vendredi 19 janvier 2018

l'affaire Dreyfus (2): le 13 janvier 1898: "j'accuse" de Emile Zola

Le 13 janvier 1898, Émile Zola* publie dans l’Aurore, alors dirigé par Georges Clemenceau, une lettre ouverte* accusant formellement les plus hautes autorités de l’armée d’avoir sciemment fait condamner un innocent, Alfred Dreyfus, d’avoir ensuite protégé le véritable coupable et de s’être livrer aux manoeuvres les plus basses pour empêcher la vérité d’éclater.

Emile ZOLA (1840 - 1902)


Que s’est-il passé entre le 5 décembre 1893, jour de la condamnation d’Alfred Dreyfus par le conseil de guerre et le 13 janvier 1898, date de la lettre d’Émile Zola?

Le 19 janvier 1894, il est emprisonné au pénitencier de l’ile de Ré dans des conditions  indignes, tant physiques que psychologiques. Il est surveillé en permanence, soumis à des fouilles totales. Quand sa femme vient le voir, le directeur est entre eux: ils ne doivent ni se toucher, ni parler du procès.
Le 13 avril, après une traversée particulièrement éprouvante, il arrive à l’ile du Diable, en Guyane. Là encore, les conditions de vie sont cruelles: il ne doit parler à personne, ne pas s’éloigner d’un enclos, des surveillants armés le suivent dans tous ses déplacements, la lumière est allumée toute la nuit dans sa cellule pour pouvoir mieux le surveiller. Toute sa correspondance est interceptée et contrôlée au ministère de la guerre.

"l'enclos de Dreyfys



Marcel Thomas* écrit: « et s’il eût été besoin d’une confirmation supplémentaire, la fiche accompagnant Dreyfus au bagne serait chargée de la fournir: « Dreyfus n’a exprimé aucun aveu… Il doit être traité comme un malfaiteur endurci tout à fait indigne de pitié. » (1)

Subissant de telles souffrance, il pense régulièrement au suicide: « J’étais décidé à me tuer après mon inique condamnation. Être condamné pour le crime le plus infâme qu’un homme puisse commettre sur la foi d’un papier suspect (…) il y avait certes là de quoi désespérer un homme qui place l’honneur au-dessus de tout. Ma chère femme, si dévouée, si courageuse, m’a fait comprendre dans cette déroute de tout mon être, qu’innocent, je n’avais pas le droit de l’abandonner, de déserter volontairement mon poste. » (2)
%athieu Dreyfus


Pendant ce temps-là, en métropole, Mathieu Dreyfus*, le frère ainé, convaincu de l’innocence d’Alfred, remue ciel et terre pour trouver des soutiens. Mais le vide se fait autour de la famille Dreyfus, d’autant que le commandant du Paty de Clam, l’enquêteur accusateur, laisse entendre que la famille Dreyfus aurait perçu de l’argent, comme prix de la trahison.

Mathieu apprend par l’intermédiaire du docteur Gibert*, ami intime du Président de la République, Félix Faure*, qu’un document secret a été fourni la veille du verdict aux juges du conseil de guerre et que c’est ce document qui a contribué au verdict. (voir mon article du 7 janvier 2018). Mais Gibert, tenu par la parole donnée au président de ne rapporter ce fait qu’au seul Mathieu, n’autorise pas ce dernier à révéler la confidence au grand public. Il est vrai aussi que l’existence de ces documents secrets finit par n’être plus secrète et que beaucoup de gens, politiques, avocats, militaires en connaissent la réalité, mais en ignorent le contenu.

L’avocat de Dreyfus, Edgard Demange* interroge le garde des Sceaux, Ludovic Trarieux*:  » Demange se rend chez le garde des Sceaux. Trarieux lui confirme l’existence de ces pièces. « Je le tiens de mon collègue M. Hanotaux (prédécesseur de Trarieux et actuel ministre des affaires étrangères, ndlr)  auquel le général Mercier a communiqué cette pièce pour tranquilliser sa conscience. » L’avocat insiste: « cette pièce a-t-elle été montrée aux juges? » Le garde des Sceaux proteste: « certainement non. Ce serait monstrueux. » (3)

