante ou dilettante. 

Pour Patrick Boucheron*, historien, cela tien d'un rituel laïque. Ne rien dire, garder le silence ensemble s'assimile à une forme de prière non religieuse.


L'origine, pourtant, viendrait du Portugal, en 1912, lors de la mort d'un ministre brésilien, lequel ministre aurait été le premier à reconnaitre la République portugaise proclamée le 5 octobre 1910.

Mais c'est après la fin de la première guerre mondiale que cette minute de silence a été instituée. En Grande Bretagne: à la onzième heure du onzième jour du onzième mois de l'année 1919, le roi Georges V, reprenant l'idée d'un journaliste australien, Edward Poney, décide qu'à cet instant précis, chaque britannique et chaque membre du Commonwealth devra se figer pendant deux minutes en hommage à tous les soldats tués pendant la guerre.
Poney était scandalisé par les commémorations bruyantes, indignes selon lui et il proposait un silence de cinq minutes. Ce temps, jugé trop long, sera ramené à deux minutes, une pour les morts, l'autre pour les vivants.
Aujourd'hui encore, dans tout le Royaume Uni, ce sont deux minutes qui sont observées.

le président Poincaré à Londres observe les deux minutes de silence avec le roi Georges V en 1919
En France, une loi d'octobre 1919, sous la pression des anciens combattants, est votée pour la commémoration et la glorification des soldats morts au cours de la guerre. On tirera le canon et les cloches sonneront tous les 11 novembre: cette journée sera désormais celle de "la fête de la victoire et de la paix." Elle sera fériée et chômée. Mais ce n'est que le 11 novembre 1922 que sera respectée la minute de silence.

Cette année-là, sans doute parce que peu de gens étaient au courant parmi la foule très nombreuse autour de l'Arc de Triomphe, la minute de silence n'a pas été respectée. En conséquence, le Président de la République, Raymond Poincaré a fait observer une seconde minute qui, elle, sera respectée.

la minute de silence sur la tombe du Soldat Inconnu en 1923

Pour mémoire, au cours de cette guerre, la France avait perdu 1,5 million d'hommes, tués au combat ou morts de leurs blessures. Mais aussi elle comptait 600 000 veuves et 1 million d'orphelins.

Mes recherches sur cette minute de silence m'ont emmené vers les commémorations qui ont suivi la fin de cette guerre. Partout en France, dans chaque village, dans chaque ville, des fêtes ont été organisées: il fallait fêter la victoire, le retour des soldats et des prisonniers, mais aussi rendre hommage à ceux qui n'étaient pas revenus et à ceux qui revenaient éclopés, ceux que l'on a appelé les "gueules cassées."

À travers ces festivités, c'était l'Union Sacrée qui se trouvait prolongée. Cette Union Sacrée lancée dès le début de la guerre par le président Poincaré et qui rassembla, pour un temps, une bonne partie des partis politiques et des syndicats. Mais une Union Sacrée uniquement au niveau des citoyens, au niveau local: au niveau national, la politique et les partis avaient repris leurs droits.

Ces fêtes pourtant sont un mélange de joie et de douleur et cela pèse souvent sur l'ambiance. Pour les familles dont un proche a été tué, il ne peut y avoir qu'un rappel douloureux de l'absence de l'être aimé.

Souvent, le matin pour les morts: messe, dépôts de gerbes, recueillement. L'après midi, pour les poilus, les vivants, banquets, bals...

Dans son livre fort bien documenté, "la victoire endeuillée", Bruno Cabanes* cite une écrivaine, Jane Catulle-Mendès*, dont le fils a été tué en 1917. Elle appréhende la victoire, pourtant si ardemment désirée avant: "La victoire ne peut plus m'être un bonheur. Elle n'est plus qu'un droit, si grand, si triste." Le mois suivant, le 14 juillet 1917: "Je n'irai pas. La seule pensée de ces beaux soldats, pareils à lui, qu'on acclamera dans la lumière, me fait effondrer d'un irrépressible désespoir." (1)


Les drapeaux, eux aussi, ont une grande importance: à leur hampe sont accrochées des décorations, des citations, témoignages des troupes dans leurs combats victorieux. Ils symbolisent à eux seuls l'unité de la nation. En s'inclinant, c'est donc la nation toute entière qui rend alors hommage aux morts.

