mardi 1 mai 2012

L'élection, c'est la Démocratie.


Dans mon précédent billet consacré à l'isoloir, j'écrivais, à propos du suffrage universel que "certains beaux esprits ne le considèrent pas comme étant l'élément central de la Démocratie". Je ne croyais pas si bien dire. En effet, j'ai lu hier, dans le Nouvel Obs n° 2476 du 19 avril 2012, page 102, un interview de Jacques Rancière, philosophe, élève de Louis Althusser et professeur émérite à Paris VIII.

Le titre de l'entretien reprend une phrase de Mr Rancière: "l'élection, ce n'est pas la démocratie." Voilà qui a le mérite de la clarté. Alors, je me suis imposé la lecture du premier au dernier mot de cet entretien.

J'ai mis le lien qui vous emmène directement sur le site de l'hebdo où vous pourrez lire l'intégral de cet interview. Je me contenterai ici d'en souligner  les incohérences et les approximations, sans me prétendre un seul instant être au niveau de cet universitaire. Cela posé, pour être universitaire, il n'en est pas pour autant infaillible.

Il considère que "dans son principe comme dans son origine historique, la représentation est le contraire de la démocratie. Il remonte pour étayer cette affirmation à Athènes où "le mode normal de désignation était le tirage au sort... afin d'empêcher l'accaparement du pouvoir par ceux qui le désirent." Certes la démocratie athénienne est la mère des Démocraties, mais l'époque à laquelle  Rancière se réfère, pour être citoyen, il faut être un homme, né de père athénien. Les femmes, les esclaves ne ne sont donc pas membres de cette communauté démocratique. Donc, me semble t-il, une référence pour le moins équivoque.

le journal "le Peuple" du 14 avril 1848
Plus loin, il poursuit sa remontée dans le temps: "L'élection d'un président comme incarnation directe du peuple a été inventée en 1848 contre le peuple des barricades et des clubs populaires et réinventée par de Gaulle pour donner un "guide" à un peuple trop turbulent." En 1848, après le renversement de Louis Philippe 1er, par un soulèvement populaire, les révolutionnaires proclament la Seconde République, rétablissent le suffrage universel direct et secret, décident de l'élection d'une Assemblée Constituante qui sera élue à ce nouveau suffrage universel. Laquelle Constituante prévoira l'élection d'un Président de la République par les électeurs. Nous ne sommes pas tout à fait dans le cadre des affirmations de J. Rancière, sauf à dire que les révolutionnaires "ont agi contre le peuple des barricades et des clubs populaires" et que, renversant la Monarchie de Juillet, ils n'étaient que des révolutionnaires de pacotille, à la solde "d'une classe de politiciens dont les fractions opposées partagent tour à tour le pouvoir des compétents" comme il l'affirme.

Puis, lorsque le journaliste lui demande si, F. Hollande promettant d'être un président "normal" et N. Sarkozy de "rendre la parole au peuple", ils prenaient acte des insuffisances du système représentatif, Rancière botte en touche: Hollande? "il sera l'incarnation suprême d'un pouvoir du peuple, légitimé pour appliquer les programmes définis par des petits groupes d'experts compétents"; Sarkozy? "sa déclaration est franchement comique: par principe, la fonction présidentielle est celle qui rend inutile la parole du peuple." Même J.L. Mélanchon n'échappe pas la volée de bois vert: "l'opération Mélanchon consiste à occuper une position marginale qui est liée à la logique du système: celui du parti qui est à la fois dedans et dehors." Comprenne qui pourra de ce galimatias de lieux communs, surprenant malgré tout dans la bouche d'un universitaire, fut-il émérite.

