Le 25 août 1944, Paris est
libéré. Le général de Gaulle, Président du Gouvernement Provisoire de la
République Française prononcera à cette occasion un discours* resté dans les mémoires. Alors que Georges Bidault* lui demande de rétablir la République, de Gaulle a cette réponse formidable: "La République n'a jamais cessé d'être ! Vichy fut toujours et demeure nul et non avenu."
Donc, la République a survécu à la guerre. Mais chacun est conscient
qu'il ne faut pas reconduire les erreurs de la III ème République dont
l'impuissance a été un des éléments -mais pas le seul- de la défaite
face aux nazis et de la prise de pouvoir par Philippe Pétain et de la
collaboration qui s'en est suivie. La classe politique dans son
ensemble convient de la nécessité de changer les institutions, mais dès
l'instant où il s'agit de passer aux actes, les divisions
ressurgissent. Le général de Gaulle démissionne en janvier 1946: "Quant au pouvoir, je saurais, en tout cas, quitter les choses avant qu'elles ne me quittent." (1)
Une seconde Assemblée Constituante est élue le 2 juin 1946 où le MRP et
le PCF remportent la majorité des sièges. La nouvelle Constitution est
approuvée par référendum le 13 octobre 1946 par 53% des voix. La IVème
République est née.
Vincent AURIOL |
Vincent AURIOL: 1884 - 1966. Président du 16 janvier 1947 au 16 janvier 1954.
D'origine
modeste, il est avocat à Toulouse avant d'être élu député en 1914.
Ministre des finances en 1936, il est un des 80 parlementaires qui, en
juillet 1940, refusent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.
Emprisonné, il s'évade et rejoint le général de Gaulle à Londres en
1943. Il est élu président de l'Assemblée Constituante en 1945, puis
Président de la République en janvier 1947 par 452 voix sur 883.
"Avec moi, ce sera tout différent. Je viens ici pour travailler." (2) Mais,
c'est sans compter les partis politiques qui entendent bien conserver
leurs influences. En effet, la Constitution de 1946 affirme dans son
article 3: "l'Assemblée Nationale détient le monopole de l'expression de la souveraineté nationale." Ce
qui revient en réalité à priver le Président de la moindre initiative
politique. Le mode de scrutin des élections législatives étant celui de
la proportionnelle, les partis politiques font et défont les
gouvernements: ainsi, il n'y aura pas moins de seize Présidents du
Conseil pendant le septennat de V. Auriol! Pour autant, ainsi que
l'affirme René Rémond, "Ce Président à qui la Constitution accorde
encore moins de pouvoirs qu'à celui de la III ème République exercera de
fait un pouvoir bien plus étendu: il étirera jusqu'à leurs limites les
compétences attribuées par les textes. Il profitera des dissentiments
entre partis pour exercer une présidence active du Conseil des
ministres.". Mais, souligne l'historien, "en soumettant le
choix de ses ministres à l'approbation de l'Assemblée, sans percevoir
que pareille procédure va à l'encontre de la Constitution et trahit son
esprit, il affaiblit l'autorité de sa fonction et restaure la suprématie
de l'Assemblée sur le gouvernement. Faux pas fatal que d'autres
suivront et qui a, dès le premier jour, engagé l'interprétation de la
Constitution sur un chemin dangereux." (3)
Peu
après l'élection du nouveau président, le général de Gaulle crée le
Rassemblement du Peuple Français. Ce RPF aura quelques succès, en
particulier aux élections municipales d'octobre 1947 et cantonales de
1949. Les législatives de 1951 ne correspondent pas aux attentes. Dès
lors, des fissures apparaissent dans le mouvement; après l'échec
rencontré lors des municipales de 1953, de Gaulle met le RPF en sommeil.
Le Président Auriol n'a pas de sympathies particulières pour ce
mouvement. A la limite, il considère de Gaulle comme un adversaire.
Ainsi, dans son "Journal du septennat", il écrit: "Voici
que, en face des communistes, de Gaulle s'agite à son tour. Impossible
de compter sur lui. J'ai fait des approches pour lui demander de
suspendre son activité hostile, mais il demeure muré dans son orgueil et
il est seul."
Sur le plan international, il accepte la proposition américaine du "plan Marshall"; il est partisan de la participation de la France dans l'OTAN*, dont le traité sera signé le 4 avril 1949. Il encourage Robert Schuman à développer la CECA*, qui débouchera quelques années plus tard sur le Marché Commun.
C'est
pendant son mandat que se déroulera l'essentiel de la guerre
d'indépendance de l'Indochine: c'est un conflit lointain et impopulaire.
L'instabilité ministérielle à Paris et des erreurs stratégiques et
politiques sur place conduiront à une défaite humiliante. La fin du
conflit - sur lequel le Président en exercice n'avait aucune prise -
interviendra après le départ de V. Auriol.
Malgré
sa volonté affichée en début de son mandat de peser sur la politique
nationale, Vincent Auriol aura assisté, impuissant au "jeu" des partis
politiques. En refusant de voir en de Gaulle autre
chose qu'un adversaire, il affiche aussi une incompréhension de ce
régime des partis qui affaiblit la IV ème République.
Il ne sollicitera pas de second mandat.
René COTY |
René COTY: 1882 - 1962. Président du 16 janvier 1954 au 8 janvier 1959.
