mardi 15 mai 2012

les Présidents de la République Française: 2 ème partie: 1887 - 1906


La République est bien en place et nul ne la remet sérieusement en cause. Pour autant, la montée d'un nationalisme outrancier va se nourrir de plusieurs crises qui auraient pu la faire vaciller: le boulangisme, l'affaire Dreyfus, les scandales financiers ou certaines tensions internationales, notamment avec l'Allemagne ou l'Angleterre. Mais le rôle des présidents n'aura pas été que protocolaire pour maintenir la cohésion sociale et la paix.

Sadi CARNOT
Marie-François Sadi CARNOT: 1837 - 1894. Président de décembre 1887 à juin 1894.

Il est le petit fils de Lazare Carnot, dit "le grand Carnot", créateur des "quatorze armées de la République"; il est fils de ministre, neveu de magistrats. Lui-même est diplômé de l'école Polytechnique. C'est lui qui conçoit les "vannes de Thiou", un système de régulation de la sortie des eaux du lac d'Annecy.

Siégeant sur les bancs de la gauche républicaine, il a été à plusieurs reprises ministre, après avoir été préfet de la Seine Inférieure en 1871. Son élection à la présidence est plutôt une élection par défaut: Clémenceau et ses amis radicaux voulant à tout prix barrer la route de l'Elysée à Jules Ferry.

Au début de son mandat éclate une crise politique majeure déclenchée par le général Boulanger, ancien ministre de la guerre, très populaire chez les militaires pour avoir modernisé l'armée et avoir eu une attitude belliqueuse vis à vis de l'Allemagne. Chassé de l'armée en 1888, il est élu député très facilement. Il reçoit le soutien des bonapartistes et des monarchistes. Sa popularité, son populisme revendiqué  le pousse à un discours très "anti système" et certains de ses partisans le poussent au coup d'état. Ce qu'il refuse. Dès lors, il perd nombre de ses soutiens. Accusé de trahison, de corruption et de détournements de fonds publics, il s'enfuit à Bruxelles. Il se suicide en septembre 1891.

Une autre crise, toute aussi grave, a éclaté pendant son mandat: le scandale du Canal de Panama à partir de l'année 1889. La corruption de députés, de ministres, de journalistes pour la réalisation de ce projet fut révélée au grand jour suite à la faillite de la compagnie et à la ruine de plus de 85 000 épargnants qui avaient souscrit à son capital.

La fusillade de Fourmies le 1er mai 1891 où 8 mineurs adolescents furent tués par les forces de l'ordre ajoutèrent à la confusion.

L'affaire Wilson, le scandale de Panama, Fourmies, ces évènements ajoutés à une misère endémique de la classe ouvrière et à un enrichissement indécent de la bourgeoisie "n'avaient aucune peine à soulever des indignations qui criaient vengeance sans attendre. L'anarchie n'attend pas! De 1892 à 1894, une vague d'attentats à la bombe sévit, surtout à Paris, frappant d'abord le domicile de magistrats ou de policiers répressifs... Puisque la société est à ce point injuste - disaient-ils -la loi et les institutions qui en assument le maintien sont détestables et ne méritent que la haine et si possible l'agression". (1) Ainsi l'anarchie comme réponse à la misère et à la répression.

Sadi Carnot, parce qu'il avait refusé la grâce d'un anarchiste condamné à mort, fut assassiné à Lyon le 24 juin 1894 par Santé Casério, anarchiste lui aussi.

Aux côtés de son grand-père Lazare Carnot, il est le seul Président de la République à être inhumé au Panthéon.

Sadi Carnot, par son intégrité et son honnêteté, reconnues par tous, a été un rempart discret mais efficace contre les différentes crises qui ont éclaté pendant son mandat. On lui doit aussi un rapprochement avec la Russie, ainsi qu'une extension de l'empire colonial français au Niger, au Dahomey, au Mali et à la Guinée. Le 15 mai 1889, il inaugure la Tour Eiffel et l'exposition universelle de Paris. C'est aussi sous son mandat, et avec l'aide du pape Léon XIII que les catholiques français se sont ralliés à la République.

On peut affirmer, sans risque de se tromper, que Sadi Carnot a donné de l'éclat à sa présidence par sa probité, sa lucidité et son sang froid. Ce n'est pas un mince résultat.

Casimir PERRIER
Jean Casimir Perrier: 1847 - 1907. Président du 27 juin 1894 au 16 janvier 1895.

Petit fils d'un président du conseil de Louis Philippe, fils de ministre, il est le représentant type de la haute bourgeoisie industrielle puisque propriétaire des mines d'Anzin. Lui même sera député, ministre et Président du Conseil en 1893.

Sous son court mandat éclatera l'affaire Dreyfus, ce capitaine accusé à tort d'espionnage au profit de l'Allemagne.

Rejeté violemment par la gauche républicaine qui voit en lui "l'incarnation vivante, le rejeton orgueilleux des grands bandits légaux qui ont détroussé nos ancêtres par l'usure, par la savante mise en oeuvre de tous les procédés de la loi faite par eux, et pour eux" (2), il se retrouve très vite isolé. Ignoré sinon méprisé des membres du gouvernement, il démissionne à peine sept mois après son élection.

