mardi 28 décembre 2021

Le pourquoi du comment des choses: "la trêve des confiseurs"

 

l'Assemblée Nationale (crédit AFP Thomas Samson)

 En cette fin d'année, voilà une expression que nous aurions pu entendre bien souvent si le rebond de la pandémie n'obligeait pas l'exécutif à prendre de nouvelles mesures et à les proposer au législatif.

Mais d'où vient cette expression et quelle en a été la cause?

En 1874, de vifs débats opposaient à la Chambre des députés (cette appellation disparaitra en 1946 et sera remplacée par Assemblée Nationale) et au Sénat les monarchistes et les républicains sur ce que devait être la Constitution de la France: les premiers voulaient le retour de la monarchie et les seconds pour la mise en place d'un régime réellement républicain.


Il faut se souvenir que la République a été proclamée le 4 septembre 1870 par Gambetta mais que " au lendemain de la défaite de 1870 et de la Commune, les monarchistes n'ont accepté l'installation de la République (de fait dès 1871, de droit à partir des Lois Constitutionnelles de 1875) qu'avec l'espoir de se donner le temps de l'abattre et de redonner au roi la place que lui tenait au chaud le Président de la République." (1)

Adolphe Thiers, monarchiste, est élu Président de la République et Président du Conseil par une assemblée majoritairement monarchiste, divisée entre légitimistes et orléanistes.
Son gouvernement est renversé le 24 mai 1873 et c'est le maréchal de Mac Mahon, monarchiste lui aussi, qui lui succède. Dans le même temps, le Parlement dissocie les deux fonctions essentielles de l'exécutif, celles de président de la République et de Président du Conseil.


Donc, en cette fin d'année 1874, républicains et monarchistes s'opposent avec virulence sur ce que doit être la future Constitution.

Tout opposait ces deux blocs: d'un côté, Mac Mahon, soutenu par les monarchistes, voulait imposer l'ordre moral, fondé sur les valeurs religieuses: le jours de son élection, en mai 1873, il déclarait: "Avec l'aide de Dieu, le dévouement de notre armée (...) et l'appui de tous les honnêtes gens, nous continuerons l'oeuvre (...) du rétablissement de l'ordre moral de notre pays."

Léon GAMBETTA

De l'autre, les républicains, en position de force, emmenés par Léon Gambetta* qui affirme "le cléricalisme, voilà l'ennemi" et qui entendent ne rien céder aux cléricaux monarchistes. 

Pour autant, chaque député est conscient que la fin de l'année approchant avec son intense activité économique, il importe de ne pas perturber et l'ambiance de fête et les affaires.
Albert de Broglie*, alors député de l'Eure déclare: "on convint de ne pas troubler par nos débats la reprise d'affaires commerciales qui, à Paris et dans les grandes villes, précèdent toujours le jour de l'an."

Les républicains ne sont pas vraiment enthousiastes et proposent une pause jusqu'au 28 décembre. Les monarchistes préfèrent le 11 janvier. Après quelques discussions, c'est finalement le 5 janvier 1875 que reprennent les débats sur la future constitution.

C'est la presse satirique, en particulier 'l'assiette au beurre", qui, aussitôt, a baptisé cet arrêt des débats "la trêve des confiseurs"

 


Une cliente affirme en riant: "Ce n'est pas une trêve mais un coup de bourre des confiseurs."
 

 

T. Pavot (2) écrit en 1898: "les confiseurs jubilent, profitant de la suspension des hostilités à la Chambre, et cette tranquillité dont ils bénéficient s'est appelée la trêve des confiseurs."

Cette expression est également utilisée lors de la pause -toute relative- des marchés boursiers, mais aussi lors de la pause des matchs de foot ou de rugby.

Un confiseur vers 1730, par Martin Engelbrecht  


 Le 30 janvier 1875, l'amendement Wallon est adopté en première lecture avec une seule voix d'avance: 353 contre 352. Mais en seconde lecture, avec une nette majorité: 413 contre 248.
Il stipule: "le Président de la République est élu à la majorité des suffrages par le Sénat et la Chambre des Députés réunis en Assemblée Nationale. Il est nommé pour sept ans; il est rééligible."

Cet amendement sera repris dans l'article 2 de la loi Constitutionnelle du 25 février 1875.

Depuis lors, la France est une République. Et c'est tant mieux!


