dimanche 26 janvier 2020

Albert AERNOULT: "l'affaire Dreyfus des ouvriers"



Albert Aernoult est né le 19 octobre 1886 et décédé le 2 juillet 1909 osons le mot, assassiné au camp disciplinaire de Djenan El-Dar en Algérie, surnommé "biribi" comme tous les camps disciplinaires de l'armée française. Albert Londres* écrira en 1923: "biribi a plusieurs maisons mères."

C'est un peu par hasard, en écoutant une émission à la radio il y a quelques temps, que j'ai appris l'existence de cet homme, des injustices qui lui avaient été faites, de son assassinat et du refus de l'armée de reconnaitre les mauvais traitements et les tortures qui lui avaient été infligés, entrainant sa mort. 

Je suis allé sur le net afin d'en savoir un peu plus. Les seules informations que j'ai pu trouver sont celles de journaux et de sites libertaires et anarchistes, la page wikipédia d'Aernoult étant en anglais, sans intérêt. 

Pour autant, journaux et sites d'extrême gauche ou pas, le cas de ce syndicaliste a une certaine similitude avec celui d'Alfred Dreyfus dans la mesure où l'armée a tout fait pour cacher la réalité de la mort d'Aernoult, n'hésitant pas à mentir et à travestir les faits.
C'est cela qui m'amène à écrire ce billet
.

Albert AERNOULT

Fils de terrassier, il exerçait le métier de couvreur à Romainville (Seine Saint Denis). Militant syndicaliste dès son plus jeune âge, fort en gueule, il soutient activement une grève alors qu'il a tout juste 19 ans. 


Condamné à deux ans de prison pour faits de grève dans les mines de charbon de Courrières *, il ne fera que dix mois à la prison de la Petite Roquette à Paris.



Il sera ensuite très fortement "invité" à devancer l'appel du service militaire. Il signe donc un engagement de trois ans et est affecté à un régiment des Bataillons d'Afrique. En effet, la loi de 1889 instituant le service militaire obligatoire oblige les conscrits ayant été condamné à une peine de plus de six mois à intégrer ces unités où la discipline était "renforcée". La quasi totalité de ces soldats était réputée fortes têtes que les gradés en place se faisaient fort de "dresser". L'essentiel de ces fortes têtes était composé de soldats condamnés en conseil de guerre, de jeunes sortant de prison, d'homosexuels, mais aussi d'opposants politiques et de syndicalistes.



Le 26 mars 1907, Albert Aernoult est affecté au premier bataillon d'infanterie légère d'Afrique.
Le 20 juin 0909, il écrit à ses parents: Vive la classe, encore neuf mois et la paire ! »


A cette époque - comme d'ailleurs encore aujourd'hui - Biribi est, à juste titre, synonyme de conditions de vie inhumaines, de travaux forcés, où l'arbitraire est la règle de vie réglées par les "chaoufs", le nom donné aux sous officiers chargés d'encadrer les soldats.


Ces camps de travail accueillent chaque année entre 10 et 15 000 conscrits. Les travaux que ces derniers doivent effectuer consistent à tracer des routes dans le désert sous un soleil de plomb, sans protections, avec une nourriture indigne, sous la menace permanente des coups par les surveillants. La moindre incartade est punie sévèrement, les coups pleuvent et la menace du camp disciplinaire est permanente, camp où les brimades ou plus exactement les tortures sont monnaies courantes. Par exemple, "la crapaudine": ce supplice consiste à lier, au moyen d’une corde, les pieds et les mains dans le dos d’un homme allongé sur le ventre, pliant son corps en un curieux arc de cercle. Ou encore, "les baillons", des fers incrustés dans la chair ou "le silo", une fosse où est jeté nu le condamné au milieu de déjections en tout genre.


la crapaudine

Émile Rousset

Le 1er juillet 1909, pour un motif que l'on ignore, Aernoult est condamné à quelques jours de prison et envoyé au camp disciplinaire de Djenan El-Dar. 


