lundi 24 septembre 2012

Les Présidents de la République: 10ème partie: 1995 - 2007.


Les deux septennats de François Mitterrand ont fini dans une certaine confusion: la maladie du Président, les "affaires", la lourde défaite du PS en 1993, sans oublier la cohabitation. La campagne électorale pour les présidentielles de 1995 a vu le RPR se déchirer entre ses deux candidats; à gauche, Jacques Delors* refuse de se présenter, laissant ainsi la voie libre à Lionel Jospin, victorieux de la primaire au sein du PS qui l'a  opposé à Henri Emmanuelli.* Le candidat du FN avec 15,10% des suffrages exprimés s'installe définitivement dans le paysage politique. Le candidat du PCF, avec 8,64% des exprimés confirme sa lente désagrégation. Au second tour, Jacques Chirac est élu avec 52,64% des exprimés.

JACQUES CHIRAC: né en 1932. Président du 17 mai 1995 au 16 mai 2007.

Jacques Chirac
D'origine relativement modeste, Jacques Chirac est diplômé de Sciences Po Paris et de l'ENA. Après une brève période d'engagement dans la gauche communiste, il est pendant trois mois matelot sur un navire charbonnier, puis effectue un voyage d'une année aux USA. En 1960, il intègre la Cour des Comptes, puis peu après le cabinet du Premier Ministre, Georges Pompidou. Il est élu député de Corrèze en 1967 en battant le candidat communiste sortant, implanté depuis de longues années. Plusieurs fois ministre, il soutient V. Giscard d'Estaing aux élections présidentielles de 1974 contre Jacques Chaban-Delmas. 
Nommé Premier Ministre en mai 1974, il démissionne de son poste avec fracas en août 1976. Il est élu maire de Paris en mars 1977. Son opposition agressive au gouvernement de VGE le conduit à se présenter contre lui aux présidentielles de 1981. Arrivé seulement en 3ème position, il ne donne pas de consignes de vote pour le second tour. F. Mitterrand est élu. 
J. Chirac est le Premier Ministre de la première cohabitation en 1986, mais est battu par le président sortant en 1988. Absent du gouvernement de Edouard Balladur lors de la seconde cohabitation en 1993, il se présente à la présidentielle de 1995. Donné battu dans les sondages par le Premier Ministre jusqu'à un mois avant le premier tour, il est finalement élu Président de la République le 7 mai 1995 en battant assez facilement le candidat du PS, Lionel Jospin.
"L'entrée de Jacques Chirac à l'Elysée, le 17 mai 1995, inaugure une nouvelle présidence, la cinquième de la Vème République, dont tout donne à penser qu'elle sera fort différente des deux septennats précédents. Après quatorze ans d'éloignement, la droite recouvre la fonction suprême dans le régime tel que l'a voulu son fondateur. C'est aussi le retour au pouvoir, après vingt et un ans, d'un représentant de la formation politique qui se réclame de la tradition personnifiée par le général de Gaulle." (1)

Jacques Chirac nomme Alain Juppé au poste de Premier Ministre. "Le meilleur d'entre nous", dit-il. Avec le recul, certains observateurs de la vie politique française affirmeront que, dès l'instant où le Président avait axé sa campagne électorale sur le thème de la "fracture sociale", c'est plus Philippe Séguin que Alain Juppé qui aurait du accéder à ce poste. Ainsi Arnaud Teyssier: " A peine élu, Jacques Chirac prend deux décisions qui vont grever lourdement l'avenir de son septennat. (...) La seconde décision, précisément, est le choix du Premier Ministre - non en raison de ce qu'il est, mais en raison de ce qu'il n'est pas. (...) Dans son discours, il a rendu tacitement hommage à Philippe Séguin en invoquant le thème, très séguiniste, du "pacte républicain", de la priorité donnée à l'emploi, de l'Etat "impartial, assumant pleinement ses missions de souveraineté et de solidarité." (2)

Dans les deux première années du septennat, plusieurs décisions importantes, tant au niveau national qu'international, seront prises:

