dimanche 22 juillet 2012

Les Présidents de la République: 7ème partie (1/2): 1959 - 1965.


La V ème République nait sur les décombres de la IV ème. La France n'est pas passée loin de la guerre civile. Il n'est pas dans mon propos, en tout cas dans ce billet, de revenir sur la légalité ou l'illégalité du retour au pouvoir du général de Gaulle. Même si je pense qu'il n'a jamais été l'homme d'un coup d'état.* Mais c'est une réalité que son retour aux affaires signe une volonté nouvelle et affirmée de mettre en place une nouvelle constitution, permettant au gouvernement légitimement élu de gouverner sans être sous la menace de ce que de Gaulle appelait le "régime des partis".* Je consacrerai deux billets au premier Président de la V ème, tant cette partie de notre Histoire contemporaine me parait vaste et importante: la première concernera le premier septennat, jusqu'à l'élection de décembre 1965, la première au suffrage universel direct d'un Président de la République.

Charles de Gaulle
Charles de GAULLE: 1890 - 1970. Président du 8 janvier 1959 au 28 avril 1969.
Originaire d'une famille aisée, Charles de Gaulle intègre Saint Cyr en 1908; il est ensuite affecté dans un régiment placé sous les ordres du colonel Pétain. Blessé à trois reprises pendant la guerre, il reste prisonnier pendant deux années, malgré deux tentatives d'évasion. Pendant sa captivité, il organise des conférences, conférences qui contribueront à sa réputation de militaire intellectuel. Il est décoré de la Légion d'Honneur et de la Croix de Guerre en 1919. Il écrit plusieurs ouvrages: "la discorde chez l'ennemi" en 1924, "le fil de l'épée" en 1932 et "vers l'armée de métier" en 1934, pour ne citer que les plus connus. Il y énonce ses conceptions des nouvelles stratégies militaires et en particulier se fait l'ardent défenseur de l'arme blindée. En 1939, à la déclaration de guerre, il est commandant d'une unité de chars. Nommé général de brigade en mai 1940, il est brièvement sous secrétaire d'Etat à la guerre du gouvernement de Paul Reynaud. Refusant l'armistice demandé aux armées allemandes par le maréchal Pétain, il rejoint Londres le 17 juin 1940 d'où il organise et dirige la résistance. A la Libération, il dirige le gouvernement provisoire mais se retire en janvier 1946.

Le 1er novembre 1954 débute l'insurrection algérienne. Les gouvernements successifs se montrent incapables d'apporter la moindre ébauche de solutions. En Algérie, une partie de l'armée et les "pieds noirs" s'opposent à toute tentative de libéralisation du système politique sur le territoire algérien, accusée d'être la porte ouverte à l'indépendance. L'état-major sur place laisse planer la menace d'une intervention dans la capitale. Au terme de plusieurs jours d'intrigues, de manipulations et d'intoxications, le Président Coty fait appel au général de Gaulle. Ce dernier est investi Président du Conseil par l'Assemblée Nationale le 1er juin 1958. Il sera souvent reproché à de Gaulle, en particulier à gauche, d'être "arrivé au pouvoir dans les fourgons des militaires". Il n'en est rien selon lui. Ainsi, Alain Peyreffite rapporte les propos du général: "je n'ai été pour rien dans l'insurrection d'Alger. Je n'ai rien su de ce qui s'y préparait avant le 13 mai. (...) Mais je n'ai pas levé le petit doigt pour encourager le mouvement. Je l'ai même bloqué quand il a pris la tournure d'une opération militaire contre la métropole." (1)

Le 6 juin 1946, à Bayeux*, il avait exposé sa vision de ce que devrait être le gouvernement de la France, via une Constitution où le gouvernement gouverne, sous le contrôle du Parlement qui légifère, lequel Parlement ne serait plus soumis au jeu des partis politiques. Le 28 septembre 1958, la nouvelle Constitution, inspirée par ce discours, est adoptée par référendum par près de 80% des français. Le 21 décembre 1958, il est élu par les grands électeurs par 78% des suffrages. "Le premier des français est désormais le premier en France", déclare René Coty lors de la passation de pouvoirs le 8 janvier 1959.

