lundi 21 janvier 2013

Le traité de l'Elysée: 22 janvier 1963.



les sceaux du traité de l'Elysée
Les gouvernements français et allemand s'apprêtent à célébrer en grande pompe le cinquantième anniversaire de la signature du Traité de l'Elysée le 22 janvier 1963 par Charles de Gaulle (1890 - 1970), Président de la République Française et Konrad Adenauer* (1876 - 1967), Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne (RFA).

Que disait ce traité? Quelles étaient les motivations, les buts de ses auteurs?  C'est ce que je vais essayer d'expliquer dans ce billet.

Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, revenons quelques années en arrière.

Il n'est pas inutile de rappeler qu'il n'y a jamais eu de traité de paix entre la France et l'Allemagne, inutile en droit puisque l'Allemagne avait signé sa capitulation sans conditions* le 8 mai 1945 et que la France était partie prenante dans cette signature en la personne du Maréchal de Lattre de Tassigny.

Il n'est pas inutile non plus de rappeler que les deux pays en étaient à leur troisième conflit en moins d'un siècle, les deux derniers ayant entrainé le monde entier dans des folies meurtrières. Sans compter la ruine tant physique que morale de l'Europe.

Mais très vite, des hommes, des européens ont compris et décidé qu'il fallait mettre un terme une bonne fois pour toutes à ces conflits. Et pour cela, mettre en place des institutions au plus haut niveau des Etats, institutions qui empêcheraient tout retour à la guerre.

Ces hommes s'appelaient Jean Monnet* (1888 -1979), Robert Schuman* (1886 - 1963), Alcide de Gaspéri* (1881 - 1954), Paul-Henri Spaak* (1899 - 1972), Johan W. Byen* (1897 - 1976) et bien sûr Konrad Adenauer. Pour ne citer que les plus connus.
Jean Monnet
Robers Schuman
Alcide de gaspéri
Paul-henri Spaak
Johan Willem Beyen


Mais, il n'est pas difficile d'imaginer les difficultés rencontrées pour construire une Europe unie: des communistes qui rejetaient "une Allemagne revancharde" (Robert Schuman, en 1948, alors Président du Conseil, est accueilli par un "voilà le boche" par Jacques Duclos, député PCF) (1) aux gaullistes qui craignaient l'émergence d'une politique supra nationale, la tâche n'a pas été aisée.

Pourtant, dès le 9 mai 1950, Robert Schuman déclarait dans un discours que je qualifierai de fondateur: "L’Europe n’a pas été faite, nous avons eu la guerre. (...) L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord des solidarités de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne soit éliminée. L’action entreprise doit toucher au premier chef la France et l’Allemagne."

Dans la foulée de ce discours, le 18 avril 1951 est signé le Traité de Paris qui fonde la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier* (CECA) entre six Etats: la France, l'Allemagne, l'Italie, la Belgique, le Luxembourg et les Pays Bas. Ce traité est le véritable commencement de "l'aventure européenne".

Face à la puissance militaire et politique de l'URSS, il est question du réarmement de l'Allemagne. Là aussi, très forte opposition du PCF, relayant en cela la politique soviétique. Un traité instituant la Communauté Européenne de Défense* est signé le 27 mai 1952 par six Etats, dont la France. Mais la ratification de ce traité est rejetée par l'Assemblée Nationale en août 1954 par les députés communistes et gaullistes, la moité des socialistes et des radicaux. "Le PCF et le RPF en furent des adversaires acharnés, le premier parce qu'il y voyait une opération anti soviétique, le second parce qu'il considérait comme une atteinte inadmissible à la souveraineté nationale dans un domaine aussi sensible que la défense nationale."(2) Rappelons qu'à cette époque, le Président du Conseil n'est autre que Pierre Mendès France qui vient de signer (en juin) les accords de Genève qui mettent à la guerre d'Indochine.

Pour autant, les "pro-européens" ne vont pas rester sur cet échec et se mettent à réfléchir à une nouvelle étape de la construction européenne: c'est le Marché Commun instituant la Communauté Economique Européenne (CEE). Le 25 mai 1957, le Traité de Rome* organise la CEE. Il est signé à Rome par les 6 mêmes Etats qui avaient créé la CECA. Il est à noter que le même jour, les mêmes Etats signent le traité qui fonde Euratom*.

