samedi 28 septembre 2024

Être ou ne pas être proportionnel, tel est le scrutin...


 

Depuis le 10 juin, la France, ses citoyennes et ses citoyens vivent une situation totalement inédite.
En effet, trois consultations électorales se sont succédé dans un délai très court. Puis le Président de la République a pris son temps pour désigner un Premier ministre. À tort d'ailleurs car il a donné l'impression de ne pas trop savoir où il allait. Et quand il en a trouvé un, le 5 septembre, deux mois après le second tour, il n'a pas été simple de trouver des ministres, la gauche refusant de participer à un gouvernement de droite, la droite ayant des exigences de droite et les macronistes des pudeurs de gazelle, de droite. 

Derrière toutes ces discussions, déclarations et autres difficultés institutionnelles, se cache un débat plus large, à savoir le mode de scutin: pour faire court, proportionnelle ou pas.
C'est l'objet de mon billet, après quelques rappels indispensables sur les différentes étapes du processus électoral et les différents résultats.

Tout d'abord, les élections européennes du 9 juin.



Les partis d'extrême droite - RN emmené par Jordan Bardella et "la France fière" emmenée, elle, par Marion Maréchal - recueillent près de 37% des suffrages exprimés, ce qui place ces deux partis héritiers de Jean Marie Le Pen largement en tête, loin devant, entre autre, le parti présidentiel, crédité, lui, de 14,6% des voix exprimées. 

Bien que les sondages avaient largement prévu ces résultats, il n'en reste pas moins que l'annonce de ces scores le 9 juin à 20 heures a été un véritable coup de tonnerre. 


 Mais ce coup de tonnerre a été totalement éclipsé, le soir même à 21 heures, par un autre coup de tonnerre, autrement puissant, à savoir la dissolution de l'Assemblée nationale par le Président de la République.

Pour le coup, personne, ni parmi le personnel politique, ni parmi les journalistes, les observateurs, les universitaires, les politistes et autres sondeurs, personne n'avait vu le "coup venir". surtout aussi rapidement. 


 

Et donc le peuple Français était de nouveau invité à se rendre aux urnes pour désigner ses députés les 29 juin et 7 juillet. 

 



De nouvelles alliances, de nouvelles coalitions se formèrent dans une certaine précipitation, certaines dans la douleur et les ruptures; de nouveaux programmes furent mis au point, plus ou moins précipitamment; des promesses furent tenues, la main sur le coeur; des débats enflammés, inaudibles souvent, démagogues trop souvent.
Bref le processus habituel d'élections tenues dans une démocratie, bien loin du consensus des démocraties dites populaires, et c'est heureux...


 

1er tour le 29 juin, un taux de participation de 66%, un record si on le compare à celui de 2022: 47,50%.
Le RN, avec 33% des suffrages exprimés est une nouvelle fois en tête suivi par le NFP, 28% et Ensemble pour la République 22%.


 

Le second tour se prépare dans une ambiance électrique: il convient pour quasiment tous les partis de "faire barrage" au RN en recomposant le Front républicain que d'aucun avait décrété moribond.

Au soir du second tour, avec une participation de 66,50%, les résultats du 1er tour sont inversés: le Front républicain a fonctionné et même très bien fonctionné: grâce à lui, le NFP arrive en tête avec 25% des voix et 178 députés; Ensemble pour la République 23% et 150 députés; le RN, 37% et 142 députés; les LR 5,4% et 39 députés.


Jordan Bardella a rebouché la bouteille de  champagne!!!

 À 20h05, Jean Luc Mélanchon, leader de LFI déclare: "le NFP appliquera son programme, rien que son programme mais tout son programme."
D'une certaine façon, cette déclaration  péremptoire va gâcher la soirée des autres partenaires du NFP qui n'avaient pas été informés de cette affirmation... Même s'ils n'en laissent rien paraitre. Mais personne n'est dupe!

La balle est dans le camp du PdR qui se doit de désigner le Premier ministre. La Constitution ne lui impose ni délai, ni obligation quant au choix du PM. Et il prend son temps!!!

Je ne rentre pas dans le détail des tractations, discussions, négociations et c'est dans la seconde moitié de septembre, qu'enfin, un Premier ministre est nommé par le PdR. Plus de deux mois pour le désigner, c'est de l'inédit!!! Puis dans la foulée et la douleur, un gouvernement est mis en place.
Pour mémoire, l'article 8 de la Constitution stipule: " sur proposition du Premier Ministre, le Président de la République nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions."

