claude bachelier

"Ce n'est parce que l'on a rien à dire qu'il faut fermer sa gueule" Michel AUDIARD

dimanche 1 décembre 2019

la clause du grand père

Dans le cadre de la future réforme des régimes de retraite, nous entendons souvent parler de "la clause du grand père" sans trop savoir de quoi il s'agit.
J'ai creusé pour en savoir un peu plus et je me suis dit que partager cette information pouvait être utile.


Cette expression, à l'origine "clause d'antériorité", remonte à l'année 1869 aux États Unis lors du vote du XV ème amendement qui donnait le droit de vote à tous les citoyens américains nés sur le sol des États Unis, "sans condition antérieure de sa servitude", donc pour tous les citoyens, y compris les anciens esclaves. 

Pour mémoire, la guerre de sécession* a duré de 1861 à 1865. Je me demande toujours pourquoi nous appelons guerre de sécession ce que les américains appellent "The American Civil War", avec des majuscules à chaque mot...


Mais pour voter il fallait avoir une surface minimale de terrain ou savoir lire et écrire la Constitution. Par dérogation, ceux qui ne remplissaient pas ces conditions mais qui avaient un père ou un grand père ayant le droit de vote AVANT 1866 pouvaient voter. Ce qui excluait de fait tous les noirs. 
Cette mesure, appelée alors "clause du grand père" a été abolie par la Cour Suprême en 1915.



En France, le terme est apparu lors de "l'affaire" de la suppression des privilèges des bouilleurs de cru. C'est à dire lorsque l'État, tant pour lutter contre l'alcoolisme que pour récupérer des milliards de francs qui manquaient à ses caisses du fait de cette avantage fiscal, supprima la clause héréditaire, instituée par Napoléon. Mais si cette clause a été supprimée, l'exonération fiscale a été aménagée.


Un bouilleur de cru est une personne qui produit sa propre eau de vie, pure et qui peut là commercialiser lui-même. Il correspond à la définition que donne le code général des impôts dans ses articles 315 et 316: "les propriétaires, fermiers, métayers ou vignerons qui distillent ou font distiller des vins, cidres ou poirés, marcs, lies, cerises, prunes et prunelles provenant exclusivement de leur récolte....qui mettent en œoeuvre des fruits frais provenant exclusivement de leur récolte pour la distillation"(1).


Sous l'ancien régime, tout paysan qui récoltait prunes, pommes, raisins dans sa propriété, était autorisé à distiller pour sa propre consommation, et seulement pour cela. Sans payer la moindre taxe. La Révolution supprima cette possibilité, déjà pour lutter contre l'alcoolisme.


Napoléon, pour plaire à ses soldats, accorda aux bouilleurs de cru une exonération fiscale héréditaire pour les 10 premiers litres d'alcool pur. C'est ce privilège héréditaire qui sera supprimé en 1960 après des débats parlementaires hauts en couleur.


À une époque lointaine, et même encore un peu aujourd'hui, faire son eau de vie était quelque chose de commun dans la mesure où il y avait des raisins, des pommes, des cerises ou des prunes.


Mais si n'importe qui ou presque peut-être bouilleur de cru sur le plan strictement administratif, il en est tout à fait différemment sur la fabrication de la goutte ou de la gnole: il convient alors d'avoir un certain savoir faire. 


Il faut faire chauffer l'eau à la bonne température pour que les fruits ne brulent pas au fond de la cuve. Au bout de deux heures, si l'alcool sort à 65°, c'est parfait. Mais ce premier breuvage, "la blanquette" est imbuvable et il faut alors, après avoir nettoyé l'alambic de fond en comble, faire une deuxième chauffe. Il faut ensuite laisser l'alcool prendre l'air pendant trois semaines.


Même si elle est bien sûr moins répandue, cette tradition existe encore: il existe plusieurs milliers d'alambics autorisés en France.


Dans le Jura et l'Ain, 362 personnes bénéficient encore du fameux privilèges, certes surveillés comme le lait sur le feu par les services douaniers. Chiffres bien sûr en baisse puisque le privilège fiscal a été supprimé en 1962. Encore que cette disposition a été à plusieurs reprises modifiée sous la pression de divers lobbies agricoles auprès des députés.



photo du blog avec ce qu'il faut de nostalgie: https://espritdepays.com/dordogne/metiers-dhier-et-daujourdhui/un-vieux-metier-le-distillateur-ambulant

Supprimer et modifier ces privilèges héréditaires et fiscaux n'a pas été une mince affaire. Les syndicats agricoles ont su faire entendre leur voix auprès des électeurs et donc des différents élus.

Il y avait en France plusieurs millions de bouilleurs de cru, particulièrement dans l'ouest de la France, dans une mesure moindre dans le midi et l'est. (voir la carte ci-dessous)
Cette profusion d'alcool entraine un alcoolisme dénoncé depuis très longtemps par le corps médical et par une bonne partie de la société. 


Une enquête faite par plusieurs chercheurs en 1958 révèle que les internements en hôpitaux psychiatriques sont bien plus élevés dans les cantons où résident une forte densité de bouilleurs de cru. (2)


Modifier le régime fiscal de ces bouilleurs de cru a été une entreprise difficile, voire risquée pour les législateurs. Ainsi, cette question écrite du sénateur du Morbihan, Joseph Kergueris le 27 octobre 2005: "il serait souhaitable de revenir à la situation antérieure pour les bouilleurs de cru bénéficiant de l'allocation en franchise, à savoir le droit à vie auquel nos anciens sont très attachés, tout en maintenant la réduction de la taxe pour les récoltants non titulaires de la franchise. Par ailleurs, la suppression brutale de la franchise mettra fin à l'activité de nombreux distillateurs ambulants qui perpétuent une tradition et font partie du paysage de nos campagnes. Il souhaite qu'il lui indique son sentiment et ses intentions relatives à cette proposition des anciens agriculteurs, bouilleurs de cru, âgés de quatre-vingts ans et plus."(3)
La réponse du ministre de l'économie un mois plus tard: "La mesure arrêtée dans la loi de finances pour 2003 vise à concilier les préoccupations de santé publique, liées notamment à la lutte contre l'alcoolisme."(3)


Donc, modifier puis supprimer les privilèges et exonérations fiscales n'a pas été facile et a demandé des volontés politiques et sociétales fortes. Voir à ce sujet le compte rendu intégral de la séance du 2 décembre 1959 à l'Assemblée Nationale. (Journal Officiel du 3 décembre 1959) http://archives.assemblee-nationale.fr/1/cri/1959-1960-ordinaire1/062.pdf

nombre d'électeurs masculins pour 1 bouilleur de cru dans 61 départements sur 90: 1 bouilleur de cru pour 2 à 4 électeurs en 1958
Pour revenir à l'expression utilisée actuellement dans les débats sur la réforme des retraites, certains élus proposent de ne faire entrer dans les nouvelles dispositions que les nouveaux entrants sur le marché du travail, ce qui signifie que les salarié(e)s qui travaillent actuellement ne seraient pas concerné(e)s par la réforme. 

