La République est bien en place
et nul ne la remet sérieusement en cause. Pour autant, la montée d'un
nationalisme outrancier va se nourrir de plusieurs crises qui auraient
pu la faire vaciller: le boulangisme, l'affaire Dreyfus, les scandales
financiers ou certaines tensions internationales, notamment avec
l'Allemagne ou l'Angleterre. Mais le rôle des présidents n'aura pas été
que protocolaire pour maintenir la cohésion sociale et la paix.
Sadi CARNOT |
Marie-François Sadi CARNOT: 1837 - 1894. Président de décembre 1887 à juin 1894.
Il
est le petit fils de Lazare Carnot, dit "le grand Carnot", créateur des
"quatorze armées de la République"; il est fils de ministre, neveu de
magistrats. Lui-même est diplômé de l'école Polytechnique. C'est lui qui
conçoit les "vannes de Thiou", un système de régulation de la sortie des eaux du lac d'Annecy.
Siégeant
sur les bancs de la gauche républicaine, il a été à plusieurs reprises
ministre, après avoir été préfet de la Seine Inférieure en 1871. Son
élection à la présidence est plutôt une élection par défaut: Clémenceau
et ses amis radicaux voulant à tout prix barrer la route de l'Elysée à
Jules Ferry.
Au
début de son mandat éclate une crise politique majeure déclenchée par
le général Boulanger, ancien ministre de la guerre, très populaire chez
les militaires pour avoir modernisé l'armée et avoir eu une attitude
belliqueuse vis à vis de l'Allemagne. Chassé de l'armée en 1888, il est
élu député très facilement. Il reçoit le soutien des bonapartistes et
des monarchistes. Sa popularité, son populisme revendiqué le pousse à
un discours très "anti système" et certains de ses partisans le poussent
au coup d'état. Ce qu'il refuse. Dès lors, il perd nombre de ses
soutiens. Accusé de trahison, de corruption et de détournements de fonds
publics, il s'enfuit à Bruxelles. Il se suicide en septembre 1891.
Une
autre crise, toute aussi grave, a éclaté pendant son mandat: le
scandale du Canal de Panama à partir de l'année 1889. La corruption de
députés, de ministres, de journalistes pour la réalisation de ce projet
fut révélée au grand jour suite à la faillite de la compagnie et à la
ruine de plus de 85 000 épargnants qui avaient souscrit à son capital.
La fusillade de Fourmies le 1er mai 1891 où 8 mineurs adolescents furent
tués par les forces de l'ordre ajoutèrent à la confusion.
L'affaire
Wilson, le scandale de Panama, Fourmies, ces évènements ajoutés à une
misère endémique de la classe ouvrière et à un enrichissement indécent
de la bourgeoisie "n'avaient aucune peine à soulever des
indignations qui criaient vengeance sans attendre. L'anarchie n'attend
pas! De 1892 à 1894, une vague d'attentats à la bombe sévit, surtout à
Paris, frappant d'abord le domicile de magistrats ou de policiers
répressifs... Puisque la société est à ce point injuste - disaient-ils
-la loi et les institutions qui en assument le maintien sont détestables
et ne méritent que la haine et si possible l'agression". (1) Ainsi l'anarchie comme réponse à la misère et à la répression.
Sadi Carnot, parce qu'il avait refusé la grâce d'un anarchiste condamné à mort, fut assassiné à Lyon le 24 juin 1894 par Santé Casério, anarchiste lui aussi.
Aux côtés de son grand-père Lazare Carnot, il est le seul Président de la République à être inhumé au Panthéon.
Sadi
Carnot, par son intégrité et son honnêteté, reconnues par tous, a été
un rempart discret mais efficace contre les différentes crises qui ont
éclaté pendant son mandat. On lui doit aussi un rapprochement avec la
Russie, ainsi qu'une extension de l'empire colonial français au
Niger, au Dahomey, au Mali et à la Guinée. Le 15 mai 1889, il inaugure
la Tour Eiffel et l'exposition universelle de Paris. C'est aussi sous
son mandat, et avec l'aide du pape Léon XIII que les catholiques
français se sont ralliés à la République.
On
peut affirmer, sans risque de se tromper, que Sadi Carnot a donné de
l'éclat à sa présidence par sa probité, sa lucidité et son sang froid.
Ce n'est pas un mince résultat.
Casimir PERRIER |
Jean Casimir Perrier: 1847 - 1907. Président du 27 juin 1894 au 16 janvier 1895.
Petit fils d'un président du
conseil de Louis Philippe, fils de ministre, il est le représentant type
de la haute bourgeoisie industrielle puisque propriétaire des mines
d'Anzin. Lui même sera député, ministre et Président du Conseil en 1893.
Sous son court mandat éclatera l'affaire Dreyfus, ce capitaine accusé à tort d'espionnage au profit de l'Allemagne.
Rejeté violemment par la gauche républicaine qui voit en lui "l'incarnation
vivante, le rejeton orgueilleux des grands bandits légaux qui ont
détroussé nos ancêtres par l'usure, par la savante mise en oeuvre de
tous les procédés de la loi faite par eux, et pour eux" (2), il se
retrouve très vite isolé. Ignoré sinon méprisé des membres du
gouvernement, il démissionne à peine sept mois après son élection.
Félix FAURE: 1841 - 1899. Président de janvier 1895 à février 1899.