Au cours de tous les débats qui ont lieu depuis le 7 juillet et les difficultés soulevées par le fait qu'aucune majorité ne soit possible après les législatives, dès l'instant où chaque parti refuse la moindre coalition et encore moins la moindre cohabitation, menaçant d'user et d'abuser de la motion de censure.


Tout naturellement, se pose du mode de scrutin: faut-il persister dans le scrutin uninominal à deux tours ou aller vers la proportionnelle, non intégrale, c'est à dire avec un plancher de 5% pour prétendre à un parti d'avoir des députés. Voire à une proportionnelle intégrale, du type israélienne.



Aujourd'hui, la France est le seul pays de l'UE à élire ses députés au scrutin majoritaire. tous les autres ont un un scrutin proportionnel ou mixte.

Mais alors qui est pour le maintien du scrutin majoritaire? Qui est pour le scrutin proportionnel?

En fait, quand on regarde avec une loupe, les différents avis, les différentes propositions  traversent le champ politique: les extrêmes de droite comme de gauche sont pour la proportionnelle; le centre est plutôt pour; le camp présidentiel est partagé et la droite est franchement contre...
Le PdR, réélu en 2022, l'avait prévu dans un "paquet législatif" dans le cadre d'une réforme de la Constitution, que le Sénat, à majorité de droite, avait rejeté.



Il n'est pas inutile de préciser que le mode de scrutin n'est pas inscrit dans notre texte fondamental et qu'il peut être "facilement" modifié par un référendum ou par une loi ordinaire, encore faut-il, dans ce cas, une majorité pour la voter.

Frédéric FOGACCI   
 
Opposé à la proportionnelle, le 12 septembre 2024, dans un article publié dans le Journal Le Monde, Frédéric Fogacci*, historien, directeur des études de la fondation Charles de Gaulle, écrit:
" On voit alors apparaître à l’Assemblée un personnel politique d’apparatchiks, campant sur la position doctrinale de leur parti, lequel conditionne leur avenir politique. Le rapport de force évolue peu, ou pas, les mêmes hommes et femmes restant à l’Assemblée, et toute possibilité d’alternance véritable s’éloigne, puisque les équilibres et les majorités sont constitués après le vote des Français. Tout repose sur des tractations entre chefs de parti, à une époque où lesdits partis sont nettement plus implantés et représentatifs qu’aujourd’hui."

François BAYROU
 À l'inverse, fervent défenseur de la proportionnelle, François Bayrou, dans le journal Le Monde, daté du 31 août 2024, déclare:
"La loi électorale proportionnelle est juste, et de surcroît elle crée un paysage politique nouveau. Chacun se présente sous ses propres couleurs, c’est une démarche plus authentique et qui oblige à creuser ses propres idées. Dès l’instant qu’on franchit la barre mettons de 5 %, on est assuré d’un groupe parlementaire représentatif. Mais chacun sait bien qu’il n’obtiendra pas la majorité à lui tout seul. On est donc obligé de regarder ses concurrents pas seulement comme des adversaires, mais comme de potentiels partenaires."

Julien AUBERT

 

 Julien Aubert*, ex député LR jusqu'en 2022, écrit dans Le Figaro Vox le 18 septembre 2024: 
Le second défaut est pratique. L'inconvénient de la proportionnelle est qu'il donne aux chefs de partis un pouvoir énorme : celui de choisir leurs troupes. (...) Le scrutin proportionnel, lui, encourage la docilité, le conformisme et la servilité. Je crains que demain, les députés inscrits au scrutin de liste ne se désintéressent totalement des attentes des électeurs, la manière de servir n'ayant aucun impact sur leur possible réélection."

Albert MENDIRI
 
 Albert Mendiri*, philosophe, dans une tribune au journal Le Monde le 13 aoüt 2024, est plus nuancé:
"Les modalités pourraient être les suivantes : dans un premier temps, la moitié des sièges à pourvoir se verrait distribuée à la proportionnelle intégrale sur un plan national. En un second temps, les sièges restants seraient calculés à la proportionnelle pour chacune des formations en lice, ce qui assurerait une majorité aux vainqueurs des élections.
Ce système électoral présente les avantages suivants : il permet de dégager une majorité absolue en toutes circonstances ; il invite les différentes formations politiques à contracter des alliances avant même le verdict électoral, tout en gardant une autonomie leur permettant de se compter, les électeurs décidant par leur vote de l’importance respective de chaque formation au sein de l’éventuelle alliance vainqueur des élections."
 