Quand le journaliste l'interroge sur le fait que Marine Le Pen et Jean Luc Mélenchon sont souvent accusés de populisme, la réponse, bien qu'alambiquée est surprenante: "la notion de populisme est faite pour amalgamer toutes les formes de politique qui s'opposent au pouvoir des compétences auto proclamées et pour amener ces résistances à une même image: celle du peuple arriéré et ignorant, voire haineux et brutal." Il oublie quand même les grands ancêtres du populisme, les références en quelque sorte, les Hitler, Staline, Mussolini et tant d'autres. Il se laisse aller là un trait bien commun à bien de ces gens qui prennent de l'Histoire ce qui les intéresse pour en faire des points d'appui à des démonstrations hasardeuses; pourtant, l'équation est simple: le populisme est-il un concept à géométrie variable que l'on arrange selon son humeur ou ses choix politiques?

allégorie du Suffrage Universel
Pour Jacques Rancière, "le suffrage universel est un compromis entre les principes oligarchiques et démocratiques. Nos régimes oligarchiques ont malgré tout besoin d'une justification égalitaire." Pour mémoire un régime oligarchique est "un régime où commande un petit nombre et qui exerce le pouvoir" (1). On voit par là qu'il n'hésite pas à enfoncer des portes ouvertes: bien sûr le pouvoir est exercé par un groupe restreint mais élu: imagine t-on le pouvoir exercé autrement? En tout cas, il ne le dit pas.

Il préfère reprendre un thème plutôt flou, celui de "l'acte politique fondamental". Flou parce que c'est une "auberge espagnol" que ce thème: on peut y mettre ce que l'on veut suivant son engagement partisan. Pour lui, "c'est la manifestation du pouvoir de ceux qui n'ont aucun titre à exercer le pouvoir." Sauf que ni lui ni personne n'ont pas encore défini qui étaient ces gens qui n'ont aucun titre... Il se réfère aux indignés, aux printemps arabes; dans le premier cas, leurs premières faiblesses, justement faces aux pouvoirs en place, c'est leur refus de s'organiser, leurs refus obstinés et suicidaires de toute représentation organisée. Pour ma part, je déplore ces blocages, ces refus: nos sociétés auraient bien besoin de nouveaux apports, de nouvelles idées. Mais, ce n'est pas pour demain. Quant aux printemps arabes, laissons le temps au temps! D'autant que les uns n'ont pas les mêmes causes et encore moins les mêmes effets que les autres. Sauf à considérer que nous vivons dans des dictatures.

les indignés new yorkais en novembre 2011
Plus loin, il affirme que "l'acte politique s'accompagne toujours  de l'occupation d'un espace que l'on détourne de sa fonction sociale pour en faire un lieu politique... Bien sûr, ces mouvements n'ont pas été jusqu'à donner à cette autonomie populaire des formes politiques capables de durer: des formes de vie, d'organisation et de pensée en rupture avec l'ordre dominant." D'où l'impuissance de mouvements comme ceux des indignés qui, d'une certaine façon, refusent eux aussi le suffrage universel.

Invoquant "l'histoire de la gauche qui est celle d'une trahison perpétuelle", il conclut: "alors non, je ne crois pas que j'irai voter."

Jacques Ranciere, comme tout un chacun, est libre de voter ou de ne pas voter. Il est même surprenant qu'il se pose encore la question dès l'instant où il estime que "l'élection, ce n'est pas la démocratie". Sauf que c'est quand même un peu facile d'avoir de telles affirmations. Parce que, qu'on le veuille ou non, il faut gouverner. Et gouverner, c'est parler, discuter, négocier et puis à un moment donné, c'est choisir puis agir. C'est le cas dans toutes les sociétés, c'est aussi le cas dans nos vies personnelles: au temps de la discussion vient obligatoirement le temps de l'action. Celui qui sera élu président dimanche prochain sera dans ce scénario. Il nous aura auparavant proposé son programme et chacun d'entre nous aura voté et choisi en fonction de ses préférences partisanes ou de ses intérêts.

Et cela, n'en déplaise à Jacques Rancière, passe par l'élection, par le suffrage universel secret et direct. Quand je lis ses arguments, je ne peux m'empêcher de penser à toutes celles et tous ceux qui, à travers le monde, sont persécutés, emprisonnés, torturés, assassinés pour, justement avoir ce droit fondamental, inséparable de la liberté: celui de voter. Et je me dis qu'en faisant la fine bouche, en faisant les difficiles, certains d'entre nous se conduisent comme des enfants gâtés qui ont tout eu et qui se révèlent tels qu'ils sont:  de misérables égoïstes!
Pour conclure, permettez moi de paraphraser Winston Churchill: "le suffrage universel est le pire des systèmes à l'exception de tous les autres."

(1) in "le Robert, dictionnaire historique de la langue française", sous la direction de Alain Rey, éditions Robert Laffont, page 1470

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