D'ou le lien avec la clause du grand père propre au privilège des bouilleurs de cru.






(1) in l'Humanité du 7 janvier 2008.
(2) in la revue "population, 132 ème année, n° 3, 1958, éditions Persée.
(3) in https://www.senat.fr/questions/base/2005/qSEQ051020083.html
- décembre 01, 2019 1 commentaire:
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mercredi 20 novembre 2019

la minute de silence

Chaque commémoration, chaque hommage donne lieu à une minute de silence. Souvent, je me suis posé la question de savoir de quand datait cette tradition et quelle en était la raison. 
Je me suis donc décidé et je suis allé "surfer" sur internet, les différentes recherches dans mes bouquins n'ayant pas été vraiment concluantes.


La minute de silence était à l'origine un hommage collectif et unanime rendu à ceux qui étaient morts pour la patrie. Aujourd'hui encore, chacun se tient debout, les militaires au garde à vous. En l'occasion, nul ne saurait adopter une attitude nonchalante ou dilettante. 

Pour Patrick Boucheron*, historien, cela tien d'un rituel laïque. Ne rien dire, garder le silence ensemble s'assimile à une forme de prière non religieuse.


L'origine, pourtant, viendrait du Portugal, en 1912, lors de la mort d'un ministre brésilien, lequel ministre aurait été le premier à reconnaitre la République portugaise proclamée le 5 octobre 1910.

Mais c'est après la fin de la première guerre mondiale que cette minute de silence a été instituée. En Grande Bretagne: à la onzième heure du onzième jour du onzième mois de l'année 1919, le roi Georges V, reprenant l'idée d'un journaliste australien, Edward Poney, décide qu'à cet instant précis, chaque britannique et chaque membre du Commonwealth devra se figer pendant deux minutes en hommage à tous les soldats tués pendant la guerre.
Poney était scandalisé par les commémorations bruyantes, indignes selon lui et il proposait un silence de cinq minutes. Ce temps, jugé trop long, sera ramené à deux minutes, une pour les morts, l'autre pour les vivants.
Aujourd'hui encore, dans tout le Royaume Uni, ce sont deux minutes qui sont observées.

le président Poincaré à Londres observe les deux minutes de silence avec le roi Georges V en 1919
En France, une loi d'octobre 1919, sous la pression des anciens combattants, est votée pour la commémoration et la glorification des soldats morts au cours de la guerre. On tirera le canon et les cloches sonneront tous les 11 novembre: cette journée sera désormais celle de "la fête de la victoire et de la paix." Elle sera fériée et chômée. Mais ce n'est que le 11 novembre 1922 que sera respectée la minute de silence.

Cette année-là, sans doute parce que peu de gens étaient au courant parmi la foule très nombreuse autour de l'Arc de Triomphe, la minute de silence n'a pas été respectée. En conséquence, le Président de la République, Raymond Poincaré a fait observer une seconde minute qui, elle, sera respectée.

la minute de silence sur la tombe du Soldat Inconnu en 1923

Pour mémoire, au cours de cette guerre, la France avait perdu 1,5 million d'hommes, tués au combat ou morts de leurs blessures. Mais aussi elle comptait 600 000 veuves et 1 million d'orphelins.

Mes recherches sur cette minute de silence m'ont emmené vers les commémorations qui ont suivi la fin de cette guerre. Partout en France, dans chaque village, dans chaque ville, des fêtes ont été organisées: il fallait fêter la victoire, le retour des soldats et des prisonniers, mais aussi rendre hommage à ceux qui n'étaient pas revenus et à ceux qui revenaient éclopés, ceux que l'on a appelé les "gueules cassées."

À travers ces festivités, c'était l'Union Sacrée qui se trouvait prolongée. Cette Union Sacrée lancée dès le début de la guerre par le président Poincaré et qui rassembla, pour un temps, une bonne partie des partis politiques et des syndicats. Mais une Union Sacrée uniquement au niveau des citoyens, au niveau local: au niveau national, la politique et les partis avaient repris leurs droits.

Ces fêtes pourtant sont un mélange de joie et de douleur et cela pèse souvent sur l'ambiance. Pour les familles dont un proche a été tué, il ne peut y avoir qu'un rappel douloureux de l'absence de l'être aimé.

Souvent, le matin pour les morts: messe, dépôts de gerbes, recueillement. L'après midi, pour les poilus, les vivants, banquets, bals...

Dans son livre fort bien documenté, "la victoire endeuillée", Bruno Cabanes* cite une écrivaine, Jane Catulle-Mendès*, dont le fils a été tué en 1917. Elle appréhende la victoire, pourtant si ardemment désirée avant: "La victoire ne peut plus m'être un bonheur. Elle n'est plus qu'un droit, si grand, si triste." Le mois suivant, le 14 juillet 1917: "Je n'irai pas. La seule pensée de ces beaux soldats, pareils à lui, qu'on acclamera dans la lumière, me fait effondrer d'un irrépressible désespoir." (1)


Les drapeaux, eux aussi, ont une grande importance: à leur hampe sont accrochées des décorations, des citations, témoignages des troupes dans leurs combats victorieux. Ils symbolisent à eux seuls l'unité de la nation. En s'inclinant, c'est donc la nation toute entière qui rend alors hommage aux morts.