Pourtant, dès l'origine, la légitimité des instances européennes est mise en cause, comme le souligne Jean Louis Quermonne* (que j'ai eu comme professeur de sciences politiques à l'IEP): "Guidée par la volonté des auteurs des traités d'établir un pouvoir chargé de dégager l'intérêt général de l'Europe, cette forme de légitimité fait l'objet de deux séries de critiques. (...) La deuxième critique, plus pertinente, a eu recours au spectre de la technocratie. Elle a alimenté les polémiques du général de Gaulle à l'encontre de "l'aéropage technocratique" qui visait, selon lui, à se substituer au pouvoir légitime des Etats." (3) 

Mais, quand on se souvient que la capitulation allemande remonte à douze années, on mesure le chemin parcouru: parti de rien, l'idéal européen de quelques uns a  abouti à l'ébauche d'une Europe en devenir.


Charles de Gaulle, ex chef de l'ex RPF, retiré à Colombey les deux Eglises, a t-il  vraiment été opposé à la mise en place du Marché Commun? Je ne le pense pas, sans en être toutefois certain. Sans doute était-il farouchement opposé à toute idée de supranationalité. Ainsi qu'il l'a déclaré à Alain Peyrefitte le 27 janvier 1960: "Moi, je veux l'Europe pour qu'elle soit européenne, c'est-à-dire qu'elle ne soit pas américaine. (...) Reprenez mes textes d'avant-guerre, de la guerre et de l'après-guerre, vous constaterez que j'ai toujours préconisé l'Union de l'Europe. Je veux dire l'union des Etats européens. (...) Je souhaite l'Europe, mais l'Europe des réalités. C'est-à-dire celle des nations - et des Etats qui, seuls, peuvent répondre des nations." (4)

Dans le premier tome de ses Mémoires d'espoir", Charles de Gaulle écrit: "En attendant, la République fédérale doit jouer un rôle essentiel au sein de la Communauté économique et, le cas échéant, du concert politique des Six." (5)


Charles de Gaulle et Konrad Adenauer

A la lecture de ces lignes, on comprend mieux la genèse du Traité de l'Elysée.

Il va donc entreprendre résolument une politique de rapprochement avec la RFA. Même si l'opinion publique allemande de cette époque avait à son égard plus que de la méfiance. Pour commencer, il invite le chancelier fédéral à la Boisserie: "Il me semble, en effet, qu'il convient de donner à la rencontre une marque exceptionnelle et que, pour l'explication historique que vont avoir entre eux, au nom de leurs deux peuples, ce vieux Français et ce très vieil Allemand, le cadre d'une maison familiale a plus de significations que n'en aurait le décor d'un palais. Ma femme et moi faisons donc au Chancelier les modestes honneurs de la Boisserie." (6)

Les 14 et 15 septembre 1958 - de Gaulle n'est encore "que" président du Conseil - les deux hommes d'Etat sont seuls à la Boisserie, leurs ministres et leurs conseillers étant restés à la préfecture de Chaumont. Le courant passe très vite entre les deux hommes. Tous les sujets sont abordés, y compris les divergences comme par exemple la différence d'appréciation sur les rapports avec les alliés américain et britannique. Mais l'essentiel n'est pas là: il est dans la volonté des deux hommes de tourner définitivement la page du passé et d'ouvrir celles de l'avenir.

A son retour en Allemagne, le chancelier déclare:" Il (de Gaulle) était bien informé de l'ensemble des affaires mondiales et particulièrement conscient de la grande importance de la relation franco-allemande, tant pour les deux pays considérés que pour toute l'Europe et, partant, pour le reste du monde... Je m'était représenté de Gaulle tout autre que je le découvris." (7)

Dans ses "Mémoires d'espoir", de Gaulle écrit: "Plus tard et jusqu'à la mort de mon illustre ami, nos relations se poursuivent suivant le même rythme et avec la même cordialité. En somme, tout ce qui aura été dit, écrit et manifesté entre nous n'aura fait que développer et adapter aux évènements l'accord de bonne foi conclu en 1958. (...) A travers nous, les rapports de la France et de l'Allemagne s'établiront sur des bases et dans une atmosphère que leur histoire n'avait jamais connues." (8)

Il me semble que tout est dit. La France et l'Allemagne ont donc, une bonne fois pour toutes, tourné la page de siècles d'affrontements. Cette réconciliation vient à point nommé pour que l'Europe, voulue par les pères fondateurs, prenne toute sa place dans le concert des nations.

Il y aura de multiples voyages du Président de Gaulle en Allemagne et du Chancelier Adenauer en France. Au-delà des portées symboliques de ces échanges, il faut y voir la volonté commune de mettre en place les fondements des politiques de coopération franco-allemande, elles-mêmes fondements des politiques de coopération européenne.