 

 

 

 

 (1) in "la politique en France. Dictionnaire historique de 1870 à nos jours", sous la direction de Thomas Ferenczi, éditions Larousse - Le Monde, page 107
(2) in "l'intermédiaire des chercheurs et curieux, questions et réponses, communications diverses à l'usage de tous, littérateurs et gens du monde, artistes, bibliophiles, archéologues, généalogistes, etc, volume 38, 20 septembre 1898."

le recueil sur: https://www.youtube.com/watch?v=Tq7eFXwQAR0

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mercredi 8 décembre 2021

Le pourquoi du comment des choses: Olga PETIT, 1ère femme avocat en France.

 C'est en lisant le blog toujours bien documenté "Chez jeannette Fleurs"* que j'ai eu l'envie de savoir qui était cette femme, Olga Petit, première femme en France à prêter le serment d'avocat le 6 décembre 1900, une époque où cette profession, comme beaucoup d'autres, était interdite aux femmes. 

 

Olga BALACHOWSKY - PETIT
 

Née Sophie Balachowsky en Ukraine qui faisait alors partie de l'empire Russe, le 15 mars 1870 au sein d'une famille aisée de la bourgeoisie ukrainienne, plutôt francophile.

Elle suit des études de droit à Paris à partir de 1888 et fréquente des intellectuels, classés plutôt à gauche, tels Piotr Lavrov* mais aussi Laura, fille de Karl Marx, et son mari Paul Lafargue.*

Eugène Petit

 

 

En 1896, elle épouse Eugène Petit, avocat à la Cour d'Appel de Paris et journaliste politique.

 

 

 À cette époque, des associations féminines réclamaient le droit de vote pour les femmes (pour cela, il faudra attendre avril 1944!!!), mais aussi l'accès à certains métiers dont celui d'avocat.

La loi du 1er décembre 1900 permet aux femmes munies des diplômes de licencié en droit de prêter le serment d'avocat et donc d'exercer cette profession. 

Olga soutient une thèse en droit: "la loi et l'ordonnance dans les États qui ne connaissent pas la séparation des pouvoirs législatifs et exécutifs." Un sujet où elle aborde le système russe de l'époque, mais aussi les lois de la France et d'Angleterre d'avant 1688.

La réussite de cette thèse lui ouvre les portes des prétoires.

la "Une" du Petit Journal du dimanche 23 décembre 1900 représentant la prestation de serment d’Olga Petit

Olga prête le serment qui lui permet de porter la robe et la toque d'avocat quelques jours après la promulgation de la loi le 6 décembre 1900, lors de l'audience de la Première Cour d'Appel de Paris, présidée par Émile Forichon*.

Un journaliste du Figaro  rend compte ainsi de cette cérémonie:

"Sur les réquisitions de M. l’avocat général Jacomy, M. le greffier Piogey lit la formule du serment : « Je jure de ne rien dire ou publier, comme défenseur ou conseil, de contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes mœurs, à la sûreté de l’Etat et à la paix publique, et de ne jamais m’écarter du respect dû aux Tribunaux et aux autorités publiques. » Treize licenciés, défilent à la barre prononçant un : « Je le jure ! » la plupart du temps énergique. Puis c’est le tour de Mme Petit. La jeune femme lève la main droite, aux doigts de laquelle on aperçoit plusieurs bagues, et dit : « Je le jure ! » d’une voix légèrement étranglée par l’émotion."

Eugène Petit, le mari d'Olga, neveu de Théophile Delcassé* qui fut ministre et ambassadeur à Moscou, est en 1916, est chef de cabinet à la Présidence du Conseil. Parlant et écrivant couramment le russe, il est envoyé en mission à Pétrograd de 1916 à mars 1918, au tout début des révolutions russes, puis à la prise du pouvoir par les bolchéviks.
Sa femme sera à ses côtés et expliquera l'effort de guerre de la France auprès de ses nombreux amis russes.
Il s'agit alors de garder l'armée russe aux côtés des alliés de la Triple Entente. Mais Lénine au pouvoir signera le traite de paix de Brest-Litovsk avec l'Allemagne en mars 1918.

 Revenue en France, Olga intervient auprès des autorités françaises pour aider de nombreux intellectuels et politiques russes réfugiés en France.


Yvan Bounine

 Ainsi, Ivan Bounine*, premier russe à    recevoir le prix Noble de littérature en 1933.

 Mais aussi des philosophes, des écrivains, des critiques littéraires, des musiciens.

Elle organise des rencontres entre intellectuels et politiques, ainsi Nabokov, Keransky ou Maklakov.

Elle fait jouer ses relations pour faire obtenir à ses amis russes des permis de séjour et de travail. 

Par la suite, elle fera don aux Archives Nationales de France de lettres de plus d'une centaine de personnalités russes.