Ils sont aussi un motifs de fierté sinon d'orgueil pour les militaires survivants. Aujourd'hui encore, les drapeaux sont parties prenantes de toutes les cérémonies commémoratives et, pour celui ou celle qui porte le drapeau, c'est un honneur recherché.

drapeau de l'École des Mousses: Légion d'Honneur; Croix de guerre 14-18 et 39-45; Croix de guerre des théâtres d'opérations extérieures
Qu'en est-il aujourd'hui de cette minute de silence. Elle est toujours, à la limite plus que jamais, d'actualité. Pour les commémorations ou la fête nationale. Mais aussi pour beaucoup de manifestations, d'évènements tragiques. Ainsi lors des attentats commis en France ces dernières années, des minutes de silence ont été respectées partout, à la même heure. Même si certain(e)s se sont crus obligés de s'en abstraire. 
Parfois aussi, avant des compétions sportives: lors de la dernière coupe du monde de rugby au Japon, avant chaque match, une minute de silence en hommage aux victimes de l'ouragan qui avait traversé le pays auparavant.


Dans un tout autre ordre d'idée et pour finir sur une note humoristique, cette phrase trouvée par hasard sur internet:

"une minute de silence pour la grammaire qui meurt chaque jour sur les réseaux sociaux."



(1) in "la victoire endeuillée" de Bruno Cabanes, éditions du Seuil, collection Points Histoire, 2004, page 468.
- novembre 20, 2019 Aucun commentaire:
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samedi 16 novembre 2019

le mur de Berlin

Dans la nuit du 13 au 14 août 1961, le gouvernement est-allemand, avec l'accord du pacte de Varsovie, fait ériger un mur entre la partie occidentale dévolue à la France, aux États Unis et à la Grande Bretagne, et la partie orientale dévolue à l'URSS, officiellement "un mur de protection anti fasciste."

Il faut remonter un peu dans le temps pour comprendre ce qui a pu conduire à un tel évènement, c'est-à-dire à la conférence de Yalta en février 1945 qui a réuni le président américain Roosevelt, le premier ministre britannique Churchill et le président soviétique des commissaires du peuple Staline. Il y est décidé, entre autres, du partage de l'Allemagne en quatre zones: une dévolue à l'URSS, une autre aux USA, une autre à la Grande Bretagne et une autre à la France (la zone française étant prise sur celles des USA et de la GB).

Cette conférence prévoit également "un ordre mondial régit par le droit". Cela signifie que chaque pays libéré pourra choisir librement son régime politique et que des élections libres auront lieu dans chacun de ces pays. Staline approuve sans protester la proposition de Roosevelt.

On sait depuis 1947 ce qu'il est advenu de cet "ordre mondial régit par le droit" dans les pays de la zone d'influence soviétique...

En mai 1949, la République Fédérale d'Allemagne (RFA) est créée, avec Bonn pour capitale, les alliés occidentaux maintenant leur occupation militaire. 

La RFA intègre l'OTAN* en 1954 et a sa propre armée en 1955. Elle s'engage dans une politique de rapprochement avec la France, puis dans la création de la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier) en 1950, dans la CED (Communauté Européenne de Défense) et adhère à la CEE en mars 1957 (Communauté Économique Européenne). 

En octobre le même année, les soviétiques créent la République Démocratique d'Allemagne (RDA), avec un pouvoir communiste inféodé à Moscou, avec pour capitale Pankow, dans la banlieue de Berlin.
Elle choisit la planification soviétique et le collectivisme. Elle rejoint le COMECON* en septembre 1950 et le Pacte de Varsovie en mai 1955*, en réponse à l'adhésion de la RFA à l'OTAN l'année précédente.


En 1953, la situation économique en RDA est fortement dégradée. Des émeutes à Berlin éclatent, remettant en cause le pouvoir communiste. À la demande des autorités, les manifestation sont réprimées dans le sang par l'armée rouge.

Face aux situations politiques et économiques, les allemands de l'est fuient vers l'ouest. Jusqu'en 1961, on en comptera plus de 3,5 millions. Ce qui n'est pas sans conséquences économiques, démographiques et bien sûr politiques pour la RDA.


Staline est mort en mars 1953. Nikita Khrouchtchev lui succède après avoir éliminé Lavrenti Béria*, son principal concurrent. 

Le 24 février 1956, lors du XXème congrès du PCUS, il dévoile un rapport secret faisant état des crimes de Staline: c'est le début de la "déstalinisation". Les puissances occidentales et les peuples des démocraties populaires gouvernées par les partis communistes aux ordres de Moscou pensent que la politique de l'URSS va s'assouplir pour aller vers plus de démocratie. 

Il n'en est rien et le peuple hongrois en fera l'amère expérience quand sa tentative d'octobre novembre 1956 de chasser le pouvoir communiste local sera écrasée dans le sang, toujours par l'armée rouge. 

La politique de "coexistence pacifique" voulue par les gouvernements soviétiques depuis Staline montre ainsi ses limites.
L'éditorial non signé du Monde le 6 novembre 1956 se termine ainsi: "Quant à la détente entre les deux blocs, Moscou lui a porté un coup peut-être mortel. Alors qu'un lourd silence enveloppe la capitale hongroise, beaucoup, songeant au "coup de Budapest", évoquent "le coup de Prague" qui marqua le début de la guerre froide et l'accélération de la course aux armements." (1)


Le quotidien des berlinois, bien sûr, va en être bouleversée. Si, à ses débuts, le mur est assez rudimentaire, il va très vite se "perfectionner".

Des barbelés et des soldats (les Kampfgruppen der Arbeitklasse: groupes de combat de la classe ouvrière) vont, dès le 13 août 1961, très vite être remplacés par des poteaux de béton et des rangées de fils barbelés pour, à partir du 15 août être remplacés à leur tour par des plots de grande taille surmontés de deux rangés de moellons. 
Dans le même temps, toutes les habitations proches du mur sont vidées de leurs habitants. 

Toutes les lignes ferroviaires sont fermées sauf une. Les tunnels du métro sont bouchés. 

Au fil des années, l'imagination des dirigeants est allemands fera de ce mur un obstacle de plus en plus sophistiqué, impossible à franchir. Par exemple, pour résister à l'impact d'une voiture, les poteaux de béton (hauts de 3 à 4,5 mètres) qui enserrent les plaques de béton sont enfoncés à 75 cm dans le sol! Sans oublier un chemin de ronde parcouru nuit et jour par les VoPos* et des miradors équipés de puissants projecteurs, mais aussi des mines anti personnel. (en 1983, sous la pression internationale, ces mines seront retirées) .

Bref, une volonté paranoïaque de tout mettre place pour que ce mur soit infranchissable.

