dimanche 31 mai 2020

Londres: 1665 - 1666

Une épidémie de peste particulièrement meurtrière eut lieu à Londres en 1655, suivie par un incendie dévastateur aussitôt après. 

Avant de poursuivre, il n’est pas inutile de rappeler que la peste est une bactérie, « yersinia pestis*« , découverte en 1894 par Alexandre Yersin*, un médecin de l’Institut Pasteur.


yersinia pestis

Cette bactérie se trouve généralement chez les petits mammifères et les puces dont ils sont les hôtes. Il y a deux sortes de peste: 

  • la bubonique, la plus courante, uniquement contagieuse si l’on touche au bubon, elle affecte les ganglions lymphatiques; 
  • la pulmonaire, très contagieuse en transmettant d’une personne à l’autre les gouttelettes respiratoires en suspension dans l’air et qui entraine la mort très rapidement.
Quand la maladie est traitée rapidement, des injections d’antibiotiques peuvent la stopper.




Les autorités londoniennes savaient qu’une épidémie de peste sévit aux Pays Bas. Une quarantaine sévère a donc été mise en oeuvre dans les ports anglais, d’autant plus rigoureusement que l’Angleterre était en guerre avec les Pays Bas, pour la seconde fois et pour une affaire de suprématie sur les lignes maritimes commerciales.


Pourtant, des négociants peu scrupuleux vont réussir à débarquer des ballots de soie ou de fourrures. L’épidémie serait partie de ces marchandises.

La première victime, Margaret Ponteus, serait décédée le 12 avril 1665. La maladie va se répandre près vite, partant des quartiers les plus pauvres pour atteindre le centre de Londres. 
Ce sont donc les déshérités, les mendiants, les ouvriers, les domestiques qui seront les plus touchés. Daniel Defoe dans son livre écrit: « Les pauvres sont les principales victimes de l’épidémie. Dépourvus d’épargne, la perte des revenus du travail les conduit à accepter les jobs qui demeurent car essentiels ou qui sont en forte demande (infirmières, gardiens de maisons contaminées, croque-morts. » (1)






Les mois de mai, de juin et de juillet sont anormalement chauds, sans qu’il y ait eu forcément de relations de cause à effet. Le nombre de morts augmente chaque semaine, jusqu’à 2 à 3000. En septembre 1665, au pic de l’épidémie, on dénombrera plus de 7000 morts dans la même semaine.


Dans son journal, Samuel Pepys * écrit: « Je me prépare à déménager à Woolwich, la peste ayant augmenté cette semaine au-delà de toute prévision: plus de six mille morts » (31 août).

À cette époque, la capitale anglaise comptait 500 000 habitants. Certains historiens estiment que ce chiffre est exagéré. Une grande partie de la population va fuir la ville, les plus fortunés bien évidemment qui se réfugieront à la campagne. Le roi Charles II, sa famille et sa cour fuient leur palais.

« Par ordre du roi, ces quartiers étaient condamnés, et il était défendu à toute personne, sous peine de mort, de pénétrer dans leurs affreuses solitudes. » (2)

Parmi les autorités, ne restent à Londres que le lord maire et les conseillers municipaux. Ils organisent le nettoyage de la ville: évacuer tout les cadavres restés dans les maisons, évacuer les carcasses de chiens et de chats, ces derniers étant réputés propager la maladie, isoler les malades et leur famille, ce qui aura pour effet de contaminer ceux qui ne le sont pas. 

Les rues de Londres sont désertes puisque ce qui reste des londoniens encore présents n’ont plus le droit de sortir. Un corps d’inspecteurs, de médecins et d’infirmières est créé, chargé de visiter les malades, de s’assurer qu’ils ne meurent pas de faim. Les membres de ce corps, quand ils se déplacent, ont à la main une longue baguette rouge pour que les passants ne les contactent pas.




L’interdiction de sortir est alors considérée par les juristes anglais comme contraire à la loi qui permet à chacun de se déplacer librement. Daniel Defoe, dans « Journal de l’année de la peste » publié anonymement en 1722, soit soixante sept après l’épidémie. Né en 1661, il n’avait donc que quatre ans et en conséquence, il ne peut s’agir de souvenirs personnels. 


Dans cet ouvrage, à travers le narrateur, il s’en prend aux charlatans, aux médecins qui vendaient des médicaments plus dangereux que la peste; aux curés qui ont abandonné leurs paroissiens, mais aussi aux quakers, aux presbytériens: « Les interprétations religieuses fleurissent, mais aussi toutes sortes de superstitions. Charlatans, prophètes, astrologues, guérisseurs, escrocs s’en donnent à cœur-joie. »(3) Il ajoute: « « Dieu n’a pas besoin de la peste pour affirmer son pouvoir »

Le narrateur de son livre doute de l’efficacité de la méthode imposée par les autorités: pour des raisons morales, mais surtout politiques: empêcher les londoniens de se déplacer librement, encourageant la corruption, la violence, les crimes. Il rejoint ainsi les contempteurs qui avaient exprimé les mêmes réserves à l’époque de l’épidémie.




