J'ai participé à un concours de nouvelles, sur le thème "fêtes et défaites" (entre 1500 et 2000 mots, avec une marge de plus ou moins 10%), organisé par http://calipso.over-blog.net. Je n'ai pas fait partie du bouquet final, mais j'ai néanmoins été retenu dans ce que les animateurs appellent "les étoilés". Après le texte, je joins le lien vers le site de Calipso. Bonne lecture.
Place Victor Hugo
Je n’ai jamais été un militant. Non pas peur de m’engager, mais plutôt parce que j’ai comme une difficulté à vivre avec les autres, à discuter, à partager. Pour faire court, je suis un solitaire égoïste. Je n’en suis pas spécialement heureux, la solitude est parfois lourde à porter et l’égoïsme apporte un sentiment de culpabilité comme un poids supplémentaire, lui aussi lourd à porter. J’ai toujours été ainsi : tout petit, déjà, je restais dans mon coin, sans me mêler aux autres. Je n’ai jamais eu de copains, hormis ceux qu’à l’école, je ne pouvais éviter de côtoyer. A la vérité, ce n’était pas des copains, mais plutôt des voisins obligés.
Je n’ai jamais été invité à un anniversaire ou à une fête, et pour cause. J’ai traversé l’adolescence tranquillement, à mon rythme, sans heurts majeurs, mais seul. Parce que c’était mon choix. Les filles me regardaient avec un mélange de curiosité et d’envie car, paraît-il, j’étais beau gosse. Mais elles fuyaient dès mon premier regard. Mes parents m’ont emmené voir des psy, des conseillers et même des rebouteux. Le seul résultat tangible a été une saignée sur leur compte en banque.
Je me suis pourtant marié. Avec Claire. Je n’ai jamais compris pourquoi une femme comme elle, gaie, expansive, chaleureuse a bien pu épouser un type comme moi, à bien des égards son parfait contraire. C’est elle qui m’a choisi et je me suis laissé faire. N’ayant jamais été amoureux auparavant, je me suis longtemps demandé si je l’aimais vraiment. Ce n’est qu’après sa mort que je me suis rendu compte qu’effectivement, je l’aimais. Nous étions ensemble depuis à peine deux ans. L’incompréhension de ce qui m’arrivait a généré désespoir et dépression. La fermeture de l’usine, et donc le chômage, pour compléter le tableau du malheur.
Je suis issu d’une famille très conviviale, sympa comme on dit. Mes parents ont toujours participé activement à diverses associations. Mon grand-père maternel a été un très charismatique dirigeant syndical.
Mon frère, de deux ans mon cadet, est mon contraire à tout points de vue : il a toujours été entouré de copains et copines ; il a joué et continue de jouer au rugby. Dans le quartier, il est connu comme le loup blanc et je crois que tout le monde apprécie sa gentillesse et sa disponibilité. Il milite dans un parti politique, plutôt à gauche.
Il travaille comme magasinier dans une très grosse boite, alors que pour ma part, je suis au chômage depuis presque deux ans. Malgré quelques missions d’intérim et le fait que je suis retourné habiter chez mes parents, mes fins de mois sont délicates.
Comme tout un chacun, j’ai entendu parler des révolutions dans certains pays arabes et de certains jeunes européens qui essaient un peu partout de les imiter. Mon frère fait partie de ces derniers. Il est l’un de ceux qui a organisé l’occupation de la place Victor Hugo et qui a tenté de mettre en place des « comités citoyens », chargés de proposer un autre monde.
A chaque fois que je le croisais, il me parlait de cet événement comme celui qui allait être le déclencheur d’un nouveau monde. Il me parlait de justice, de solidarité, de vérités, des notions que ma vie professionnelle m’a conduit à bien relativiser. Depuis le début, il essayait de m’entrainer dans son aventure. J’ai résisté quelques temps, puis je me suis laissé convaincre. Plus pour lui faire plaisir que par conviction
Je l’ai donc suivi sur cette place, au cinquième jour je crois, de « l’occupation citoyenne ». Il y avait encore beaucoup de monde, des jeunes en majorité. J’ai eu alors l’impression de pénétrer au sein d’une immense fête permanente, avec chansons, danses, éclats de rire. Une ambiance festive qui m’a alors laissé pantois. L’accueil était chaleureux, bon enfant. Même si par la suite, tout ne fut pas aussi idyllique, j’étais sous le charme de cette spontanéité inattendue.
Mon frère n’était plus le même : il avait, sans doute provisoirement, abandonné son langage révolutionnaire que l’on dit d’un autre temps. Il semblait s’être adapté à l’esprit général qui régnait sur la place, esprit qui se voulait hors des idéologies, des partis ou des syndicats. Il fallait organiser un autre avenir en discutant, réfléchissant, en faisant l’amour et la fête et en chantant des chansons.