136 personnes paieront de leur vie* leur tentative de passer à l'ouest. Plus nombreuses dans les cinq premières années. La plupart seront abattues par les VoPos. 
Ces militaires forment une troupe particulièrement politisée, ce qui est logique puisque leurs missions consistent, par tous les moyens, à empêcher leurs concitoyens de passer à l'ouest. Dans leur formation, si les questions militaires sont importantes, les questions politiques le sont tout autant au moins, sinon plus. Dans la mesure où elles servent au plus près de la frontière, les troupes affectées à la surveillance du mur se doivent d'être particulièrement sures.

Le mur de Berlin perdurera jusqu'au 9 novembre 1989.

Comme sa construction a été la conséquence d'une affirmation - illusoire - du régime communiste, son ouverture a été la conséquence de la dégénérescence des régimes communistes en Pologne, en Hongrie, sans oublier la perestroïka et la glasnost à Moscou. Et bien sûr, les Montagsdemonstrationen* qui, tous les lundi réunissaient des dizaines de milliers de manifestants aux cris de "wir sind das Volk", "nous sommes le peuple" à Leipzig d'abord, puis ensuite dans toutes les villes de la RDA. 

Ces manifestations, pacifiques, initiées par des pasteurs ont grandement contribué à remettre en cause le pouvoir communiste et à ouvrir la voie à la chute du mur dans un premier temps et à la réunification de d'Allemagne dans un second temps.


Les démocraties du monde entier en général, l'Allemagne en particulier ont célébré la chute de ce symbole de l'impuissance politique d'un régime qui n'avait d'autre légitimité que celle qui lui avait donnée Staline.

Impuissance politique parce que en être réduit à tout faire, même l'impensable, pour que son peuple ne fuit pas à l'étranger est la marque d'un pouvoir illégitime tyrannique.


Pour écrire ce billet, j'ai consulté quelques revues et livres que j'ai dans ma bibliothèque, internet bien évidemment, mais aussi le premier numéro de la "Revue d'Histoire Européenne."



(1) in "Staline dépassé", éditorial du Monde du 6 novembre 1956, "la guerre froide, 1944 - 1994, numéro spécial des dossiers et documents du Monde, octobre 1994, page 57
- novembre 16, 2019 Aucun commentaire:
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jeudi 31 octobre 2019

le massacre de la Glacière, le 16 octobre 1791.


Au palais des papes d'Avignon, Ernest Pignon Ernest* expose ses oeuvres jusqu'au 29 février 2020. Si je connaissais de renom cet artiste, inventeur du "street art", j'ignorais tout ou presque de son travail, de ses collages et de ses dessins. Témoin rigoureux et implacable de son temps, il met celui ou celle qui regarde ses dessins en face des réalités. De l'apartheid à la prison Saint Paul de Lyon, de Pasolini à Rimbaud ou Genet, des expulsions, de Naples à Soweto ou Ramallah, il colle sur les murs des villes des existences douloureuses.




Mais l'objet de mon billet d'aujourd'hui n'est pas cet artiste, mais de ce que j'ai découvert en traversant les immenses salles su Palais des Papes, à savoir le massacre dit de la glacière, perpétré dans la nuit du 16 au 17 octobre 1791, donc au mi temps de notre Révolution et avant le commencement de la Terreur.

Derrière ce massacre, il y a comme point de départ, sinon comme motif, le rattachement d'Avignon et Comtat Venaissin, formant les États Pontificaux, à la République.




Sans rentrer complètement dans les détails, il faut remonter dans le temps pour comprendre l'originalité de ces deux entités à la fois politiques, économiques et géographiques.


En 1274, Philippe III, fils de Louis IX, donne le Comtat Vénaissin au pape Grégoire X. Philippe IV, dit le Bel, dès son couronnement en 1285, entre en conflit ouvert avec le pape Boniface VIII pour des raisons avant tout fiscales. Le pape menace le roi de France d'excommunication, mais meurt en 1303. S'ensuit d'interminables palabres et conflits pour lui élire un successeur. En 1305, Clément V est élu pontife et, pour fuir les querelles, complots et autres intrigues de Rome, décide de s"installer à Avignon avec l'aval de Philippe le Bel et après avoir, avec lui, mis en place ce qui devait conduire à la disparition de l'ordre des Templiers.

Sept papes, tous français, se succédèrent à Avignon, de 1305 à 1377.



La prise de la Bastille le 14 juillet 1789 fut le point de départ de la Révolution Française. Si à Paris, les insurgés n'inspiraient pas encore de grandes craintes, il n'en était pas de même en province où "la Grande Peur" s'installa partout sur le territoire. Le Comtat Venessain organisa des milices bourgeoises.


Pour diverses raisons, fiscales entre autres, l'agitation prit rapidement de l'ampleur à tel point que certains habitants du Comtat exigèrent de leurs seigneurs non seulement la baisse ou l'annulation des taxes, mais aussi qu'ils portent la cocarde tricolore.

L'idée de rattacher le Comtat Venaissin à la France, déjà dans les têtes de bien des gens avant même le 14 juillet 1789, prend une nouvelle force mais surtout une nouvelle forme, plus radicale. 

En 1790 et en 1791, les demandes de rattachement à la France se mêlaient aux revendications fiscales et contre la vie chère. Ce que l'on aurait pu appeler des querelles de clochers évoluèrent rapidement vers une forme de violence qui débordait le cadre politique traditionnel, sans pour autant en vraiment sortir. 

Le 7 février 1791, 25 communes du Comtat demandèrent à être rattachées à la France. Mais, à Paris, le moins que l'on puisse dire, c'est que les députés de la Constituante n'y sont pas spécialement favorables: il y a des décisions à prendre bien plus importantes. En effet, Louis XVI a été rattrapé à Varennes le 21 juin 1791 et il faut statuer sur son avenir; il faut également finaliser la Première Constitution et mettre en place la future Assemblée Législative.

C'est donc le 22 septembre 1791 que les députés de la Constituante vote le rattachement du Comtat Venessain à la France.

Michelet, dans sa monumentale "Histoire de la Révolution Française" écrit: Le parti français d'Avignon se fit Français, il faut le dire, sans la France et malgré la France. Il lui rendit, en dépit d'elle, un service signalé." (1)

François Furet, lui, note: "En Avignon, vieille terre pontificale, elle (la Constituante) a attendu jusqu'à septembre 1791, tout à la fin de son mandat, pour prononcer une annexion ratifiée d'avance par la population, qui la réclame depuis deux ans. C'est le conflit avec le pape à propos de la Constitution Civile du clergé qui a conduit les députés à entériner le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes." (2)





le lynchage de Nicolas Lescuyer

Auparavant, à Avignon, les évènements se précipitent: le 21 août 1791, la municipalité d'Avignon est renversée par un colonel de la garde nationale. Une nouvelle administration municipale est alors mise en place: parmi elle, Mathieu Jouve-Jourdan*, dit Coupe-Têtes, ainsi surnommé parce qu'il se vantait d'avoir coupé la tête du gouverneur de la Bastille. Mais surtout Nicolas Jean Baptiste Lescuyer*, secrétaire greffier de la commune d'Avignon.