Emile Rousset, compagnon d'infortune d'Aernoult, écrira plus tard: "A Djenan-el-Dar il y avait « derrière les barraquements un lieu que nous appelions la cour des miracles parce qu’on y appliquait les punitions. Là, durant des heures qui semblaient interminables, on poussait des brouettes au pas de gymnastique, on portait sur les épaules des bidons à pétrole emplis de sable. Au bout de peu de temps, l’homme astreint à ces exercices, manquait de force ; ses bras s’alourdissaient, ses jambes fléchissaient, son visage se contractait, mais la crainte des coups de matraque galvanisait les disciplinaires qui s’efforçaient d’accomplir jusqu’au bout les ordres exigés. »

Le 2 juillet, Albert Aernoult va être soumis à ce régime, mais il ne pourra résister physiquement et s'écroulera plusieurs fois Il est alors soumis à la crapaudine et battu à deux reprises. Il appelle sa mère et demande à boire. Pour toute réponse, le sergent Beignier hurle: "qu'on lui bouche la gueule avec du sable." 

Aernoult est encore battu et il décèdera dans la nuit. Congestion cérébrale due à la chaleur notera le médecin major dans son rapport.


Les fortes têtes, on les mate, mon gaillard».
Illustration de Maurin parue dans Les Temps nouveaux du 5 juillet 1910, numéro spécial «Meure Biribi».

Émile Rousset écrit aux parents d'Aernoult: " C’est cruel de vous le dire et cela nous fend le cœur, mais c’est notre devoir à tous. Votre fils n’a vécu que 36 heures ici, alors que nous l’avions vu arriver en bonne santé, plein de force; Courage, Madame, et retenez bien le nom des assassins de votre fils : le lieutenant Sabatier et les sergents Begnier et Casanova. »


Les parents envoient la lettre de Rousset au quotidien "le Matin". La Ligue des Droits de l'Homme est alertée. L'Humanité, le journal fondé par Jean Jaurès, publie à son tour la lettre.. Le ministre de la guerre, le général Brun, ordonne une enquête, enquête qui confirmera les conclusions du médecin major.

Émile Rousset est déféré devant le conseil de guerre et condamné à cinq ans de prison.



Le comité de défense sociale, organisation qui regroupe des dirigeants anarchistes et des syndicalistes veut porte l'affaire devant l'opinion publique et colle sur les murs de la capitale une affiche afin de provoquer "l'appareil militaro judiciaire." Le texte est sans ambiguïté: "Soldats! Si vous vous sentez menacés, guettés par Biribi, n’hésitez pas. Désertez. […] Ces officiers et ces chaouchs [ sous-offs] qui martyrisent et qui tuent et dont l’exécution, en jour de révolte, serait saluée avec enthousiasme par tous les hommes épris de liberté. Ce sont des bourreaux, vous avez une baïonnette, servez-vous-en!"


Le ministère de la justice porte plainte pour "appel au meurtre et à la désertion" contre les seize rédacteurs de l'affiche. Ils sont tous acquittés par le jury de la Seine en juillet 1910.

Le mois suivant, le gouvernement de Aristide Briand -qui succède à Georges Clemenceau renversé le mois précédent - décide de rapatrier les camps disciplinaires en France. 

"La guerre sociale"*, journal anarchiste, écrit: "«Grâce à cet homme, le ministre de la Guerre est obligé de ramener les compagnies de discipline en France. Ce simple soldat contraint à lui seul le gouvernement à supprimer une bonne partie des bagnes d’Afrique. C’est Rousset qui a donné sa base à la campagne contre Biribi. C’est son dévouement qui a réveillé les énergies endormies; c’est son courage qui a exalté l’indignation populaire."

Émile Rousset est gracié et intègre un bataillon classique.


Le 6 septembre 1911, le procès des trois assassins d'Aernoult s'ouvre à Oran devant un tribunal miliaire et le 14 du même mois, ils sont acquittés. 


Les organisations syndicales et les partis politiques organisent des manifestations pour protester: "c'est l'affaire Dreyfus" qui recommence." Les "dreyfusards soutiennent les protestataires et le capitaine Dreyfus lui-même prendra partie pour Émile Rousset.

Le corps d'Albert Aernoult est rapatrié en France en février 1912. Plus de 150 000 personnes participeront à ses funérailles. Des drapeaux rouges, des drapeaux noirs flottent dans le cortège et des slogans antimilitaristes, "à bas l'armée" se font entendre. 