Daniel Defoe

Les différents états qui n’avaient pas été touchés par la peste comme l’Espagne ou l’Italie, avaient fermé leurs frontières, empêchant ainsi le moindre commerce avec l’Angleterre. Les différentes entreprises, surtout les manufactures, qui travaillaient pour l’exportation, se retrouvèrent en faillite et durent licencier leurs ouvriers, augmentant ainsi une pauvreté déjà bien trop présente.

Différents moyens de combattre l’épidémie furent mis en place, sans réels succès: les feux de plein air censés purifier l’air; le tabac à qui l’on prêtait des vertus médicinales au point que les autorités allèrent jusqu’à obliger les écoliers à fumer, ceux qui refusaient étant alors fouettés.


Le vinaigre, l’eau de rose et certaines plantes aromatiques étaient également recommandées pour purifier l’air des habitations.


Si la peste a sévit principalement à Londres, la campagne environnantes ne fut pas pour autant épargnée. Certains villages perdirent une grande partie de leur population. 


Ajoutées aux milliers de victimes londoniennes, ces pertes eurent des conséquences démographiques importantes: en 1650, 5,2 millions d’habitants peuplaient l’Angleterre, en 1680, seulement 4,9 millions.




the Great Fire
L’épidémie a très vite disparue. Sans que l’on en connaisse les véritables raisons, comme cela était le cas à cette époque.


Certains chroniqueurs de cette époque ont attribué cette disparition au grand incendie qui a ravagé la capitale anglaise en septembre 1666. Cet incendie aurait éradiqué rats et bactéries ainsi que les habitations insalubres où la peste avait pu s’installer. Cette hypothèse n’est sans doute pas à rejeter, tant il est vrai que les flammes ont détruit une bonne partie de Londres. 

Le feu serait parti d’une boulangerie tenue par Thomas Farringera. Ce dernier se réfugia alors sur les toits, sans pouvoir emmener sa fille qui mourra dans les flammes.

Pendant quatre jours, le feu, alimenté par des vents violents, a détruit quinze mille maisons, palais, bâtiments publics, églises, y compris la cathédrale St Paul.

Les constructions étaient construites majoritairement en bois, avec des foyers ouverts et des fours, des dépôts de bitume, de graisse, de suif, de charbon. Pas de services incendie digne de ce nom. Il existait bien des fourgons d’incendie, montés sur roue ou sur patins, mais plutôt inefficaces car peu maniables. Chaque maison était équipée d’un crochet à incendie, très efficace, la destruction des habitations étant alors la méthode employée pour circonscrire les incendies. Ce qui n’était pas toujours facile car les rues sont très étroites et souvent encombrées. 

Comme il arrive souvent en pareil cas, des rumeurs de complots, d’invasion par des armées étrangères circulaient parmi les londoniens, rumeurs bien évidemment incontrôlables et incontrôlées: 50 000 immigrants français et hollandais auraient été prêts à envahir la ville. Aussi, des étrangers furent frappés par des foules apeurées et inquiètes.

Au quatrième jour, les vents se calmerènt et l’incendie s’éteignit relativement vite.

Il n’a quasiment pas été possible de dresser un bilan exact du nombre de victimes, mais il est certainement bien plus élevé que les huit personnes annoncées par les autorités.




crochets à incendie pour lutter contre le feu
La peste, puis l’incendie ont laissé des traces profondes dans les mémoires anglaises. En 2016, pour marquer le 350ème anniversaire du « Great Fire », une maquette de 120 mètres représentant le Londres du XVII ème siècle fut brulée sur la Tamise.


Le projet de reconstruction de la cité par l’architecte Christopher Wren aurait dû être ambitieux, mais le roi voulut d’abord reconstruire les églises.

Faute de financements les habitations furent reconstruites en briques, aux mêmes endroits. Les rues ont été légèrement élargies, sans pour autant donner lieu à de larges avenues.


Londres s’est bien évidemment relevé de ces deux catastrophes. La ville que l’on connait aujourd’hui, architecture à la fois baroque et futuriste, a traversé les siècles, mélangeant la misère la plus abominable et la richesse la plus extravagante. Lire ou relire Charles Dickens nous rappelle, si besoin était, que la Tamise n’a jamais été « un long fleuve tranquille. » 


Le « blitz »*, pendant plus de neuf mois, a ravagé, entre autre, la capitale britannique et fait plusieurs milliers de victimes et fait déplacer des milliers de londoniens.




Londres, ancienne capitale de l’Empire britannique, mais toujours capitale du Royaume Uni et du Commonwealth, le Londres de Winston Churchill, des Rolling Stones, de Madame Thatcher ou de Elisabeth II n’a pas fini de nous étonner.










(1) in https://www.revuedesdeuxmondes.fr/journal-de-lannee-de-la-peste-daniel-defoe-reveille-langleterre/
(2) in « le roi peste » de Edgar Allan Poe, Contes, essais, poèmes, éditions Robert Laffond, collection Bouquins, 2005, page 187.
(3) in https://www.revuedesdeuxmondes.fr/journal-de-lannee-de-la-peste-daniel-defoe-reveille-langleterre/

Soixante ans..... Déja!!!!

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