Le nouveau président doit d'abord régler le "problème" algérien. Il a, entre autres, été élu pour cela. Le 16 septembre 1959, il propose l'autodétermination, c'est à dire le choix par les algériens, européens et musulmans confondus, entre trois possibilités: l'indépendance, l'intégration à la France ou un gouvernement autonome rattaché à la France. Ce qui n'est pas pour rassurer les partisans de l'Algérie française. Cette proposition est ratifiée par référendum le 8 janvier 1961 par 75% des votants (70% en Algérie). Le 22 avril 1961, quatre généraux, Salan, Challe, Zeller et Jouhaud, ("un quarteron de généraux en retraite", selon de Gaulle) déclenchent un putsch pour tenter de renverser de Gaulle, putsch qui échoue quatre jours plus tard. L'OAS*, créée en janvier 1961, organise attentats et assassinats, tant en métropole qu'en Algérie. A au moins cinq reprises, l'OAS essaiera d'assassiner le Président de la République, la tentative la plus connue étant celle dite du "Petit-Clamart*" le 22 août 1962.

Les accords d'Evian* sont signés le 18 mars 1962 entre le gouvernement français et la délégation du FLN algérien. L'Algérie devient un état indépendant le 5 juillet 1962.
La crise algérienne est donc terminée. Elle aura duré près de huit ans, avec son lot d'incompréhensions, de drames et de massacres. René Rémond les résume parfaitement: "La conclusion de ces huit années est bien éloignée des buts que se fixaient Pierre Mendès France et François MItterrand, bien différente aussi des intentions de Guy Mollet et de Robert Lacoste, et sans doute également des vues et des espérances du général de Gaulle en 1958: la France a dû amener le drapeau sur une terre où il flottait depuis cent trente-deux ans. C'est en effet l'une des toutes premières conquêtes coloniales de la France qui accède la dernière à l'indépendance: après l'Indochine, après les protectorats maghrébins, après l'Afrique noire qui est devenue indépendante, entre le retour du général de Gaulle et l'émancipation de l'Algérie." (2)

Le 1er Janvier 1960, le franc laisse place au "nouveau franc": c'est à dire que 100 "anciens francs" deviennent alors 1 "nouveau franc". C'est le "plan Rueff - Pinay*" conçu dès décembre 1958 pour combattre l'inflation et permettre le retour de la France dans la compétition économique mondiale. Ainsi, Jean Lacouture, dans sa fameuse et exceptionnelle trilogie, "de Gaulle", écrit-il: "Et, s'agissant de l'Europe, il venait de patronner la décision de libérer 90% des échanges avec ses partenaires européens qui donnait l'impulsion décisive à la mise en place du Marché Commun. Un de Gaulle libéral, socialement austère et "européen", voilà ce que les impératifs de la situation avaient fait du chef du gouvernement tripartite de 1944 - 1946, et du président du Rassemblement." (3)

Il mène à bien la décolonisation de l'Empire colonial, sans conflits majeurs, tout en gardant des liens étroits (sauf avec la Guinée) pour ne pas dire des liens de subordination de ces Etats nouvellement indépendants.

Bien qu'originellement hostile au traité de Rome* signé le 25 mars 1957 par le gouvernement de Guy Mollet, de Gaulle veille scrupuleusement à sa mise en oeuvre, sans en changer ni la lettre ni l'esprit. Pour autant, il rejette toute idée de supranationalité chère aux centristes du MRP qui démissionnent du gouvernement en mai 1962 pour protester contre la politique européenne du Président et rejoignent l'opposition. Aux présidentielles de 1965, Jean Lecanuet* sera leur représentant mettant ainsi le général de Gaulle en ballotage...

Pour de Gaulle, la France doit avoir l'entière maîtrise de sa politique. Il continue et amplifie la politique nucléaire initiée par la IV ème République, de façon à acquérir l'arme nucléaire sans être tributaire des USA. En février 1960, la première bombe atomique française explose dans le désert du Sahara.