Rousset va être accusé de meurtre et est condamné à vingt ans de prison par un tribunal militaire. Suite aux diverses mobilisations, son dossier est renvoyé vers la justice civile et est examiné par la Cour de Cassation qui prononce un non-lieu en sa faveur en juin 1912.



la manifestation lors des obsèques de Albert Aernoult (archives de Éric Coulaud)

Les différentes campagnes lancées par les anarchistes et les partis politiques de gauche n'aboutiront pas à la suppression des camps disciplinaires, d'autant que août 1914 n'était pas si loin. 


Il faudra attendre 1970 pour la disparition des bataillons disciplinaires. Pendant toute la durée de l'existence de ces camps, entre 600 000 et 800 000 hommes sont passés par ces "biribi", victimes d'injustices, de violences, de tortures et de sévices divers.


Albert LONDRES en 1923


Albert Londres dans une série d'articles publiée en 1924 dans le Petit Parisien dénonce vigoureusement l'existence même de ces camps disciplinaires après des enquêtes en Guyane et en Algérie.


Dans "Dante n'avait rien vu"(1), il décrit par le détail la vie des prisonniers et dans le texte ci-après, ce qu'est la "crapaudine": 

— Mon capitaine, dit Véron, moi, j’ai à me plaindre.
— Allez.
— On m’a mis aux fers pendant deux heures.
— Pendant deux heures ? fait le capitaine à l’adjudant. 
—Mais non !
Les fers se composent de deux morceaux : l’un pour les mains, l’autre pour les pieds. Les mains sont placées dos à dos et immobilisées dans l’appareil par un système à vis. Pour les pieds, deux manilles fixées à une barre, le poids fait le reste. Les fers ne doivent être appliqués qu’à l’homme furieux et maintenus un quart d’heure au plus. Il est aussi une corde qui relie parfois les deux morceaux et donne à l’homme l’apparence du crapaud. Nous n’avons pas trouvé cette corde dans le livre 57, mais au cours de ce voyage, sur la route.
— Procédons par ordre, dit le capitaine. Pourquoi cet homme est-il puni ?
— Il a été surpris sortant d’un marabout qui n’était pas le sien et tenant à la main un objet de literie ne lui appartenant pas. De plus, il y eut outrage envers le sergent. Il a dit au sergent : « C’est toi qui es un voleur : il y a longtemps que tu as mérité cinq ans ! »


Les différentes publications sur internet où j'ai puisé les infirmations de ce billet:
https://www.unioncommunistelibertaire.org/?1910-Meure-Biribi-Sauvons-Rousset
http://www.article11.info/?Biribi-ou-la-passion-d-Aernoult#nb3
http://militants-anarchistes.info/spip.php?article1409
http://www.imagesetmemoires.com/doc/Articles/bulletin-56-at-biribi-red.pdf
https://cartoliste.ficedl.info/spip.php?mot346


(1) in wikisource: https://fr.m.wikisource.org/wiki/Dante_n%E2%80%99avait_rien_vu

dimanche 19 janvier 2020

le salut militaire

Dans les armées du monde entier, une tradition existe depuis très longtemps: le salut militaire: le subordonné salue son supérieur qui lui rend son salut. Mais aussi pendant l’hymne national ou pendant la levée des couleurs ou, en France, lorsque la flamme du Soldat Inconnu est rallumée par une personnalité.
Il y a quelques temps, je suis tombé, par hasard, sur une vidéo sur youtube montrant une prise d’armes quelque part en France.

Je me suis alors demandé depuis quand remontait ce salut militaire et quelles en étaient les origines. d’où ce billet.


Ce salut remonterait à l’antiquité: il s’agissait alors d’un signe de paix entre deux guerriers de camp opposé qui, se rencontrant et pour montrer leurs bonnes intentions, levaient la main droite, paume largement ouverte, prouvant ainsi qu’ils n’étaient pas armés.

Au moyen-âge, c’était un geste de courtoisie que deux chevaliers, avant un tournoi, échangeaient en soulevant la visière de leur heaume.

Au XVII ème siècle, le geste est repris et adopté par les militaires: ils lèvent la main droite vers le ciel, en écartant trois doigts, faisant ainsi allusion à la sainte trinité. 

Il devient ensuite un geste de fraternité échangé entre deux militaires engagés dans le même combat. 

Un peu plus tard, le geste s’arrêtera à la coiffe, chapeau, bérêt, casque, etc…

Ce n’est pas encore un geste de subordination d’un subordonné à un supérieur.