Les papistes, partisans du pape et farouchement opposés tant au rattachement à la France qu'aux révolutionnaires, firent courir le bruit que les trésors de l'église avaient été confisqués et récupérés par les nouveaux administrateurs de la commune. Bruits totalement faux bien sûr, mais qui n'empêchèrent pas leurs partisans de protester violemment. Nicolas Lescuyer tenta vainement de les calmer en expliquant les réalités, mais il fut lynché par la foule. 

Michelet décrit la scène: "La foule en envoya quatre pour appréhender Léscuyer, le forcer de venir. (...) Il monta en chaire, ferme et froid d'abord. "Mes frères, dit-il avec courage, j'ai cru la Révolution nécessaire; j'ai agit de tout mon pouvoir." (...) Mais on l'arracha de le chaire, et dès lors, il était perdu. Jeté à la meute aboyante, on le tira vers la vierge. (...) Le pauvre Lescuyer, misérable objet du débat,n'espérant rien (...) Mais, à ce moment, un ouvrier taffetassier lui assène un coup si raide que le baton fut brisé et vola en deux.(...) Un terrible éclat de rire s'éleva, et on ne le toucha plus, pour qu'il savourât la mort toute entière."(3)



Bien sûr, la réaction des "patriotes" ne va pas tarder. Jean Baptiste Jourdan, futur maréchal d'empire et le colonel de la Garde Nationale incarcèrent soixante personnes, plus ou moins au hasard: certaines d'entre elles n'ont pas participé , de près ou de loin, au lynchage de Lescuyer.

Un simulacre de procès fut mis en place, très vite abandonné.

Puis, sous la direction du fils Lescuyer, 16 ans et de Jourdan Coupe-Têtes, les soixante incarcérés sont massacrés un par un et leurs corps jetés dans une tour, dite de la Glacière, en fait les latrines du palais, irrigués par les eaux et filant directement vers le Rhône. Il est à noter que Coupe-Têtes fut condamné par le tribunal révolutionnaire et guillotiné le 27 mai 1794.



Cette tuerie surprend par le fait que la vengeance s'est transformée en lynchage. Les "autorités", par lâcheté, ont été les complices d'une foule aveugle et grégaire. 


Mais au-delà de ce lynchage, il faut aussi s'interroger: était-ce le signe avant coureur de la Terreur, laquelle fut décidée par la Convention le 5 septembre 1793 en mettant, je cite, "la terreur à l'ordre du jour."

Mais la terreur n'a t-elle pas commencé avant, en septembre 1792 par exemple, quand des centaines de prisonniers dans différentes prisons de Paris et de grandes villes de France furent massacrés par des foules, elles aussi, aveugles et grégaires. 
À la limite, la terreur aurait pu commencer dès le 14 juillet 1789 avec les massacres des gardes suisses de la Bastille et de son gouverneur.



le tribunal révolutionnaire



Pourtant, il n'en est rien. 

"La terreur à l'ordre du jour", c'est-à-dire que ce sont les députés de la Convention qui l'ont décidé et donc institutionnalisée. La Patrie était en danger, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur et donc il fallait réduire les ennemis de la Révolution. Par tout les moyens. Même les pires.

Saint-Just, bras droit de Robespierre, membres tous les deux du Grand Comité après l'exécution de Danton et de ses amis, déclare le 10 octobre 1793: "Il n’y a point de prospérité à espérer tant que le dernier ennemi de la liberté respirera. Vous avez à punir non seulement les traîtres, mais les indifférents mêmes : vous avez à punir quiconque est passif dans la République et ne fait rien pour elle." 

Donc, parce que les souverains étrangers menacent, que les royalistes sont plus que jamais à l'affut, parce que la contre révolution n'a jamais baissé les bras, les révolutionnaires décident d'entraver les libertés, de les tuer même. Alors qu'ils avaient fait la Révolution pour ces libertés que leur refusait l'ancien régime. C'est un paradoxe que de vouloir supprimer la liberté au nom de la liberté. 


Hélas, ce paradoxe est encore d'actualité.
(1) in "Histoire de la Révolution Française", de Jules Michelet, livre IV, chapitre II, page 788, éditions Gallimard, bibliothèque de La Pléiade, 1952.
(2) in "la Révolution Française" de François Furet, page 328, éditions Gallimard pour les éditions GLM, 1978.
(3) ibid Michelet, page 805 et 806.

- octobre 31, 2019 Aucun commentaire:
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lundi 1 juillet 2019

"Emile Combes ou le mystérieux médaillon de la Chapelle du Bard", conférence proposée par Claude Bachelier


- juillet 01, 2019 Aucun commentaire:
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vendredi 28 juin 2019

Dominique VOISENON et Claude BACHELIER













Dominique VOISENON et Claude BACHELIER






Avec Dominique Voisenon, , le 14 juin 2019, j’ai reçu des mains de Philippe Langénieux-Villard, maire d’Allevard , la médaille de la Ville, Dominique en tant que Président des Amis des Musées du Pays d’Allevard (AMPA) et moi en tant que membre de l’AMPA et de l’équipe des bénévoles de la Bibliothèque pour Tous d’Allevard.

Ci-après, le discours de Philippe Langénieux-Villard, puis ensuite, le mien.


« Lorsque Jacques-Yves Cousteau a dû entamer son discours de réception à l’Académie Française, il se trouva fort dépourvu, cher Claude Bachelier, vous qui connaissez la mer.

L’explorateur sous-marin succédait à Jean Delay, psychophysiologue, qu’il n’avait jamais rencontré ni lu et dont il lui revenait de faire l’éloge.
Son discours commençait en conséquence par le vouvoiement de mise. Il s’achevait pourtant dans un tutoiement complice.
À force de chercher à comprendre son prédécesseur, il était parvenu à l’admirer.


