mercredi 6 juin 2012

les Présidents de la République Française: 5ème partie: 1931 - 1940.


Paul Doumer et Albert Lebrun sont les deux derniers Présidents de la III ème République que nous allons évoquer dans ce billet. La crise, partie des Etats Unis, frappe toutes les économies du monde et génère instabilité politique et misère sociale. Particulièrement en Europe. Les régimes démocratiques, parfois corrompus et inefficaces, accusés de faire "le lit du communisme", sont violemment remis en cause par les différents nationalismes. La III ème République allait s'éteindre sous les bombes allemandes, victime de sa propre impuissance et de la volonté du gouvernement collaborationniste de Vichy de mettre à bas la "gueuse", pour reprendre une expression chère aux partisans de l'Action Française de Charles Maurras.

Paul DOUMER
Paul DOUMER: 1857 - 1932. Président de 13 juin 1931 - 6 mai 1932.

D'origine très modeste, P. Doumer est un pur produit de la méritocratie républicaine: après avoir été coursier, il suit des cours du soir au CNAM et obtint une licence de mathématiques et de droit. Professeur, puis journaliste, il est élu député radical en 1887. Il sera nommé gouverneur de l'Indochine (1897 - 1902) où il sera l'origine de la construction du chemin de fer reliant Hanoï à la Chine.

Puis élu Président de la Chambre en 1904, Président du Sénat en 1927 après avoir exercé de courtes fonctions ministérielles. A 74 ans, il est élu Président de la République contre Aristide Briand (prix Nobel de la paix en 1926). Il a été dit que la mort de trois de ses fils pendant la Grande Guerre lui aurait attiré la sympathie de certains grands électeurs. Ce qui n'a jamais été démontré. Il sera assassiné le 6 ma 1932 par Gorculoff, un russe illuminé qui reproche à la France de ne pas intervenir contre le pouvoir bolchévique.

C'est pendant son mandat que fut votée la loi instituant les allocations familiales. C'est aussi pendant cette période que les ligues d'extrême droite se réclamant du fascisme commencent à s'agiter et à remettre en cause le régime.

Pour l'anecdote, en tant que Président, il a refusé d'avoir la moindre influence dans la vie politique et s'est obligé à rester dans une fonction de représentation. C'est en se référant à ce rôle inexistant que C. de Gaulle, lors d'une conférence de presse en 1965 a utilisé l'expression "inaugurer les chrysanthèmes".

Albert LEBRUN
Albert LEBRUN: 1871 - 1950. Président du 10 mai 1932 au ?

Si je mets un point d'interrogation, c'est tout simplement parce que Albert Lebrun, Président de la République, n'a jamais démissionné. D'ailleurs à qui aurait-il pu remettre sa démission puisqu'il n'y avait plus de Parlement? Son mandat se terminait en théorie le 5 avril 1946, puisqu'il avait été réélu le 5 avril 1939.

Polytechnicien, il est élu député en 1900. Il sera ministre à plusieurs reprises avant de représenter la France à la Société des Nations. Il sera également Président du Sénat en 1931.

Il fut élu à la Présidence par 633 voix par par une Chambre de droite, alors que la Chambre nouvellement élue, à majorité de gauche, n'avait pas encore pris ses fonctions: un homme de droite fut donc élu par une majorité de droite battue aux élections législatives.

Comme son prédécesseur, il n'a jamais voulu jouer le moindre rôle politique durant son mandat. Sans doute par un respect scrupuleux de la Constitution, mais aussi, par une personnalité trop effacée, inadaptée à un tel poste et aux circonstances troublées de l'époque. Ainsi, le général de Gaulle le juge t-il en ces termes, quelque peu cruels dans ses Mémoires de guerre: "Comme chef de l'Etat, deux choses lui manquaient: qu'il fût un chef et qu'il y eût un Etat."(1)

La situation économique n'est guère brillante: la crise venue des Etats Unis ravage les économies européennes, ruinant les épargnants et alimentant un chômage de masse en augmentation constante.

A cela s'ajoutent plusieurs scandales financiers (Stavisky, les affaires Hanau ou Oustric)  qui alimentent un antiparlementarisme virulent, exploité par les partis d'extrême droite. Mais aussi la victoire du cartel des gauche qui remporte les élections de mai 1932. Ce qui a pour effet de radicaliser encore un peu plus l'extrême droite et de favoriser la montée en puissance des ligues d'inspiration fasciste comme les Camelots du Roi ou les Jeunesses Patriotes.

Le 6 février 1934, une manifestation organisée par les ligues d'extrême droite qui protestaient contre le renvoi du préfet Chiappe tourne à l'émeute. Les manifestants se dirigent vers la Chambre des Députés aux cris de "à bas les voleurs, à bas les assassins". Mais derrière cette manifestation se cache la volonté de renverser le gouvernement et les institutions. Cette tentative échoue, en partie par la défection des Croix de feu du Colonel de la Rocque. Il y aura 16 morts, des milliers de blessés. Le gouvernement de E. Daladier démissionne.

Parallèlement, les nazis ont pris le pouvoir en Allemagne. Leur programme est clair: réarmement, ré-industrialisation, récupération des territoires perdus pendant la Grande Guerre, lutte contre les démocraties et le communisme.