Au fur et à mesure que l’on avance dans le temps, le salut se fera de plus en plus solennel et obéira ensuite à une procédure très précise: le livre de l’infanterie de l’armée française de 1916 édicte la règle: « Porter la main droite ouverte au côté droit de la coiffure, la main dans le prolongement de l’avant-bras, les doigts étendus et joints, le pouce réuni aux autres doigts ou légèrement écarté. La paume en avant, le bras sensiblement horizontal et dans l’alignement des épaules. L’attitude du salut est prise d’un geste vif et décidé et en regardant la personne que l’on salue. Le salut terminé, la main droite est vivement renvoyée dans le rang. Tout militaire croisant un supérieur le salue quand il en est à six pas et conserve l’attitude du salut jusqu’à ce qu’il l’ait dépassé. S’il dépasse un supérieur, il le salue en arrivant à sa hauteur et conserve l’attitude du salut jusqu’à ce qu’il l’ait dépassé de deux pas. S’il est en armes, il présente l’arme en tournant la tête du côté du supérieur. »(1) L’armée française est alors au plus fort de la guerre, mais pour certains « planqués » au ministère de la guerre à Paris, il importe que « la discipline reste la principale force des armées. »

J’ai retrouvé le « manuel du marin », édition 1963, que l’on m’avait donné en arrivant à l’École des Mousses, tout en me recommandant de le lire très attentivement et d’en connaitre l’essentiel. 

Concernant le salut, page 50, la consigne concernant le salut du « marin isolé non armé du fusil » est la suivante: « porter la main droite ouverte au côté droit de la coiffure, la main dans le prolongement de l’avant-bras, les doigts étendus et joints, la paume en avant, le bras sensiblement horizontal et dans l’alignement des épaules.« (2)

Daniel TANT* a écrit un article sur la symbolique du salut militaire où il avance une explication la concernant: « Mais lorsque le militaire se trouve tête nue, que doit il faire ? Il ne peut porter sa main à sa tempe puisqu’il n’a pas de couvre-chef, par contre il reste militaire. L’inclinaison de sa tête vers la personne saluée reviendrait au salut « à la japonaise ». Or, il conserve son droit à rester stratège. Dans ce cas il donne un coup de tête, mais inversé c’est-à-dire en arrière pour ne pas dévoiler ses pensées. C’est ce que les militaires appellent le « coup de bouc ».

Cette explication vaut ce qu’elle vaut, mais elle peut s’appliquer en partie à la réalité.


Particulièrement à l’armée, la hiérarchie est primordiale et demeure la pierre angulaire des relations entre supérieur et subordonné. Mais pour les uns comme pour les autres, il y a des droits et des devoirs. Enfin, pas tout à fait: dans le manuel du Marin, page 46, une page résume les devoirs et les droits du supérieur sur un quart de cette page. Les trois quarts restant résument les devoirs des subordonnés et « le droit de réclamation des subordonnés ». La nuance est d’importance.

Le salut est la partie émergée, la plus visible de la discipline militaire. Il est la marque de la subordination d’un subordonné à un supérieur. Mais cela touche toute la hiérarchie: le matelot à l’officier marinier; l’officier marinier à l’officier subalterne; l’officier subalterne à l’officier supérieur; l’officier supérieur à l’officier général et l’officier général – et c’est heureux – au Président de la République.


Bien sûr, dans le civil, la hiérarchie existe et à bien des égards, elle n’est pas vraiment différente de celle des armées. Sauf qu’on ne se met pas au garde à vous devant son patron. Et qu’on ne lui dit pas « à vos ordres » en le saluant et en claquant des talons. Mais ce n’est pas l’objet de mon billet d’aujourd’hui.

Si dans toutes les armées du monde, le salut militaire est de rigueur, il ne prend pas forcément la même gestuelle.
Plus qu’un long discours, ces quelques photos montrent mieux ces différents saluts.

le salut militaire polonais
les saluts militaires britanniques et états uniens
le salut militaire chinois
le salut militaire italien
le salut militaire russe

Pour terminer ce billet, permettez moi une anecdote: il y avait quelques semaines que j’étais à l’École des Mousses et avec quelques copains, je déambulais un dimanche dans les rues de Brest, en uniforme évidemment. Nos notes de la semaine avaient été bonnes et donc, nous avions la permission du dimanche. 