Le 23 mars 2021, Jean Luc Mélanchon, alors député LFI, avec les députés de son groupe, présentait une proposition de loi (n° 4013) visant, je cite, "à instaurer la proportionnelle intégrale au scrutin législatif."
Dans l'exposé des motifs, le groupe parlementaire déclarait:
"La loi du 10 juillet 1985 avait ainsi changé dans ce sens le mode de scrutin. Elle instaurait un scrutin à la proportionnelle sur la base de listes départementales. Ce mode de scrutin a fait ses preuves lors des élections législatives de 1986. Une Assemblée nationale avec une majorité stable était sortie de ces élections." Le rétablissement dès 1988 du scrutin uninominal à deux tours a depuis privé les Français d’une représentation parlementaire conforme à la diversité de leurs opinions politiques. En 2017, l’alliance entre la République en marche et le Mouvement démocrate avait rassemblé 30 % des voix au premier tour. Ils occupaient pourtant plus de 60 % des sièges de l’Assemblée nationale à l’issue du second. A contrario, la France insoumise avait rassemblé 11 % de voix mais dispose dans cette législature de moins de 3 % des sièges."
 
Une telle demande a quelque chose de paradoxal: en effet, si nous prenons comme référence soit les résultats des élections européennes, soit ceux du premier tour des législatives et si on les applique au scrutin proportionnel, le RN serait largement en tête, loin devant la gauche en général et LFI en particulier et pourrait être en capacité de gouverner...
 


Le Rassemblement National, lui aussi favorable au scrutin proportionnel, affirme dans une pétition mis en ligne
"Les dernières élections législatives ont, une nouvelle fois, montré que des millions de Français sont méprisés par un système électoral archaïque. Le mode de scrutin a également montré ses limites et, face aux accords d’appareil d’un autre temps, n’a pas permis de dégager une majorité, plongeant le pays dans une situation inédite et instable. (...) Le mode de scrutin proportionnel, en vigueur dans la majorité des démocraties européennes, est la meilleure manière d’assurer une juste représentation de toutes les sensibilités politiques à l’Assemblée nationale et permettrait de dégager une véritable majorité pour gouverner.
Ce mode de scrutin garantirait à chaque Français une représentation équitable et mettrait fin à la confiscation du pouvoir par les accords partisans contre-nature."

Je pourrais citer de multiples prises de position pour ou contre, par des politiques, des universitaires, sondeurs, journalistes, etc, etc.
Mais ce serait plutôt long et pour tout dire indigeste.

Parce que chacun sait que le diable se cache dans les détails: instaurer la proportionnelle? Pourquoi pas? Mais comment?
 


Il faut encore déterminer quel genre de proportionnelle: 
Nationale? Départementale?
Quid des circonscriptions: faut-il les fusionner avec les départements? Comment éviter les "tripatouillages du pouvoir en place?
Quelle limite en nombre d'habitants pour élire un député? 
Pour passer à la proportionnelle, faut-il un référendum?
Ou le vote d'une loi ordinaire au Parlement?
Ou modifier la Constitution, c'est-à-dire inscrire dans le marbre de la loi fondamentale le nouveau mode de scrutin?
Bien d'autres questions se posent.

Les partisans du statu quo affirment - mais pas trop fort - que le scrutin uninominal à deux tours permet la mise en place d'une majorité solide, permettant ainsi la stabilité gouvernementale. Il est vrai qu'actuellement, l'on entend peu cet argument, et pour cause: le résultat des dernières législatives contredit cette affirmation.

Un autre de leurs arguments consiste à affirmer que les partis sont tout puissants et que personne ne peut se présenter en dehors d'eux. Argument quelque peu trompeur: depuis 1958, les individus qui se sont présentés seuls, sans l'aval de leur parti et parfois contre lui, se comptent sur les doigts d'une main et ont été rarement été élus...
Les mêmes prennent en contre exemple la IVème République et ses 22 gouvernements de 1947 à 1958.

Pierre Mendès-France
Pourtant cette République n'a pas été aussi mauvaise que veulent bien le dire ses détracteurs. Il est vrai que l'instabilité ministérielle n'a pas été très favorable, malgré quelques personnalités politiques de premier plan comme Robert Schuman, Edgar Faure ou surtout Pierre Mendès-France.
Ce dernier, faut-il le rappeler, réussit à mettre fin  au soulèvement tunisien, mais surtout, il a mit fin à la terrible guerre d'Indochine.
Ces deux problèmes résolus, il a été mis en minorité à l'Assemblée nationale par une alliance contre nature entre le PCF et les gaullistes et a aussitôt démissionné. Assemblée élue à la proportionnelle. PMF a fait le job qu'ils attendaient de lui et l'ont viré...
 