Georges Picquard


En 1895, le lieutenant-colonel Marie-Georges Picquart* est nommé à la tête du Deuxième Bureau, le service des renseignements militaires. En 1896, il récupère ce qui s’appellera par la suite « le petit bleu », un télégramme de l’attaché militaire allemand à Ferdinand  Walsin Esterhazy, officier au deuxième bureau. 
Il reconnait aussitôt l’écriture d’Esterhazy et Jean-Denis Bredin écrit: « Ce sont deux lettres d’ardente sollicitation. Deux lettres d’Esterhazy. Picquart les lit. Il éprouve un grand trouble. Cette écriture régulière, penchée, aux caratéristiques bien précises. Il croit la reconnaitre. Il la reconnait. Le bordereau qui a fait condamner Dreyfus est dans son bureau, des fac-similés. Il ouvre son tiroir, sort une photo du bordereau. Il place côte à côte le bordereau et les lettres d’Esterhazy qui viennent de lui être remises. Il regarde. Il compare. « Je fus épouvanté », dira-t-il. Les écritures n’étaient pas semblables. Elles étaient identiques. L’évidence le frappe comme la foudre: le bordereau n’avait pas été écrit par Dreyfus. Il était l’oeuvre d’Esterhazy. » (4)
commandant Esterhazy


Le 1er septembre 1896, Picquart adresse un rapport au général de Boisdeffre*, le chef d’état major de l’armée où il démontre la culpabilité d’Esterhazy et donc l’innocence de Dreyfus. Puis, obéissant à l’ordre de de Boisdeffre, montre son rapport au général Gonse, sous-chef d’état major. Ce dernier, manifestement, ne veut rien faire et appelle son subordonné à la prudence. Picquart rencontre le général Billot*, ministre de la guerre le 9. Mais pour le ministre, « ce secret ne concerne pas les civils. (5)

Picquart est scandalisé; il a une discussion orageuse avec le général Gonse:
Gonse: qu’est-ce que cela peut vous faire que ce juif reste à l’ile du Diable?
Picquart: mais puisqu’il est innocent
Gonse: cela ne fait rien. Ce ne sont pas des considérations qui doivent rentrer en ligne de compte. Si vous ne dites rien, personne ne saura.
Picquart: ce que vous dites là est abominable. Je ne sais pas ce que je ferai; en tout cas je n’emporterai pas ce secret dans ma tombe. (5)

général de Boisdeffre





général Gonse




Auguste Scheurer Kestner


Les généraux décident d’envoyer Picquart en Tunisie dans le but évident qu’il y sera tué. Il se rapproche d’Auguste Scheurer-Kestner*, alors vice président du Sénat à qui il montre ses dossiers. Accusé d’avoir communiqué des dossiers secrets, il est emprisonné en janvier 1898 et chassé de l’armée. Il sera réhabilité en même temps que Dreyfus, général de brigade et ministre de la guerre dans le gouvernement Clemenceau.



La famille d’Alfred Dreyfus continue de chercher des appuis pour une révision du procès.
Bernard Lazare


Bernard Lazare sera l’un des premiers à leur apporter son soutien efficace et désintéressé. A partir d’un article du journal « l’éclair » du 15 septembre 1896 qui prouvait l’illégalité du procès de décembre 1894 en révélant le contenu du fameux dossier secret (mis illégalement à la disposition des juges avant le verdict), il va prouver que toutes les accusations portées contre le capitaine Dreyfus sont fausses.

Les révélations de Picquart que certains journaux reprennent à leur compte mettent en lumière la culpabilité évidente de Esterhazy. Mais ce dernier est soutenu, contre toute logique, par l’état major qui refuse de reconnaitre ses mensonges et persiste dans ses accusations contre Dreyfus. 
Le Figaro publie une lettre de l’officier à une de ses anciennes maitresses:  « si un soir on venait me dire que je serais tué demain comme capitaine de ulhans en sabrant des Français, je serais certainement parfaitement heureux. (…) Je ne ferai pas de mal à un petit chien, mais je ferai tuer cent mille français avec plaisir. (6) »
Cette révélation scandalise et renforce les thèses des dreyfusards. Acculé, Esterhazy demande à être jugé: « j’attends de votre haute équité mon renvoi devant la conseil de guerre de Paris » (7). 
 Le 10 janvier 1898, il comparait à huis clos devant le conseil de guerre qui prononcera, à l’unanimité, après cinq minutes de délibéré, son acquittement.