L'instabilité ministérielle en France empêche toute politique efficace vis à vis des exigences allemandes. Il y a même un esprit, sinon de capitulation, du moins de paralysie en face des dictatures de la part des gouvernements européens, particulièrement en France et en Grande Bretagne: ainsi sont signés les accords de Munich le 30 septembre 1938, accords qui marquent l'acceptation par les démocraties des exigences des dictatures allemandes et italiennes. Les signataires de ces accords, Daladier pour la France et Chamberlain pour la Grande Bretagne, sont acclamés à leur retour: ils ont sauvé la paix. Ce à quoi Churchill répondra le 7 novembre 1938: "ils avaient à choisir entre la guerre et le déshonneur. Ils ont choisi le déshonneur et ils auront la guerre."

Le président Lebrun, s'il a encouragé le gouvernement à aller à Munich, a assisté à tous ces évènements sans réagir. Il s'est contenté de changer le Président du Conseil, mais sans jamais, ne serait-ce qu'essayer, d'influer sur le cours de la vie politique. Il est vrai cependant qu'il n'était pas vraiment  dans ses attributions de le faire.

Lorsque la France et l'Angleterre déclarent la guerre à l'Allemagne le 3 septembre 1939, Edouard Daladier est Président du Conseil, remplacé le 21 mars 1939 par Paul Reynaud. Albert Lebrun lui fait "la tournée des popotes": chacun connait cette photo où Charles de Gaulle, alors colonel et commandant des chars de la Vème armée reçoit le Président de la République.

Les armées françaises et anglaises sont vite défaites par les unités blindées allemandes. Le gouvernement français tergiverse entre les partisans de continuer la guerre et les partisans de l'armistice. Le président Lebrun, bien qu'inexistant au plan politique, aurait été parmi ces derniers: "Quant au Président de la République, Albert Lebrun, il n'existe plus avant même de s'effacer: personne n'a retenu qu'au Conseil du 25 mai, il avait, le premier, proposé de conclure un armistice." (2) Le gouvernement se réfugie à Bordeaux le 14 juin. Paul Reynaud hésite sur la marche à suivre et démissionne le 16. Albert Lebrun fait alors appel au maréchal Pétain à qui il déclare: "Monsieur le Maréchal, soyez rassuré à mon égard, j'ai été toute ma vie un serviteur fidèle de la loi, même quand elle n'avait pas mon adhésion morale.(1)" Le 17 juin, Philippe Pétain demande l'armistice aux nazis; le même jour, Charles de Gaulle, promu général de brigade "à titre temporaire" le 25 mai 1940, s'envole pour Londres où, dès le lendemain il lancera son célèbre appel à la résistance. Chacun connait la suite.

Le 10 juillet 1940, les deux Chambres du Parlement (Chambre des députés et Sénat), réunies à Vichy, "donne tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l'autorité et la signature du maréchal Pétain". Le Président de la République Albert Lebrun a été ignoré. Sa démission ne lui a même pas été demandée. Une fois de plus, il a subi les évènements.


Quatorze hommes politiques se sont succédés à la Présidence de la III ème République, tous avec une belle expérience politique, mais tous prisonniers d'un système qui les a paralysés.

Selon la lettre de la Constitution de 1875, le Président, en plus de la désignation du Président du Conseil et du pouvoir de dissolution, participe à l'élaboration des lois et surveille leur bonne application après leur promulgation qu'il signe. Il a un important droit de regard sur la politique extérieure; il nomme les hauts fonctionnaires.

Mais tous ces pouvoirs qui auraient pu faire de lui "un monarque républicain" ont été plus ou moins contournés par une sorte de coutume non écrite: le Président ne pouvait s'adresser directement aux deux Chambres; chacun de ses actes devait obtenir un contre-seing ministériel; il ne peut voyager en France ou à l'étranger sans être accompagné d'un membre du gouvernement; tous ses discours doivent être approuvés par le gouvernement. Si on ajoute à cela que les Chambres étaient dominées par les partis politiques, lesquels se méfiaient des fortes personnalités qui auraient pu être tentées de contester leurs pouvoirs, y compris et surtout leurs pouvoirs de nuisance, on comprend que les Chambres  ont toujours fait en sorte d'élire à la Présidence des hommes sans réelle envergure politique. Ainsi, des hommes tels que Gambetta, Ferry, Clemenceau ou Briand furent-ils écartés sans ménagement.

Pourtant, je veux croire, avec René Rémond, que "la III° République a enraciné dans les institutions, les esprits et les habitudes les comportements de la démocratie politique. Elle a fondé les libertés publiques. Elle a façonné les structures, intellectuelles comme institutionnelles, de la vie politique. Elle a achevé de faire des Français des citoyens qui ont conscience d'être acteurs et non plus sujets. La plupart lui en sont reconnaissants et attachés à préserver ces acquis. Même s'ils critiquent ses défectuosités, s'ils souhaitent parfois un gouvernement plus efficace, s'ils dénoncent ses limitations et ses insuffisances, ils ne sont pas disposés à troquer leur liberté."(3)

(1) in "les Présidents de 1870 à nos jours" de Raphaël Piastra, éditions Eyrolles, page90
(2) in "Histoire de France", de Marc Ferro, éditions Odile Jacob, page 373.
(3) in "la République souveraine" de René Rémond, éditions Arthème Fayard, 419

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Soixante ans..... Déja!!!!

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