Mais peut-être que le problème -puisque problème il y a - ne vient pas uniquement du mode de scrutin.
Notre régime, celui prévu par la Constitution de la Vème République, est d'abord un régime parlementaire.
Or, depuis l'origine, tous les présidents élus ont disposé à l'AN d'une majorité confortable - le Canard Enchainé ne dénommait-il pas les députés gaullistes des "godillots"- ce qui a eu pour conséquence une présidentialisation du régime et la toute puissance du président élu, rappelons le, au suffrage universel direct. Cela aux dépens du Parlement.

Faut-il alors revenir aux fondamentaux de la V ème République? Dans ce cas, il faudrait changer de République et aller vers une VI ème, comme le réclament à cors et à cris Mr Mélanchon et  ses amis?    

Alors, proportionnel ou pas proportionnel? Bien malin celui ou celle qui peut avoir des certitudes toutes faites sur le sujet.
Il est vrai cependant qu'il y a pléthore en la matière...

Mais comme disait Sempé, "rien n'est simple, tout se complique."

 





 

dimanche 16 juin 2024

W. Churchill: "vous aviez à chosir...."

Winston CHURCHILL

Fin septembre 1938, alors que le Premier Ministre britannique, Neville Chamberlain* arrive de Munich où il a signé, avec Édouard Daladier*, alors Président du Conseil, les accords dit de Munich, avec A. Hitler, Chancelier du Reich et B. Mussolini, Président du Conseil du royaume d'Italie, Winston Churchill* déclare:

"Vous aviez à choisir entre le déshonneur et la guerre. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre."

Déclaration prémonitoire puisque moins d'un an plus tard, les armées allemandes envahissaient la Pologne, avec l'aide de l'Armée Rouge soviétique, obligeant la Grande Bretagne et la France à déclarer la guerre à l'Allemagne.

Mais quels étaient ces accords de Munich si vertement critiqués par Churchill? Ils sont l'objet de mon billet de ce jour.

Hitler est nommé chancelier de la République de Weimar* le 30 janvier 1933 par le président du Reich, le maréchal von Hindenburg*.

Hinderburg nomme Hitler chancelier

Notons au passage que le NSDAP en novembre 1932, le parti de Hitler, avait perdu quelques deux millions de voix par rapport à l'élection législative précédente de juillet 1932, mais il est néanmoins le premier parti avec 33% des voix et 196 sièges*, loin devant les sociaux-démocrates et les communistes, avec respectivement 20,50% et 16,90% des voix et 121 et 100 sièges.

Très vite, Hitler et les nazis vont suspendre les libertés publiques et emprisonner les opposants politiques.
Le 23 mars 1933, le Reichstag vote les pleins pouvoirs à Hitler. 

Il va pouvoir mettre en oeuvre la politique pangermaniste*, un des fondements de l'idéologie nazie, c'est-à-dire d'assurer à l'Allemagne un "espace vital" à l'est de l'Europe.

En novembre 1936, il déclare devant le parlement:

"Nous sommes surpeuplés et nous ne pouvons plus subsister sur notre propre sol. La solution
définitive réside en un élargissement de l'espace vital, source de matières premières et de la
subsistance de notre peuple (...) 11 est maintenant nécessaire de réaliser ce que nous
pouvons.
Je fixe donc les tâches suivantes :
1) l'armée allemande doit être prête à entrer en action dans quatre ans.
Z) dans 4 ans, l'économie allemande doit être capable de supporter une guerre"
 

La politique diplomatique qu'Hitler va pratiquer est systématiquement à base de mensonges, de déclarations hypocrites et de manipulations bien orchestrées.
Ainsi, il déclare dans un interview de Paris Midi en janvier 1936, il affirme: " La chance vous est donnée à vous. Si vous ne la saisissez point, songez à votre responsabilité vis-à-vis de vos enfants ! Vous avez devant vous une Allemagne dont les neuf dixièmes font pleine confiance à leur chef, et ce chef vous dit : « Soyons amis! »

Ce qui ne l'empêche pas  de tenter et de réussir un coup de bluff en remilitarisant la Rhénanie le 7 mars 1936, cela en violation du Traité de Versailles de 1919. Le gouvernement français laisse faire et ne réagit pas. Nous savons aujourd'hui qu'Hitler avait donné ordre à ses troupes de ne pas insister si l'armée française avait résisté...

 

   



Démantèlement d'un poste frontalier le 15 mars 1938.
 