Quelques jours plus tard, l’Aurore publiait le « J’accuse » de Émile Zola. Cet article allait relancer l’affaire Dreyfus, lentement mais surement: les preuves de l’innocence du capitaine étaient dans le domaine public. 
Chacun savait que l’état major de l’armée avait menti, falsifié et fabriqué des documents. Et donc que cette armée, ou du moins ses dirigeants, avait failli à ses devoirs de probité en condamnant un homme au bagne à perpétuité parce qu’il était juif. Uniquement parce qu’il était juif!

Dans « la France de l’affaire Dreyfus », Philippe Levillain* écrit: « On peut poser la question: et si Esterhazy, hongrois catholique de souche, ancien zouave pontifical, avait été Dreyfus dès décembre 1894?
Uchronie, certes, mais qui conduit à quelques suggestions. L’affaire Dreyfus précipita l’antisémitisme sous toutes ses formes parce que le capitaine Dreyfus était le juif qu’on avait jamais vu, dont on avait jamais entendu parler, dont le comportement résigné et confiant dans la justice républicaine fortifia la conviction de sa culpabilité et qui, à raison même d’un patronyme sans équivoque sur ses origines sémitiques, le désignait comme symbole de « le juif est partout », même dans le haut état major, clé de voute très contrôlée du système de défense nationale. (…) Précisément: ce circuit républicain parcouru  par un juif qui avait émigré pouvait témoigner d’une subtilité au service de l’espionnage au profit de l’Allemagne propre à se retourner contre lui. » (8)

* clic sur le lien


(1) in « l’affaire sans Dreyfus », de Marcel Thomas, Librairie Arthème Fayard, collection "les causes célèbres », 1971, pour le Cercle du Bibliophile, page 162
(2) in « cinq années de ma vie 1894 – 1899 » de Alfred Dreyfus, éditions La découverte/Poche, 1994 – 2006, page 109;
(3) in « l’affaire » de Jean-Denis Bredin, éditions Fayard pour GLM, 1993, page 168;
(4) in « l’affaire », pages 211 et 212;
(5) in « l’affaire » page 234;
(6) in « l’affaire » page 306;
(7) in « l’affaire » page 312;
(8) in « la France de l’affaire Dreyfus », sous la direction de Pierre Birnbaum, article de Philippe Levillain, éditions Gallimard, collection « bibliothèque des Histoires, 1994, page444.


dimanche 7 janvier 2018

l'affaire Dreyfus (1): 5 janvier 1895: la dégradation du capitaine Alfred Dreyfus

la dégradation du capitaine Dreyfus

Le 22 décembre 1894, le capitaine Dreyfus était condamné par le conseil de guerre à « la détention perpétuelle dans une enceinte fortifiée, à la destitution de son grade et à la dégradation militaire. »


C’est cette dégradation elle-même, le 5 janvier 1895 et ce qui l’a amenée, qui fait l’objet de mon billet d’aujourd’hui. Pour cela, je me suis plongé dans plusieurs ouvrages de ma bibliothèque, mais aussi, bien sûr sur internet, sans toutefois abuser de « wiki ».
Mais avant d’arriver à cette journée de décembre, il me faut remonter quelques années en arrière et reprendre la chronologie de cette affaire, ainsi que situer Alfred Dreyfus et dans son contexte et dans son époque.

Alfred Dreyfus




Il est né à Mulhouse le 9 octobre 1859. Mulhouse – donc l’Alsace – était encore française à cette époque. Après l’annexion de la province par l’Allemagne, les parents Dreyfus choisissent la nationalité française et déménagent à Paris. Dreyfus est reçu en 1878 à l’école Polytechnique. En avril 1892, il est diplômé de l’école de guerre et est affecté à l’état-major de l’armée.

