vendredi 4 mai 2012

le petit exercice littéraire du vendredi (12)



Cette semaine, je vous propose un écrivain prolifique, mais sans être excessif. Chacun de ses romans est une petite merveille d'écriture; mais aussi de délicatesse, ce qui n'empêche nullement un certain réalisme. Le nom de cet auteur, le titre de son ouvrage. Réponses dimanche dans la soirée. Avant 20h00, bien sûr.





.. Je m'appelle ....... et je n'y suis pour rien. Je tiens à le dire. Il faut que tout le monde le sache.
Moi, je n'ai rien fait et lorsque j'ai su ce qu'il venait de se passer, j'aurais aimé ne jamais en parler, ligoter ma mémoire, la tenir bien serrée dans ses liens de façon à ce qu'elle demeure tranquille comme une fouine dans une nasse de fer.

l'Académie Goncourt en 1900
Mais les autres m'ont forcé: "Toi, tu sais lire, m'ont-ils dit, tu as fait des études." J'ai répondu que c'était de toutes petites études, des études même pas terminées d'ailleurs, et qui ne m'ont pas laissé un grand souvenir. Ils n'ont rien voulu savoir:" Tu sais écrire, tu sais les mots, et comment on les utilise, et comment aussi, ils peuvent dire les choses. Ca suffira. Nous, on ne sait pas faire cela. On s'embrouillerait, mais toi, tu diras, et alors ils te croiront. Et en plus, tu as la machine."

La machine, elle est très vieille. Plusieurs de ses touches sont cassées. Je n'ai rien pour la réparer. Elle est capricieuse. Elle est éreintée. Il lui arrive de se bloquer sans m'avertir, comme si elle se cabrait. Mais cela, je ne l'ai pas dit car je n'ai pas envie de finir comme l'Anderer.

Ne me demandez pas son nom, on ne l'a jamais su. Très vite, les gens l'ont appelé avec des expressions inventées de toutes pièces dans le dialecte et que je traduis: Vollaugä - Yeux pleins - en raison de son regard qui lui sortait un peu du visage; De Murmelnër - le Murmurant - car il parlait très peu et toujours d'une petite voix qu'on aurait dit un souffle; Mondlich - Lunaire - à cause de son air d'être chez nous tout en n'y étant pas; Gekamdörhin - celui qui est venu de là-bas.

Mais pour moi, il a toujours été De Anderer - l'Autre -, peut-être parce qu'en plus d'arriver de nulle part, il était différent, et cela, je connaissais bien: parfois même, je dois l'avouer, j'avais l'impression que lui, c'était un peu moi.
André Ardellet (photo R. Doisneau)

Son véritable nom, aucun d'entre nous ne le lui a jamais demandé, à part le Maire une fois peut-être, mais il n'a pas, je crois, obtenu de réponse. Maintenant on ne saura plus. C'est trop tard et c'est sans doute mieux ainsi. La vérité, ça peut couper les mains et laisser des entailles à ne plus pouvoir vivre avec, et la plupart d'entre nous, ce qu'on veut, c'est vivre. Le moins douloureusement possible. C'est humain.

2 commentaires:

  1. J'aime beaucoup Philippe Claudel. Il est venu il y a quelques années dans le cadre de la manifestation "Ecrivains" en Grésivaudan. Il y avait du monde pour l'entendre et lui poser des questions. Je trouve que c'est quelqu'un de très humain.
    L'extrait proposé vient de "le rapport de Brodeck"
    Christiane

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  2. il s'agit du très bel ouvrage de Philippe Claudel (né en 1962): le rapport de Brodeck, paru en 2007, aux éditions Stock, prix Goncourt des lycéens et prix des lecteurs 2009. P. Claudel, agrégé de lettres modernes, en plus d'être un écrivain talentueux, est réalisateur (il y a longtemps que je t'aime, tous les soleils) et maitre de conférences à l'université de Nancy. Ses principaux romans: les âmes grises (prix Renaudot en 2003), la petite fille de mr Linh...
    * Institut Européen du Cinéma et de l'Audiovisuel: P. Claudel y enseigne l'écriture scénaristique;
    * académie Goncourt: P. Claudel y a été élu au couvert de Jorge Semprun en janvier 2012; à l'origine, l'Académie Goncourt se nommait "Société Littéraire des Goncourt;
    * André Ardellet: 1911 - 1974, écrivain français; P. Claudel a écrit sa thèse sur cet écrivain peu connu du grand public; il est l'auteur de la chanson interprétée par Guy Béart et Patachou: "le bal chez Temporel".

    PS: je vais arrêter le petit exercice littéraire du vendredi; en effet, il semble ne susciter aucun intérêt et chaque semaine qui passe voit le nombre de réponses diminuer, tout comme d'ailleurs le nombre de visites sur les deux sites. Merci aux quelques fidèles.

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Soixante ans..... Déja!!!!

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