mercredi 20 décembre 2023

"Étranges étrangers" de Jacques PRÉVERT


24 avril 2022, Emmanuel Macron: "j'ai conscience que ce vote m'oblige pour les années à venir."

 

Qui pensait alors que ce "m'oblige" déboucherait sur une telle  trahison? 

 

Ce poème de Jacques Prévert pour dénoncer la "victoire idéologique" du parti d'extrême droite et de ses alliés.

 

Étranges étrangers

Jacques Prévert / André Minvielle

Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
Hommes des pays loin
Cobayes des colonies
Doux petits musiciens
Soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint Ouen
Apatrides d’Aubervilliers

Brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
Ebouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
Au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
Embauchés, débauchés
Manœuvres désoeuvrés
Polaks du Marais et du Temple des rosiers

Cordonniers de Cordoue
Soutiers de Barcelone
Pêcheurs des Baléares et du cap Finistère
Rescapés de Franco
Et déportés de France et de Navarre
Pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
La liberté des autres

Esclaves noirs de Fréjus
Tiraillés et parqués, au bord d’une petite mer
Où peu vous vous baigniez
Esclaves noirs de Fréjus
Qui évoquiez chaque soir
Dans des locaux disciplinaires
Avec une vieille boite à cigare
Et quelques bouts de fils de fer
Tous les échos de vos villages
Tous les oiseaux de vos forêts
Et ne venez dans la capitale que pour fêter au pas cadencé
La prise de la Bastille le quatorze Juillet

Enfants du Sénégal
Dépatriés expatriés, et naturalisés
Enfants indochinois
Jongleurs aux innocents couteaux
Qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
De jolis dragons d’or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
Qui dormez aujourd’hui
De retour au pays, le visage dans la terre
Et des bombes incendiaires labourant vos rizières

On vous a renvoyé la monnaie de vos papiers dorés
On vous a retourné vos petits couteaux dans le dos

Etranges Etrangers

Vous êtes de la ville, vous êtes de sa vie
Même si mal en vivez, même si vous en mourrez

samedi 9 décembre 2023

les "PILGRIMS FATHERS"

Notre bref périple aux USA, en octobre dernier, nous a conduit à Plymouth*, Massachusetts, là où ont débarqué le 11 novembre 1620, une centaine de personnes, dont une trentaine d'hommes d'équipage et surtout trente cinq dissidents anglais, hommes et femmes très pieux fuyant les persécutions des autorités religieuses anglaises.
Celles et ceux que l'on a appelés plus tard les "pères pèlerins", "the Pilgrims Fathers".

Ces pèlerins sont des protestants qui firent sécession  de l'église d'Angleterre et, pour cette raison, persécutés avec d'autres, les puritains.

Avant d'aller plus en avant dans ce billet, permettez-moi d'ouvrir une brève parenthèse. 

Pour m'intéresser à l'Histoire, celle de notre pays, mais pas que, j'ai toujours été frappé par le fait qu'au sein d'une même religion, il pouvait y avoir des différences, parfois importantes, parfois mineures, et qu'à partir de ces différences, des persécutions étaient organisées, mises en oeuvre, des persécutions et souvent des guerres civiles, meurtrières, sauvages, implacables.
Nous en savons quelque  choses avec les guerres de religions qui ont frappé la France pendant toute la seconde moitié du XVI ème siècle.

 



Mais quand on creuse quelque peu, il apparaît très vite que, outre l'intolérance propre à chaque religion, il apparaît donc que ce sont des luttes d'influences et donc de pouvoirs qui se cachent hypocritement derrière les religions.
C'était le cas en France, mais aussi partout dans le monde où de telles guerres se sont déroulées. Et se déroulent encore.


Et si j'écris pouvoirs au pluriel, c'est parce qu'il s'agit de pouvoir politique, mais aussi économique, financier, social et même sociétal.

Et donc, les enseignements des religions dites du Livre où, pour faire court, la tolérance, la charité, le pardon sont des vertus cardinales, ces enseignements s'effacent, disparaissent au profit de luttes de pouvoirs et de ce qui en découle. 

Au point de se demander si les religions ne portent pas en elles les germes de la guerre.

Mais cela demande d'autres développements, ce n'est pas le sujet de mon billet d'aujourd'hui et je reviens donc aux Pilgrims.

En 1606, le roi d'Angleterre, Jacques 1er* et le chef de l'église Tobias Matthew déclenchent une répression féroce contre les dissidents.

Donc, le 16 septembre 1620, John Carter* décide de rejoindre la colonie de Virginie avec les dissidents à bord du Mayflower, un petit navire de 28 mètres et de 180 tonneaux de jauge, appelé "flûte*".


 
 



Pour être monté à bord de la reconstitution de ce navire, je peux témoigner que la centaine de passagers devaient se sentir à l'étroit, vivant dans des conditions plus que précaires, dans l'humidité, le froid, la peur: imaginons un instant ce frêle esquif affrontant les terribles tempêtes de l'Atlantique nord.
Le voyage avait été financé par des marchands londoniens qui, bien sûr, en attendaient des retours sur investissements. Aussi, en plus d'être tous adhérents des principes puritains*, les passagers avaient tous des compétences professionnelles affirmées, agriculteurs ou artisans. 

