Comme leurs prédécesseurs, ces
deux présidents s'en tinrent à leurs domaines de compétences, sans
jamais empiéter sur les prérogatives des différents gouvernements. Comme
leurs fonctions les y obligeaient de par la Constitution. Pour autant,
ils ne restèrent pas immobiles et surent intervenir pour donner les
impulsions nécessaires en fonction des circonstances.
Armand FALLIERES |
Armand FALLIERES: 1841 - 1931.Président de février 1906 à février 1913.
Originaire
d'une famille modeste de vignerons dans le Lot-et-Garonne, il devient
avocat. Maire, conseiller général, député sur les bancs de la gauche
républicaine, sénateur, ministre, Président du Sénat et Président du
Conseil en 1883, il gravit tous les échelons de la vie politique avant
d'accéder à la magistrature suprême devançant Paul Doumer de 78 voix.
Armand
Fallières est un abolitionniste convaincu. Dès son accession à la
présidence, soutenu par Jean Jaurès et Paul Deschanel, il fait présenter
par le gouvernement Clémenceau un projet de loi abolissant la peine de
mort, sauf pour les crimes relevant de la justice militaire en temps de
guerre. Mais une campagne de presse suite à l'assassinat d'une enfant en
1907 fait capoter le projet. Il faudra attendre 1981 pour que la "bascule à Charlot" soit envoyée au placard. A. Fallières gracie systématiquement tous les condamnés à mort pendant l'essentiel de son mandat.
C'est
pendant son septennat que cette période appelée "la Belle Epoque"
marquera son apogée. La révolution industrielle, commencée dans les
années 1880 - 1890, continue sur sa lancée: les nombreuses découvertes
scientifiques de la fin du XIX ème siècle sont mises en application et
bouleversent le quotidien: l'électricité, les moteurs à explosion, bien
maîtrisés, permettent l'utilisation permanente des trains, des voitures,
des métros; l'aviation, embryonnaire, se développe très vite. L'art,
lui aussi, apporte sa révolution: le cubisme avec Picasso ou Braque, le
fauvisme avec Matisse ou Derain; la musique avec Ravel ou Stravinsky; la
littérature avec Proust ou Gide. Sans oublier l'art nouveau avec
Lalique ou Tiffany.
Mais
cette révolution industrielle, si elle permet l'enrichissement d'une
bourgeoisie, n'améliore en rien le quotidien d'une classe ouvrière
soumise à de très dures conditions de travail et à des salaires de
misère.
Aussi,
le gouvernement de G. Clémenceau (le plus long de la III ème
République) créé en 1906 le ministère du travail et le ministère de
l'hygiène publique, chargés de mettre en place les lois sociales
concernant l'organisation du travail; le repos hebdomadaire est institué
et rendu effectif; mise en place des retraites ouvrières et paysannes:
c'est l'Etat qui organise le système par capitalisation, mais hostilité
de la CGT et méfiance du patronat; la loi donne à une femme salariée la
libre disposition de son salaire; retraites des cheminots à partir de 55
ans. Ces réformes sont essentielles et vont changer profondément le
salariat et la condition des métayers.
Alfred
Dreyfus sera définitivement réhabilité en juillet 1906 et réintégré
dans l'armée. Les cendres d'Emile Zola, un de ses principaux défenseurs,
seront transférées au Panthéon en 1908.
C'est pendant son septennat, en 1912, que le Maroc passera sous protectorat français, bien après après la crise de Tanger de 1905 où la France et l'Allemagne faillirent de nouveau s'affronter.
La
loi de la séparation des églises et de l'Etat votée le 9 décembre 1905
commence à s'appliquer dès le début du septennat. Non sans protestations
des fidèles, du clergé et du Vatican. Aristide Briand, ministre de
l'éducation et des cultes, dans le ministère Clémenceau, ne faillira pas
à sa tâche, particulièrement dans l'affaire de l'inventaire des biens
des églises. Pour autant, cela entraînera quelques frictions avec le
Président du Conseil: ce dernier, en effet, n'est pas partisan d'un Etat
laïque: "je refuse l'omnipotence de l'Etat laïque parce que j'y vois une tyrannie." (1) Et Pierre Miquel d'ajouter: "il
déteste autant les apôtres de la raison que ceux de la Sainte Vierge.
Il ne veut pas transférer la puissance spirituelle du pape à l'Etat."
(1)
A.
Fallières aura été l'un des Présidents les plus populaires: sa
simplicité, sa façon de vivre son mandat sans affectation particulière,
sa bonhomie auront fait de lui une personnalité sympathique et "proche
des gens." Sans oublier certaines de ses formules restées célèbres.
Ainsi, à son successeur, le 13 janvier 1913, il confie, en parlant de la
fonction présidentielle: "la place n'est pas mauvaise, mais il n'y a pas d'avancement." (2)
Raymond POINCARE en 1914 |
Raymond POINCARE: 1860 - 1934. Président de janvier 1913 à février 1920.
D'origine
bourgeoise, R. Poincaré est d'abord avocat (il défendra Jules Vernes)
avant que d'entrer en politique: député à 27 ans, ministre, académicien,
Président du Conseil, Président de la République à 52 ans. Il aura à
affronter pendant son mandat toutes les conséquences de la première
guerre mondiale.