À la Bibliothèque Nationale de France, elle a fait don de sa correspondance avec des personnalités du monde littéraire et de celle de son mari décédé en 1938.

Jeanne Chauvin

Olga Petit est la première femme à devenir avocat, suivie quelques jours plus tard de Jeanne Chauvin* Ce fut elle qui fut la première à plaider devant une Cour. 

 



Comme le montre cette gravure du XIX ème siècle, le rôle dévolu à la femme est encore majoritairement lié aux tâches domestiques et/ou ménagères.

Dans le domaine de la justice, il faudra attendre avril 1946 pour qu'elles puissent devenir magistrates.

Olga Petit s'est éteinte en 1966, à 96 ans. Sa carrière d'avocate a été discrète et je n'ai pas trouvé de traces de ses plaidoiries ou des justiciables qu'elle a eu à défendre. 

Néanmoins, il m'a paru intéressant d'évoquer cette femme qui, la première, a brisé le plafond de verre du monde judiciaire. 


lundi 29 novembre 2021

Forbin et les Forbin": ou le pourquoi du comment des choses.


Qui est Claude de Forbin, chevalier puis comte de Forbin? Son nom a été donné à plusieurs bâtiments de la Marine Nationale, dont un que je connais bien pour avoir navigué à son bord pendant un peu plus de deux ans.

À partir de ses Mémoires, je vais essayer de vous raconter la vie d'un aristocrate sans peur, mais pas sans reproches. 




Claude de Forbin


Né à Gardanne le  6 août 1656 dans une puissante famille de noblesse provençale, chevalier puis comte de Gardanne, il a une enfance, puis une adolescence mouvementées.


"Mon naturel était vif, bouillant, impétueux. (...) Je voulais dominer mes compagnons, et pour peu qu'on me résistât, il fallait se prendre aux cheveux et batailler. (...) Il ne se passait guère de jours où les parents de ceux qui avaient reçu quelques coups ne vinssent porter des plaintes contre moi. On avait beau me châtier, j'étais intraitable dès qu'on voulait employer la rigueur pour me corriger." (1)

 
Mis en pension par sa mère chez un prêtre, il se réfugie chez un parent, commandant d'une galère où Forbin fut fort bien accueilli et promu suite à un duel, "garde de l'étendard". Il devait avoir dix sept ou dix huit ans. 


Son premier fait d'armes fut sa participation active lors de la campagne de Messine: il fallait délivrer cette ville encerclée par les armées et marines espagnoles et hollandaises sous les ordres de l'amiral de Ruyter.*

Mission réussie sous le commandement du lieutenant général Duquesne


De retour en France, la "garde de l'étendard" à laquelle Forbin appartenait est dissoute. Il rejoint un parent, le bailli de Forbin, qui commande les Mousquetaires du Roi. Donc, l'armée de terre.
Il participe à la campagne de Flandre en 1676 où il s'illustre lors de la prise de Condé sur l'Escaut, alors sous domination espagnole et rattachée définitivement à la France lors du traité de Nimègue* en 1678.
Ce traité est très intéressant pour la France qui récupère la Franche-Comté, quelques places fortes  et divers territoires en mer des Caraïbes.
C'est, en quelque sorte, l'apogée militaire de Louis XIV.


Bas-relief, La Paix de Nimègue, représentant de manière hagiographique les conquêtes de Louis XIV (Martin Desjardins, musée du Louvre).

 De retour dans la Marine, l'année suivante, il tue en duel le chevalier de Gourdon avec qui il avait eu maille à partir les années précédentes. Condamné à mort par le Parlement d'Aix, il réussit grâce à quelques appuis haut placés à réintégrer la Marine en 1679.

Il embarque ensuite sur un navire de l'escadre que commande le vice-amiral d'Estrées* et qui fait voile vers la Nouvelle Espagne*. Après avoir fait la rencontre de flibustiers riches de fabuleux pillages, l'escadre repartit vers Rochefort.


Carte de Nouvelle-Espagne (1561), dans la traduction de Géographie de Ptolémée de Girolamo Ruscelli

 

Comme c'était l'usage à cette époque, Forbin rejoint la Cour pour "solliciter mon avancement."

En 1685, il est major de l'ambassade menée par le chevalier de Chaumont, chargée par Louis XIV d'apporter le soutien de la France au roi de Siam, lequel craint les visées expansionnistes des Hollandais. 