Nous avons aperçu un officier marinier en tenue -que nous ne connaissions pas -et sa femme qui venaient en face de nous, sur le même trottoir. Forts des consignes apprises dans la semaine précédente concernant le salut dus au supérieur et des répétitions avec nos instructeurs, nous l’avons salué, réglementairement, c’est à dire six pas avant de le croiser et deux pas ensuite. Il nous a rendu notre salut, bien sûr, et je me souviens qu’il était plutôt embarassé. Et un de mes copains a dit à peu près ceci: « vous avez vu, sa femme lui donne le bras. Heureusement qu’elle était sur sa gauche parce que sinon, il était dans la m… »






(1) in https://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/le-saviez-vous-le-salut-militaire, Carine BOBBERA, 15/01/2020
(2) in « Manuel du Marin » n° 5150 de la nomenclature des documents, édition 1963, page 50.

dimanche 12 janvier 2020

l'État providence, késako?

Nous entendons très souvent parler de « l’État providence » via les médias, lors des campagnes électorales ou des mouvements sociaux comme c’est le cas actuellement. Il arrive aussi que nous en discutions en famille ou entre amis.

Mais qu’est-ce réellement cet « État providence »? Mais aussi pourquoi ce « providence »?


Cette expression aurait été utilisée pour la première fois sous le Second Empire. 

D’abord par certains républicains soucieux de la mise en place d’un état social au service des citoyens et de l’intérêt général; un député, Emile Ollivier l’aurait utilisé pour moquer l’État incapable selon lui d’assumer un système efficace de solidarité sociale; un juriste, Alain Supiot, affirme qu’elle serait d’origine religieuse suite à l’encyclique du papa Léon XIII en 1891; les lois sociales de Bismark de 1880 auraient créées les « assurances sociales ».


William BEVERIDGE

Plus près de nous, en 1942, au Royaume Uni, le rapport de l’économiste William Beveridge* propose que chaque salarié paie des cotisations sociales pour bénéficier en retour de prestations en cas de maladie, de chômage et de retraite. 

Convaincu par J.M. Keynes « qu’une société ne peut s’appauvrir qu’en ne dépensant pas assez » (1), Beveridge estime que cette dépense sociale doit être garantie par l’État: il propose ce système pour lutter ce qu’il appelle les « cinq maux »: pauvreté, insalubrité, maladie, ignorance et chômage. Il s’agit alors pour l’État d’être plus protecteur et redistributeur.


Le programme et les membres du Conseil National de la Résistance

En France, création de la Sécurité Sociale en 1945, suivant en cela les propositions du Conseil National de la Résistance du 15 mars 1944, CNR qui proposait entre autre le rétablissement du suffrage universel, les nationalisations.

Dans son programme adopté le 15 mars 1944, le CNR prévoit dans son article 2 chapitre 5b: « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État . »

Cette Sécurité Sociale pour tous remboursera les frais médicaux, versera des indemnités en cas de chômage et paiera une retraite pour tous les salariés. Les commerçants et les artisans, ne voulant pas être assimilés à de « vulgaires prolétaires » (2) en étant, à leur demande, exclus.



Donc, résumons: l’État, via la Sécurité Sociale intervient dans la protection des citoyens lorsqu’ils sont malades, au chômage ou lors de la retraite en versant des indemnités ou des pensions en échange du paiement de cotisations versées par les salariés et leurs employeurs. Le droit aux indemnités est lié à des conditions de plus en plus strictes en fonction des durées de cotisations. 

Il verse aussi des prestations dans le cadre familial pour aider les familles en échange de cotisations versées par le seul employeur. 

L’État intervient également pour aider les chômeurs en fin de droits; il verse aussi une prime d’activité aux salariés en guise de compléments de salaire, se substituant ainsi en quelque sorte aux entreprises. Ce qui dans un système économique libéral comme le nôtre peut amener à s’interroger.

Quant aux fonctions régaliennes de l’État, elles sont financées par les différents impôts.


Mais alors, dans la mesure où l’État verse des prestations en échange de cotisations, pourquoi dire État providence et non pas État assureur? Chacun d’entre nous est assuré pour sa maison, sa voiture ou sa responsabilité civile auprès d’une société d’assurances qui intervient en cas de sinistre. Et pourtant, personne ne parle d’assureur providence!