La première étape de la politique expansionniste d'Hitler est l'annexion, le 12 mars 1938, de l'Autriche à l'Allemagne: l'Anschluss*. Là encore, violation du traité de Versailles qui avait décidé dans son article 80: L'Allemagne reconnaît et respectera strictement l'indépendance de l'Autriche, dans les frontières fixées par le présent traité, passé entre cet État et les principales puissances alliées et associées ; elle reconnaît que cette indépendance sera inaliénable, si ce n'est du consentement du Conseil de la Société des Nations."

Ensuite, ce sont les Sudètes qu'Hitler va revendiquer.


Formation et démantèlement de la 1ère République Tchécoslovaque

Les Sudètes faisaient partie de l'empire austro-hongrois, lequel empire a été démantelé par le traité de Saint Germain en Laye de 1919, avec pour conséquence la création de la Tchécoslovaquie, réunissant Tchèques et Slovaques au sein d'un même état.
Mais au sein de ce nouvel état résident des régions et des populations de langue allemande, fortement opposées à leur intégration, en particulier dans les Sudètes*. 


La population tchécoslovaque comprend 51%. de Tchèques, 23% d'Allemands des  Sudètes, 14% de Slovaques.
Hitler va alors prendre ce prétexte -23% d'Allemands- pour exiger du gouvernement tchécoslovaque le rattachement des Sudètes à l'Allemagne au nom du "droit des nations."
Bien sûr, refus du gouvernement tchécoslovaque. En effet, les Sudètes sont la principale région industrielle du pays - beaucoup d'usine d'armement, dont Skoda - avec une frontière équipée avec son puissant voisin.
Hitler exige que les habitants  non allemands quittent la région, menaçant d'intervenir militairement.

La France, la Grande Bretagne et l'Union Soviétique étaient les alliées de la Tchécoslovaquie, censées la défendre.
Les Soviétiques étaient disposés à aider militairement la Tchécoslovaquie, à conditions que la France fasse de même.


France et Grande Bretagne veulent à tout prix éviter la guerre, et donc plutôt que de montrer leur détermination à défendre leur alliée, la France et la Grande Bretagne se rendent à Munich et y rencontrent Hitler et Mussolini, à l'initiative de ce dernier, allié d'Hitler.

 

Archives/©Suddeutsche Zeitung/Rue des Arc

Officiellement, il s'agit de régler définitivement la crise des Sudètes. Mais en réalité, pour le gouvernement allemand de faire disparaitre la Tchécoslovaquie en tant qu'état indépendant. 

Dans la nuit du 29 au 30 septembre 1938, l'accord prévoyant la cession du Sudètes au profit de l'Allemagne est signé, avec les garanties franco britannique sur l'intégrité du reste du pays.


N. Chamberlain à son arrivée à Londres
Rentrés chacun dans leur pays, E. Daladier et N. Chamberlain sont tous les deux accueillis triomphalement. Le second est fier d'avoir sauvé la paix: il sera même surnommé le "pacemaker"!



 

E. Daladier et G. Bonnet au Bouget

Le second, lui, sans doute plus réaliste, pense qu'il sera hué et insulté pour avoir cédé aux Nazis.

Il murmure "ah, les cons, s'ils savaient"* à l'adresse de la foule qui l'acclame.

 

 
Le 15 mars 1939, en violation des accords signés six mois auparavant, les armées allemandes envahissent la Bohème et la Moravie pour y créer un protectorat. Là encore, France et Grande Bretagne ne réagissent pas, perdant ainsi le reste de crédibilité qui leur restait. Vis à vis des Tchèques, bien sûr, mais aussi de l'Union Soviétique qui avait été volontairement écartée des négociations de septembre 1938.

En France, dans l'opinion publique, l'idée qu'une guerre contre l'Allemagne commence à se répandre. 

Même s'il existe dans les milieux politiques de droite une sorte des fascination pour les régimes autoritaires, tels l'Espagne et bien sûr l'Allemagne et l'Italie. Le Front Populaire, vainqueur des législatives en mai 1936,  pratique une politique sociale novatrice - congés payés, semaine de 40 heures, droit du travail, renforcement des syndicats, entre autre - qui attise l'hostilité des milieux économiques, mais aussi de cette frange perméable aux idées des dictatures.

À partir des années 20 vont se développer des groupuscules, plus ou moins fascisants qui remettent en cause l'existence même du régime républicain, accusé de faiblesses, de corruptions et de dévoiement des moeurs.