Lors d'une escale au Cap, au sud de l'Afrique, c'est l'occasion pour lui de découvrir des peuples noirs qu'il décrit avec quelque condescendance, propre aux hommes de cette époque: "Les naturels du pays sont Caffres, un peu moins noirs que ceux de Guinée, bien faits de corps, très dispos, mais d'ailleurs le peuple le plus grossier et le plus abruti qu'il y ait dans le monde(...) Ces peuples vivent sans religion; ils se nourrissent de toutes sorts d'insectes. (...) Ils vont nus, hommes et femmes, à la réserve d'une peau de mouton qu'ils portent sur les épaules. (...) Les femmes portent pour tout ornement des boyaux de moutons fraichement tués, dont elles entourent leurs bras et leurs jambes." (2)
 

Ambassade française à la cour du roi de Siam

Arrivé au royaume de Siam, Forbin fait forte impression sur le souverain de ce pays, tant et si bien que ce dernier le nomme " amiral et général des armées du roi de Siam et reçoit le sabre et la veste, marques de sa nouvelle dignité."(3)
De ce fait, il se retrouve bloqué dans un pays qu'il n'apprécie guère: "je connaissais toute la misère de ce royaume (...) Je lui répondais que mettant à part le désagrément que j'aurais de rester dans un pays si éloigné et dont les manières étaient si opposées au génie de ma nation" (4)
Pourtant, il a droit à tous les honneurs, entre autre celui d'avoir accès au roi de Siam très facilement. Et ce dernier est si content de ses services qu'il le fait "opra sac di son craam"(5), "ce qui revient à peu près à la dignité de maréchal de France", précise Forbin.

 


Pendant son séjour au service du roi de Siam, il eut à combattre victorieusement quelques révoltes, certaines assez sanglantes. Détail assez cocasse, pour sauver un jeune officier français sérieusement blessé, il n'hésite pas à "opérer" lui-même: "pour cet effet, ayant accommodé deux aiguilles avec de la soie, je remis les entrailles à leur place et je cousis la plaie, comme j'avais vu faire dans de semblables occasions. Je fis ensuite deux ligatures et après avoir battu du blanc d'oeuf que je mêlais avec de l'arrack, qui est une espèce d'eau de vie, je m'en servais pour panser le malade." (6)
En 1687, prétextant des problèmes de santé, il fait ses adieux au roi de Siam: « Je m'estimais si heureux de quitter ce mauvais pays que j'oubliai dans le moment tout ce que j'avais eu à y souffrir." (7)

La Cour de Louis XIV à Versailles

 

Revenu à la Cour de Versailles, il ne mâche pas ses mots pour dire tout le mal qu'il pense au sujet de ce royaume lointain: "Sire, lui répondis-je, le royaume de Siam ne produit rien et ne consomme rien. (...) Il ne fait pas espérer de convertir aucun Siamois à la religion chrétienne; car outre qu'ils sont trop grossiers pour qu'on puisse leur donner facilement l'intelligence de nos mystères et qu'ils trouvent leur morale plus parfaite que la nôtre." (8)

Avec Jean Bart*, il escorte une flottille de navires marchands dans la Manche  quand ils sont attaqués par deux vaisseaux anglais de cinquante canons. Après un combat naval, Bart et Forbin sont fait prisonniers. Mais après une évasion rocambolesque, ils débarquent près de Saint Malo.

Jean Bart et Forbin s'évadent de leur prison à Plymouth


 En 1701 débute la guerre de succession d'Espagne qui opposera la France des Bourbon à l'Autriche des Habsbourg.

Forbin exécute quelques missions sans grande importance, en particulier autour de l'Italie, à Venise et à Trieste.
Quelques démêlés mineurs avec la "Sérénissime", le bombardement de Trieste ne sont pas pour un homme tel que Forbin une mission digne de lui. Il ne l'écrit pas, mais à travers l'ennui qui sourd de chaque phrase, il n'est pas difficile d'imaginer qu'il attend de retourner là où est sa vocation, à savoir les combats.


En 1705, il reçoit le commandement d'une escadre à Dunkerque. Affectation qu'il apprécie, mais sa susceptibilité coutumière le pousse à quelques impertinences. Ainsi cette réponse à Mr de Pontchartrain*, Secrétaire d'État à la Marine et donc un haut personnage à la Cour de Louis XIV: "Je le sais fort, répartis-je, et si je ne suis pas venu plus tôt, n'en accusez que votre avarice. Quand on appelle des gens, on leur envoie des ordres et non pas des lettres; mais l'ordre donne le paiement du voyage et vous avez voulu l'épargner." (9)

Nommé chef d'escadre, il s'illustre par la prise de nombreux navires anglais et hollandais. Il est chargé de conduire une flotte jusqu'à Édimbourg où il doit débarquer un corps expéditionnaire aux ordres d'un prétendant au trône d'Écosse. Pour diverses raisons, le débarquement n'a pas lieu et Forbin réussit à ramener la flotte et les troupes sans encombre à Dunkerque. 