Alain REY, linguiste (photo AFP)

Le mot providence, si je me réfère au dictionnaire historique de la langue française (3), publié sous la direction de Alain Rey a deux significations bien précises, je cite:

1. « prévision, prévoyance, employé spécialement pour désigner la possibilité de prévoir en tactique militaire »

2. « pour désigner la prévoyance divine, d’ou la divinité servant même de nom propre à une déesse. »

Mais aussi, « par extension, le mot désigne une personne ou une chose contribuant au bonheur, à la fortune de quelqu’un. »


Donc, il me semble qu’il y a dans cette expression un abus de langage: les diverses prestations servies par la Sécurité Sociale ne sont en rien une tactique militaire ni un effet d’une divinité religieuse, pas plus que contribuant à notre bonheur ou à notre fortune.

Alors, pourquoi aujourd’hui utiliser cette expression « État providence »?


Dans toutes mes recherches, mes lectures, je n’ai pas trouvé de réponses: pas de pourquoi. Pas de quand. 

L’expression est passée dans le langage courant. Tant chez les citoyens que dans la classe politique ou les médias; tant chez les économistes que les politistes. 

Elle est devenue une expression populaire que chacun utilise sans en connaitre le sens exact. Un peu comme on dit « en faire un fromage » ou « monter sur ses grands chevaux » ou encore « se faire rouler dans la farine ». Il y a belle lurette que nous avons perdu le sens de ces expressions que nous utilisons pourtant quotidiennement.


in https://lewebpedagogique.com/culturefrancaisepourtous/vie-quotidienne/les-expressions-courantes/

Il n’en reste pas moins que cet « État providence » a certes des défauts que dénonce à l’envie un certain ultra libéralisme. Mais quoique l’on puisse en dire ou en penser, il permet à chacune et à chacun d’entre nous de pouvoir faire face lors des accidents de la vie. 
Méfions nous des marchands d’illusions, ces boutiquiers qui voudraient tant mettre à mort l’État providence pour le remplacer par leurs camelotes illusoires et mensongères.







(1) in « la prospérité du vice » de Daniel Cohen, éditions Albin Michel, 2009, page 141
(2) in « Ambroise Croizat ou l’invention sociale » de Michel Etiévent, éditions GAP, 1999, page 94
(3) in « Dictionnaire historique de la langue française » sous la direction de Alain Rey, éditions dictionnaire Le Robert, troisième édition 2000, tome 2, page 1785.

mercredi 1 janvier 2020

le coq, emblème national français

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L'emblème national, depuis la nuit des temps, est sensé représenté un symbole, une image, une tradition de chaque État.
Il serait trop long ici d'énumérer chaque symbole de chaque État. Certains ont choisi des animaux, l'aigle ou le lion, le condor ou la gazelle.


La France a choisi le coq. Dans une conversation avec des amis, je me suis demandé quelles étaient la ou les raisons de ce choix.
Ce qui m'a amené à faire des recherches sur le net et ailleurs, puis à consacrer un billet à ce sujet.


Il n'y a pas de date précise quant à l'apparition du coq dans notre histoire, mais elle pourrait remonter à Vercingétorix qui, pour le narguer, aurait envoyé un coq à Jules César lors du siège de Gergovie en 52 avant JC. Ce dernier répond en renvoyant au chef gaulois le coq cuit dans du vin. Le plat du coq au vin remonte sans doute à cette époque.

Certains poètes romains vont créer, sans doute involontairement, un jeu de mot et identifier en un seul terme les mots, "gallus", le coq, et "Gallus", le Gaulois. Peut-être, est-ce à partir de là que le coq a été accolé aux gaulois, dont les qualités de bravoure, de vigueur sexuelle et de vigilance sont mises en avant, qualités reconnues même par leurs adversaires romains.


Un peu plus tard, au moyen-âge, le coq connaitra une brève période où il sera dévalorisé puisque associé à la luxure, la colère et la bêtise.
D'autant que pendant ce même moyen-âge, les ennemis de la France vont railler l'animal et ce qu'il représente: ainsi, pendant la guerre de cent ans, les anglais font dévorer le coq par le lion de leurs armoiries. 