Charles Maurras

 Pour ne prendre qu'un exemple,  Charles   Maurras*, s'affirmant pourtant germanophobe, écrivait en janvier 1939: "... les grandes démocraties appuyées par la juiverie ont envie de faire tuer quelques millions d'hommes, voilà la vérité."


Au début de l'année 1939, malgré sa promesse faite à N. Chamberlain à Munich, Hitler remet en cause ce qui avait été prévu pour Dantzig* par le traité de Versailles qui prévoyait pour la Pologne un accès à la mer via Dantzig.

Cette décision hitlérienne relance les tensions internationales. Les gouvernements français et britannique donnent aux différents pays menacés la garantie de l'intangibilité de leurs frontières.
Les rumeurs de guerre se font chaque jour plus évidentes, les démocraties ne pouvant plus laisser Hitler annexer selon son bon plaisir.


Mais en France, les partisans des pouvoirs autoritaires s'insurgent au nom d'un pacifisme dévoyé. Ainsi, Marcel Déat*, député socialiste puis futur collaborateur, écrit le 4 mai 1939 dans le journal 'l'Oeuvre" un article intitulé: "faut-il mourir pour Dantzig?" où l'on peut lire: " il ne s'agit pas du tout de fléchir devant les envies conquérantes de M. Hitler, mais je le dis tout net: flanquer la guerre en Europe à cause de Dantzig, c'est y aller un peu fort, et les paysans français n'ont aucune envie de "mourir pour Dantzig". 


Le 30 août 1939, Hitler envoie un ultimatum au gouvernement polonais qui, très justement, le rejette. Le 1er septembre, sous un faux prétexte, Hitler envahit la Pologne.
Tenant leurs engagements vis à vis de la Pologne,  La France et la Grande Bretagne déclarent la guerre à l'Allemagne nazie.

Si je suis rentré rapidement dans les détails de la politique expansionniste d'Hitler, c'est pour rappeler que malgré tous les gestes de bonne volonté, tous les abandons des engagements, toutes les génuflexions faites au dictateur nazie, ce dernier n'a jamais eu la moindre intention de respecter les engagements qu'il avait pris. Jamais! 

Parce qu'il en est ainsi que tous les dictateurs, tous les autocrates ne respectent jamais leur parole, même et surtout quand il s'agit d'annexer un territoire voisin.


Hitler a toujours fondé ses politiques étrangères sur la faiblesse des démocraties, n'hésitant pas à considérer les traités qu'il signait comme de vulgaires chiffons.
Et pour cela, il n'a jamais hésité, dans des discours virulents, à justifier à coups de mensonges éhontés, les agressions entreprises à l'égard d'états souverains.

Il se dit que l'histoire ne se répète jamais. Certes, mais il peut lui arriver d'avoir le hoquet. Comme en ce moment.

Ce qui se passe en Ukraine depuis février 2022 et certaines réactions complaisantes de personnalités politiques françaises vis à vis de cette agression russe a, qu'on le veuille ou non,  une ressemblance certaine avec ce qui s'est passé jusqu'au 1er septembre 1939. 

"Vous aviez à choisir entre...."

Il ne faudrait pas l'oublier...


 

dimanche 19 mai 2024

La brigade de fusiliers-marins de l'amiral Pierre RONARC'H

 Bien peu de gens connaissent - ou même en ont entendu parler - Pierre Alexis RONARC'H et de sa brigade de fusiliers marins. Pourtant, cet officier de Marine a eu un rôle primordial au début de la 1ère guerre mondiale puisqu'il a commandé cette brigade  qui s'est illustrée brillamment dans des combats terrestres lors des batailles de l'Yser et de Dixmude, contre des troupes allemandes pourtant supérieures en nombre et en armement.

 

Quelques précisions sur ce militaire, né en 1865 et entré à l'École Navale en 1880, à 15 ans.

En 1885, il est affecté sur la frégate l'Isère*, navire mixte, c'est-à-dire trois mâts et un moteur à vapeur. Ce bâtiment aura l'honneur de transporter la statue de la Liberté*, démontée et entreposée dans 210 caisses.
Pour mémoire, la statue a été offerte par la France aux États Unis pour la célébration des cent ans de l'indépendance.

 

L'Isère


L'arrivée de L'Isère dans le port de New York
 
Après diverses affectations et après avoir été nommé capitaine de vaisseau en 1908,  il est élevé au grade de contre amiral en 1914 et reçoit le commandement de la brigade fusiliers-marins.
 
Cette brigade est l'objet de mon billet d'aujourd'hui. 
 

Cette brigade de fusiliers-marins est d'abord affectée à Paris où elle doit assurer la défense de la capitale. Tâche peu évidente pour des marins, quelque peu empruntés. 
 