L’époque est à l’antisémitisme virulent, d’une violence inouïe. Dans la préface du livre que Dreyfus a consacré aux années 1894 – 1899, Pierre Vidal-Naquet* écrit: « la campagne de la Libre Parole en 1892 contre les officiers juifs de l’armée française et la série de duels, avec mort d’hommes, qu’elle avait provoquée. »(1)

Jean Denis Bredin* dans « l’Affaire » se livre à une analyse très fouillée de la société française de ces années-là: « mais les vraies raisons de la fièvre antisémite sont sans doute à rechercher dans un grand désarroi des esprits. (…) Les nouvelles formes économiques et politiques que revêt la société française suscitent chez tous ceux qui sont attachés à l’ordre ancien, ou qui souffrent des changements, l’anxiété, la peur, et souvent la colère: ce désarroi incite à rechercher des responsables. (…) On se révolte contre les nouveaux modes de vie qu’engendrent le progrès technologique et la société industrielle, contre l’exode rural et l’exploitation ouvrière, mais aussi contre les difficultés que causent aux entreprises et aux commerçants le développement du capitalisme, contre la dure loi des banques, contre la misère des uns, la ruine des des autres, l’écrasement de tous les « petits » par un système économique inhumain et insolent. On se révolte contre la démocratie (…) contre le principe d’égalité, contre le système parlementaire, contre le gouvernement des avocats bavards et impuissants. On se révolte contre le refus de Dieu, le principe de laïcité, la destruction des vertus chrétiennes, l’ébranlement de l’influence catholique. (…) L’intellectuel déraciné, le vagabond sans patrie, le Juif errant, le capitaliste international deviennent également détestables. (…) On en appelle au chef,qui incarne les vertus de la race. (…) On se méfie de l’intelligence critique. On exalte la virilité. (…)
Car seul un vaste complot peut expliquer la décadence moderne. Les Juifs – et à un moindre degré, les Protestants et les francs-maçons – en sont les inspirateurs ou les organisateurs. Errant, le juif est par nature sans patrie. Marchand, il est loin du sol. »
(2)

Tout est dit. La société française actuelle n’est-elle pas traversée des mêmes interrogations, des mêmes peurs, en y ajoutant un bouc émissaire supplémentaire?

Qui sont ces antisémites militants? Je n’en citerai que quelques uns parmi les plus connus:

Arthur de Gobineau


Arthur de Gobineau*, au travers de son oeuvre majeure, « essai sur l’inégalité des races humaines » développe l’argument, à savoir qu’il y a une opposition fondamentale entre sémites et aryens, argument repris par Wagner et plus tard par les nazis.


Edouard Drumont


– Edouard Drumont* fonde le journal « la Libre Parole »* en 1892 avec comme sous titre « la France aux Français », après avoir publié « la France juive » en 1886, livre tiré à plus de 60 000 exemplaires la première année et réédité 150 fois! Dès l’introduction, Drumont écrit: « Le seul auquel la Révolution ait profité est le Juif. Tout vient du Juif ; tout revient au Juif. » (3)


Maurice Barrès
– Si l’antisémitisme de Maurice Barrès* est moins violent que celui de Drumont, il n’en reste pas moins qu’il est un des chefs de file des anti dreyfusards. Ainsi, écrit-il dans « la parade de Judas »: « Qu’ai-je à faire avec le nommé Dreyfus? Il n’est pas de ma race. Il n’est pas né pour vivre socialement. » A ses yeux, Dreyfus n’est pas français: « Dreyfus n’appartient pas à notre nation et dès lors, comment la trahirait-il? Les Juifs sont de la patrie où ils trouvent leur plus grand intérêt. » (4)

Léon Daudet


– Léon Daudet*, anti dreyfusard lui aussi, écrit dans le Figaro, en parlant de Dreyfus: « il n’a plus d’âge. Il n’a plus de nom. Il est couleur traître. Sa face est terreuse, aplatie et basse, sans apparence de remords, étrangère à coup sûr, épave de ghetto » (5)

Sans oublier « La Croix », journal catholique qui tire à 160 000 exemplaires par jour en 1895 et qui sera de tout les combats anti dreyfusards.