Attaque d'une Escadre Angloise dans la Manche. 1707, gravure par Nicolas Ozanne.
 

Suite à ces brillants états de service, il espérait être élevé au rang de lieutenant général des armées navales. Ses mauvaises relations avec le ministre empêchèrent  Forbin d'accéder à ce grade. Il en profondément fut blessé.


Prétextant sa santé déclinante, il décide de quitter la Marine: "J'écrivis donc une dernière fois à Monsieur de Pontchartrain que mes maux augmentant de plus en plus et n'y voyant point d'autres remèdes que de me retirer entièrement, je le priais de me faire obtenir de Sa majesté un congé absolu. Ce ministre qui ne m'aimait pas (...) ne me marchanda pas: il m'envoya tout ce que je souhaitais , et il fit joindre au congé que je lui avais demandé une pension de quatre mille livres, outre celle de trois mille livres dont je jouissais depuis deux ans." (10)

À cinquante six ans, il se retire dans son château de Saint Marcel, à Marseille et meurt le 2 mars 1733 à 77 ans. 

Claude de Forbin (1656-1733), gravure de 1789 tirée de Portraits des grands hommes, femmes illustres, et sujets mémorables de France

 

Les mémoires de Claude de Forbin laissent entrevoir une personnalité entière, sûre d'elle-même, orgueilleuse et arrogante. Mais dotée d'un grand courage et d'une audace certaine. Il connait son métier et se révèle être un meneur d'hommes.
Eugène Sue*, historien de la marine, le décrit en ces termes: "  « Au physique, M. de Forbin réunissait toutes les qualités qui distinguent l'homme de guerre ; il avait un fort grand air ; il était vif, nerveux, alerte ; sa taille souple et dégagée était élégante, et il avait singulièrement réussi dans tous les exercices d'académie ; son teint brun, ses sourcils prononcés, son œil noir fixe et hardi, sa lèvre haute et dédaigneuse cadraient merveilleusement bien avec la raideur et l'imperturbable audace de son caractère, qui loin de se modérer était plus entier que jamais ; a cette impatience naturelle, poussée jusqu'à l'exaspération par la moindre contrariété, s'était joint un sentiment incurable d'envie et de jalouse rivalité contre tous les marins de son temps, en un mot, l'orgueil le plus insultant et le plus effréné pouvait passer pour de la modestie auprès du suprême mépris que M. de Forbin témoignait aux autres officiers du corps de la marine." (11)

 Paul de Joriaud, autre historien de la Marine: " Moqueur, impatient, colère, hautain, insupportable de morgue, il était avec cela d'une grande bravoure et fort bon marin. Sa suffisance était extrême, et il fallait tout l'éclat de ses services, en même temps qu'un esprit aimable et réel, pour lui faire pardonner les dédains qu'il affectait pour les plus grands hommes de son temps." (11) 

 

Dans la postface du livre des Mémoires, Micheline CUÉNIN se demande si Forbin n'a pas menti pour certains de ses récits où il se met en avant.
Pour autant, elle juge "étrange que l'aversion, pour ne pas dire la haine qu'on lui voue, augmente même avec le temps." (12)

Elle cite un dénommé Richer qui, en 1785, "déforme à loisir le texte des Mémoires, tout en colportant des ragots que personne ne redressera jamais." (12)
Elle cite Eugène Sue qui juge "le marin avec une sévérité extrême." Tout en produisant des archives qui contredisent ses propres affirmations." (12)

D'autres historiens, tel Pierre Larousse, bien obligé de dire que les Mémoires de Forbin "contiennent des pages intéressantes", sans manquer de fustiger cet écrit émanant d'un Provençal et d'un comte: il maltraite de la façon la plus indigne et la plus injuste les meilleurs hommes de mer de son temps, et notamment Jean Bart et Dugay-Trouin." (13)

Claude de Forbin Gardanne

Pour conclure, Madame Cuénin écrit: "Pour nous, il est clair que l'état définitif du texte porte bien la marque de celui qui l'a signé." (14

Me voilà rassuré!!

Forbin a donné son nom à plusieurs vaisseaux de la Marine Nationale:

  • en 1859, un aviso de 1ère classe, désarmé en 1884;
  • en 1888, un croiseur de 2ème classe, désarmé en 1913;
  • en 1944, un patrouilleur pour les FNFL et coulé volontairement pour servir de digue artificielle lors du débarquement du 6 juin 1944;
  • en 1930, un torpilleur, désarmé en 1952;
  • en 1958, un escorteur d'escadre sur lequel j'ai navigué de 1965 à fin 1967 et désarmé le 1er juin 1981;
  • en 2010, une frégate toujours en service.