Nous avons participé à des forums où le mot citoyen servait d’alibi à toutes les fantaisies et le plus souvent à de belles fumisteries. Cela dans un brouhaha insupportable où tout le monde parlait et personne n’écoutait. Cela m’agaçait et me donnait le sentiment de perdre mon temps. Quand j’en parlais à mon frère, il me répondait dans la plus parfaite langue de bois « qu’on ne pouvait pas empêcher le peuple de s’exprimer. » Sauf qu’en la matière, le peuple ne s’exprimait pas, il radotait.
J’avais bien sûr entendu parler du bouquin de Stéphane Hessel, « indignez vous ». Un jour, je l’ai emprunté à mon père qui l’avait acheté un peu par hasard, en tout cas bien avant tout le ramdam médiatique. Sur le moment, je l’avais trouvé un peu passéiste avec ce couplet sur la Résistance et je ne parle pas de celui sur la Palestine. Même confus, même bordéliques, les forums auxquels j’ai participé m’ont permis de faire le lien avec ce qu’écrit Hessel concernant le programme de la Résistance. Je n’avais jamais pensé un instant qu’il pouvait avoir une cohérence entre ce programme, mis au point en 1944 et, à l’inverse, la situation où on se trouve aujourd’hui. Mais, de toutes façons, cohérence ou pas, ce genre de thème n’est pas à l’ordre du jour. Et il me semble que ce n’est pas prêt de l’être. Sauf ces jours-là, sur la place Victor Hugo.
Le soir, la fête reprenait de plus belle. Après le travail, de nouveaux venus rejoignaient les manifestants. De nouveau, on chantait, on buvait, on dansait, sans oublier, entre deux bières tièdes, de refaire un monde qui, effectivement, était à refaire.
Même si je finissais par avoir des doutes sur l’efficacité et le devenir de toute cette effervescence, je me laissais griser, l’alcool aidant, par cette atmosphère où tout le monde semblait aimer tout le monde. J’ai même fumé un pétard un soir, le premier de ma vie. Mais j’ai tellement été malade que jamais, mais alors jamais, je ne recommencerai. Même dans mes moments de grande dépression après la mort de Claire, je n’ai jamais été tenté de me laisser aller à fumer ces cochonneries. Mais ce soir-là, pris dans l’ambiance, j’ai accepté le joint que me proposait mon frère.
La fête durait une partie de la nuit, sous l’œil attentif et néanmoins goguenard des quelques CRS qui nous surveillaient. Certains d’entre nous ont même essayé de les « débaucher » en leur rappelant que eux aussi, même CRS, ils faisaient partie du peuple. Mais cette partie du peuple là n’était manifestement pas disposée à participer à notre révolte.
Certains habitants des immeubles autour de la place non plus, d’ailleurs. Régulièrement, certains d’entre eux intervenaient avec véhémence : nous les empêchions de dormir et le lendemain, ils allaient travailler, eux ! En insistant bien sur le « eux ». Il est vrai que pour eux, nous étions tous des fêtards, des fainéants, des profiteurs du système. Pour ma part, j’aurai préféré, et de loin, me lever tôt le matin pour aller bosser plutôt que de faire la java. D’autant que cette fête, je le sentais bien, allait se terminer dans la confusion et l’échec.
Déjà, depuis plusieurs jours, il y avait moins de participants. Les discussions se faisaient plus âpres, plus agressives, mais surtout plus politiques. Petit à petit, les discours s’étaient radicalisés en se politisant. La récupération était en marche : certains élus locaux avaient fait le déplacement et, bien que copieusement sifflés, ils y étaient allés de leurs péroraisons. Il y avait bien sûr une nuée de journalistes qui les accompagnaient, mais une fois la sainte parole délivrée, élus et journalistes disparaissaient.
De fait, l’enthousiasme se faisait plus rare et laissait la place à une sorte de fatalisme qui ne disait pas son nom. Chacun prenait conscience que cette belle fête qui durait depuis une quinzaine de jours s’essoufflait sérieusement et que malgré tous les projets, toutes les résolutions, les promesses, tout cela allait s’arrêter. Il y avait plus de détresse que de révolte, plus de déceptions que de protestations. La fin de « l’occupation » de la place Victor Hugo fut donc décidée lors d’une assemblée générale réduite à une centaine de personnes. Les premiers jours, m’avait affirmé mon frère, il y en avait plusieurs milliers. Ce chiffre était sans doute exagéré, mais j’ai alors mesuré ce soir là la mesure de la désaffection.
Dans les mots, chacun se défendait de déposer les armes et promettait de continuer la lutte contre le système. Mais les mots ne sont que ce qu’ils sont : des mots.
Je suis retourné chez mes parents, plus désabusé que déçu. Sans doute parce que la fête avait été belle et que la défaite, elle, n’avait pas vraiment été laide. Et peut être pas définitive.
http://calipso.over-blog.net
vendredi 7 octobre 2011
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