Félix FAURE |
D'origine
modeste, il est d'abord ouvrier puis il créé un négoce de cuir au
Havre. Il est élu député en 1881, et sera sous-secrétaire d'Etat, puis
ministre de la Marine avant que d'être élu Président en 1895.
Alfred Dreyfus a été condamné en décembre 1894. Il apparaît très vite qu'il
est innocent, mais la haute hiérarchie militaire persiste à le
considérer comme coupable malgré les preuves qui s'accumulent prouvant
la machination pour faire accuser Dreyfus. Au début de son mandat, Félix
Faure n'a pas vraiment d'opinion. Mais au fur et à mesure qu'apparaît
la duplicité du haut état-major de l'armée, il soutient celui-ci contre
toute évidence. Ainsi, ne déclare t-il pas: "tant que je serai président, la révision ne se fera pas." (3)
C'est à lui qu'Emile Zola adressera une lettre ouverte dans l'Aurore le
13 janvier 1898: "J'accuse", lettre qui aura un très grand
retentissement, ce qui conduit Zola devant les Assises mais expose
"l'affaire Dreyfus" sur la place publique.
La
coopération avec la Russie a été intensifiée: le Président se rend à
Saint-Pétersbourg en 1897, après que le tsar Nicolas II soit venu en
France.
Madagascar devient officiellement une colonie française en 1896.
Félix
Faure décède le 16 février 1899. Il serait mort en galante compagnie,
ce qui donnera lieu à des commentaires aussi cruels que croustillants.
Il
fut surnommé le "président soleil" à cause de son goût pour les
réceptions fastueuses qu'il donnait à l'Elysée et des nombreux voyages
qu'il effectuait tant en France qu'à l'étranger. Il convenait,
affirmait-il, de garder intact le prestige de la France partout dans le
monde: "Je fais mon métier qui est de représenter la France le
mieux que je peux, de la représenter aimable et digne sous la forme
républicaine comme elle l'était sous les anciens régimes." (4) Ce qui prouve sa lucidité sur l'influence limitée du Président de la République sur la conduite des affaires: " Je suis la reine d'Angleterre". (5)
Emile LOUBET: 1838 - 1929. Président du 18 février 1899 au 18 février 1906.
Emile LOUBET |
Originaire de la Drôme, fils
d'agriculteurs, il suit des études de droit et devient avocat à
Montélimar.
Elu député, puis sénateur, il sera ministre, Président du
Conseil pendant neuf mois en 1892, puis président du Sénat en 1896. Il
sera élu très facilement à la présidence de la République le 18 février
1899.
Le début du mandat d'Emile Loubet débute dans l'agitation nationaliste: après les funérailles de Félix Faure, Paul Déroulède tente un coup d'état qui échoue gràce au refus de l'armée de le suivre.
Le 19 septembre 1899, il gracie
Alfred Dreyfus, sans pour autant signifier la fin de "l'affaire": en
effet, Dreyfus et ses partisans veulent que l'innocence soit reconnue et
exigent pour cela un nouveau procès. Le capitaine Dreyfus sera
réhabilité le 12 juillet 1906.
En juillet 1901, la loi sur la liberté d'association est votée.
Celle de la séparation des
églises et de l'Etat le sera le 9 décembre 1905, loi qui entraînera des
manifestations, parfois violentes.
Même si René Rémond juge cette période comme étant celle d'un "anticléricalisme d'Etat,
le septennat de Emile Loubet se caractérise par une certaine stabilité
ministérielle: en effet, seuls quatre Présidents du Conseil exercèrent
cette fonction: Charles Dupuy en 1899; Pierre Waldeck-Rousseau, de 1899 à
1902; Emile Combes, de 1902 à 1905; Maurice Rouvier, 1905 à 1906.
Mais c'est aussi une période qui
a vu d'importants progrès sociaux, comme la réduction du temps de
travail: ramené à onze heures par jour pour les adultes et à neuf heures
pour les mineurs.
Le 8 avril 1904, l'Entente
Cordiale avec l'Angleterre est signée. De même que la Triple Entente
réunissant la France, la Russie et l'Angleterre est mise en oeuvre, face
à la Triple Alliance (ou Triplice) qui réunit l'Allemagne,
l'Autriche-Hongrie et l'Italie.
Emile Loubet termine son
septennat le 18 février 1906 et se retire de la vie politique. Son
mandat restera comme l'un des plus stables de la III ème République.
Sans doute par la tranquille assurance de cet homme mais aussi par le
respect scrupuleux qu'il avait des limites de sa fonction: "le
président doit se renfermer dans son irresponsabilité constitutionnelle
en ce qui concerne les mesures gouvernementales et s'abstenir de tout
acte personnel. Il ne peut qu'offrir ses conseils aux ministres et j'ai
conscience de n'avoir pas manqué à ces devoirs." (6)
(1) in la République 1880 - 1932 de Maurice Agulhon, éditions Hachette 1990, page 130.
(2) Alexandre Millerand, in "les Présidents de 1870 à nos jours" de Raphaël Piastra, éditions Eyrolles, 2012, page 47.
(3) in "l'Affaire", de Jean Denis Bredin, éditions Fayard, 1993, page 303.
(4) in "les présidents de 1870 à nos jours", de Raphaël Piastra, éditions Eyrolles, page 50.
(5) Ibid, page 51(6) Ibid page 56.
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