Le traité de l'Elysée* sera l'aboutissement logique de cette volonté.

Ce traité sera un catalogue d'une vingtaine de paragraphes, rédigés de façon claire, qui concernent, outre les détails de son organisation, les principaux domaines politiques:  A. la politique étrangère; B. la défense; C. l'éducation et la jeunesse.

Concernant la défense, les deux Etats s'engagent à harmoniser leurs industries d'armement, à organiser des échanges de personnel et à effectuer des rapprochements de leurs doctrines militaires.

Concernant l'éducation et la jeunesse, l'enseignement mutuel des langues sera la règle, tout comme les équivalences des diplômes; la recherche scientifique sera développée. Un programme d'échanges d'étudiants sera développé par un organisme commun.

Concernant la politique étrangère, les deux gouvernements s'engagent à se consulter avant de prendre une décision concernant entre autres la politique européenne ou les relations avec les alliés; de même pour les politiques de coopération ou la politique agricole.

Mais c'est le premier chapitre, celui de la politique étrangère qui va poser problème. Le Chancelier Adenauer aurait voulu ajouter un paragraphe concernant la politique de coopération avec les Etats Unis. Refus de président de Gaulle qui, au contraire, voulait, sinon exclure, du moins réduire l'influence de l'allié américain.

Ce refus ne sera pas sans conséquences. En effet, avant de le ratifier, le Bundestag ajoute au traité initial un préambule qui rappelle la "fidélité indéfectible de la RFA vis à vis de l'Alliance Atlantique", mais aussi une référence poussée à la Grande Bretagne dans le cadre de la construction européenne. Ce préambule qui détourne le traité de son objectif initial, à savoir, l'émergence d'une Europe réellement européenne, sans lien de dépendance extérieure, ramène le traité, selon les mots de Charles de Gaulle à une "aimable virtualité."

Est-ce à dire pour autant que ce traité est mort né? Dans son esprit, certainement. Mais pas tout à fait dans sa lettre.

Dans son esprit parce que ce préambule vidait de son sens l'article 1 du paragraphe relatif à la politique étrangère: en effet, à quoi cela sert-il de se consulter sur un sujet comme les relations avec l'OTAN où il ne peut y avoir d'entente?

Dans sa lettre, les politiques de coopération concernant la jeunesse et l'éducation ont été mises en place et il me semble qu'ERASMUS* en soit une des conséquences. Dans le domaine de la défense, la brigade franco allemande créée en 1989 également.

Mais en réalité,  le Président de Gaulle n'avait signé ce traité que pour en faire l'outil de sa politique européenne, farouchement détachée des influences nord américaines et britanniques. A ses yeux, la seule idée d'une Europe supra nationale était quasiment une insulte. La politique européenne menée jusqu'à son départ en avril 1969 en sera la démonstration permanente.

Il n'en reste pas moins que la dimension politique autant que symbolique d'un tel traité n'est pas sans signification. Les différents gouvernements qui se sont succédé depuis 1963 ont tous eu à coeur de ne pas briser l'élan voulu par le traité, même si, pour y parvenir, les méthodes ont pu être quelque peu iconoclastes.

Les médias qui évoquent le cinquantième anniversaire du traité et qui analysent ce traité, ses motivations et ses résultats, ces médias sont parfois ironiques, voire condescendants. Après tout, pourquoi pas? Sauf que ces médias-là oublient l'essentiel: le traité de l'Elysée, voulu par deux hommes d'Etat que tout séparait, sauf leur volonté commune de mettre définitivement fin à des siècles de tueries entre leur deux nations, ces deux hommes donc ont permis à l'Europe de se construire autre part que sur un lit de sable.

Rien que pour cela, il convient de donner au traité de l'Elysée la place qui lui revient: centrale.

* clic sur le lien

(1) in "de Gaulle, le politique", de Jean Lacouture, page 324, éditions du Seuil. 1985.
(2) in "Histoire Politique de la France depuis 1945" de Jean-Jacques Becker, page 69, éditions Armand Colin, collection Cursus Histoire, 2011.
(3) in "l'Europe en quête de légitimité" de jean Louis Quermonne, page20, éditions des Presses de Sciences Po, 2001.
(4) in "C'était de Gaulle" de Alain Peyrefitte, page 61, éditions de Fallois, 1994.
(5) in "mémoires d'espoir" de Charles de Gaulle, page 185, éditions Rencontre, 1970.
(6) ibid, page 186
(7) in "de Gaulle, le politique", page 638.

(8) in "Mémoires d'espoir" pages 193 - 194.

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