Jacques MARQUET, un ancien de l'escorteur, a réalisé un site sur cet escorteur chargé d'histoires, ses voyages, ses équipages et ses commandants: https://www.eeforbin.fr/

 

l'escorteur d'escadre FORBIN arrive à Papeete en 1966

 

Les trois derniers FORBIN (dessin réalisé par Jacques MARQUET





Pour mémoire, deux de mes blogs consacrés aux Forbin:

https://claudebachelier.blogspot.com/2011/07/de-lee-forbin-la-fda-forbin.html

https://claudebachelier.blogspot.com/2014/08/trois-jours-sur-la-fregate-forbin.html


 

(1) in "Mémoires du Comte de Forbin (1656 - 1733), édition présentée et annotée par par Micheline Guénin, collection "le Temps Retrouvé", éditions Mercure de France, 1993, pages 32-33. 
(2) ibid, pages 81 et 82
(3) in Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_de_Forbin
(4) ibid, page 99
(5) "
une divinité qui a toutes les lumières et toute l'expérience pour la guerre »
(6) ibid, page 13(7) ibid, page 162
(7) ibid, page 162.
(8) ibid, pages 176 et 182.
(9) ibid, page 377.
(10) ibis, page 460.
(11) in Wikipédia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_de_Forbin
(12) ibib, page 468.
(13) ibid, page 469.
(14) ibid, page 472.

vendredi 22 octobre 2021

le pourquoi du comment des choses: "de l'imposture"

 
Une imposture désigne une parole, un acte ou une manoeuvre qui vise à tromper quelqu'un afin d'en tirer profit.


"Imposteur:" désigne d'abord une personne qui abuse de la crédulité d'autrui par des discours mensongers. (...) Désigne celui qui cherche à en imposer par de fausses apparences. (...) Personne qui usurpe un nom ou une qualité qui ne lui appartient pas."(1)


Chacun a pu remarquer que nous sommes entrés en campagne électorale en vue des présidentielles et des législatives d'avril à juin 2022.

Comme dans toutes les Démocraties, du moins celles où les candidatures sont libres de leurs choix et/ou de leurs programmes, indépendantes, partisanes ou adversaires du pouvoir en place, donc comme dans toutes les Démocraties, certaines candidatures se mettent en place et proposent leurs solutions, leurs programmes et leurs critiques. 

Chacun peut les soutenir ou les combattre suivant les schémas classiques, débats, meetings, médias, etc, etc.

Chaque impétrant(e) se présente sous son meilleur jour et vante ce qu'il ou elle croit le meilleur pour la France et les Français.

Mais il reste encore des candidatures en devenir, par exemple celle dont personne ne doute, à savoir celle du Président de la République. Tous les Présidents sortants, de Charles de Gaulle à Nicolas Sarkozy en passant par François Mitterrand et Jacques Chirac, sans oublier Valéry Giscard d'Estaing, tous ont quasiment attendu la dernière minute pour confirmer leur candidature. Et il y a de fortes chances pour qu'Emmanuel Macron respecte cette règle non écrite.

Pourtant, il y a cette année, une sorte d'exception: un candidat putatif, qui refuse de se classer à l'extrême droite et qui laisse planer le doute sur ses intentions tout en faisant la promotion de son dernier livre, y reprenant ses idées et nombre de d'affirmations qui prétendent reposer sur des faits historiques, assénées par quelqu'un qui n'est en rien un historien. Ni de près, ni de loin.


dessin de JacquesFaizant paru le 9 novembre 1970

Depuis que le général de Gaulle est mort, bien des responsables politiques se réclament de lui, même les plus improbables, comme par exemple, l'extrême droite dont les ancêtres et références politiques ont tenté de l'assassiner à plusieurs reprises. 
Cela n'empêche nullement ce candidat putatif de se rendre le 18 juin dernier à la maison natale de CdG, allant jusqu'à déposer une gerbe à son nom devant la maison... En oubliant qu'en 2010, dans son livre "la mélancolie française", il dénonçait la "trahison" de de Gaulle en 1962.

L'imposture, vous dis-je....