Les français, loin de s'en offusquer, le mettent en avant. 

Le coq est placé sur le haut des flèches des clochers de quasiment toutes les cathédrales, églises, chapelles ou basiliques puisqu'il est aussi le coq des Évangiles.


C'est aussi à la période de la Renaissance que le coq est attaché à la représentation royale: en 1495, un moine italien offre un livre, L’Opus Davidicam*, au roi de France, Charles VIII: sur la page de garde, deux coqs blancs soutiennent l'Écu de France, en piétinant un dragon et un serpent pour le coq de gauche et un renard pour celui de droite..

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l'opus Davidicam
Mais c'est surtout la Révolution Française qui, en remplaçant le lys dynastique par le coq, va en quelque sorte officialiser sa présence dans le quotidien des français. Ainsi, la loi du 7 avril 1791 stipule que le revers de certaines monnaies aura pour empreinte "un coq symbole de vigilance."
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loi du 7 avril 1791
Prétextant que " Le coq n'a point de force, il ne peut être l'image d'un empire tel que la France », Napoléon lui préfèrera l'aigle qui, pourtant, aura perdu bien de ses plumes en 1815... 
D'ailleurs, lors des défaites napoléoniennes, les souverains coalisés contre la France à cette époque ne manqueront pas de fouler à leurs pieds le coq national...

Louis Philippe 1er, roi des Français, ré-habilitera le gallinacé en le faisant figurer sur les drapeaux et les boutons d'uniforme des militaires.

Le sceau de la IIème République représente "la figure de la liberté tenant le gouvernail marqué du coq". Plus tard, la grille arrière du palais de l'Elysée sera appelée "la grille du coq", d'ailleurs toujours en place. Et en 1986, la pièce de 10 francs aura un coq stylisée sur son revers.
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le sceau de la IIème République
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la grille du coq du palais de l'Elysée.
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la pièce de dix francs de 1986
Ce qui va ancrer particulièrement et définitivement le coq pas seulement dans l'imaginaire des français, mais aussi dans leur quotidien, ce sont les monuments aux morts érigés après la première guerre mondiale.

Il est souvent représenté en symbole de la pugnacité du combattant, de son courage et de son héroïsme. La crête peut être arrogante, le bec ouvert. Il se dresse souvent avec fierté, crispant ses ergots sur un casque ennemi.

Un historien de l'université Lyon 2, Kim Dannière*, a fait, en 1996, d'intéressantes découvertes sur les monuments aux morts dans le département du Rhône. En les observant attentivement, il a remarqué que leur orientation géographique n'était pas le fruit du hasard, mais au contraire, car placés Est Nord - Est, ils ont un rôle de surveillance, de vigie, vers les plaines de l'est par où sont arrivées les troupes ennemies.

Si ces monuments sont ornés d'un coq, le chercheur y voit trois significations:
1. son chant réveille de la mort
2. son chant annonce la venue du jour
3. son image est le symbole de la République Française.

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monument de Cheppe la Prairie (51 Marne): le coq terrassant l'aigle allemand
Depuis 1908, le coq figure sur tous les maillots de tous les sportifs des différentes disciplines malgré l'opposition de Pierre de Coubertin qui jugeait le symbolisme du coq humiliant et grotesque. Le coq devient l'emblème de la sélection olympique en 1920. Pour beaucoup de sportifs, porter le maillot frappé du coq est un honneur supplémentaire.
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le maillot de l'équipe de France de foot
Diverses entreprises et associations voulant mettre en valeur l'origine française de leurs produits ont choisi le coq pour les représenter.
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Donc, ce coq devenu emblématique de la culture française doit sa naissance ou plus exactement son existence à des poètes, romains de surcroit.

Il a traversé les siècles, surmonté les épreuves, méprisant les railleries de l'étranger et même parfois des français, s'affirmant au fil du temps comme un des éléments constitutifs de notre histoire.

Le coq appartient donc à chacun d'entre nous. Qu'il soit d'origine aristocratique ou républicaine, peu nous chaud comme on dit. Et s'il chante parfois les ergots dans la boue, c'est qu'il n'a peur de rien ni de personne. 

À une époque où il faut avoir peur de tout, c'est plutôt rassurant, non?

Le pourquoi du comment des dates: le 21 janvier

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