L’admiration, dans cette société de certitudes jalouses, est devenue un sentiment trop rare, trop enfoui.
Cette petite cérémonie veut lutter contre l’indifférence confortable ou la reconnaissance muette que nous opposons trop souvent aux engagements exemplaires.

Cette médaille n’est ni le fait du prince ni le fait du hasard.
Ce n’est pas quelque chose de banal.
Elle est décernée à l’issue d’un Conseil Municipal qui fut unanime pour chacun d’entre vous.

En règle générale, la remise est individuelle. A votre demande, elle vous associe alors qu’à première vue, il n’y a aucun point commun entre vous:
– prénoms androgynes,
– le marin,
– l’ingénieur de bureaux d’études,
– l’auteur des « Mémoires d’un tueur ordinaire»,
– le défenseur de la mémoire industrielle de Poitiers, Noisiel et Allevard,
– l’explorateur de la Chine, du Brésil, de Madagascar, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée Bissau…
– le président de copropriété investi dans la création de la ville nouvelle de Marne la Vallée,
– le diplômé de Sciences Po qui cherche « plus un maitre à réfléchir qu’un maitre à penser » et qui expose dans son blog ses doutes, ses craintes et ses espoirs,
– l’ancien élève de l’École Freinet qui a fouillé dans le passé du pharmacien et chocolatier Antoine Brutus MEUNIER, inventeur de la tablette de chocolat et dont l’usine est aujourd’hui le siège de Nestlé.

Mais pourtant,
– une installation choisie à Allevard depuis plus de quinze ans,
– un investissement immédiat dans la vie culturelle de notre commune,
– une curiosité partagée pour tout ce qui touche au patrimoine et à la société des Hommes,
– du temps offert aux autres bénévolement avec la simple joie de rencontres enrichissantes,
– la création d’animations, d’échanges, d’informations, de conférences sur tout ce qui touche aux Hommes, à leurs idées, à leur travail, à leur passé, à leurs passions.

Claude Bachelier, partageux, partisan de partager les biens immatériels selon la définition de l’Académie de 1932;
Dominique Voisenon, passeur de rêves et de ballons.

On vous doit, pèle mêle:
– la mise en place de rencontres d’auteurs à la Bibliothèque pour tous,
– la création « d’ambulances » historiennes dans les rues
– la venue du Procureur Jean Olivier VIOUT, celle, prochaine, d’Henri OBERDORFF, Président de l’Université Populaire Européenne de Grenoble,
– l’identification et la protection de documents d’archives et de pièces muséales,
– le soutien vigilant de la commission du Musée,
– l’accueil permanent des élèves des écoles,
– la présence assidue et bienveillante à tous les efforts vers l’art, la culture, les artistes,
– les incontournables conférences des Amis du Musée à la Tour des Décors.

Nous vous devons aussi une forme d’engagement civique supérieur parce que rien ne vous est indifférent et parce que vous y participez avec une distance d’expression que certains jugent de la prudence et que je qualifie d’élégance.

Vous proposez, vous faites.

Vous vous méfiez des séductions et des apparences.

Vous défendez une approche humaniste de la société qui a plus que jamais besoin de la boussole du marin et des repères de notre histoire.

J’ajoute à ces qualités quelques preuves intangibles que je veux saluer au moment de conclure: sans le soutien de vos épouses et et de vos cinq enfants, vous ne seriez pas les mêmes. 

Je tiens à saluer Anne pour son immense talent et donc, son immense humilité. 

Et ce soir Dominique, je voudrais de tout coeur qu’il y ait un silence, là-haut, qui vous parle.
Merci à tous les deux.
Vive Allevard. »

et le mien:

Lorsque j’ai reçu votre lettre, Monsieur le Maire, j’ai été profondément troublé. D’ailleurs je vous l’ai écrit.

En effet, qu’avais-je fait, qu’ai-je fait pour mériter une telle distinction ?

J’ai appris peu après que le président Voisenon la recevait lui aussi ; et donc à défaut de répondre à mes interrogations, cela m’a quelque peu rassuré.

Je ne vous cache pas que j’ai eu la tentation, certes fugace, de ne pas l’accepter.

Mais bon, mis à part le fait que je ne suis pas Jean Paul Sartre, refuser cette médaille aurait été faire injure à votre personne, faire injure à votre fonction, mais aussi faire injure à l’ensemble du Conseil Municipal qui a voté à l’unanimité l’attribution de cette médaille de la ville.

Et il me semble qu’à travers ma personne, c’est aussi l’ensemble des bénévoles de la bibliothèque et des Amis du musée qui est honoré.

Alors, oui, j’ai accepté, j’accepte cette médaille avec beaucoup de bonheur, une certaine fierté, mais aussi, mais surtout beaucoup d’humilité.

A la place qui est la mienne, au sein de la bibliothèque et de l’AMPA, je continuerai d’assurer les permanences et de travailler pour mettre en œuvre tous nos projets pour les habitants de ce village qui nous a si bien  accueilli, Anne et moi, il y a presque 25 ans.

Avant de conclure, permettez moi de rendre hommage à Anne qui me soutient avec discrétion et bienveillance dans mes actions associatives.

Merci du fond du cœur à vous tous qui êtes ici ce soir, à mes amis, venus en nombre, certains d’entre vous d’assez loin, merci à vous, votre présence me fait chaud au cœur.

Merci à vous Monsieur le maire et à vous Mmes et Mrs du Conseil Municipal de m’avoir fait cet immense honneur de me donner la médaille du village d’Allevard les Bains.







- juin 28, 2019 Aucun commentaire:
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lundi 11 mars 2019




Iossif Vissarionovitch Djougachvili, ou si vous préférez Joseph STALINE, est mort le 5 mars 1953. Il y a donc soixante six ans.
Il a été beaucoup dit, beaucoup écrit sur cet homme qui a donné, bien involontairement, son nom à une variante du totalitarisme: le stalinisme.

Avant d'aborder sa mort et les réactions qu'elle a suscitées, quelques lignes sur le parcours de cet homme que rien, à priori, ne destinait au destin qui a été le sien.