Ils sont aussi un motifs de fierté sinon d'orgueil pour les militaires survivants. Aujourd'hui encore, les drapeaux sont parties prenantes de toutes les cérémonies commémoratives et, pour celui ou celle qui porte le drapeau, c'est un honneur recherché.

drapeau de l'École des Mousses: Légion d'Honneur; Croix de guerre 14-18 et 39-45; Croix de guerre des théâtres d'opérations extérieures
Qu'en est-il aujourd'hui de cette minute de silence. Elle est toujours, à la limite plus que jamais, d'actualité. Pour les commémorations ou la fête nationale. Mais aussi pour beaucoup de manifestations, d'évènements tragiques. Ainsi lors des attentats commis en France ces dernières années, des minutes de silence ont été respectées partout, à la même heure. Même si certain(e)s se sont crus obligés de s'en abstraire. 
Parfois aussi, avant des compétions sportives: lors de la dernière coupe du monde de rugby au Japon, avant chaque match, une minute de silence en hommage aux victimes de l'ouragan qui avait traversé le pays auparavant.


Dans un tout autre ordre d'idée et pour finir sur une note humoristique, cette phrase trouvée par hasard sur internet:

"une minute de silence pour la grammaire qui meurt chaque jour sur les réseaux sociaux."



(1) in "la victoire endeuillée" de Bruno Cabanes, éditions du Seuil, collection Points Histoire, 2004, page 468.

samedi 16 novembre 2019

le mur de Berlin

Dans la nuit du 13 au 14 août 1961, le gouvernement est-allemand, avec l'accord du pacte de Varsovie, fait ériger un mur entre la partie occidentale dévolue à la France, aux États Unis et à la Grande Bretagne, et la partie orientale dévolue à l'URSS, officiellement "un mur de protection anti fasciste."

Il faut remonter un peu dans le temps pour comprendre ce qui a pu conduire à un tel évènement, c'est-à-dire à la conférence de Yalta en février 1945 qui a réuni le président américain Roosevelt, le premier ministre britannique Churchill et le président soviétique des commissaires du peuple Staline. Il y est décidé, entre autres, du partage de l'Allemagne en quatre zones: une dévolue à l'URSS, une autre aux USA, une autre à la Grande Bretagne et une autre à la France (la zone française étant prise sur celles des USA et de la GB).

Cette conférence prévoit également "un ordre mondial régit par le droit". Cela signifie que chaque pays libéré pourra choisir librement son régime politique et que des élections libres auront lieu dans chacun de ces pays. Staline approuve sans protester la proposition de Roosevelt.

On sait depuis 1947 ce qu'il est advenu de cet "ordre mondial régit par le droit" dans les pays de la zone d'influence soviétique...

En mai 1949, la République Fédérale d'Allemagne (RFA) est créée, avec Bonn pour capitale, les alliés occidentaux maintenant leur occupation militaire. 

La RFA intègre l'OTAN* en 1954 et a sa propre armée en 1955. Elle s'engage dans une politique de rapprochement avec la France, puis dans la création de la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier) en 1950, dans la CED (Communauté Européenne de Défense) et adhère à la CEE en mars 1957 (Communauté Économique Européenne). 

En octobre le même année, les soviétiques créent la République Démocratique d'Allemagne (RDA), avec un pouvoir communiste inféodé à Moscou, avec pour capitale Pankow, dans la banlieue de Berlin.
Elle choisit la planification soviétique et le collectivisme. Elle rejoint le COMECON* en septembre 1950 et le Pacte de Varsovie en mai 1955*, en réponse à l'adhésion de la RFA à l'OTAN l'année précédente.


En 1953, la situation économique en RDA est fortement dégradée. Des émeutes à Berlin éclatent, remettant en cause le pouvoir communiste. À la demande des autorités, les manifestation sont réprimées dans le sang par l'armée rouge.

Face aux situations politiques et économiques, les allemands de l'est fuient vers l'ouest. Jusqu'en 1961, on en comptera plus de 3,5 millions. Ce qui n'est pas sans conséquences économiques, démographiques et bien sûr politiques pour la RDA.


Staline est mort en mars 1953. Nikita Khrouchtchev lui succède après avoir éliminé Lavrenti Béria*, son principal concurrent. 

Le 24 février 1956, lors du XXème congrès du PCUS, il dévoile un rapport secret faisant état des crimes de Staline: c'est le début de la "déstalinisation". Les puissances occidentales et les peuples des démocraties populaires gouvernées par les partis communistes aux ordres de Moscou pensent que la politique de l'URSS va s'assouplir pour aller vers plus de démocratie. 