Un journal allemand de propagande les surnomma "les demoiselles au pompon rouge."
La suite des évènements leur prouva, s'il en était besoin, que ces marins n'avaient rien de demoiselles!!!
 
 
 
Les fusiliers-marins à Paris

Cette brigade de 6000 hommes est organisée en deux régiments: le 1er et le 2ème régiment de fusiliers-marins.
Parmi les effectifs, beaucoup d'inscrits maritimes, mais aussi, il y a 700 apprentis fusiliers-marins, tous très jeunes, 16,5 ans pour la plupart. Ils sont issus d'un centre de formation qui ne s'appelle pas encore l'École des Mousses*.
C'est un décret de Napoléon III qui crée formellement cette école en 1856. Il y a donc des mousses dans cette brigade.

En 1954, l'École des Mousses reçoit son drapeau* sur lequel sont accrochées la Légion d'honneur, la  Croix de guerre  1914 - 1918, remise le 12 novembre 1922 avec la citation suivante: "
L’école des apprentis marins de Brest a formé de nombreux contingents de marins dont l’esprit de devoir et de sacrifice s’est hautement manifesté soit à terre, soit à bord, au cours de la guerre de 1914-1918."
Figurent également la Croix de guerre 1939 - 1945 et la Croix de guerre des théâtres d'opérations extérieurs.
 
avance maximum des armées allemandes  

 En septembre, l'armée allemande est  repoussée lors de la bataille de la Marne*, ce qui fait que Paris n'est plus menacé. En conséquence de quoi, la brigade Ronarc'h est envoyée en Flandre, en renfort de l'armée Belge, encerclée à Anvers par les troupes allemandes. Il s'agit aussi de bloquer le passage vers la mer du Nord.
 


Même si cela peut paraitre anecdotique, les marins vont changer d'uniforme: ils vont revêtir la capote réglementaire de l'infanterie, mettre les bandes molletières et chausser les brodequins à clous. Et à la place du sac marin, encombrant quand on est à terre, porter le havresac du fantassin, lourd de quelques 25 kilos!!!


Heureusement les quartiers maitres et matelots pourront conserver le "bachi" et officiers et officiers marinier leur casquette....



 

Il s'agissait aussi d'empêcher ces mêmes troupes allemandes prendre les ports sur la Manche, l'axe Dixmude - Calais, ce qui aurait eu pour conséquence de bloquer le ravitaillement des Britanniques.
 

C'était ce qui s'est appelé par la suite "la course à la mer*
Conséquence de la victoire française lors de la bataille de la Marne, l'état major allemand avait retiré 150 000 hommes pour les transférer  sur le front belge. C'est la fin des offensives si coûteuses en vies humaines des deux côtés, remplacées par l'enfouissement des armées en deux réseaux démesurés de tranchées. 


Les 6000 fusiliers marins de Ronarc'h vont se battre sur différents fronts: Melle, Dixmude, Ypres.
Concernant Dixmude, le 15 octobre, Ronarc'h donne l'ordre suivant: "le rôle que vous avez à remplir est de sauver notre aile gauche jusqu'à l'arrivée des renforts. Sacrifiez-vous. Tenez au moins quatre jours."
L'armée belge va ouvrir les écluses à marée haute et les refermer à marée basse, ce qui a pour effet de fixer le front et de stopper  les corps de réserve allemands.
Avec le renfort d'un régiment de Tirailleurs Sénégalais, ils tiendront jusqu'au 10 novembre, date à laquelle, après des bombardements intensifs et de sanglants combats au corps à corps, à la baïonnette ou au couteau, ils sont contraints d'abandonner la ville. Mais l'avancée allemande est stoppée.
 
Le général d'Urbal, commandant la VIII ème armée - dont faisait partie la brigade Ronarc'h - passe les troupes en revue et déclare: "Vous venez d'inscrire avec votre sang une des pages de cette guerre qui commence et je suis fier de commander des hommes tels que vous."
 

Si 10 000 allemands furent tués lors de cette attaque et 4 000 blessés, les pertes de la brigade Ronarc'h, elles aussi, ont été très élevées:
3 000 hommes morts ou hors de combat : 23 officiers, 37 officiers mariniers et 450 quartiers maîtres et matelots ont été tués ; 52 officiers, 108 officiers mariniers et 1 774 quartiers maîtres et matelots sont blessés ; 698 d'entre eux ont été faits prisonniers ou portés disparus. Concernant les Tirailleurs Sénégalais, il reste 400 hommes au Bataillon Frèrejean et seulement 11 officiers, dont un capitaine, au Bataillon Brochot - 411 survivants sur 2 000.

