mardi 23 mai 2023

l'OUZBÉKISTAN (suite 2) Tachkent: "la ville de pierre" (Tach= pierre et kent= ville)


Capitale cosmopolite d’un pays musulman et laïque, Tachkent réinvente son passé à force d’avenirs. Entre les écrans publicitaires et les boutons d’ivoire des minarets, chacun cherche avenue Karl Marx la nouvelle avenue «de l’Indépendance» appelée déjà «Broadway avenue» par ceux qui téléphonent en engloutissant des barbes à papa. Sous l’œil sec des enfants blonds à la mèche de galibots. (1)

 

Le 26 avril 1966, très tôt le matin, pendant 15 interminables secondes, Tachkent subit un terrible tremblement de terre qui va détruire une grande partie de la capitale.

 

Plusieurs centaines de secousses vont suivre la première, la plus violente, et accroitre le nombre de maisons détruites. Ces maisons, pour la plupart construites en pisé, un matériaux léger, ont permis d'éviter que les victimes soient plus nombreuses: officiellement, dix personnes ont été tuées.
Les immeubles par contre, construits selon des normes anti sismiques très strictes ont bien résisté.
Deux cents à trois cent milles personnes se sont néanmoins retrouvées sans abri



L'Ouzbékistan faisant alors partie de l'URSS, Moscou mit en place, rapidement, avec l'aide des autres républiques soviétiques, une politique de reconstruction qui permit une architecture quelque peu soviétique, mais néanmoins moderne et originale, avec de larges avenues, aérées et boisées.  

 La jeunesse intellectuelle de Tachkent est heureuse et ne se pose pas de questions. L'angoisse est de nature bourgeoise et apparemment le régime a réussi une remarquable opération de castration intellectuelle collective. La ville est agréable à vivre, avec ses maisons individuelles, ses parcs, ses ombrages et ses fleurs. Le pays est prospère et le protectorat soviétique assez discret. (2)

 

 

 

 

 

La Tachkent d'aujourd'hui se veut résolument moderne et à l'instar des autres capitales, de hautes tours sortent de terre

Le monument Courage -exemple type de l'académisme soviétique- érigé en souvenir de la catastrophe, est un des lieux emblématiques de la capitale pour rappeler que tous les peuples de l'URSS aidèrent l'Ouzbékistan et son peuple à renaitre de ce séisme.
C'est un des lieux où  les habitants aiment flâner et d'y détendre. Il parait même que les jeunes mariés viennent y déposer des fleurs...


Il est à noter qu'à part  ce monument, il n'y a pas - n'y a plus? - de statues ou de monuments à la gloire de l'URSS et/ou des ses héros.


 
Cette métropole de 2 millions d'habitants met beaucoup l'accent sur sa modernité, cela sans pour autant renier son passé, même le plus proche lorsqu'elle était la capitale d'une République soviétique.
 
Pour autant, elle met en avant l'existence de l'Ouzbékistan en tant que tel en affichant  sur la belle place de l'Indépendance (ex place Lénine),  la cigogne, symbole de paix et de la politique paisible du pays.
 

 

 
Le musée des arts appliqués propose un large éventail du savoir faire des artistes et des artisans ouzbeks, hommes et femmes: céramiques, bijoux, orfèvrerie, broderie, tapis, vêtements nationaux, miniatures, porcelaines.
Ce musée a été créé  en 1937 et installé dans la maison qu'un diplomate russe du XIX ème siècle, Polovtsov, grand amateur de l'art ouzbek, avait fait construire.
 

 

 Le métro de la ville a été construit en 1977: 4 lignes, 66 kms et 48 stations. Là aussi, on retrouve l'influence soviétique: même gigantisme, même académisme, mêmes hommages aux héros, en l'occurrence les astronautes Youri Gagarine*, Valentina Téréchkova* et quelques autres.
  



 

Marbre, granit, autant de matériaux nobles décorent les stations où de nombreux céramiques évoquent des personnages de l'histoire Ouzbek.

Quand une partie du groupe est montée dans la rame, des jeunes gens, spontanément, se sont levés afin de nous laisser les places assises qu'ils occupaient.
Cela nous a surpris. Nous en avons parlé à notre guide qui nous a répondu qu'en Ouzbékistan, c'était la règle: les jeunes devaient toujours laisser la place aux "sages". Sages, c'est quand même mieux que senior ou personne âgée, non?

Après l'indépendance, la quasi totalité des stations du métro ont changé de nom: ainsi, la station Lénine est-elle devenue la station Mustakililik, station de l'Indépendance tout comme celle de la Révolution d'Octobre est devenue station Amir Témur.