Avec le chancelier allemand, Konrad Adenauer*, il entreprend la réconciliation franco allemande. Deux moments forts dans cette réconciliation: K. Adenauer reçu à la Boiserie, privilège jamais accordé à aucun homme d'Etat étranger; le traité de l'Elysée*, signé le 22 janvier 1963. Ce traité a jeté les bases d'une coopération forte entre les deux nations, même si le chancelier Ehrard, successeur de K. Adenauer, n'adhérait pas vraiment à ce traité. "Toutefois le chancelier Ehrard lorsqu'il succéda à Adenauer (octobre 1963), manifesta peu d'enthousiasme pour cette politique, préférant très nettement des liens étroits avec les Etats-Unis." (4) Un préambule ajouté au traité par les députés allemands lui en enlevait la substance initiale. Sans pour autant casser la dynamique de la réconciliation.

Parce qu'il trouvait l'Angleterre trop inféodée aux Etats-Unis, le Président de Gaulle s'opposera à son entrée dans le Marché Commun, bien que les cinq autres membres n'y soient pas opposés. Dans une conférence de presse, le 14 janvier 1963, il affirme: "Alors, c'est un autre Marché commun dont on devrait envisager la construction et qui verrait se poser à lui tous les problèmes de ses relations économiques avec une foule d'autres Etats, et d'abord avec les Etats Unis." (5)

En matière de politique étrangère, le Président de Gaulle applique le principe du "domaine réservé", principe qui sera repris et même amplifié par tous ses successeurs. Il s'appuie sur un principe: la France reconnait les Etats, et eux seuls, sans prendre en compte leurs régimes politiques. Il se rapproche donc des pays de l'Est, sans pour autant rompre avec les USA: ainsi, lors de la crise de Berlin* en 1961 (construction du Mur de séparation de la ville) et de la crise des missiles de Cuba*, en octobre 1962, il se rangera sans hésitation aux côtés des américains. Pour autant, il condamne leur soutien militaire aux dirigeants sud vietnamiens. Il reconnait la Chine communiste dès le 27 janvier 1964. En Afrique, il soutient les régimes en place. C'est à cette époque que nait réellement la "Francafique", chère à Jacques Foccart*.

Mais la grande affaire de ce premier septennat fut la décision de soumettre l'élection du Président de la République au suffrage universel direct. Il a été dit que l'attentat du Petit Clamart avait décidé le Président à changer la règle de l'élection présidentielle. Alain Peyrefitte affirme qu'il n'en est rien: "On l'a cru, on le croit toujours: c'est en réplique à l'attentat du Petit-Clamart du 22 août 1962 que le général aurait eu l'idée d'un référendum pour établir l'élection du Président au suffrage universel. Il faut dissiper cette légende. Quinze jours après le départ de cinq ministres MRP, il était bien décidé à brusquer cette réforme." (6). Il veut soumettre cette réforme par voie référendaire. Ce que ne prévoit pas la Constitution puisque son article 89 stipule que "l'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier Ministre, et aux membres du Parlement. (...)  Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum."

Les parlementaires sont vent debout contre ce projet. De Gaulle, lui, s'appuie sur l'article 11 de cette même Constitution qui stipule: "le Président de la République, sur proposition du Gouvernement (...) peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics...) S'ensuit donc un conflit majeur entre le pouvoir et l'opposition, le Président du Sénat, Gaston Monnerville*, allant jusqu'à accuser Georges Pompidou de "forfaiture". Ce que le Président de Gaulle ne lui pardonnera jamais. 
On peut s'interroger sur le rude combat menée par quasiment tout les partis politiques, à l'exception de l'UNR-UDT. Jean Jacques Becker, et avec lui nombre d'historiens et de juristes, avance une explication pertinente: "La crise qui couvait entre de Gaulle et les forces politiques allait brutalement éclater pour deux raisons: une raison de fond, beaucoup de parlementaires estimaient que l'équilibre constitutionnel serait rompu par cette élection au suffrage universel en donnant une autorité excessive au chef de l'Etat et que c'était donc une évolution vers le pouvoir personnel, et une raison de forme: le choix de la procédure référendaire." (7)

Organisé le 28 octobre 1962, le "oui" l'emporte avec plus de 61% des suffrages et une abstention relativement faible de 22,7%. Les élections législatives qui suivront conforteront ce résultat: l'UNR-UDT et ses alliés Républicains Indépendants obtiennent la majorité absolue à l'Assemblée Nationale. Le "cartel du non" qui réunissait communistes, socialistes, radicaux et extrême droite sortait plus qu'affaibli de ces élections, avec nombre de personnalités battues dès le premier tour, comme Pierre Mendès France, Paul Reynaud et, déjà, Jean Marie Le Pen.

