samedi 28 septembre 2024

Être ou ne pas être proportionnel, tel est le scrutin...


 

Depuis le 10 juin, la France, ses citoyennes et ses citoyens vivent une situation totalement inédite.
En effet, trois consultations électorales se sont succédé dans un délai très court. Puis le Président de la République a pris son temps pour désigner un Premier ministre. À tort d'ailleurs car il a donné l'impression de ne pas trop savoir où il allait. Et quand il en a trouvé un, le 5 septembre, deux mois après le second tour, il n'a pas été simple de trouver des ministres, la gauche refusant de participer à un gouvernement de droite, la droite ayant des exigences de droite et les macronistes des pudeurs de gazelle, de droite. 

Derrière toutes ces discussions, déclarations et autres difficultés institutionnelles, se cache un débat plus large, à savoir le mode de scutin: pour faire court, proportionnelle ou pas.
C'est l'objet de mon billet, après quelques rappels indispensables sur les différentes étapes du processus électoral et les différents résultats.

Tout d'abord, les élections européennes du 9 juin.



Les partis d'extrême droite - RN emmené par Jordan Bardella et "la France fière" emmenée, elle, par Marion Maréchal - recueillent près de 37% des suffrages exprimés, ce qui place ces deux partis héritiers de Jean Marie Le Pen largement en tête, loin devant, entre autre, le parti présidentiel, crédité, lui, de 14,6% des voix exprimées. 

Bien que les sondages avaient largement prévu ces résultats, il n'en reste pas moins que l'annonce de ces scores le 9 juin à 20 heures a été un véritable coup de tonnerre. 


 Mais ce coup de tonnerre a été totalement éclipsé, le soir même à 21 heures, par un autre coup de tonnerre, autrement puissant, à savoir la dissolution de l'Assemblée nationale par le Président de la République.

Pour le coup, personne, ni parmi le personnel politique, ni parmi les journalistes, les observateurs, les universitaires, les politistes et autres sondeurs, personne n'avait vu le "coup venir". surtout aussi rapidement. 


 

Et donc le peuple Français était de nouveau invité à se rendre aux urnes pour désigner ses députés les 29 juin et 7 juillet. 

 



De nouvelles alliances, de nouvelles coalitions se formèrent dans une certaine précipitation, certaines dans la douleur et les ruptures; de nouveaux programmes furent mis au point, plus ou moins précipitamment; des promesses furent tenues, la main sur le coeur; des débats enflammés, inaudibles souvent, démagogues trop souvent.
Bref le processus habituel d'élections tenues dans une démocratie, bien loin du consensus des démocraties dites populaires, et c'est heureux...


 

1er tour le 29 juin, un taux de participation de 66%, un record si on le compare à celui de 2022: 47,50%.
Le RN, avec 33% des suffrages exprimés est une nouvelle fois en tête suivi par le NFP, 28% et Ensemble pour la République 22%.


 

Le second tour se prépare dans une ambiance électrique: il convient pour quasiment tous les partis de "faire barrage" au RN en recomposant le Front républicain que d'aucun avait décrété moribond.

Au soir du second tour, avec une participation de 66,50%, les résultats du 1er tour sont inversés: le Front républicain a fonctionné et même très bien fonctionné: grâce à lui, le NFP arrive en tête avec 25% des voix et 178 députés; Ensemble pour la République 23% et 150 députés; le RN, 37% et 142 députés; les LR 5,4% et 39 députés.


Jordan Bardella a rebouché la bouteille de  champagne!!!

 À 20h05, Jean Luc Mélanchon, leader de LFI déclare: "le NFP appliquera son programme, rien que son programme mais tout son programme."
D'une certaine façon, cette déclaration  péremptoire va gâcher la soirée des autres partenaires du NFP qui n'avaient pas été informés de cette affirmation... Même s'ils n'en laissent rien paraitre. Mais personne n'est dupe!

La balle est dans le camp du PdR qui se doit de désigner le Premier ministre. La Constitution ne lui impose ni délai, ni obligation quant au choix du PM. Et il prend son temps!!!

Je ne rentre pas dans le détail des tractations, discussions, négociations et c'est dans la seconde moitié de septembre, qu'enfin, un Premier ministre est nommé par le PdR. Plus de deux mois pour le désigner, c'est de l'inédit!!! Puis dans la foulée et la douleur, un gouvernement est mis en place.
Pour mémoire, l'article 8 de la Constitution stipule: " sur proposition du Premier Ministre, le Président de la République nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions."

Au cours de tous les débats qui ont lieu depuis le 7 juillet et les difficultés soulevées par le fait qu'aucune majorité ne soit possible après les législatives, dès l'instant où chaque parti refuse la moindre coalition et encore moins la moindre cohabitation, menaçant d'user et d'abuser de la motion de censure.


Tout naturellement, se pose du mode de scrutin: faut-il persister dans le scrutin uninominal à deux tours ou aller vers la proportionnelle, non intégrale, c'est à dire avec un plancher de 5% pour prétendre à un parti d'avoir des députés. Voire à une proportionnelle intégrale, du type israélienne.