1. Il lance une ultime campagne d'essais nucléaires en Polynésie Française. Ce qui a pour effet d'isoler la France au sein de la communauté internationale, au point de déclencher une procédure auprès de la Cour Internationale de Justice. Procédure non suivie d'effets. 
2. Le 16 juillet 1995, le Président Chirac déclare lors de la commémoration de la rafle du vel d'hiv: "« ces heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français." Cette reconnaissance, que tous les présidents de la République depuis 1947 avaient refusé d'entériner, lui vaudra autant d'éloges que de critiques.
3. En Bosnie, le Président, lassé que les troupes françaises engagées dans la cadre onusien soient humiliées par les troupes serbes (pas loin de 120 militaires français seront tués), ordonne des représailles, coordonnées avec l'OTAN. Cette réaction énergique et salutaire mettra fin au conflit par la signature à Paris des accords négociés entre les belligérants à Dayton*.
4. Lors de l'intervention américaine en Irak en mars 2003, il refusera d'associer la France à cette intervention à qui il dénie toute légitimité.
5. Le 22 février 1996, il suspend le service national et professionnalise les armées. La France sera donc dotée, à partir de cette date, d'une armée de professionnels. Cette décision, pour pragmatique qu'elle soit, isole un peu plus les armées au sein de la nation.

Sur le plan intérieur, le gouvernement lance un vaste plan de réformes: alignement des durée de cotisations du public sur le privé; nouveau calcul des allocations familiales, réforme drastique de la Sécurité Sociale. Dès octobre 1995, une série de grèves commence: SNCF, RATP, services publics, universités. Le gouvernement recule sur les retraites, mais maintient la réforme sur la Sécurité Sociale. Ces grèves, très suivies, affaiblissent le gouvernement d'Alain Juppé.

Pour des raisons pas encore vraiment expliquées, le Président Chirac dissout l'Assemblée Nationale le 21 avril 1997. La majorité présidentielle perd ces élections et la gauche est largement majoritaire: 320 sièges contre 256. "La gauche l'emportait avec 320 sièges,mais le PS n'avait pas emporté la majorité absolue (289 sièges). Quant à la droite, elle était battue, en définitive, d'assez peu - un déplacement de voix d'environ 1% des voix lui aurait permis de conserver le pouvoir - mais, au niveau psychologique, sa défaite donna l'impression d'une déroute. Sa déconfiture - quatre après la débâcle socialiste de 1993 - montrait certainement une grande versatilité d'une partie de l'électorat - depuis 1978, aucune majorité législative n'avait gagné les élections suivantes - et la déception qu'engendraient les majorités successives. (...) La surprise, voire un peu de ridicule, s'ajoutaient à la défaite. La droite donnait l'impression d'un "champ de ruines." (3)

Le Président se voit donc, le 2 juin 1997, contraint de faire appel à Lionel Jospin, celui-là même qu'il avait battu deux ans plus tôt. Ce dernier compose un gouvernement dit  de la  "gauche plurielle". 
Dès septembre 1997, la situation économique se redresse, sans qu'il pour soit possible pour autant d'en attribuer la paternité au nouveau gouvernement: le chômage diminue de près de 4%, le PIB passe de 2,2% en 1997 à 3,7% en 2001. Une querelle, initiée par la droite, se dessine alors sur la destination de la "cagnotte fiscale".
Martine Aubry* fait voter la loi dite des "35 heures". Une loi qui sera constamment remise en cause par le patronat et la droite sans que pour autant, on le verra par la suite, elle soit annulée.
Plusieurs lois sociales importantes sont adoptées: la CMU (Couverture Maladie Universelle), l'APA (Allocation Personnalisée d'Autonomie), le PACS* (Pacte Civil de Solidarité), ainsi que la création d'une police de proximité.
Le gouvernement décide la privatisation de plusieurs entreprises publiques, entres autres France Télécom, Air France, le Crédit Lyonnais, etc... Ce sera l'une des plus fortes séries de privatisations jamais entreprises depuis 1986.

Un référendum portant sur la réduction du mandat présidentiel à cinq ans est organisé le 24 septembre 2000. Il recueille 73% de oui, mais avec une abstention de près de 70% des inscrits.