Il n'hésite pas non plus, sur la base de "faits" historiques qui lui sont propres, à reprendre à son compte la fameuse et ridiculement fausse théorie dite "du glaive et du bouclier" qui voudrait que  de Gaulle et Pétain se soient entendus pour se répartir les rôles contre les nazis: Pétain, le bouclier; de Gaulle le glaive. Sauf que Pétain n'a en aucune façon protéger et/ou défendu ni la France ni les Français, bien au contraire. La poignée de main échangée à Montoire dès octobre 1940 avec Hitler et quelques jours après, par le discours à la radio où il affirme qu'il "entre dans la voie de la collaboration", prouve si besoin était, qu'en fait de bouclier...

L'imposture, vous dis-je...

Il n'hésite pas non plus, ce candidat putatif à affirmer sans rougir: "je dis que Vichy a protégé les juifs français et a donné les juifs étrangers". En "oubliant" de mentionner les lois anti juives d'octobre 1940*, qui concernaient les juifs Français autant que les étrangers. Il n'est pas inutile de rappeler que sur 74000 juifs déportés, un tiers étaient français. 
Tout comme, il n'hésite pas à affirmer, en 2018, dans l'émission "Répliques" d'Alain Finkielkraut que le 16 juillet 1942, les juifs raflés, parqués au vélodrome d'hiver, puis expédiés en Allemagne, ont "bénéficié exactement de la même procédure que pour l'expulsion des étrangers irréguliers."  

L'imposture, vous dis-je...

Dans son dernier livre, il écrit à propos de l'affaire Dreyfus: " on ne saura jamais si c'était ou non l'écriture de Dreyfus". En ajoutant que "pour l'armée française, Dreyfus était allemand." Sauf que Dreyfus avait quitté l'Alsace pour rester français!! 
Le candidat putatif fait semblant d'ignorer que le commandant Henry fabriqua un faux pour accabler Dreyfus et que, quand ce faux fut mis au grand jour, la presse antisémite de l'époque parla de "faux patriotique"! C'est sans doute à partir de ces sources douteuses que ce prétendu historien en a déduit la supposée culpabilité de Dreyfus!
Sur C-News, il en rajoute à propos de l'innocence du capitaine: "ce n'est pas évident".
Peut-on imaginer mensonges plus écoeurants? 

L'imposture, vous dis-je...

Le candidat putatif va jusqu'à faire de de Gaulle l'héritier intellectuel de Maurras.
Certes, de Gaulle a lu Maurras, comme il a lu la plupart des écrivains de cette époque. Ce qui ne fait pas lui le maurrassien décrit par le candidat putatif: ne lui en déplaise, CdG a toujours été un fervent républicain, comme militaire et comme politique. 

L'imposture, vous dis-je...

Pour conclure, permettez-moi de citer Charles de Gaulle qui, dans une note écrite en octobre 1941, répond à un article de Charles Maurras paru dans l'Action Française le 1er octobre 1941 (2):


1. Passons sur les outrages, sans intérêt, et prenons les idées/
2. Maurras m'oppose à moi-même quant à la politique de guerre à outrance, la façon dont il dit que j'ai jugé la politique de Gambetta en 70-71.
3. D'abord que j'ai proclamé que la Défense nationale a sauvé l'honneur, qui a sa valeur...
4. (...)
5. Encore, que l'armistice en 70-71 nous apportait tout de suite la paix. Que nous a apporté l'armistice de Pétain?
6. Enfin, que la France était seule en 70-71. Sa défaite militaire était donc irrémédiable. Sommes nous seuls dans la guerre d'à présent?
Quant à mon jugement sur Pétain - nécessité de politique à part -il fut toujours le même: Pétain fut un très grand homme qui mourut vers 1925." 

Il n'est pas difficile de comprendre que le candidat putatif n'est certainement pas un historien. 
Par contre, imposteur, cela ne fait aucun doute...



(1) in "le Robert, dictionnaire historique de la langue Française" sous la direction de Alain Rey, 3ème édition, janvier 2000, page 1075.

(2) in "Charles de Gaulle lettres notes et carnets, éditions Robert Laffont, collection Bouquins, 2010, page 1313.


le recueil sur: https://www.youtube.com/watch?v=Tq7eFXwQAR0

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dimanche 12 septembre 2021

un avion sous l'arc de triomphe ou le pourquoi du comment des choses

 

Le 14 juillet 1919, soit neuf mois après l'armistice de la victoire, l'armée française et ses alliés défilent fièrement sur les Champs Élysées.


 


C'est le défilé de la victoire, les maréchaux Foch, Joffre et Pétain à la tête des troupes françaises et alliées. Les fantassins sont à pied; les artilleurs sur leurs affuts tirés par des camions; les tankistes, toutes nouvelles unités, dans leurs chars; les marins à pied, difficile de défiler à Paris sur un croiseur; et les aviateurs... à pied.