Pressentant
la guerre avec l'Allemagne, il sera l'artisan de la "loi de trois ans",
votée en juillet 1913, loi qui institue un service militaire de trois
ans pour les hommes à partir de l'âge de 20 ans. Loi à laquelle s'était
opposée Jean Jaurès. Il sera aussi à l'origine de "l'Union Sacrée", qui
réunira pendant toute la durée du conflit tous les partis politiques
ainsi que les syndicats, y compris la CGT. "La guerre, donc. Les
obsèques de Jaurès, où parle, entre autres, Viviani, fournissent au
Parti socialiste et à la CGT l'occasion d'en accepter le devoir. Le
ministre de l'Intérieur perçoit la tendance, et il a l'habilité de ne
pas engager les poursuites préventives prévues (au fameux carnet B)
contre les révolutionnaires les plus actifs. Viviani fait entrer deux
socialistes dans son gouvernement, Jules Guesde et Marcel Sembat. C'est
l'Union Nationale, que Poincaré appellera "l'Union sacrée". (3) " : la
France "sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne
brisera devant l'ennemi l'Union Sacrée ". (4)
Pendant toute la durée de la guerre, il sera sur tous les fronts pour soutenir les soldats. On le surnommera très vite "le président de la Grande Guerre". (5)
L'issue
de la guerre est incertaine: réveil de certaines tensions sociales,
batailles importantes perdues comme le "Chemin des dames" (plus de 200
000 tués, disparus et blessés), les mutineries qui s'en sont suivies,
particulièrement à Craonne.
Donc, devant le risque d'une défaite face à l'Allemagne, R. Poincaré
fit appel, le 16 novembre 1917, à Georges Clemenceau à la Présidence du
Conseil. Ce dernier, qui prendra également le portefeuille de la Guerre
déclarera devant les députés le 20 novembre: "Messieurs,
nous avons accepté d’être au Gouvernement pour conduire la guerre avec
un redoublement d’efforts en vue du meilleur rendement de toutes les
énergies. Nous nous présentons devant vous dans l’unique pensée d’une
guerre intégrale".
Le
11 novembre 1918, l'Allemagne, en signant l'armistice, signe sa
reddition. Le bilan de cette épouvantable boucherie est terrible: 1,5
million de morts (un tiers des classes d'âge des 19 - 22 ans), 3 600 000
blessés, 600 000 invalides, 600 000 veuves et plus d'un million
d'orphelins, 350 000 mutilés! Sans oublier les millions de victimes des
nations qui ont prit part à la guerre. L'Europe sort exsangue de cette
abominable épreuve.
Le
traité de Versailles est signé le 28 juin 1919. Il impose à l'Allemagne
de rendre l'Alsace et la Lorraine à la France, en plus de lourdes
indemnités de guerre et la démilitarisation de la rive gauche du Rhin.
Il a souvent été affirmé que ces très dures conditions imposées à la
toute jeune République allemande avaient été une des causes de la montée
en puissance des nazis. C'est exact, mais il ne faut pas oublier les
conditions tout aussi dures imposées par l'Empire allemand à la France
après la défaite de 1870. Même si, comme disait Gambetta en 1872, "y penser toujours, n'en parler jamais", l'esprit
de revanche a beaucoup joué dans le déclenchement du conflit en 1914.
Heureusement, en 1945, il s'est trouvé des européens courageux pour
dépasser cet état d'esprit revanchard et construire une Europe de la
paix.
Après
son mandat, R. Poincaré redevient Président du Conseil en janvier 1922.
L'Allemagne refusant de payer les dommages de guerre, il fait occuper
militairement le bassin industriel de la Rhur en janvier 1923. La France
doit payer ses dettes auprès de ses alliés (40 milliards), sans pour
autant recevoir le moindre mark, d'ailleurs de plus en plus dévalué.
D'où une inflation galopante. En juillet 1926, devant l'ampleur de la
crise financière en France, Poincaré revient à la tête du gouvernement.
Il dévalue le franc de près de 80%. Le "franc Poincaré" remplace alors
le "franc germinal".
Il
quitte la vie politique en 1929. Son rôle pendant la guerre a plus été
celui d'une référence, d'un exemple que celui d'un décideur. Mais tel
était l'esprit et la lettre de la fonction présidentielle. Il ne s'en
est jamais écarté: "le Président de la République préside et ne
gouverne pas. C'est l'ABC du régime parlementaire (...) La Constitution
porte: article 1er: le Président a tous les droits. Article 2: il n'en
exerce aucun sans l'autorisation du Cabinet". (6)
(1) in Clémenceau, le Père la Victoire, de Pierre Miquel, éditions Tallandier, collection documents d'Histoire, 1996, page 40.
(2) in "les Présidents de 1870 à nos jours", de Raphaël Piastra, éditions Eyrolles, 2012, page 60.
(3) in "la République", 1882-1932, de Maurice Agulhon, éditions Hachette 1990, page 260.
(4) lecture par le Président du Conseil
René Viviani devant les Chambres du message du Président de la
République le 4 août 1914.
(5) in "les Présidents de 1870 à nos jours" page 65.
(6) ibid page 68.
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