Aujourd'hui, la France est le seul pays de l'UE à élire ses députés au scrutin majoritaire. tous les autres ont un un scrutin proportionnel ou mixte.

Mais alors qui est pour le maintien du scrutin majoritaire? Qui est pour le scrutin proportionnel?

En fait, quand on regarde avec une loupe, les différents avis, les différentes propositions  traversent le champ politique: les extrêmes de droite comme de gauche sont pour la proportionnelle; le centre est plutôt pour; le camp présidentiel est partagé et la droite est franchement contre...
Le PdR, réélu en 2022, l'avait prévu dans un "paquet législatif" dans le cadre d'une réforme de la Constitution, que le Sénat, à majorité de droite, avait rejeté.



Il n'est pas inutile de préciser que le mode de scrutin n'est pas inscrit dans notre texte fondamental et qu'il peut être "facilement" modifié par un référendum ou par une loi ordinaire, encore faut-il, dans ce cas, une majorité pour la voter.

Frédéric FOGACCI   
 
Opposé à la proportionnelle, le 12 septembre 2024, dans un article publié dans le Journal Le Monde, Frédéric Fogacci*, historien, directeur des études de la fondation Charles de Gaulle, écrit:
" On voit alors apparaître à l’Assemblée un personnel politique d’apparatchiks, campant sur la position doctrinale de leur parti, lequel conditionne leur avenir politique. Le rapport de force évolue peu, ou pas, les mêmes hommes et femmes restant à l’Assemblée, et toute possibilité d’alternance véritable s’éloigne, puisque les équilibres et les majorités sont constitués après le vote des Français. Tout repose sur des tractations entre chefs de parti, à une époque où lesdits partis sont nettement plus implantés et représentatifs qu’aujourd’hui."

François BAYROU
 À l'inverse, fervent défenseur de la proportionnelle, François Bayrou, dans le journal Le Monde, daté du 31 août 2024, déclare:
"La loi électorale proportionnelle est juste, et de surcroît elle crée un paysage politique nouveau. Chacun se présente sous ses propres couleurs, c’est une démarche plus authentique et qui oblige à creuser ses propres idées. Dès l’instant qu’on franchit la barre mettons de 5 %, on est assuré d’un groupe parlementaire représentatif. Mais chacun sait bien qu’il n’obtiendra pas la majorité à lui tout seul. On est donc obligé de regarder ses concurrents pas seulement comme des adversaires, mais comme de potentiels partenaires."

Julien AUBERT

 

 Julien Aubert*, ex député LR jusqu'en 2022, écrit dans Le Figaro Vox le 18 septembre 2024: 
Le second défaut est pratique. L'inconvénient de la proportionnelle est qu'il donne aux chefs de partis un pouvoir énorme : celui de choisir leurs troupes. (...) Le scrutin proportionnel, lui, encourage la docilité, le conformisme et la servilité. Je crains que demain, les députés inscrits au scrutin de liste ne se désintéressent totalement des attentes des électeurs, la manière de servir n'ayant aucun impact sur leur possible réélection."

Albert MENDIRI
 
 Albert Mendiri*, philosophe, dans une tribune au journal Le Monde le 13 aoüt 2024, est plus nuancé:
"Les modalités pourraient être les suivantes : dans un premier temps, la moitié des sièges à pourvoir se verrait distribuée à la proportionnelle intégrale sur un plan national. En un second temps, les sièges restants seraient calculés à la proportionnelle pour chacune des formations en lice, ce qui assurerait une majorité aux vainqueurs des élections.
Ce système électoral présente les avantages suivants : il permet de dégager une majorité absolue en toutes circonstances ; il invite les différentes formations politiques à contracter des alliances avant même le verdict électoral, tout en gardant une autonomie leur permettant de se compter, les électeurs décidant par leur vote de l’importance respective de chaque formation au sein de l’éventuelle alliance vainqueur des élections."
 

Le 23 mars 2021, Jean Luc Mélanchon, alors député LFI, avec les députés de son groupe, présentait une proposition de loi (n° 4013) visant, je cite, "à instaurer la proportionnelle intégrale au scrutin législatif."
Dans l'exposé des motifs, le groupe parlementaire déclarait:
"La loi du 10 juillet 1985 avait ainsi changé dans ce sens le mode de scrutin. Elle instaurait un scrutin à la proportionnelle sur la base de listes départementales. Ce mode de scrutin a fait ses preuves lors des élections législatives de 1986. Une Assemblée nationale avec une majorité stable était sortie de ces élections." Le rétablissement dès 1988 du scrutin uninominal à deux tours a depuis privé les Français d’une représentation parlementaire conforme à la diversité de leurs opinions politiques. En 2017, l’alliance entre la République en marche et le Mouvement démocrate avait rassemblé 30 % des voix au premier tour. Ils occupaient pourtant plus de 60 % des sièges de l’Assemblée nationale à l’issue du second. A contrario, la France insoumise avait rassemblé 11 % de voix mais dispose dans cette législature de moins de 3 % des sièges."
 