Suite à une forte tempête au large de Terre Neuve, les pèlerins arrivent le 11 novembre 1620, à Cap Code, Massachusetts, bien plus au nord que prévu, à savoir la Virginie.

Le voyage aura donc duré un peu moins de deux mois, dans des conditions particulièrement difficiles.
Pour marquer à tout jamais cette date et le lieu de leur débarquement, les pèlerins graveront l'année sur un rocher encore visible aujourd'hui, sans que, toutefois, l'origine du rocher exposé soit avérée.


 Aussitôt arrivés, les pèlerins, sous la direction de John Carver, s'organisent et fondent la ville de "New Plymouth", le 21 décembre 1620, après avoir mis en place des principes généraux de gouvernance, connus sous le nom de "Mayflower Compact", qui jettent les bases d'une démocratie locale, qui inspireront plus tard les fondements de la future Constitution des États Unis. 
 
Élaboration et signature du Mayflower Compact (tableau d’Edward Percy Moran, exposé aujourd'hui au Pilgrim Hall Museum)

 
Mais, ce document est aussi un contrat pragmatique visant à assurer un cadre légal minimal dans la future colonie.
Les signataires s’engagent ainsi à se « constituer en un corps politique civil » et à obéir aux lois qui seront promulguées dans la colonie.
Ce pacte sera bien évidemment imprégné très fortement des principes religieux qui ont été à l'origine de la fuite des pèlerins de l'Angleterre.
 
L'hiver 1620 - 1621 sera particulièrement rigoureux. Les Pilgrims, restés à bord pendant cette période, vont souffrir de la faim, du froid et des maladies qui en découlent: plus de la moitié d'entre eux n'y survivra pas.
Au printemps suivant, ils vont s'installer à terre, construire des huttes et commencer les travaux de la terre, aidés en cela par les indiens Iroquois qui leur seront des aides précieuses et indispensables pour leur survie en leur enseignant la culture du maïs et la pratique de la pêche.
En novembre 1621, les pèlerins célèbrent une fête de la récolte avec le repas qui sera considéré plus tard comme la célébration du "Thanksgiving Day". jour érigé en fête nationale en 1863 par le président Abraham Lincoln.*
Certes, il n'y eut ni dindes ni pommes de terre, mais des fruits de mer, des cerfs et des ... citrouilles, issues des premières récoltes.

Les récits bibliques plus les éléments de la théorie calviniste imprègnent cette toute jeune communauté, comme l'écrit le gouverneur Bradford*:
"le Seigneur était avec eux dans tous leurs faits et gestes, que sa grâce s’exerçait dans toutes leurs allées et venues »
 
Par la  suite, dans les années 1630 - 1640, ce qui s'est alors appelée "la grande migration" va voir arriver dans le Massachusetts plus de 13000 puritains qui vont s'installer et donner ainsi naissance à des colonies plus conséquentes.
 
 
D'autres minorités religieuses, les Quakers, les Baptistes, toutes protestantes mais qui ont refusé le strict anglicanisme* imposé en Angleterre en 1662
 
Mais au fur et à  mesure que les colons anglais progressaient à l'intérieur des terres, les relations avec les communautés autochtones devinrent difficiles, tant ces colons étaient non seulement avides de nouvelles terres, mais aussi profondément convaincus que ces tribus n'étaient que 
"des créatures infernales, ignorant les règles de la pudeur, et ne connaissant d'autre Dieu que le Diable." comme l'écrivait le révérend Symonds dans son "sermon sur la Virginie" en 1609.
 
 L'extermination de ces communautés se mit en place très rapidement, sans le moindre problème de conscience de la part de croyants inflexibles qui, pourtant, avaient été persécutés et avaient dû fuir leur pays. 
 
Alexis de Tocqueville a pu écrire en 1835 dans "de la Démocratie en Amérique": "Les Espagnols, à l'aide de monstruosités sans exemple, en se couvrant d'une honte ineffaçable, n'ont pu parvenir à exterminer la race indienne. Les Américains des États-Unis ont atteint ce résultat avec une merveilleuse facilité, tranquillement, légalement, philanthropiquement, sans violer un seul des grands principes de la morale aux yeux du monde. On ne saurait détruire les hommes en respectant mieux les lois de l'humanité. (1)" 
 
 On ne saurait mieux dire.
 
Aujourd'hui, les Pilgrims Fathers" font partie de l'histoire américaine, véritables symboles de l'esprit pionnier, fondateur de cet esprit religieux que rien n'arrête et qui permet tout.
 
Jusqu'à "in God we trust" inscrit sur tous les billets et pièces de la devise des États Unis d'Amérique.
 


 
 
 
 
 
(1) in "de la Démocratie en Amérique" de Alexis de Tocqueville (éditions Gallimard, 1992, collection La Pléiade) I,II chapitre X, page 393) 

Soixante ans..... Déja!!!!

 Soixante ans..... Déjà!!!!!