jeudi 31 octobre 2019

le massacre de la Glacière, le 16 octobre 1791.


Au palais des papes d'Avignon, Ernest Pignon Ernest* expose ses oeuvres jusqu'au 29 février 2020. Si je connaissais de renom cet artiste, inventeur du "street art", j'ignorais tout ou presque de son travail, de ses collages et de ses dessins. Témoin rigoureux et implacable de son temps, il met celui ou celle qui regarde ses dessins en face des réalités. De l'apartheid à la prison Saint Paul de Lyon, de Pasolini à Rimbaud ou Genet, des expulsions, de Naples à Soweto ou Ramallah, il colle sur les murs des villes des existences douloureuses.




Mais l'objet de mon billet d'aujourd'hui n'est pas cet artiste, mais de ce que j'ai découvert en traversant les immenses salles su Palais des Papes, à savoir le massacre dit de la glacière, perpétré dans la nuit du 16 au 17 octobre 1791, donc au mi temps de notre Révolution et avant le commencement de la Terreur.

Derrière ce massacre, il y a comme point de départ, sinon comme motif, le rattachement d'Avignon et Comtat Venaissin, formant les États Pontificaux, à la République.




Sans rentrer complètement dans les détails, il faut remonter dans le temps pour comprendre l'originalité de ces deux entités à la fois politiques, économiques et géographiques.


En 1274, Philippe III, fils de Louis IX, donne le Comtat Vénaissin au pape Grégoire X. Philippe IV, dit le Bel, dès son couronnement en 1285, entre en conflit ouvert avec le pape Boniface VIII pour des raisons avant tout fiscales. Le pape menace le roi de France d'excommunication, mais meurt en 1303. S'ensuit d'interminables palabres et conflits pour lui élire un successeur. En 1305, Clément V est élu pontife et, pour fuir les querelles, complots et autres intrigues de Rome, décide de s"installer à Avignon avec l'aval de Philippe le Bel et après avoir, avec lui, mis en place ce qui devait conduire à la disparition de l'ordre des Templiers.

Sept papes, tous français, se succédèrent à Avignon, de 1305 à 1377.



La prise de la Bastille le 14 juillet 1789 fut le point de départ de la Révolution Française. Si à Paris, les insurgés n'inspiraient pas encore de grandes craintes, il n'en était pas de même en province où "la Grande Peur" s'installa partout sur le territoire. Le Comtat Venessain organisa des milices bourgeoises.


Pour diverses raisons, fiscales entre autres, l'agitation prit rapidement de l'ampleur à tel point que certains habitants du Comtat exigèrent de leurs seigneurs non seulement la baisse ou l'annulation des taxes, mais aussi qu'ils portent la cocarde tricolore.

L'idée de rattacher le Comtat Venaissin à la France, déjà dans les têtes de bien des gens avant même le 14 juillet 1789, prend une nouvelle force mais surtout une nouvelle forme, plus radicale. 

En 1790 et en 1791, les demandes de rattachement à la France se mêlaient aux revendications fiscales et contre la vie chère. Ce que l'on aurait pu appeler des querelles de clochers évoluèrent rapidement vers une forme de violence qui débordait le cadre politique traditionnel, sans pour autant en vraiment sortir. 

Le 7 février 1791, 25 communes du Comtat demandèrent à être rattachées à la France. Mais, à Paris, le moins que l'on puisse dire, c'est que les députés de la Constituante n'y sont pas spécialement favorables: il y a des décisions à prendre bien plus importantes. En effet, Louis XVI a été rattrapé à Varennes le 21 juin 1791 et il faut statuer sur son avenir; il faut également finaliser la Première Constitution et mettre en place la future Assemblée Législative.

C'est donc le 22 septembre 1791 que les députés de la Constituante vote le rattachement du Comtat Venessain à la France.

Michelet, dans sa monumentale "Histoire de la Révolution Française" écrit: Le parti français d'Avignon se fit Français, il faut le dire, sans la France et malgré la France. Il lui rendit, en dépit d'elle, un service signalé." (1)

François Furet, lui, note: "En Avignon, vieille terre pontificale, elle (la Constituante) a attendu jusqu'à septembre 1791, tout à la fin de son mandat, pour prononcer une annexion ratifiée d'avance par la population, qui la réclame depuis deux ans. C'est le conflit avec le pape à propos de la Constitution Civile du clergé qui a conduit les députés à entériner le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes." (2)





le lynchage de Nicolas Lescuyer

Auparavant, à Avignon, les évènements se précipitent: le 21 août 1791, la municipalité d'Avignon est renversée par un colonel de la garde nationale. Une nouvelle administration municipale est alors mise en place: parmi elle, Mathieu Jouve-Jourdan*, dit Coupe-Têtes, ainsi surnommé parce qu'il se vantait d'avoir coupé la tête du gouverneur de la Bastille. Mais surtout Nicolas Jean Baptiste Lescuyer*, secrétaire greffier de la commune d'Avignon.


