Paul Doumer et Albert Lebrun
sont les deux derniers Présidents de la III ème République que nous
allons évoquer dans ce billet. La crise, partie des Etats Unis, frappe
toutes les économies du monde et génère instabilité politique et misère
sociale. Particulièrement en Europe. Les régimes démocratiques, parfois
corrompus et inefficaces, accusés de faire "le lit du communisme", sont
violemment remis en cause par les différents nationalismes. La III ème
République allait s'éteindre sous les bombes allemandes, victime de sa
propre impuissance et de la volonté du gouvernement collaborationniste
de Vichy de mettre à bas la "gueuse", pour reprendre une expression
chère aux partisans de l'Action Française de Charles Maurras.
Paul DOUMER |
Paul DOUMER: 1857 - 1932. Président de 13 juin 1931 - 6 mai 1932.
D'origine
très modeste, P. Doumer est un pur produit de la méritocratie
républicaine: après avoir été coursier, il suit des cours du soir au
CNAM et obtint une licence de mathématiques et de droit. Professeur,
puis journaliste, il est élu député radical en 1887. Il sera nommé
gouverneur de l'Indochine (1897 - 1902) où il sera l'origine de la
construction du chemin de fer reliant Hanoï à la Chine.
Puis élu Président de la Chambre en 1904, Président du Sénat en 1927
après avoir exercé de courtes fonctions ministérielles. A 74 ans, il est
élu Président de la République contre Aristide Briand (prix Nobel de la
paix en 1926). Il a été dit que la mort de trois de ses fils pendant la
Grande Guerre lui aurait attiré la sympathie de certains grands
électeurs. Ce qui n'a jamais été démontré. Il sera assassiné le 6 ma
1932 par Gorculoff, un russe illuminé qui reproche à la France de ne pas
intervenir contre le pouvoir bolchévique.
C'est
pendant son mandat que fut votée la loi instituant les allocations
familiales. C'est aussi pendant cette période que les ligues d'extrême
droite se réclamant du fascisme commencent à s'agiter et à remettre en
cause le régime.
Pour
l'anecdote, en tant que Président, il a refusé d'avoir la moindre
influence dans la vie politique et s'est obligé à rester dans une
fonction de représentation. C'est en se référant à ce rôle inexistant
que C. de Gaulle, lors d'une conférence de presse en 1965 a utilisé
l'expression "inaugurer les chrysanthèmes".
Albert LEBRUN |
Albert LEBRUN: 1871 - 1950. Président du 10 mai 1932 au ?
Si
je mets un point d'interrogation, c'est tout simplement parce que
Albert Lebrun, Président de la République, n'a jamais démissionné.
D'ailleurs à qui aurait-il pu remettre sa démission puisqu'il n'y avait
plus de Parlement? Son mandat se terminait en théorie le 5 avril 1946,
puisqu'il avait été réélu le 5 avril 1939.
Polytechnicien, il est élu député en 1900. Il sera ministre à plusieurs reprises avant de représenter la France à la Société des Nations. Il sera également Président du Sénat en 1931.
Il
fut élu à la Présidence par 633 voix par par une Chambre de droite,
alors que la Chambre nouvellement élue, à majorité de gauche, n'avait
pas encore pris ses fonctions: un homme de droite fut donc élu par une
majorité de droite battue aux élections législatives.
Comme
son prédécesseur, il n'a jamais voulu jouer le moindre rôle politique
durant son mandat. Sans doute par un respect scrupuleux de la
Constitution, mais aussi, par une personnalité trop effacée, inadaptée à
un tel poste et aux circonstances troublées de l'époque. Ainsi, le
général de Gaulle le juge t-il en ces termes, quelque peu cruels dans
ses Mémoires de guerre: "Comme chef de l'Etat, deux choses lui manquaient: qu'il fût un chef et qu'il y eût un Etat."(1)
La
situation économique n'est guère brillante: la crise venue des Etats
Unis ravage les économies européennes, ruinant les épargnants et
alimentant un chômage de masse en augmentation constante.
A cela s'ajoutent plusieurs scandales financiers (Stavisky, les affaires Hanau ou Oustric)
qui alimentent un antiparlementarisme virulent, exploité par les partis
d'extrême droite. Mais aussi la victoire du cartel des gauche qui
remporte les élections de mai 1932. Ce qui a pour effet de radicaliser
encore un peu plus l'extrême droite et de favoriser la montée en
puissance des ligues d'inspiration fasciste comme les Camelots du Roi ou les Jeunesses Patriotes.
Le 6 février 1934, une manifestation organisée par les ligues d'extrême droite qui protestaient contre le renvoi du préfet Chiappe
tourne à l'émeute. Les manifestants se dirigent vers la Chambre des
Députés aux cris de "à bas les voleurs, à bas les assassins". Mais
derrière cette manifestation se cache la volonté de renverser le
gouvernement et les institutions. Cette tentative échoue, en partie par
la défection des Croix de feu du Colonel de la Rocque. Il y aura 16 morts, des milliers de blessés. Le gouvernement de E. Daladier démissionne.
Parallèlement,
les nazis ont pris le pouvoir en Allemagne. Leur programme est clair:
réarmement, ré-industrialisation, récupération des territoires perdus
pendant la Grande Guerre, lutte contre les démocraties et le communisme.