Une telle demande a quelque chose de paradoxal: en effet, si nous prenons comme référence soit les résultats des élections européennes, soit ceux du premier tour des législatives et si on les applique au scrutin proportionnel, le RN serait largement en tête, loin devant la gauche en général et LFI en particulier et pourrait être en capacité de gouverner...
 


Le Rassemblement National, lui aussi favorable au scrutin proportionnel, affirme dans une pétition mis en ligne
"Les dernières élections législatives ont, une nouvelle fois, montré que des millions de Français sont méprisés par un système électoral archaïque. Le mode de scrutin a également montré ses limites et, face aux accords d’appareil d’un autre temps, n’a pas permis de dégager une majorité, plongeant le pays dans une situation inédite et instable. (...) Le mode de scrutin proportionnel, en vigueur dans la majorité des démocraties européennes, est la meilleure manière d’assurer une juste représentation de toutes les sensibilités politiques à l’Assemblée nationale et permettrait de dégager une véritable majorité pour gouverner.
Ce mode de scrutin garantirait à chaque Français une représentation équitable et mettrait fin à la confiscation du pouvoir par les accords partisans contre-nature."

Je pourrais citer de multiples prises de position pour ou contre, par des politiques, des universitaires, sondeurs, journalistes, etc, etc.
Mais ce serait plutôt long et pour tout dire indigeste.

Parce que chacun sait que le diable se cache dans les détails: instaurer la proportionnelle? Pourquoi pas? Mais comment?
 


Il faut encore déterminer quel genre de proportionnelle: 
Nationale? Départementale?
Quid des circonscriptions: faut-il les fusionner avec les départements? Comment éviter les "tripatouillages du pouvoir en place?
Quelle limite en nombre d'habitants pour élire un député? 
Pour passer à la proportionnelle, faut-il un référendum?
Ou le vote d'une loi ordinaire au Parlement?
Ou modifier la Constitution, c'est-à-dire inscrire dans le marbre de la loi fondamentale le nouveau mode de scrutin?
Bien d'autres questions se posent.

Les partisans du statu quo affirment - mais pas trop fort - que le scrutin uninominal à deux tours permet la mise en place d'une majorité solide, permettant ainsi la stabilité gouvernementale. Il est vrai qu'actuellement, l'on entend peu cet argument, et pour cause: le résultat des dernières législatives contredit cette affirmation.

Un autre de leurs arguments consiste à affirmer que les partis sont tout puissants et que personne ne peut se présenter en dehors d'eux. Argument quelque peu trompeur: depuis 1958, les individus qui se sont présentés seuls, sans l'aval de leur parti et parfois contre lui, se comptent sur les doigts d'une main et ont été rarement été élus...
Les mêmes prennent en contre exemple la IVème République et ses 22 gouvernements de 1947 à 1958.

Pierre Mendès-France
Pourtant cette République n'a pas été aussi mauvaise que veulent bien le dire ses détracteurs. Il est vrai que l'instabilité ministérielle n'a pas été très favorable, malgré quelques personnalités politiques de premier plan comme Robert Schuman, Edgar Faure ou surtout Pierre Mendès-France.
Ce dernier, faut-il le rappeler, réussit à mettre fin  au soulèvement tunisien, mais surtout, il a mit fin à la terrible guerre d'Indochine.
Ces deux problèmes résolus, il a été mis en minorité à l'Assemblée nationale par une alliance contre nature entre le PCF et les gaullistes et a aussitôt démissionné. Assemblée élue à la proportionnelle. PMF a fait le job qu'ils attendaient de lui et l'ont viré...
 
Mais peut-être que le problème -puisque problème il y a - ne vient pas uniquement du mode de scrutin.
Notre régime, celui prévu par la Constitution de la Vème République, est d'abord un régime parlementaire.
Or, depuis l'origine, tous les présidents élus ont disposé à l'AN d'une majorité confortable - le Canard Enchainé ne dénommait-il pas les députés gaullistes des "godillots"- ce qui a eu pour conséquence une présidentialisation du régime et la toute puissance du président élu, rappelons le, au suffrage universel direct. Cela aux dépens du Parlement.

Faut-il alors revenir aux fondamentaux de la V ème République? Dans ce cas, il faudrait changer de République et aller vers une VI ème, comme le réclament à cors et à cris Mr Mélanchon et  ses amis?    

Alors, proportionnel ou pas proportionnel? Bien malin celui ou celle qui peut avoir des certitudes toutes faites sur le sujet.
Il est vrai cependant qu'il y a pléthore en la matière...

Mais comme disait Sempé, "rien n'est simple, tout se complique."

 





 

Être ou ne pas être proportionnel, tel est le scrutin...

  Depuis le 10 juin, la France, ses citoyennes et ses citoyens vivent une situation totalement inédite. En effet, trois consultations électo...