Amir Timour, héros et référent national, est très présent dans la capitale. S'il a été un bâtisseur, un protecteur des poètes et des savants, il fut aussi un redoutable chef de guerre.

La statue équestre de Amir Témour au centre de la place de l'indépendance d'où partent les principales avenues de la capitale.  
 

Redoutable, il l'était. Mais sanguinaire aussi: il pouvait gracier les peuples qui se rendaient, mais pour ceux qui lui résistaient, ils étaient massacrés: "et leurs têtes coupées sont soigneusement érigées en pyramides. (...) Et ces macabres empilements vont joncher le parcours des armées timourides." (3)

Je reviendrai dans mon prochain billet sur la relation de Timour avec Samarkand, Samarkand où il revenait systématiquement après chaque bataille, chaque conquête. De destructeur, il devenait alors bâtisseur, le bâtisseur d'une cité qui eût, elle aussi, maille à partir avec d'autres pillards.

la médersa Koukeldash de Tasckent

Je ne peux évoquer ici toutes les médersas* de Tachkent (il y en a vingt trois), mais celle de Koukeldach est superbe, tant par ses dimensions imposantes que par la magnificence de ses mosaïques et de la disposition de ses espaces.



Et puis, elle a une histoire singulière: outre les tremblements de terre qui l'ont beaucoup fragilisé, il fut une époque où l'on jetait du haut de sa tour, enfermées dans un sac cousu, les femmes accusées d'adultère. Elles tombaient sur le sol jonché de pierres coupantes!
En 1865, les Russes supprimèrent cette pratique barbare.

 

  

 Je ne peux terminer ce billet sans évoquer les marchés de la ville.


C'est la profusion de fruits, de légumes, de pains, d'ustensiles de toutes sortes et toutes utilités. 

C'est une débauche de couleurs, d'odeurs qui enivrent, qui submergent.

C'est un déluge de cris, de chants, de rires, de plaisanteries, de querelles, de hurlements.

C'est une masse d'hommes, de femmes qui se croisent, se bousculent, qui achètent ou qui vendent, qui discutent ou se disputent.







 
Et toujours et encore, cette gentillesse et ces sourires.



 

le recueil sur: https://www.youtube.com/watch?v=Tq7eFXwQAR0

disponible à


https://www.lysbleueditions.com/produit/trois-cents-dollars/  
 
ou

claudebachelier@wanadoo.fr

 

 

 

 

 

(1) in "le blog de Philippe Pataud Célérié
https://www.philippepataudcélérier.com/retour-de-tachkent/

(2) in "Rencontre à Tachkent" de Henri de la Bastide, La revue des Deux Mondes, 1er juin 1959, pages 468 à 483.

 (3) in le magazine "Histoire et civilisations", n° 79, janvier 2022,  page 41, dossier étable par Arnaud BLIN*, historien. 

 


mardi 2 mai 2023

l'OUZBÈKISTAN

"Des trois villes «touristiques» de l'actuel Ouzbékistan, Boukhara est la plus secrète, Khiva la plus nickel, mais ces noms un rien barbare ne pèsent pas grand-chose devant la magie du vocable Samarcande, quels que soient les ravages effectués par le passé soviétique dans la ville chère aux princes timourides."(1)

Nous avons passé deux semaines dans ce pays  quelque peu mystérieux qu'est l'Ouzbékistan et après la capitale, Tachkent, nous avons été à la rencontre de Khiva, Boukhara et Samarcande par le train, à travers la steppe, au milieu et avec ces Ouzbeks, si aimables, si accueillants, si gais.



 




 

 Dans de prochains billets, je rentrerai plus en détail sur les étapes de ce voyage. 

Aujourd'hui, je veux apporter quelques précisions historiques, géographiques, économiques et politiques de cet État qui a acquis son indépendance et sa pleine souveraineté le 31 août 1991.

L'histoire de ce pays est complexe, pour ne pas dire compliquée. 

En effet, son territoire a toujours été dominé par des envahisseurs, qu'ils soient Turcs, Perses, Mongols ou même Grecs puisque Alexandre le Grand* se rend maitre du pays en 327 avant JC en battant le roi Perse Darius III*, mettant ainsi fin à la dynastie des Achéménides.*

Les Arabes s'imposent au tout début du VIII ème siècle et, peu après,  imposent l'Islam, éliminant la religion précédente, le Zoroastrime*.