Il est né en décembre 1878 en Géorgie, d'une famille de petit artisan. Sa mère, très religieuse, l'oblige à rentrer au séminaire, mais il en est expulsé à l'âge de vingt ans.
Il va très vite militer dans des organisations révolutionnaires, ce qui lui vaut de multiples arrestations et de nombreux séjours en Sibérie.
Entre deux arrestations, il rencontre Lénine à plusieurs reprises. En 1917, de retour d'un exil sibérien, il prend la direction du parti bolchévique à Pétrograd.
Même s'il a un rôle relativement mineur pendant les deux révolutions, il travaille directement et discrètement sous les ordres de Lénine. Il y a au sujet des relations entre les deux hommes des avis contradictoires: pour les uns, Lénine* appréciait Staline au point de le définir en 1911 comme "le merveilleux georgien; mais pour la grande majorité des autres, dans son testament, Lénine reprochait à Staline sa brutalité et proposait de le destituer de son poste.

Après la mort du père de la révolution bolchévique en 1924, Staline est à la tête du parti communiste et écarte tous ceux qu'il estime lui être hostile. Au premier rang de ceux-ci Trotsky* qu'il fait exiler en 1929 et assassiner en 1940.

Au début des années 30, il met en place la collectivisation des terres; ce qui a pour effet la déportation en Sibérie de deux millions de "koulaks"*, accusés d'être des propriétaires et donc des exploiteurs. Mais aussi une famine qu'il a, sinon organisée, en tout cas encouragée, famine qui a causé la mort de plusieurs millions de paysans.

Les grandes purges qu'il mettra en place entre 1936 et 1938 lui permettent d'éliminer toutes personnes suspectées d'opposition et/ou de "déviationnisme"; parmi elle une grande partie des hauts gradés de l'Armée Rouge.

En matière de politique étrangère, il impose aux autres partis communistes la politique dite "classe contre classe", son principal ennemi étant la social démocratie.

Prétextant une mauvaise volonté de la France et du Royaume Uni à l'égard de l'URSS, il signe le pacte germano-soviétique le 23 août 1939, pacte qui prévoit le partage de la Pologne entre les deux dictatures et l'annexion par l'URSS des Pays Baltes.

L'Allemagne nazie attaque l'URSS en juin 1941, mais est mise en échec sans atteindre ses objectifs: Moscou, Léningrad et Rostov. Encerclée et vaincue à Stalingrad, l'armée allemande commence alors la retraite qui amènera l'Armée Rouge au coeur de Berlin, alors qu'à l'ouest, les armées alliées ont débarqué en Normandie, en Provence et en Italie.
Le 8 mai 1945, l'Allemagne nazie capitule.
Le prestige et l'autorité de Staline sont les grands vainqueurs de cette guerre.

W. Churchill, H. Truman, J. Staline


En Août 1945, la conférence de Postdam* qui réunit Churchill*, Truman* et Staline décide des zones d'influence: l'Europe de l'ouest aux alliés occidentaux; celle de l'est à l'URSS. En quelques années, les régimes communistes s'imposent dans les démocraties populaires sous l'autorité sans appel de Staline.
La mort de Staline en 1953 entrainera un timide début de "déstalinisation", mais n'empêchera nullement l'écrasement des révoltes populaires contre les partis communistes au pouvoir, à Berlin en juin 1953; à Budapest en octobre 1956 et à Prague en août 1968.


crédit photo: Rue des Archives/Rue des Archives/Tallandier[/caption]






 LES RÉACTIONS EN FRANCE

"Le petit père des peuples" ou "vodj" ("le guide" en russe) s'éteint donc le 5 mars 1953, officiellement suite à une hémorragie cérébrale.
L'Humanité, "l'organe central du Parti Communiste Français", annonce en une la mort du "grand Staline".
Il faut dire que le dictateur est l'objet d'un véritable culte, particulièrement en France, au sein des communistes.

Maurice Thorez et sa femme Jeannette Vermeersch

Maurice Thorez*, alors secrétaire général du PCF, écrit dans son autobiographie "Fils du peuple" après sa rencontre avec Staline en 1925: "Lors de mon premier voyage à Moscou, j'avais eu le rare bonheur de voir et d'entendre le camarade Staline. (...) La veille de notre départ, le camarade Staline reçut notre délégation. Sa cordialité souriante nous mis à l'aise dès l'abord. Une pensée que Staline exprima ce jour-là est restée gravé dans ma mémoire: "l'influence réelle d'un Parti se mesure aux actions qu'il est capable d'organiser de diriger." (1)

Paul Eluard* publiera en 1950 un recueil de poèmes, "Hommages" dans lequel il écrit ceci:
« Staline dans le coeur des hommes
Sous sa forme mortelle avec des cheveux gris
Brûlant d’un feu sanguin dans la vigne des hommes
Staline récompense les meilleurs des hommes
Et rend à leurs travaux la vertu du plaisir
Car travailler pour vivre est agir sur la vie
Car la vie et les hommes ont élu Staline
Pour figurer sur terre leurs espoirs sans bornes.
Et Staline pour nous est présent pour demain
Et Staline dissipe aujourd’hui le malheur
La confiance est le fruit de son cerveau d’amour
La grappe raisonnable tant elle est parfaite. »

Tout de suite après la mort de Staline, Aragon*, directeur des "Lettres Françaises" demande à Picasso de dessiner un portrait du défunt. Dans le numéro du 12 mars 1953,qui rend compte de la mort de Staline, il écrit: "
« La France doit à Staline tout ce que, depuis qu’il est à la tête du parti bolchevik, il a fait pour rendre invincible le peuple soviétique, et dans son armée rouge, et dans sa confiance en Staline, l’homme qui disait que gouverner c’est prévoir, et qui a toujours prévu juste... La France doit à Staline son existence de nation pour toutes les raisons que Staline a données aux hommes soviétiques d’aimer la paix, de haïr le fascisme, et particulièrement pour la constitution stalinienne, qui est une de ces raisons, pour lesquelles un grand peuple peut également vivre et mourir. (2)
Merci à Staline pour ces hommes qui se sont forgés à son exemple, selon sa pensée, la théorie et la pratique stalinienne ! "(2)

Ce dessin ne plaira pas à la direction du PCF qui le fait savoir dans l'Humanité du 18 mars: «Le Secrétariat du Parti communiste français désapprouve catégoriquement la publication dans Les Lettres françaises du 12 mars du portrait du grand Staline par le camarade Picasso."(2)
A Paris, le siège du PCF est drapé de noir. Partout dans le pays, les communistes organisent des manifestations en l'honneur de Staline.


Les plus hautes autorités de l'État rendent elles aussi hommage au dirigeant communiste: ainsi, Edouard Herriot*, président de l'Assemblée Nationale, impose t-il aux députés une minute de silence "au vainqueur d'Hitler et au modernisateur de l'Union Soviétique."

