samedi 14 mai 2011

"salauds de pauvres"

Si j'emploie cette réplique de Jean Gabin dans "la traversée de Paris" , un superbe film de Claude Autant-Lara, en 1956, avec entre autres acteurs Bourvil et Louis de Funès, si j'emploie cette réplique donc, c'est parce qu'elle me fait penser aux propos de Laurent Wauquiez, ministre des Affaires Européennes.

Que dit ce jeune ministre, né en 1975?  "aujourd'hui, un couple qui est au RSA, en cumulant les différents systèmes de minima sociaux, peut gagner plus qu'un couple dans lequel il y a une personne qui travaille au smic. Ça c'est la société française qui tourne à l'envers" et, le 9 mai,  dans un "chat" sur le site du Monde.fr, il ajoute: "Et pourtant, un couple avec deux enfants, au RSA, qui cumule avec l'APL, va gagner autour de 1 100 euros par mois, soit plus que le smic net. Si vous ajoutez en plus les différentes aides type exonération des frais de cantine pour vos enfants, type exonération des frais de transports publics... dont bénéficient parfois les gens au RSA, vous obtenez cette situation absurde où le retour au travail se traduit par un appauvrissement. C'est pour moi une vraie injustice.." Il propose de demander aux allocataires du RSA de "plafonner le cumul de tous les minima sociaux à 75 % du smic" et que ces allocataires donnent cinq heures hebdomadaires de services sociaux. Voilà, résumé, sa position, position qui n'est, au minimum qu'une remise en cause du RSA, au moins dans un premier temps pour, dans un second en terminer avec les différentes allocations qui ne seraient, selon lui, que des mesures d'assistanat. Au passage, il faut se souvenir que le RSA (Revenu de Solidarité Active) a été initié par Martin Hirsch , Haut Commissaire aux Solidarités Actives, membre du gouvernement de François Fillon de 2007 à 2010.

Sauf que ce qu'affirme Mr Wauquiez est faux:

* un couple sans enfants touche 700 euros de RSA environ s'il ne travaille pas, mais sans le cumuler avec d'autres aides : le RSA étant un forfait. Si ce couple perçoit l'APL, cette dernière sera otée de son RSA et percevra à la place un forfait de 109,11 euros. Précisons qu'un couple avec un SMIC perçoit 1071€ et est éligible à une APL complète.

* un couple au RSA avec trois enfants perçoit, selon le barèmes des allocs, 1167€, plus qu'un couple avec un SMIC, sans enfants. Mais le rééquilbrage se fait dès l'instant où ce couple au SMIC a, lui aussi, trois enfants. Et ce couple pourra lui aussi toucher l'APL. On voit très vite que les affirmations de Mr Wauquiez sont fausses et pour le moins hasardeuses. Et je serai tenté de dire qu'il le sait car quand on relit ses réponses sur le"chat" du 9 mai, il précise "dont bénéficient parfois les gens au RSA" et le "parfois" utilisé ici a toute son importance.

Sans avoir l'air d'y toucher, le ministre classe la CMU (Couverture maladie Universelle)  dans ce qu'il appelle"l'assistanat", au motif qu'elle est attribuée aux bénéficiaires du RSA. Sauf que la CMU est attribuée en fonction d'un plafond de ressources et qu'un couple touchant un SMIC peut en bénéficier lui aussi.

Ah, cet assistanat que tout un chacun dénonce. Et avec quelle virulence, quelle bonne conscience! Un sondage effectué par le Figaro affirme que les deux tiers des français seraient d'accord avec les affirmations et les propositions de mr Wauquiez. Diantre! Fichtre! Foutre! Voilà une information qui décoiffe! Il est vrai que l'assisté, le tricheur, le fainéant, celui qui travaille au noir, bref tous ces profiteurs, ce sont les autres, toujours les autres. Et cet éternel sentiment que le tire au flanc c'est l'autre est très habilement exploité par les gens qui nous dirigent: le président n'affirme t'il pas qu'il est du côté "de la France qui se lève tôt"? Sous entendu que les autres, ceux qui n'ont pas de boulots, qui sont au chomage parce que leur entreprise a fait faillite ou a délocalisé, ne méritent pas son attention.