Ayaz Kala, refuge fortifié des Zoroastriens, IVème siècle avant JC


Les Perses sont ensuite arrivés, puis chassés par les Mongols de Gengis Khan* en 1220. 

Amir TIMOUR (1336 - 1405)
 

Lié par son mariage au chef mongol, Amir Timour, dit Tamerlan, va bâtir un vaste empire au sein de l'Asie centrale. Sans doute parce que Timour devait boiter, a t-il été surnommé Tamerlan, que l'on peut traduire "Timour le boiteux." Ce que les Ouzbeks en général et notre guide en particulier apprécient fort peu. 


 

 

les territoires conquis par Timour        
 

En plus d'être un chef militaire, audacieux et conquérant, Timour a été le promoteur de grandes réalisation architecturales et le protecteur des poètes et des savants, particulièrement à Samarcande.
J'aurai l'occasion dans un prochain billet de revenir sur ce personnage essentiel dans l'histoire et la mémoire Ouzbek.

En concurrence avec les Britanniques qui tentaient d'agrandir leurs colonies vers l'ouest à partir du sous-continent indien, les Russes se sont très vite imposés sur toute l'Asie centrale. 

Eugène-Melchior de Vogüe
En 1888, un diplomate Français, Eugène-Melchior de Vogüe*, est invité par le général Anenkov*  à l'inauguration de la ligne de chemin de fer qui relie la Russie à Samarcande.
Dans la série d'articles écrits à la suite de ce voyage, de Vogüe note:
"Ceux-là cultivent un peu de blé et de maïs depuis qu'ils ne peuvent plus se livrer à l'industrie héréditaire, la razzia annuelle des voisins persans qu'on ramenait en longues files pour les vendre  sur les marchés de Boukhara ou de Khiva. (2) (...) La claustration des femmes est rigoureuse; elles ne sortent qu'enveloppées des pieds à la tête dans un sac d'étoffe noire. C'est à peine si nous avons rencontré trois ou quatre de ces fantômes dans nos promenades." (3)

Sans toutefois trop brusquer les habitudes de vie des habitants, les Russes amènent une certaine modernité, tout en laissant une certaine autonomie politique et religieuse.

Pour résumer, ils se contentent de collecter les impôts et de rapatrier vers Saint-Pétersbourg quelques trésors ouzbeks.


drapeau de la République Socialiste Soviétique d'Ouzbékistan jusqu'en 1991

Suite à la révolution d'octobre 1917 et la prise de pouvoir des bolchéviks, l'Ouzbékistan devient une "République Socialiste Soviétique" en 1924, en réunissant les territoires de l'ancienne RSSA du Tukerstan et les khanats* de Khiva et de Boukara et c'est à ce moment-là que le terme Ouzbékistan fut utilisé pour désigner une entité politique aux frontières bien définies.

La révolte des basmatchis Ouzbeks*, un peuple musulman, commencée sous l'empire continuera contre le régime communiste avec comme objectif la création d'un état turc et musulman.
Malgré une guerre faite d'embuscades,  cette révolte se termina en 1934 par la victoire de l'Armée Rouge et la reddition des  basmatchis.

Négociations entre basmatchis et bolchéviques en 1921 à Ferghana


Les religions, y compris musulmane, sont combattues et interdites, en particulier dés 1921, pendant les purges staliniennes des années 1936 - 1938.
Pendant la seconde guerre mondiale, le pays accueillera plusieurs centaines de familles soviétiques, particulièrement à Tachkent.
Mais aussi une partie des industries lourdes, industries qui resteront sur place après la guerre, ce qui contribua fortement à l'industrialisation  du pays. 

L'Ouzbékistan a payé un lourd tribu lors de cette guerre 330 000 militaires et 220 000 civils ont été tués.

 



Dès le début de l'invasion russe en 1860, la culture du coton a été privilégiée.
Mais, c'est surtout à partir des années 1960 que, sous la direction de l'URSS, l'Ouzbékistan a développé une intense monoculture du coton, une céréale dont la culture demande énormément d'eau.
Donc, une intense irrigation qui a eu pour résultat d'assécher la mer d'Aral*, alimentée par les deux fleuves, Amou-Daria et Syr-Daria qui ont été utilisés pour l'irrigation des champs de coton.





Le 31 août 1991, l'Ouzbékistan devient une République indépendante et souveraine. 

drapeau de l'Ouzbékistan depuis l'indépendance

Dès lors, elle est dirigée par Islam Karimov*, ancien secrétaire général du parti communiste ouzbek. Il dirigera le pays d'une main de fer jusqu'en 2016, date de son décès. 
 