Félix FAURE: 1841 - 1899. Président de janvier 1895 à février 1899.
Félix FAURE
D'origine modeste, il est d'abord ouvrier puis il créé un négoce de cuir au Havre. Il est élu député en 1881, et sera sous-secrétaire d'Etat, puis ministre de la Marine avant que d'être élu Président en 1895.

Alfred Dreyfus a été condamné en décembre 1894. Il apparaît très vite qu'il est innocent, mais la haute hiérarchie militaire persiste à le considérer comme coupable malgré les preuves qui s'accumulent prouvant la machination pour faire accuser Dreyfus. Au début de son mandat, Félix Faure n'a pas vraiment d'opinion. Mais au fur et à mesure qu'apparaît la duplicité du haut état-major de l'armée, il soutient celui-ci contre toute évidence. Ainsi, ne déclare t-il pas: "tant que je serai président, la révision ne se fera pas." (3) C'est à lui qu'Emile Zola adressera une lettre ouverte dans l'Aurore le 13 janvier 1898: "J'accuse", lettre qui aura un très grand retentissement, ce qui conduit Zola devant les Assises mais expose "l'affaire Dreyfus" sur la place publique.

La coopération avec la Russie a été intensifiée: le Président se rend à Saint-Pétersbourg en 1897, après que le tsar Nicolas II soit venu en France.

Madagascar devient officiellement une colonie française en 1896.

Félix Faure décède le 16 février 1899. Il serait mort en galante compagnie, ce qui donnera lieu à des commentaires aussi cruels que croustillants.

Il fut surnommé le "président soleil" à cause de son goût pour les réceptions fastueuses qu'il donnait à l'Elysée et des nombreux voyages qu'il effectuait tant en France qu'à l'étranger. Il convenait, affirmait-il, de garder intact le prestige de la France partout dans le monde: "Je fais mon métier qui est de  représenter la France le mieux que je peux, de la représenter aimable et digne sous la forme républicaine comme elle l'était sous les anciens régimes." (4) Ce qui prouve sa lucidité sur l'influence limitée du Président de la République sur la conduite des affaires: " Je suis la reine d'Angleterre". (5)

Emile LOUBET: 1838 - 1929. Président du 18 février 1899 au 18 février 1906.
Emile LOUBET
Originaire de la Drôme, fils d'agriculteurs, il suit des études de droit et devient avocat à Montélimar. 

Elu député, puis sénateur, il sera ministre, Président du Conseil pendant neuf mois en 1892, puis président du Sénat en 1896. Il sera élu très facilement à la présidence de la République le 18 février 1899.

Le début du mandat d'Emile Loubet débute dans l'agitation nationaliste: après les funérailles de Félix Faure, Paul Déroulède tente un coup d'état qui échoue gràce au refus de l'armée de le suivre.

Le 19 septembre 1899, il gracie Alfred Dreyfus, sans pour autant signifier la fin de "l'affaire": en effet, Dreyfus et ses partisans veulent que l'innocence soit reconnue et exigent pour cela un nouveau procès. Le capitaine Dreyfus sera réhabilité le 12 juillet 1906.

En juillet 1901, la loi sur la liberté d'association est votée.
Celle de la séparation des églises et de l'Etat le sera le 9 décembre 1905, loi qui entraînera des manifestations, parfois violentes.

Même si René Rémond juge cette période comme étant celle d'un "anticléricalisme d'Etat, le septennat de Emile Loubet se caractérise par une certaine stabilité ministérielle: en effet, seuls quatre Présidents du Conseil exercèrent cette fonction: Charles Dupuy en 1899; Pierre Waldeck-Rousseau, de 1899 à 1902; Emile Combes, de 1902 à 1905; Maurice Rouvier, 1905 à 1906.

Mais c'est aussi une période qui a vu d'importants progrès sociaux, comme la réduction du temps de travail: ramené à onze heures par jour pour les adultes et à neuf heures pour les mineurs.

Le 8 avril 1904, l'Entente Cordiale avec l'Angleterre est signée. De même que la Triple Entente réunissant la France, la Russie et l'Angleterre est mise en oeuvre, face à la Triple Alliance (ou Triplice) qui réunit l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l'Italie.

Emile Loubet termine son septennat le 18 février 1906 et se retire de la vie politique. Son mandat restera comme l'un des plus stables de la III ème République. Sans doute par la tranquille assurance de cet homme mais aussi par le respect scrupuleux qu'il avait des limites de sa fonction: "le président doit se renfermer dans son irresponsabilité constitutionnelle en ce qui concerne les mesures gouvernementales et s'abstenir de tout acte personnel. Il ne peut qu'offrir ses conseils aux ministres et j'ai conscience de n'avoir pas manqué à ces devoirs." (6)

(1) in la République 1880 - 1932 de Maurice Agulhon, éditions Hachette 1990, page 130.
(2) Alexandre Millerand, in  "les Présidents de 1870 à nos jours" de Raphaël Piastra, éditions Eyrolles, 2012, page 47.
(3) in "l'Affaire",  de Jean Denis Bredin, éditions Fayard, 1993, page 303.
(4) in "les présidents de  1870 à nos jours", de Raphaël Piastra, éditions Eyrolles, page 50.
(5) Ibid, page 51(6) Ibid page 56.

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