Le premier tour de l'élection présidentielle est prévu le 5 décembre 1965. C'est une première en France et qui passionne l'opinion publique: il y aura près de 85% de votants aux deux tours. Six candidats se disputent la faveur des électeurs: Charles de Gaulle; François Mitterrand représentant la gauche; Jean Lecanuet le centre et Jean Louiis Tixier-Vignancourt, avocat, secrétaire général adjoint à l’Information de l’État français du gouvernement de Vichy en 1940 et 1941, l'extrême droite. Pierre Marcilhacy, candidat libéral et Marcel Barbu, "candidat des chiens battus", selon sa propre expression. 
Pour la première fois, les candidats interviennent à la télévision. Chacun à sa manière. Jean Lecanuet, toutes dents blanches dehors, voulait donner l'image d'un homme jeune et nouveau, un peu à l'américaine; François Mitterrand, certes plus sobre, voulait aussi donner l'image de la modernité; quant au général, rentré très tard dans le vif de la campagne, il donna, entre les deux tours, trois entretiens à Michel Droit, entretiens qui contribuèrent à le rendre plus proche, moins distant. Jacques Faizant, dans un dessin resté célèbre, fait dire à Marianne, assise sur les genoux du général: "Et, bien!...Tu vois, gros bêta ! Tu m'aurais parlé comme ça plus tôt !.."

Rien ne laissait présager la mise en ballotage du Chef de l'Etat. Et pourtant ce dernier ne recueille "que" 44,65% des suffrages exprimés. On a souvent dit que c'était François Mitterrand qui avait provoqué ce ballotage. Il me semble que c'est plutôt Jean Lecanuet. Au second tour, ce dernier donna à ses électeurs la consigne de ne pas voter pour de Gaulle. Pourtant, 60% d'entre eux ne suivirent pas cette consigne. Le général de Gaulle fut élu au second tour avec 55,20% de suffrages exprimés. François Mitterrand pour qui l'extrême droite avait donné consigne de voter (5,20%) marquait par cette élection son arrivée aux premières places dans le monde politique français. Pour l'anecdote, il est à signaler que de Gaulle avait interdit à son ministre de l'intérieur, Roger Frey, de publier une photo qui aurait pu être gênante pour le candidat unique de la gauche, à savoir celle où  le maréchal Pétain en avril 1943 le décorait de la Francisque. Autre temps, autres moeurs!!!

Ainsi s'achevait le premier septennat de la V ème République. Commencé dans la douleur de la crise algérienne, il se terminait dans une sorte de banalité de la vie démocratique, à savoir une élection. Je laisse la conclusion de cette première partie à Arnaud Teyssier qui écrit dans son "histoire politique de la V ème République": "Certes le père fondateur est descendu parmi les hommes. Mais en s'exposant aux feux directs du jeu politique, en obtenant la ré-investiture du suffrage universel dans sa plénitude, loin de toute manipulation plébiscitaire, n'a t-il pas démontré la viabilité du régime qu'il a installé? Certes, de Gaulle se trouve quelque peu banalisé, mais le régime est entré avec lui dans les moeurs. Le général n'a d'ailleurs pas perdu son aura extraordinaire, comme il le montrera dans sa mort. Son ballotage a simplement facilité la tâche de ses successeurs." (8)

* clic vers le lien

(1) in "C'était de Gaulle", tome 1, de Alain Peyrefitte, éditions de Fallois Fayard, page 75
(2) in "le siècle dernier" de René Rémond, éditions Librairie Arthème Fayard, page 604.
(3) in "de Gaulle, tome 2: le politique" de Jean Lacouture, édition du Seuil, page 678.
(4) in "histoire politique de la France depuis 1945" (10 ème édition) de Jean Jacques Becker, éditions Armand Colin, page 126.
(5) in "de Gaulle", tome 3: le souverain" de Jean Lacouture, éditions du Seuil, page 336.
(6) ibid "C'était de Gaulle", page 177
(7) ibid "histoire politique de la France depuis 1945", page 115.
(8) in ibid "Histoire politique de la Vème République", page 140.

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Soixante ans..... Déja!!!!

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