Il n'est pas inutile de préciser que l'Ouzbékistan est un État laïque, c'est à dire que l'État reconnait toutes les religions, tous les cultes, l'Islam étant bien sûr la religion dominante.
C'est lui qui contrôle la formation et la nomination des religieux, un peu comme le faisait, chez nous, le Concordat.
Il n'y a ni obligations ni interdictions quant au port des vêtements, particulièrementpour les femmes.
 
À l'ONU, lors du vote de la résolution visant à condamner l'agression russe contre l'Ukraine, l'Ouzbékistan était absent le 2 mars 2022 et s'est abstenu lors du second vote le 23 février 2023.

Au niveau économique, le pays a bien surmonté la crise COVID et l'un des rares pays d'Asie Centrale à éviter la récession avec une croissance du PIB de 1,6 en 2020.
En 2021, la croissance atteignait plus de 7% et 5,3 en 2022.
La production agricole est importante: le pays est quasiment en autonomie alimentaire: fruits, céréales, agrumes, légumes sont produits en abondance grâce à des réserves d'eau importantes et à des circuits d'irrigation efficaces.


En 2020, plus de trois millions de tonnes de coton ont été produits, une partie, il est vrai, au détriment de la mer d'Aral.
Le président élu en septembre 2016 a pris des dispositions pour stopper le travail forcé dans la récolte du coton: en effet, chaque année, des centaines de milliers d'étudiants, de fonctionnaires et de jeunes élèves étaient contraints de participer chaque année à la récolte du coton. Une campagne internationale de boycott avait puissamment aidé le président Mirziyoyev dans sa décision.

 

récolte du coton ( © Peretz Partensky)

  

La route de la soie est apparue aux environs du 2ème siècle après JC et reliait la Chine à l'Europe en passant par l'Asie centrale et donc traversait l'Ouzbékistan, Samarkand et Ferghana.

 


Et tout naturellement, les Ouzbeks ont très vite assimilé la fabrication des fils de soie et de tout ce qui en découle.
La sériculture, ou élevage des vers à soie et récolte des cocons, est très importante. Le pays est le troisième producteur de soie au monde, après la Chine et l'Inde.


Le processus de fabrication des fils de soie est extrêmement complexe et exigeant. Nous avons visité la fabrique de soierie Yodgorlik* à Margilan* où nous avons pu découvrir les différentes phases de la confection des tapis et des vêtements.
Du cocon au fil de soie jusqu'à  la confection de tapis en passant par la mise en oeuvre des couleurs de ces fils, il faut du temps, de la patience et un vrai savoir faire d'artiste  pour arriver au terme d'un travail minutieux et consciencieux.

           




 
 
 
 
Je ne peux terminer ce billet sans évoquer les marchés ouzbeks.

Que ce soit dans les villes ou dans les campagnes, ils ont la même bonne humeur, les mêmes couleurs, les mêmes odeurs.

Pommes, poires, citrons, choux, pommes de terre, salades, carottes, j'en oublie, tous objets de discussions aussi rapides que discrètes entre celui ou celle qui vend et celui ou celle qui achète.






 

Ah, les pains ouzbeks, de véritables objets d'art que nous pourrions hésiter à les goûter. 
 

 




Dans mes prochains billets, je reviendrai un peu plus en détail sur  Samarkand, Boukhara, la vallée de Ferghana, Tachkent. 
 
Dans ces billets, je n'oublierai pas la steppe, Amir Timour, le fabricant de marionnettes, les ateliers de céramique et de papier de soie.
 
Je n'oublierai pas non  plus l'accueil chaleureux de ces familles, sous la yourte ou au sein de la maison des parents de celui qui nous a guidé tout au long de ce périple. 
 
Et je n'oublierai jamais cette petite fille, cette petite Ouzbek qui ne voulait plus me lâcher...
 

 

(1) in "Lettres de Samarcandes" de de Jean-Pierre THIBAUDAT, publié dans Libération le 4 août 2004.
(2) in "à toute vapeur vers Samarcande" de Eugène-Melchior de Vogüe, éditions originale Garnier frères 1888, et éditions Transboréal, 2015, page 38.
(3) ibid page 93.
 

 
le recueil sur: https://www.youtube.com/watch?v=Tq7eFXwQAR0

disponible à


https://www.lysbleueditions.com/produit/trois-cents-dollars/  
 
ou

claudebachelier@wanadoo.fr

 







 


Soixante ans..... Déja!!!!

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