A gauche de l’échiquier politique, un certain antisémitisme existe: Charles Fourier*, un des penseurs du socialisme utopique, écrit en 1829: « À ces vices récents, tous vices de circonstance, ajoutons le plus honteux, l’admis­sion des juifs au droit de cité. (…) Tout gouvernement qui tient aux bonnes mœurs devrait y astreindre les juifs, les obliger au travail productif, ne les admettre qu’en proportion d’un centième pour le vice : une famille marchande pour cent familles agricoles et manufacturières; mais notre siècle philosophe admet inconsidérément des légions de Juifs, tous parasites, marchands, usuriers, etc. » (6)
Joseph Proudhon, Auguste Blanqui et quelques autres ont été hostiles aux juifs, plus d’ailleurs en tant que banquiers ou industriels, accusés d’être des exploiteurs, voire des prévaricateurs qu’en tant de déicides.

Revenons maintenant aux origines de l’affaire elle-même.



le général Auguste Mercier


En septembre 1894, le ministre de la guerre, le général Mercier*, reçoit un document appelé tout au long de l’affaire le bordereau*. 
Ce bordereau aurait été trouvé, déchiré en plusieurs morceaux,  dans la corbeille à papier de l’attaché militaire à l’ambassade d’Allemagne à Paris, le colonel von Schwartzkoppen*, par la femme de ménage française, une certaine Madame Bastian. Sur ce sujet, les avis des historiens divergent d’autant que le colonel allemand soutiendra qu’il n’a jamais reçu ce bordereau.

Qu’il y avait-il de si important sur ce bordereau?

Des détails techniques sur le canon de 120 et la promesse de fournir le projet de manuel de tir de ce canon. Ces détails n’ont pu être fournis que par un officier de l’état-major, d’où l’ordre de trouver le traitre. N’oublions pas que cela se passe vingt quatre ans après la défaite de 1870 et que l’humiliation de cette défaite est particulièrement vive au sein de l’armée française.

Très vite les soupçons se portent sur Dreyfus. Pourquoi? Il était stagiaire au sein de l’EM et avait pu avoir connaissance des projets secrets de ce canon. 
Ensuite, une analyse graphologique effectuée par le commandant du Paty de Clam*, graphologue amateur, affirme que l’écriture du bordereau et celle de Dreyfus sont identiques, « malgré certaines dissemblances ».
Il y aura d’autres expertises, dont celle d’Alphonse Bertillon* qui conclut très vite que Dreyfus est celui qui a écrit le bordereau, mais avec tant d’imprécisions et de légèreté que Jean-Denis Bredin consacre à cet homme un chapitre qu’il nommera « les Bertillonnades ».
Un autre expert, de la Banque de France, Gobert rendait des conclusions opposées à celles de Bertillon.


colonel du Paty de Clam


Le 13 octobre, Dreyfus est convoqué, « en tenue bourgeoise », à l’EM de l’armée. va lui dicter une lettre qui reprend les termes du bordereau. Il aurait tremblé affirme du Paty qui procède aussitôt à son arrestation: « Aussitôt la dictée terminée, le commandant du Paty se leva et, posant la main sur moi, s’écria d’une voix tonnante: « au nom de la loi, je vous arrête; vous êtes accusés de haute trahison. » La foudre tombant à mes pieds n’eût pas produit en moi une commotion plus violente; je prononçais des paroles sans suite, protestant contre une accusation aussi infâme que rien dans ma vie ne permettait de justifier. » (7)

Le 29 octobre, l’affaire est révélée par la Libre Parole, le journal de Drumont, et elle va faire l’objet d’une campagne de presse d’une rare violence contre Dreyfus.
Une instruction à charge est menée par l’EM qui craint un acquittement devant la fragilité du dossier.

Le procès de Dreyfus devant le Conseil de guerre s’ouvre le 19 décembre 1894 sous la présidence du colonel Maurel. Le commissaire du gouvernement réclame le huis clos qui est accordé aussitôt. La presse antisémite le réclamait à cors et à cris: « le huis clos est notre refuge inexpugnable contre l’Allemagne » titrait le Petit Journal, alors que Le Figaro, lui, titrait: « le huis clos ne servirait qu’à prolonger le scandale. »

Les experts témoignent: Bertillon parle déjà de coupable en désignant Dreyfus. Gobert expose ses conclusions. Les témoins à charge défilent et accablent l’accusé.
lieutenant colonel Henry
Parmi ceux-ci le commandant Henry*:
il révèle que l’un de ses informateurs lui a confirmé que le traitre appartenait au 2ème bureau et affirme en désignant Dreyfus: « le traitre, le voici.« 

Après le réquisitoire et la plaidoirie, les juges se retirent pour délibérer. C’est alors que le ministre la guerre fait porter au président du tribunal une enveloppe contenant des document fabriqués de toutes pièces contre Dreyfus. Cela suffit à convaincre les juges  pour condamner Alfred Dreyfus.