Il est à noter que beaucoup de soldats allemands sont de jeunes conscrits, envoyés se battre sans quasiment  d'entrainement. Leur mort inutile sera appelée "kindermord" - que l'on peut traduire par "meurtre d'enfants" par l'opinion allemande - à qui parviennent des échos des combats. 
Après 40 jours de combats, la brigade est relevée le 18 novembre 1914 pour prendre quelques jours de repos et se ravitailler en habillement et en matériel. Dans son livre de mémoire (1), Ronarc'h écrit: "Du côté matériel, nous avons aussi atteint les limites qu'on ne peut ni ne doit dépasser. L'habillement est lamentable, l'équipement ne l'est pas moins et les armes ne sont plus entretenues. Nous avons besoin absolu de quelques jours, je n'ose espérer plus, pour mettre tout en ordre."
Mais trouver un lieu pour se reposer, se laver, reprendre des forces est très compliqué: en effet, d'autres compagnies, d'autres unités, elles aussi, recherchent des maisons, des granges ou des écoles pour reprendre des forces et il arrive que l'amiral fasse preuve d'autorité, sinon de mauvaise foi, pour permettre à se hommes d'accéder à plus de "confort". "Naturellement, la prise des cantonnements est très laborieuse, car il y a des troupes partout." (2)
 

Le 18 décembre, plusieurs compagnies de marins sont envoyées à Steenstrate, sur l'Yser: il s'agit d'attaquer les positions allemandes, protégées par un réseau de barbelés très épais. 
Les marins compteront parmi les premières victimes des attaques au gaz.
Les troupes françaises et belges sont prises sous des bombardements massifs, renseignés par l'aviation allemande qui donne leurs positions.
L'attaque échoue, soldée par une centaine de disparus, tués ou disparus et de nombreux blessés.
Le 28 décembre, les marins et des dragons prennent une barricade allemande après une intense préparation d'artillerie et prennent position dans le village de Saint Georges. L'offensive sud a réussi, cependant avec des pertes qualifiées par Ronarc'h de "taux raisonnable".
 
le 11 janvier, l'amiral Ronarc'h devant le drapeau


 
 
Le 11 janvier 1915,  après avoir remis le drapeau de la brigade à l'amiral Ronarc'h, le Président de la République déclare:
« Fusiliers marins, Mes Amis,
Le drapeau que le Gouvernement de la République vous remet aujourd’hui, c’est vous-mêmes qui l’avez gagné sur les champs de bataille. Vous vous êtes montrés dignes de le recevoir et de le défendre. "




 
 
 En février 1915, la brigade est intégrée au groupement Nieuport, sous les ordres du général Hély d'Oissel.
Elle sera également présente lors de la seconde bataille de l'Yser, en avril et mai 1915.
En juin 1915, sur la crête des Éparges, en Champagne; le ravin de Sonvaux dans la Meuse; la butte de Souain; le plateau de Massiges.(3)
Les pertes sont particulièrement élevées lors de ces combats. 

Au vu des énormes pertes en hommes, des besoins des inscrits maritimes pour  la marine de commerce, mais aussi de la Marine Nationale pour fournir des équipages aux bâtiments de surface pour contrer les sous-marins allemands, la brigade est dissoute le 6 novembre 1915.
Cependant, il reste un bataillon de marins qui combattra, entre autre, en avril 1916 dans le secteur du mort-homme*  et plus tard à la reprise du chemin des dames*.
 
Pour conclure ce billet, en forme de bilan, je cite le vice-amiral Ronarc'h: 
" En y comprenant l'effectif de départ du camp retranché de Paris, mais non les blessés récupérés, 340 officiers et environ 13 500 officiers-mariniers, quartiers-maitres et marins ont servi dans la brigade de marins, entre le mois d'octobre 1914 et le mois de novembre 1915.

Dans le même laps de temps, la brigade a perdu, en tués, blessés et disparus, 172 officier, 346 officiers-mariniers et environ 6000 quartiers-maitres et marins, soit la totalité de son effectif normal."
 
La Marine a donné le nom de l'amiral Ronarc'h à l'une de ses frégates de défense et d'intervention.* 
 



Quelques photos de la brigade...


 

 
 


 


 

(1) in"les fusiliers-marins sur le font de l'Yser 1914-1915" par Pierre Ronarc'h, éditions De Schore, page 113
(2) ibid, page 117
(3) https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2010-4-page-5.htm

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