L'instabilité
ministérielle en France empêche toute politique efficace vis à vis des
exigences allemandes. Il y a même un esprit, sinon de capitulation, du
moins de paralysie en face des dictatures de la part des gouvernements
européens, particulièrement en France et en Grande Bretagne: ainsi sont
signés les accords de Munich
le 30 septembre 1938, accords qui marquent l'acceptation par les
démocraties des exigences des dictatures allemandes et italiennes. Les
signataires de ces accords, Daladier pour la France et Chamberlain pour
la Grande Bretagne, sont acclamés à leur retour: ils ont sauvé la paix.
Ce à quoi Churchill répondra le 7 novembre 1938: "ils avaient à choisir entre la guerre et le déshonneur. Ils ont choisi le déshonneur et ils auront la guerre."
Le
président Lebrun, s'il a encouragé le gouvernement à aller à Munich, a
assisté à tous ces évènements sans réagir. Il s'est contenté de changer
le Président du Conseil, mais sans jamais, ne serait-ce qu'essayer,
d'influer sur le cours de la vie politique. Il est vrai cependant qu'il
n'était pas vraiment dans ses attributions de le faire.
Lorsque
la France et l'Angleterre déclarent la guerre à l'Allemagne le 3
septembre 1939, Edouard Daladier est Président du Conseil, remplacé le
21 mars 1939 par Paul Reynaud. Albert Lebrun lui fait "la tournée des
popotes": chacun connait cette photo où Charles de Gaulle, alors colonel et commandant des chars de la Vème armée reçoit le Président de la République.
Les
armées françaises et anglaises sont vite défaites par les unités
blindées allemandes. Le gouvernement français tergiverse entre les
partisans de continuer la guerre et les partisans de l'armistice. Le
président Lebrun, bien qu'inexistant au plan politique, aurait été parmi
ces derniers: "Quant au Président de la République, Albert Lebrun,
il n'existe plus avant même de s'effacer: personne n'a retenu qu'au
Conseil du 25 mai, il avait, le premier, proposé de conclure un
armistice." (2) Le gouvernement se réfugie à Bordeaux le 14 juin.
Paul Reynaud hésite sur la marche à suivre et démissionne le 16. Albert
Lebrun fait alors appel au maréchal Pétain à qui il déclare: "Monsieur
le Maréchal, soyez rassuré à mon égard, j'ai été toute ma vie un
serviteur fidèle de la loi, même quand elle n'avait pas mon adhésion
morale.(1)" Le 17 juin, Philippe Pétain demande l'armistice aux
nazis; le même jour, Charles de Gaulle, promu général de brigade "à
titre temporaire" le 25 mai 1940, s'envole pour Londres où, dès le
lendemain il lancera son célèbre appel à la résistance. Chacun connait
la suite.
Le 10 juillet 1940, les deux Chambres du Parlement (Chambre des députés et Sénat), réunies à Vichy, "donne tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l'autorité et la signature du maréchal Pétain". Le
Président de la République Albert Lebrun a été ignoré. Sa démission ne
lui a même pas été demandée. Une fois de plus, il a subi les évènements.
Quatorze hommes politiques se sont succédés à la Présidence de la III ème République, tous avec une belle expérience politique, mais tous prisonniers d'un système qui les a paralysés.
Selon
la lettre de la Constitution de 1875, le Président, en plus de la
désignation du Président du Conseil et du pouvoir de dissolution,
participe à l'élaboration des lois et surveille leur bonne application
après leur promulgation qu'il signe. Il a un important droit de regard
sur la politique extérieure; il nomme les hauts fonctionnaires.
Mais
tous ces pouvoirs qui auraient pu faire de lui "un monarque
républicain" ont été plus ou moins contournés par une sorte de coutume
non écrite: le Président ne pouvait s'adresser directement aux deux
Chambres; chacun de ses actes devait obtenir un contre-seing
ministériel; il ne peut voyager en France ou à l'étranger sans être
accompagné d'un membre du gouvernement; tous ses discours doivent être
approuvés par le gouvernement. Si on ajoute à cela que les Chambres
étaient dominées par les partis politiques, lesquels se méfiaient des
fortes personnalités qui auraient pu être tentées de contester leurs
pouvoirs, y compris et surtout leurs pouvoirs de nuisance, on comprend
que les Chambres ont toujours fait en sorte d'élire à la Présidence des
hommes sans réelle envergure politique. Ainsi, des hommes tels que
Gambetta, Ferry, Clemenceau ou Briand furent-ils écartés sans
ménagement.
Pourtant, je veux croire, avec René Rémond, que "la
III° République a enraciné dans les institutions, les esprits et les
habitudes les comportements de la démocratie politique. Elle a fondé les
libertés publiques. Elle a façonné les structures, intellectuelles
comme institutionnelles, de la vie politique. Elle a achevé de faire des
Français des citoyens qui ont conscience d'être acteurs et non plus
sujets. La plupart lui en sont reconnaissants et attachés à préserver
ces acquis. Même s'ils critiquent ses défectuosités, s'ils souhaitent
parfois un gouvernement plus efficace, s'ils dénoncent ses limitations
et ses insuffisances, ils ne sont pas disposés à troquer leur
liberté."(3)
(1) in "les Présidents de 1870 à nos jours" de Raphaël Piastra, éditions Eyrolles, page90
(2) in "Histoire de France", de Marc Ferro, éditions Odile Jacob, page 373.
(3) in "la République souveraine" de René Rémond, éditions Arthème Fayard, 419
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