dimanche 20 novembre 2022

le pourquoi du comment des choses: LA COUPE DU MONDE DU FOOTBALL OUVRIER EN 1934

 Aujourd'hui 20 Novembre 2022 débute la 22ème édition de la coupe du monde de football au Qatar.

Polémiques, avalanche tardive de bonnes consciences, boycotts divers et variés caractérisent ce Mondial 2022. 



Mon billet d'aujourd'hui ne concernera pas cette compétition-là, mais celle, plus surprenante, qui a eu lieu en août 1934: la coupe du monde de football ouvrier organisée à Paris et dans ce qui s'appelait alors sa "banlieue rouge."

Faisons un bref retour en arrière dans le temps:

  • en octobre 1917, en Russie, Lénine et les bolchéviques ont pris le pouvoir et ont installé la dictature du prolétariat.
  • en octobre 1922, en Italie, Mussolini est nommé Président du Conseil et installe avec les chemises noires la dictature fasciste.
  • en mars 1933, Hitler est nommé chancelier et installe la dictature nazie.
  • en mars 1920, en Hongrie, l'amiral Horty* installe un régime autoritaire qui le conduit à soutenir l'Allemagne nazie.
  • en 1932, au Portugal, Salazar* installe un régime dictatorial et corporatiste. 
La France, république démocratique et pluraliste se retrouve, quasiment isolée, face à des états qui ont banni la démocratie et emprisonné ses citoyens républicains.

En France, les émeutes du 6  février 1934* déclenchées par l'Action Française et la Ligue des Patriotes, ébranlent le régime républicain.
En réponse, les différents partis de gauche français appellent à une journée de grèves et de manifestations le 12 février 1934:  c'est l'union des forces de gauche d'où sortira deux ans plus tard le Front Populaire.

Ce n'était pas évident parce que, jusqu'en 1934, l'URSS, alors dirigée par le seul Staline, interdit à ses alliés au sein des Démocraties européennes (PCF, PCI, PCB) toutes alliances, de près ou de loin, avec les autres partis politiques, y compris ceux classés à gauche comme la SFIO en France.
Pour le dirigeant soviétique, la social-démocratie est "l'aile du fascisme" ou "le frère jumeau du national-socialisme".
Les communistes français, sous la direction de Maurice Thorez, appliquent à la lettre les directives stalinienne dites de "classe contre classe".

Staline qui affirmait alors que « dans de nombreux pays capitalistes hautement développés, le fascisme sera le dernier stade du capitalisme avant la révolution sociale » change radicalement ses ordres aux "partis frères" et leur ordonne de mener des politiques anti-fascistes avec les autres mouvements politiques européens, de gauche bien sûr, mais aussi centristes.

Ce changement radical va s'opérer dans tous les aspects de la vie des différentes démocraties européennes, en particulier en France: politique, culturel, social, mais aussi sportif et c'est cela qui nous intéresse aujourd'hui.


En juin 1934 s'est achevée à Rome la seconde coupe du monde de foot, remportée par l'équipe italienne, salut fasciste de rigueur.

Depuis 1920, le monde ouvrier s'efforce de s'organiser différemment des instances sportives dites "bourgeoises". 


 

Ainsi, tout de suite après la Grande Guerre, la toute jeune Fédération Sportive du Travail (FST), proche du tout jeune PCF, organise avec son homologue allemande un match pour protester contre le Traité de Versailles, censé "dépasser les antagonisme nationalistes entretenus par la bourgeoisie."

Dans les "banlieues rouges" de la région parisienne, les élus communistes à la tête des municipalités considèrent le foot comme "le blason de la société communale, ouvrière et communiste" (1) 

De cette volonté naitra l'idée d'organiser une coupe du monde de football ouvrier. Mais aussi de mettre en place des compétitions, se réappropriant les classiques du "sport officiel" comme l'organisation en 1936 à Barcelone des "Olimpiada Popular", en contrepoint des Jeux Olympiques de Berlin.

 


Cette coupe du monde du football ouvrier se déroule du 11 au 18 août 1934 et engage douze équipes dont, bien sûr, celle d'URSS.
À l'opposé de la coupe du monde se déroulant en Italie, cette compétition obéit aux seules règles de "la solidarité du respect de la morale sportive et du refus de la commercialisation".

Les règles organisant les matchs eux-même ne diffèrent en rien de celles imposées par la FIFA. Pour autant, dans l'esprit des organisateurs, cette compétition n'est pas seulement une opération de propagande, mais aussi, mais surtout une façon d'être au dessus du niveau de la coupe du monde "capitaliste".

Une façon de démontrer l'exemplarité communiste, montrant des joueurs disciplinés, jouant avec calme et précision. Et donc la volonté réaffirmée de souligner, à travers un sport populaire, les différences entre les deux systèmes, capitaliste et communiste.

Les équipes de l'URSS (à gauche) et de la Norvège (à droite), à Montrouge pour la finale de la Coupe ouvrière, Regards, 1934 - source : RetroNews-BnF
 

L'URSS remportera la finale contre la Norvège. La presse des organisateurs ne manque pas de souligner de façon dithyrambique les valeurs de l'équipe soviétique: "Samedi et lundi dans la tribune de la presse, de nombreux journaliste, d’anciens joueurs de football comme Gamblin ou Chayrigues nous ont dit leur admiration de leurs réelles qualités et certains ont même comparé la valeur de l’équipe soviétique à celle d’une des plus équipes internationales de football : l’Angleterre".

À ma connaissance, il n'y a pas eu d'autre coupe du monde de football ouvrier. Sans doute, n'y avait-il pas la place pour deux compétitions concernant le même sport alors que le péril fasciste avait disparu au lendemain de 1945.  

Mais aussi peut-être que la professionnalisation du foot, actée en 1885, correspondait mieux à une compétition mondiale, même si l'esprit et la lettre du sport devaient en être quelque peu oubliés. Sans omettre la commercialisation à outrance.

Le mondial 2022 est là pour nous le rappeler. 


(1) in "we are the football", "Football et société en région parisienne, Une histoire sociale du football ouvrier" Nicolas Ksiss Université de Paris XIII

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