Toute la presse se réjouit. Georges Clemenceau qui sera par la suite un des plus ardents défenseurs de Dreyfus écrit le 25 décembre dans La Justice: « Il n’a donc pas de parent, pas de femme, pas d’enfants, pas d’amour de quelque chose, pas de lien d’humanité, ou d’animalité même, rien qu’une âme immonde, un coeur abject. » (8) Même Jean Jaurès, le grand Jean Jaurès s’interroge s’il ne fallait pas rétablir la peine de mort pour le crime de haute trahison comme le proposait le ministre de la guerre à la Chambre dès le 25 décembre!

Alfred Dreyfus sera dégradé le 5 janvier dans la cour de l’École militaire devant des détachements de la garnison de Paris, des diplomates et des journalistes. Plusieurs milliers de personnes, à l’extérieur de l’École, assistent au supplice.

Le général Darras, à cheval, prononce les « mots sacramentels:  » Alfred Dreyfus, vous n’êtes plus digne de porter les armes. Au nom du peuple français, nous vous dégradons. » Dreyfus crie son innocence: « Soldats! On dégrade un innocent! Soldats, on déshonore un innocent! Vive la France! Vive l’Armée! » (9)

Dans son livre, il racontera la dégradation elle-même: « un adjudant de la garde républicaine s’approcha de moi. Rapidement, il arracha boutons, bandes de pantalon, insignes de grade du képi et des manches, puis il brisa mon sabre. Je vis tomber à mes pieds tous ces lambeaux d’honneur. Alors, dans cette secousse effroyable de tout mon être, mais le corps droit, la tête haute, je clamais toujours et encore mon cri à ces soldats, à ce peuple assemblé: je suis innocent! » (10)

La foule crie à mort le traitre! Lâche! Judas! Sale juif! La presse antisémite exulte!

Dreyfus dans sa cellule
Le 14 avril Dreyfus arrivera à l’ile du diable, en Guyane où il restera enfermé dans des conditions lamentables jusqu’au 9 juin 1899 après que la Cour de Cassation ait cassé et annulé le jugement du conseil de guerre du 22 décembre 1894.




L’honneur de l’armée est sauf, affirment les antidreyfusards. Sauf que cet honneur, il a été sali par les mensonges de ceux-là même qui avaient pour tâche de le faire vivre!

Ainsi se termine la première partie d’une affaire qui a marqué notre histoire. Heureusement, des hommes d’honneur se sont levés pour mettre en cause ce procès inique: Zola, Clemenceau, Jaurès, Picquart, Scheurer-Kestner, Mathieu Dreyfus, Lazare, Blum et tant d’autres.



Sources:

(1) « cinq années de ma vie 1894-1899 » d’Alfred Dreyfus, préface de Pierre Vidal-Naquet, éditions  La Découverte/Poche, 2006, page 9;
(2) « l’affaire » de jean Denis Bredin, éditions Fayard/Julliard pour GLM, 1993, pages 43 – 44 – 45;
(3) Wikisource, « l’encyclopédie libre*« , Drumont Edouard;
(4) « l’affaire », pages 17 – 19
(5) »l’affaire Dreyfus; la République en péril » de Jean Birnbaum, éditions Découvertes Gallimard, 2004, page49;
(6) « Le nouveau monde industriel et sociétaire (1829), Section VI, Chapitre XLVIII, «Caractères de dégénération de la 3ème phase» de Charles Fourrier;
(7) « cinq années de ma vie », page 57;
(8)  « l’affaire », ibid page 140;
(9)  « l’affaire » page 13
(10) « cinq années de ma vie » page 78;

Le pourquoi du comment des dates: le 21 janvier

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