Les deux principaux personnages de l'exécutif sont candidat à l'élection présidentielle. Le président sortant profite des maladresses du Premier Ministre et de la multiplication des candidats à gauche. Ainsi, entre autres, Christiane Taubira se présente t-elle, alors que son programme ne diffère quasiment en rien de celui de Lionel Jospin. Seize candidats sont en lice.

A l'issue du 1er tour, c'est le choc absolu: si Jacques Chirac est en tête avec 19,71% des exprimés, Lionel Jospin arrive en 3ème position derrière Jean Marie Le Pen: 16,12% contre 16,95%. Le candidat socialiste affiche un retard de 233 000 voix par rapport au candidat de l'extrême droite. Christiane Taubira, candidate du Parti Radical de Gauche recueille 656 048 voix. Difficile de s'empêcher de penser que ces voix ont manqué à Lionel Jospin. Même si René Rémond avance une autre explication: "Mais la cause principale de l'échec n'est-elle pas plutôt la quasi-certitude partagée par presque tous les politiques, confirmée par les sondages, entretenue et propagée par les médias, que Lionel Jospin serait présent de toutes façons au second tour? Cette confiance a donné bonne conscience aux abstentionnistes." (4) 
De manière générale, les sondages n'avaient pas prévu le président du FN en seconde position. Preuve si besoin était que les sondages ne sont en rien des prévisions fiables et qu'il convient d'être prudent sur l'utilisation qui en est faite. Mais chacun peut constater que les médias et les analystes politiques continuent d'y adosser leurs analyses.
Au second tour, Jacques Chirac est largement vainqueur, avec plus de 80% des exprimés. Il avait refusé de débattre avec Jean Marie Le Pen entre les deux tours, déclarant "face à l'intolérance et à la haine, il n'y a pas de transaction possible, pas de compromission possible, pas de débat possible."

Il nomme Jean Pierre Raffarin* Premier Ministre. Les élections législatives de juin donnent à l'UMP une majorité absolue de 365 sièges sur 577. L'UMP étant le nouveau parti de la droite républicaine qui regroupe le RPR, l'UDF, Démocratie Libérale et une partie des radicaux. Le FN, avec 11% des exprimés est loin de retrouver le score de son président au premier tour de la présidentielle. Quant au PC, avec 4,70%, il améliore de 1,30% le score de Robert Hue.

Le 14 juillet 2002, un militant d'extrême droite tente d'assassiner le Président qui, heureusement, s'en sort indemne.

Le 29 mai 2005, un référendum est organisé pour ou contre la ratification du projet de Constitution Européenne. Ce traité est rejeté par près de 55% des exprimés avec une participation de 70% des inscrits.. C'est un échec cuisant pour le Président. Mais aussi pour la classe politique et la quasi totalité des médias qui s'étaient prononcés massivement en faveur du traité. "Les grandes villes avaient voté majoritairement oui, les petites villes majoritairement non. (...) C'était bien deux France qui s'étaient opposées, une France qui estimait que l'avenir passait par l'Europe et une France, soit qui contestait l'Europe "libérale" qui se constituait, soit était fondamentalement hostile à l'Europe." (5)

Dominique de Villepin remplace Jean Pierre Raffarin, démissionnaire. Nicolas Sarkozy est alors nommé Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur. Ces deux nominations révèlent les lutte d'influence au sein de l'exécutif. Et plus particulièrement l'attitude provocatrice de Nicolas Sarkozy par rapport au Président. Mais celui-ci avait rappelé que lui décidait et que son ministre obéissait...

En octobre 2005, des émeutes éclatent dans les banlieues parisiennes. Elles marqueront une violence certaine à tel point que le Premier Ministre décrète l'état d'urgence le 8 novembre 2005. Parti d'un fait divers, certes tragique, il sera difficile, voire impossible, de faire le tri entre la colère populaire et la manipulation de cette colère par des délinquants, jaloux de protéger leurs territoires.