Les papistes, partisans du pape et farouchement opposés tant au rattachement à la France qu'aux révolutionnaires, firent courir le bruit que les trésors de l'église avaient été confisqués et récupérés par les nouveaux administrateurs de la commune. Bruits totalement faux bien sûr, mais qui n'empêchèrent pas leurs partisans de protester violemment. Nicolas Lescuyer tenta vainement de les calmer en expliquant les réalités, mais il fut lynché par la foule. 

Michelet décrit la scène: "La foule en envoya quatre pour appréhender Léscuyer, le forcer de venir. (...) Il monta en chaire, ferme et froid d'abord. "Mes frères, dit-il avec courage, j'ai cru la Révolution nécessaire; j'ai agit de tout mon pouvoir." (...) Mais on l'arracha de le chaire, et dès lors, il était perdu. Jeté à la meute aboyante, on le tira vers la vierge. (...) Le pauvre Lescuyer, misérable objet du débat,n'espérant rien (...) Mais, à ce moment, un ouvrier taffetassier lui assène un coup si raide que le baton fut brisé et vola en deux.(...) Un terrible éclat de rire s'éleva, et on ne le toucha plus, pour qu'il savourât la mort toute entière."(3)



Bien sûr, la réaction des "patriotes" ne va pas tarder. Jean Baptiste Jourdan, futur maréchal d'empire et le colonel de la Garde Nationale incarcèrent soixante personnes, plus ou moins au hasard: certaines d'entre elles n'ont pas participé , de près ou de loin, au lynchage de Lescuyer.

Un simulacre de procès fut mis en place, très vite abandonné.

Puis, sous la direction du fils Lescuyer, 16 ans et de Jourdan Coupe-Têtes, les soixante incarcérés sont massacrés un par un et leurs corps jetés dans une tour, dite de la Glacière, en fait les latrines du palais, irrigués par les eaux et filant directement vers le Rhône. Il est à noter que Coupe-Têtes fut condamné par le tribunal révolutionnaire et guillotiné le 27 mai 1794.



Cette tuerie surprend par le fait que la vengeance s'est transformée en lynchage. Les "autorités", par lâcheté, ont été les complices d'une foule aveugle et grégaire. 


Mais au-delà de ce lynchage, il faut aussi s'interroger: était-ce le signe avant coureur de la Terreur, laquelle fut décidée par la Convention le 5 septembre 1793 en mettant, je cite, "la terreur à l'ordre du jour."

Mais la terreur n'a t-elle pas commencé avant, en septembre 1792 par exemple, quand des centaines de prisonniers dans différentes prisons de Paris et de grandes villes de France furent massacrés par des foules, elles aussi, aveugles et grégaires. 
À la limite, la terreur aurait pu commencer dès le 14 juillet 1789 avec les massacres des gardes suisses de la Bastille et de son gouverneur.



le tribunal révolutionnaire



Pourtant, il n'en est rien. 

"La terreur à l'ordre du jour", c'est-à-dire que ce sont les députés de la Convention qui l'ont décidé et donc institutionnalisée. La Patrie était en danger, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur et donc il fallait réduire les ennemis de la Révolution. Par tout les moyens. Même les pires.

Saint-Just, bras droit de Robespierre, membres tous les deux du Grand Comité après l'exécution de Danton et de ses amis, déclare le 10 octobre 1793: "Il n’y a point de prospérité à espérer tant que le dernier ennemi de la liberté respirera. Vous avez à punir non seulement les traîtres, mais les indifférents mêmes : vous avez à punir quiconque est passif dans la République et ne fait rien pour elle." 

Donc, parce que les souverains étrangers menacent, que les royalistes sont plus que jamais à l'affut, parce que la contre révolution n'a jamais baissé les bras, les révolutionnaires décident d'entraver les libertés, de les tuer même. Alors qu'ils avaient fait la Révolution pour ces libertés que leur refusait l'ancien régime. C'est un paradoxe que de vouloir supprimer la liberté au nom de la liberté. 


Hélas, ce paradoxe est encore d'actualité.
(1) in "Histoire de la Révolution Française", de Jules Michelet, livre IV, chapitre II, page 788, éditions Gallimard, bibliothèque de La Pléiade, 1952.
(2) in "la Révolution Française" de François Furet, page 328, éditions Gallimard pour les éditions GLM, 1978.
(3) ibid Michelet, page 805 et 806.

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