Aimé Césaire*, le poète martiniquais, y va lui aussi de son éloge: "Je suis originaire d'un petit pays qui souffre sous le joug du régime colonial. Mais j'ai visité l'Union soviétique, et je sais que la cause de la paix et de la libération nationale, la cause pour laquelle se bat le peuple de ma patrie et les peuples opprimés dans toutes les parties du monde, triomphera, car elle est indissolublement liée aux grandes idées de Lénine et de Staline ! »
Le général de Gaulle, alors président du RPF, envoie un télégramme à Mr Molotov*,  vice-président du Conseil des commissaires du peuple, télégramme de circonstance il est vrai, mais qui ne mentionne que le rôle de Staline pendant la guerre: "... Le nom de Staline restera toujours attaché au souvenir de la grande lutte menée en commun jusqu'à la Victoire par les peuples de l'URSS, le peuple français et les peuples alliés." (3)

La relation de Staline aux français communistes relève quasiment d'une relation filiale: dans presque tous les logements des familles, le portrait de Staline, orné d'un crêpe noir, trône dans la salle à manger. Des objets divers, confectionnés au sein de ces familles, sont envoyés aux sièges des différents comités départementaux et sont exposés comme un ultime hommage des camarades au petit père des peuples.

L'Humanité du 11 mars souligne, sous la plume de Pierre Courtade*: "Le peuple de France prenant le deuil en même temps que le peuple de l'Union Soviétique; tant de silence accumulés à travers le pays entier au moment où les canons soviétiques saluaient l'arrivée du corps de Staline au mausolée de la Place Rouge." (4)

A l'exception bien sûr de l'Humanité, la presse française rend compte du décès de Staline de façon sinon neutre, en tout cas sans grandes envolées lyriques.

Ainsi le Figaro se contentant de citer les médias officiels soviétiques: "Radio-Moscou transmit d'abord, comme d'habitude, la sonnerie des cloches de la grande tour du Kremlin. Puis vint l'hymne national soviétique. Enfin, le speaker a commencé la lente lecture du communiqué officiel rédigé au nom du Comité central du parti, du Conseil des ministres et du Præsidium du Conseil suprême: «Le cœur du camarade Staline, continuateur inspiré de la volonté de Lénine, guide et éducateur du parti communiste et des peuples soviétiques, a cessé de battre.» Aussitôt après cette lecture, Radio-Moscou a diffusé le solennel dernier mouvement de la «Symphonie pathétique», de Tchaïkovski."
Le Monde, daté du 7 mars 1953, dans un éditorial titré "l'homme et son héritage",  sans doute sous la plume de son fondateur Hubert Beuve-Méry*, pointe la volonté implacable de Staline et leurs conséquences: "La poursuite de ce bonheur mathématique a peuplé les camps de concentration et les charniers; elle a transformé des millions d’hommes en robots civils ou militaires. Elle en a réduit d’autres au rôle de thuriféraires dépourvus de la plus élémentaire dignité."

France-Soir consacre toute sa une au décès de Staline. "La mort de Staline survenue à Moscou à 19h50 a été connue à 2h09. Le corps du maréchal, qui sera embaumé, va être exposé à la Maison des syndicats. Les Russes s'attendaient à une issue fatale. L'hémorragie cérébrale qui l'avait frappé "avait étendu ses effets jusqu'au coeur, entraînant un désordre aigü du système cardio-vasculaire et aggravant les difficultés de respiration. Staline est mort sans avoir repris connaissance".  Puis, il reprend le communiqué des autorités soviétiques: "Le coeur du camarade de Lénine et continuateur inspiré de sa volonté, chef avisé et maître du Parti communiste et du peuple soviétique Joseph Vissarionovitch Staline, a cessé de battre". Le journaliste chargé des questions diplomatiques s'interroge "sur le mystère de la succession de Staline".

Mis à part les militants et l'appareil du PCF, le décès de Joseph Staline n'a pas été ressenti comme une perte. Certes, il faisait partie des vainqueurs, mais sa main mise sur les pays de l'est, les procès fabriqués à la chaine faisaient de lui un repoussoir. Pourtant, bien peu de gens connaissait l'étendue des crimes staliniens. Les intellectuels, dont la raison d'être est justement  d'être lucide et curieux, ont été aveuglés par l'idéologie communiste et par le culte de la personne de Staline. A cette époque, bien peu d'entre eux s'en sont détournés et ont cessé d'être des "compagnons de route."

Staline disparu, le stalinisme a t-il disparu avec lui? Sans  doute. Pour autant, le régime imposé par Mao Zédoung en Chine, ou par la famille Kim en Corée du Nord ou par Henver Hodja en Albanie, ces régimes ont de fortes concordances avec celui du "petit père des peuples": parti unique, contrôle absolu de l'État, culte du chef, terreur et crimes de masse, idéologie obligatoire.

Pour conclure cet article, permettez moi de citer Laure Adler* dans son excellent ouvrage "dans les pas de Hannah Arendt".
"Pour elle (Hannah Arendt), le totalitarisme, par essence, diffère de la tyrannie et de la dictature. Il brise la tradition, la justice, la morale, le sens commun. (...) Essence de la domination totalitaire, le terreur dispose de son propre tribunal où ne sont plus jugés des coupables ou des innocents, mais des exécutants ou des opposants à la loi historique ou naturelle." (5)

Staline a mis en place un régime totalitaire dès sa prise de pouvoir qu'il a consolidé jusqu'à sa mort. Il est malgré tout surprenant, voire incompréhensible, que des milliers de personnes à travers le monde aient idolâtré cet homme. Et encore plus surprenant et tout aussi incompréhensible qu'aujourd'hui encore beaucoup rechignent à faire le procès et de l'homme et de son régime.

  • clic sur le lien
(1) in "Fils du peuple" de Maurice Thorez, éditions sociales, 1949, page 51.
(2) in le blog de Philippe Solers: http://www.pileface.com/sollersdu 4 mars 2013.
(3) in "Charles de Gaulle, lettres notes et carnets, 1942 - mai 1958" éditions Robert Laffont, collection Bouquins, page 1110.
(4) in "la liturgie funèbre des communistes 1924 - 1983" de  Jean-Pierre A. Bernard, article dans Persée, 1986, page 44.
(5) in "dans les pas de Hannah Arendt" de laure Adler, éditions Gallimard, 2005, page 360.
- mars 11, 2019 Aucun commentaire:
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