Le 28 février 2005, la Charte de l'Environnement*, voulue par le Président, est adoptée par le Parlement réuni en Congrès à Versailles. Cette Charte est introduite dans le préambule de la Constitution et énonce trois principes: principes de précaution, de prévention et de pollueur-payeur. Guy Carcassone, constitutionnaliste éminent, juge cet apport dans la Constitution pour le moins incongru: "Outrecuidance, d'abord, que celle qui place au même rang que des textes éminents un ajout filandreux, mal pensé, mal écrit. Tromperie ensuite que celle qui prétend que "le peuple français proclame solennellement" quelque chose sur quoi il n'a pas été consulté. (...) Voilà donc qu'a été inventée la prosopopée constitutionnelle. Elle n'est un progrès ni pour la Démocratie ni pour le respect élémentaire du sens des mots." (6)

Le 9 février 2007, le Congrès adopte l'article 66-1 qui sera ajouté à la Constitution et qui stipule: "Nul ne peut-être condamné à la peine de mort."

Par un arrêté de octobre 2001, la Cour de Cassation avait jugé que le Chef de l'Etat, pendant la durée de son mandat, n'était pas un citoyen comme les autres et ne pouvait donc être mis en examen ou cité à comparaitre, même en tant que témoin. C'est le "statut pénal du Chef de l'Etat". 
Durant ses deux mandats, Jacques Chirac a été cité dans au moins neuf "affaires" par  la presse.
Citons pèle mêle quelques unes de ces affaires: les emplois fictifs et les chargés de mission à la mairie de Paris; les HLM de Paris; l'affaire des billets d'avion... Plusieurs de ces affaires ont abouti à des non lieux. D'autres, en revanche, ont été jugées après 2007.
Concernant l'affaire des emplois fictifs, atteint de troubles neurologiques "sévères", il ne participe pas à son procès. Pour autant, il est condamné le 15 décembre 2011 à deux ans de prison avec sursis pour "détournement de fonds publics", "abus de confiance", "prise illégale d'intérêts" et "délit d'ingérence". Il décide de ne pas faire appel.

En tant que président, il n'aura pas eu la même "activité culturelle" que son prédécesseur. Il n'aura "que" mis en place le musée des Arts Premiers*, quai Branly*.

Pour conclure ce long billet consacré à Jacques Chirac, Président de la République, reportons nous à ce qu'écrit Raphaël Piastra: "Il convient de remarquer qu'à rebours de ses prédécesseurs, Jacques Chirac n'a pas fait de commentaires majeurs sur la fonction présidentielle. Par exemple, dans ses deux messages au Parlement des 10 mai 1995 et 2 juillet 2002, il se réfère simplement aux textes constitutionnels réglementant celle-ci. Il est un des seuls à ne pas s'être référé au présidentialisme. (...) A l'actif de J. Chirac, on doit retenir aussi qu'il n'a jamais cédé, avant ou pendant l'Elysée, à un quelconque rapprochement avec l'extrême droite. (...) Il existe, on peut le dire, un paradoxe Chirac qui est, selon nous, parfaitement décrit et résumé par François Hollande, autre corrézien célèbre (d'ailleurs adoubé par l'ancien président): Le paradoxe est que cet homme qui a donné sa vie, oui, toute sa vie, à la politique pour parvenir au sommet de l'Etat, a pu donner l'impression, malgré le travail qu'il consacra à cette tâche, de ne pas avoir la même appétence pour la conduite du pouvoir, de ne pas donner le même goût à surprendre, à innover, à réformer." (7) 


(1) in "le siècle dernier" de René Rémond, éditions Arthème Fayard, 2003, page 1035.
(2) in "Histoire politique de la Vème République", de Arnaud Teyssier, éditions Perrin, 2011, page 638.
(3) in "Histoire politique de la France depuis 1945" de jean-Jacques Becker, éditions Armand Colin, 2011, page 239.
(4) in "le siècle dernier" de René Rémond, page 1106.
(5) in "Histoire politique de la France", page 256.
(6) in "la Constitution, introduite et commentée par Guy Carcassonne. Editions du Seuil, collection Essais, 9ème édition 2009, page 40.
(7) in "les Présidents de 1870 à nos jours", de Raphaël Piastra, éditions Eyrolles, 2012, pages 165 et 166.

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