Parce que, comme le dit Mr Wauquiez, "le RSA coûte cher". Et oui, plusieurs milliards d'euros par an. Mais quand même moins cher que les dizaines de milliards d'euros donnés aux entreprises sous diverses formes, dont les exonérations de cotisations sociales, et cela sans contre-parties. Dans ce cas, pas d'efforts en échange, sinon des belles paroles et des "promesses qui n'engagent que ceux qui les écoutent." (je ne me souviens plus de qui est cette formule). Et je ne parle pas des subventions agricoles ou des facilités d'implantation d'enreprise. Là, of course, il ne s'agit pas d'assistanat, mais d'aides "indispensables pour la compétitivité"! Enfin, c'est ce qu'ils affirment!

Je ne voudrais pas faire de parallèles hasardeux, mais j'ai lu quelque part que, pendant les règnes de Louis Philippe 1er et de Napoléon III, certains savants avaient expliqué, à grands renforts de calculs et de raisonnements qui s'affirmaient scientifiques, que si les pauvres de cette époque étaient pauvres, c'était, pour l'essentiel, de leur faute. En effet, leur physionnomie, leur morphologie déterminaient  leurs caractères et leurs personnalités. Sans oublier leurs penchants pour l'alcool et le sexe, ce qui en faisait des gens qui ne voulaient ni pouvaient changer leurs conditions, ce qui les rendaient bien sûr infréquentables. Et les aider d'une manière ou d'une autre, c'était les encourager dans la fainéantise et le vice. Quelques dames ne manquaient cependant pas de leur faire l'aumone, après la messe du dimanche, façon comme une autre de faire la charité et de réserver sa place au paradis. Lire ou relire Zola (Germinal, Pot Bouille...) est à cet égard très instructif.
Bien sûr, et heureusement, nous n'en sommes pas là. Mais cette façon de montrer du doigt ceux que notre société met de côté est pour le moins douteuse. Au prétexte que certains trichent et profitent du système - et il y en a, j'en connais - l'opprobre et le soupçon sont jetés sur tous ceux qui sans la solidarité nationale seraient dans la misère - et il y en a, j'en connais. Dans notre beau pays, n'oublions pas qu'en 2007, près de 13% de la population vivaient sous le seuil de pauvreté (moins de 800€ par mois), que la moitié des français vivaient avec moins de 1500€ par mois et que 25% des salarié, en 2008, gagnaient moins de 750€ par mois.
Quand quelqu'un veut parler de chiffres, et que ce quelqu'un là est un Politique, alors, il doit parler de TOUS les chiffres. Et pas uniquement de ceux qui lui permettent de faire étalage de sa démagogie et de flatter dans le sens du poil des citoyens qui ne demandent que cela. Quand on prétend assumer et représenter une "droite sociale" comme le fait Mr Wauqiez, il ne faut pas se conduire comme un populiste, un démagogue. Ou un "jean-foutre". Ce qui revient au même.
Dans son édition datée du 12 mai, le Monde titre son éditorial "faut-il punir les pauvres ou les aider?" Question pertinente s'il en est. Et il conclut:" Ce qu'il faut proposer n'est pas une corvée, susceptible de détruire des emplois peu qualifiés auxquels les employeurs substitueraient des RSA utilisés gratuitement, mais un vrai emploi, qui, comme tout travail, mérite salaire."
On ne saurait mieux dire! 

3 commentaires:

  1. Souvenons-nous que Monsieur Thiers, au XIXème siècle, expliquait qu’il fallait des pauvres, pour permettre aux riches de pratiquer la charité et de gagner le Paradis…
    Rédigé par : Lza | le 24 mai 2011 à 09:28

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  2. Merci Claude, très bon retour sur la désinformation.
    Rédigé par : Patrick | le 14 mai 2011 à 23:07

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  3. Bravo!! Voilà ce qui s’appelle remettre les pendules à l’heure avec précision, en ces temps difficiles de recherche de boucs émissaires et de stigmatisation des plus faibles, qui sont souvent les premières victimes d’un système dont les défenseurs et profiteurs se targuent de faire la morale!!
    Rédigé par : Oscar | le 15 mai 2011 à 20:14 |

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Soixante ans..... Déja!!!!

 Soixante ans..... Déjà!!!!!