Il n'en est rien et le peuple hongrois en fera l'amère expérience quand sa tentative d'octobre novembre 1956 de chasser le pouvoir communiste local sera écrasée dans le sang, toujours par l'armée rouge. 

La politique de "coexistence pacifique" voulue par les gouvernements soviétiques depuis Staline montre ainsi ses limites.
L'éditorial non signé du Monde le 6 novembre 1956 se termine ainsi: "Quant à la détente entre les deux blocs, Moscou lui a porté un coup peut-être mortel. Alors qu'un lourd silence enveloppe la capitale hongroise, beaucoup, songeant au "coup de Budapest", évoquent "le coup de Prague" qui marqua le début de la guerre froide et l'accélération de la course aux armements." (1)


Le quotidien des berlinois, bien sûr, va en être bouleversée. Si, à ses débuts, le mur est assez rudimentaire, il va très vite se "perfectionner".

Des barbelés et des soldats (les Kampfgruppen der Arbeitklasse: groupes de combat de la classe ouvrière) vont, dès le 13 août 1961, très vite être remplacés par des poteaux de béton et des rangées de fils barbelés pour, à partir du 15 août être remplacés à leur tour par des plots de grande taille surmontés de deux rangés de moellons. 
Dans le même temps, toutes les habitations proches du mur sont vidées de leurs habitants. 

Toutes les lignes ferroviaires sont fermées sauf une. Les tunnels du métro sont bouchés. 

Au fil des années, l'imagination des dirigeants est allemands fera de ce mur un obstacle de plus en plus sophistiqué, impossible à franchir. Par exemple, pour résister à l'impact d'une voiture, les poteaux de béton (hauts de 3 à 4,5 mètres) qui enserrent les plaques de béton sont enfoncés à 75 cm dans le sol! Sans oublier un chemin de ronde parcouru nuit et jour par les VoPos* et des miradors équipés de puissants projecteurs, mais aussi des mines anti personnel. (en 1983, sous la pression internationale, ces mines seront retirées) .

Bref, une volonté paranoïaque de tout mettre place pour que ce mur soit infranchissable.

136 personnes paieront de leur vie* leur tentative de passer à l'ouest. Plus nombreuses dans les cinq premières années. La plupart seront abattues par les VoPos. 
Ces militaires forment une troupe particulièrement politisée, ce qui est logique puisque leurs missions consistent, par tous les moyens, à empêcher leurs concitoyens de passer à l'ouest. Dans leur formation, si les questions militaires sont importantes, les questions politiques le sont tout autant au moins, sinon plus. Dans la mesure où elles servent au plus près de la frontière, les troupes affectées à la surveillance du mur se doivent d'être particulièrement sures.

Le mur de Berlin perdurera jusqu'au 9 novembre 1989.

Comme sa construction a été la conséquence d'une affirmation - illusoire - du régime communiste, son ouverture a été la conséquence de la dégénérescence des régimes communistes en Pologne, en Hongrie, sans oublier la perestroïka et la glasnost à Moscou. Et bien sûr, les Montagsdemonstrationen* qui, tous les lundi réunissaient des dizaines de milliers de manifestants aux cris de "wir sind das Volk", "nous sommes le peuple" à Leipzig d'abord, puis ensuite dans toutes les villes de la RDA. 

Ces manifestations, pacifiques, initiées par des pasteurs ont grandement contribué à remettre en cause le pouvoir communiste et à ouvrir la voie à la chute du mur dans un premier temps et à la réunification de d'Allemagne dans un second temps.


Les démocraties du monde entier en général, l'Allemagne en particulier ont célébré la chute de ce symbole de l'impuissance politique d'un régime qui n'avait d'autre légitimité que celle qui lui avait donnée Staline.

Impuissance politique parce que en être réduit à tout faire, même l'impensable, pour que son peuple ne fuit pas à l'étranger est la marque d'un pouvoir illégitime tyrannique.


Pour écrire ce billet, j'ai consulté quelques revues et livres que j'ai dans ma bibliothèque, internet bien évidemment, mais aussi le premier numéro de la "Revue d'Histoire Européenne."



(1) in "Staline dépassé", éditorial du Monde du 6 novembre 1956, "la guerre froide, 1944 - 1994, numéro spécial des dossiers et documents du Monde, octobre 1994, page 57

Soixante ans..... Déja!!!!

 Soixante ans..... Déjà!!!!!