 


 

Et c'est là que le bât blesse:  ceux que les matafs et les biffins ne surnomment pas encore "les gonfleurs d'hélice" n'ont pas été autorisés par l'état-major de l'armée à survoler les Champs Élysées aux commandes de leurs avions. 

 

 Et pour eux, pour les aviateurs, c'est bien plus qu'une vexation, bien plus qu'une insulte: c'est une humiliation! 

Ouvrons une parenthèse pour remonter à l'apparition du mot "avion".

Il faut se souvenir que  Clément ADER* avait appelé ses premiers prototypes "Éole", puis "Avion", le troisième ayant réussi à "voler" quelques mètres le 12 octobre 1897 devant des représentants de l'armée, lesquels avaient financé "Avion III".

lAvion III de Clément ADER

Pour nommer ses créations, Ader avait, en quelque sorte, créé un néologisme à partir de l'expression latine, "avis", qui signifie oiseau.
C'est sans doute à partir de cette époque que le mot avion est passé dans le langage courant, remplaçant "aéroplane".
Et tout naturellement, ceux qui pilotaient ces drôles d'engins ont été appelés aviateurs.
Ce fut Louis Blériot* qui, le premier fut breveté en 1908. Le 25 juillet 1909, il traverse la Manche, de Calais à Douvres.


Franz Reichel, pionnier de l'aviation (en tant que passager) écrit dans l'Illustration:
"Le grand geste est accompli : pour la première fois un homme conduisant un oiseau de toile, d’acier qui vomissait le feu, véritable dragon des légendes effarées d’autrefois, a traversé la mer, et, quittant un continent, pris terre sur l’autre par le chemin des airs à demi domptés. » 

La même année, Élise Deroche* sera la première femme à être brevetée.

Fermons la parenthèse.

Donc, les aviateurs humiliés sont en colère. Il faut laver l'affront coûte que coûte. Et pour laver un tel affront, rien de mieux qu'une provocation, histoire de montrer à ces biffins galonnés qu'un aviateur sait mieux voler dans les airs que marcher sur le bitume...

Charles GODEFROY

Très vite la décision est prise de passer en avion sous l'arc de Triomphe. Et c'est Charles GODEFROY*, un adjudant chef avec 500 heures de vol au compteur et une bonne expérience de moniteur après la guerre qui lavera l'affront fait aux aviateurs.


Godefroy  a 31 ans et n'a pas froid aux yeux. Ce défi lui plait. Avec son ami journaliste Jacques Mortane*, il va aller sur place faire quelques repérages. En effet, il peut y avoir des courants d'air et des turbulences et il s'agit de bien connaitre le passage. Même si son avion ne fait que 7,52 mètres d'envergure, la voute de l'arc, elle,  n'est haute que de à peine 30 mètres et large de 16 mètres.

Après auparavant avoir fait quelques entrainements sous le pont de Miramas, le 7 août 1919, Charles Godefroy décolle en catimini de l'aéroport de Villacoublay à bord d'un biplan Nieuport 11.
Vers 8h00, il commence son approche par l'avenue de la Grande Armée. Il prend de la vitesse et passe sous la voute, un peu en biais, sans difficulté aucune.
Puis, après avoir survolé la place de la Concorde, il retourne à Villacoublay où personne n'est au courant de l'exploit



 

Jacques Mortane a photographié et filmé la scène. Même si le préfet de police a interdit la diffusion du film, de nombreux articles seront publiés dans la presse: 

https://www.dailymotion.com/video/x1xgjxf



Charles Godefroy dont le nom a très vite été connu ne sera pas sanctionné par ses supérieurs. Pour autant, ce vol aura été son dernier et il quittera l'armée presque aussitôt.

Il faut noter qu'à cette époque, l'aviation faisait partie intégrante de l'armée de terre. Il faudra attendre l'année 1934 pour que l'aviation devienne une arme à part entière au sein des armées françaises. 

L'exploit de C. Godefroy ne sera imité que soixante plus tard, le 18 octobre 1981 par un ancien pilote de chasse, Alain Marchand, aux commandes d'un avion de 10 mètres d'envergure, avec à la clef une amende de 5000 francs. Quelques années plus tard, ce sont deux pilotes d'ULM qui réussiront le passage. 

Il fallait un mélange de courage et d'inconscience, mais aussi de défi vis à vis de l'institution militaire, à Godefroy pour avoir tenté et réussi un tel vol. Il n'a cherché à en tirer aucune gloire et c'est cela qui fait de son geste un exploit. Un vrai..

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