Proche
des républicains modérés, René Coty est avocat. Conseiller municipal du
Havre, il est élu député en 1923. Élu sénateur en 1936, il votera les
pleins pouvoirs au maréchal Pétain, ce qui lui vaudra quelques problèmes
avec la Résistance à la Libération. Il sera cependant réhabilité par un
jury d'honneur en octobre 1945. Il sera élu Président de la République
au terme de 13 tours de scrutin. Il est à noter qu'il avait voté contre
la Constitution, mais par un retournement de situation dont l'Histoire a
le secret, il en devient le gardien et le garant!
Le
Traité de Rome, acte fondateur du Marché Commun, sera signé le 25 mars
1957, traité auquel communistes et gaullistes sont farouchement
opposés.
Mais
ce qui a surtout marqué le mandat de ce notable discret, c'est la crise
coloniale et particulièrement la crise algérienne. L'empire colonial
français est en crise: l'Indochine d'abord, mais aussi le Maghreb. Pour y
faire face, le président Coty va très intelligemment choisir comme
Président du Conseil un homme politique controversé, mais dont chacun
reconnaît la stature d'un homme d'Etat: Pierre Mendès France*, opposant à la guerre d'Indochine, mais aussi anti communiste convaincu et militant.
Ce
dernier est investi à une large majorité Président du Conseil le 18
juin 1954, à charge pour lui d'engager des négociations pour mettre fin
au conflit indochinois. Ce qui sera fait par la signature des accords de Genève* le 21 juillet 1954. Il engagera également les négociations qui
mèneront à l'indépendance de la Tunisie et du Maroc.
Mais alors que, le
1er novembre, débute la révolte algérienne, il a un tout autre discours:
le 9 novembre 1954, il déclare à l'Assemblée Nationale: "L'Algérie,
c'est la France, et non un pays étranger… On ne transige pas quand il
s'agit de défendre la paix intérieure de la nation, l'unité et
l'intégrité de la République." Il sera renversé quelques mois plus tard par une coalition hétéroclite de gaullistes, de communistes et autres centristes.
Malgré
l'envoi du contingent, malgré les pleins pouvoirs accordés aux
militaires en janvier 1956, la rébellion algérienne va crescendo. En
métropole, les élections législatives de janvier 1956 amènent 52 députés poujadistes * à l'Assemblée Nationale, ce qui ajoute à la confusion.
Le 9 mai 1958, le général Salan*, commandant en chef en Algérie, adresse au Chef de l'Etat le télégramme suivant: "l'Armée
française, d'une façon unanime, sentirait comme un outrage l'abandon de
ce patrimoine national... On ne saurait préjuger de sa réaction de
désespoir." (4) A cette date, la France n'a pas de gouvernement, le dernier présidé par Félix Gaillard* a démissionné le 15 avril. Ce n'est que le 13 mai que celui de Pierre Pflimlin* sera
investi. Ce jour là ont lieu à Alger des évènements qui marquent
clairement l'intention des militaires de renverser le gouvernement par
la force. Un Comité dit de salut public -le "dit" est de René Rémond-
présidé par le général Massu* envoie au gouvernement un télégramme comminatoire: "Exigeons
création à Paris d'un gouvernement de salut public seul capable de
conserver l'Algérie partie intégrante de la métropole." Des partisans du général de Gaulle agissaient de concert avec ces militaires.
Le 27 mai, de Gaulle déclare qu'il "est prêt à assumer les pouvoirs de la République", ce qui fera dire à certains politiques, dont P. Mendès France, qu'il est arrivé au pouvoir par un coup d'Etat.
Le 29 mai, le Président Coty ne voit d'autre issue que d'appeler à la Présidence du Conseil "le plus illustre des français." Le
1er juin, Charles de Gaulle est investi par l'Assemblée Nationale par
329 voix sur 553, qui lui donne la possibilité de gouverner par
ordonnances pendant six mois.
Ce
qu'on appelait encore à cette époque les évènements d'Algérie ont eu
raison de René Coty. Il faut cependant reconnaître qu'aucun homme
politique ne pouvait être à la hauteur de cette crise tant les
institutions le cantonnaient dans un rôle mineur et favorisaient le jeu
délétère des partis politiques. D'où l'instabilité ministérielle et
l'impuissance qui en découle.
La
IV ème République a fini comme la III ème: à bout de souffle, étouffée
par des institutions qui, au prétexte du libre jeu démocratique, la
paralysaient. Pourtant, malgré cela, elle a rétabli la vie démocratique;
elle a commencé la reconstruction d'un pays saigné à blanc par cinq
années d'occupation; elle a entrepris de relancer l'université et la
recherche. Son bilan est loin d'être négatif, mais faute de pouvoir
réellement gouverner, les hommes politiques n'ont pu faire face à la
crise majeure qui a failli conduire la France vers la guerre civile.
* clic pour aller sur le lien correspondant
(1) in Mémoires de Guerre. Le Salut. éditions Rencontre, tome VI, page 149.
(2) in les présidents de 1870 à nos jours, de Raphaël Piastra, éditions Eyrolles, page 101.
(3) in "Le siècle dernier 1918 -2002" de René Rémond, Librairie Arthème Fayard, pages 391 et 392
(4) ibid page 517.
Bonjour Claude
RépondreSupprimerAvec cette série, nous entrons dans un monde connu, nous qui sommes nés sous V. AURIOL, mais je me souviens plus de R. COTY surtout à cause de cette période sombre de la guerre d'Algérie à laquelle nous, enfants, nous ne comprenions pas grand chose... Un peu rassurés plus tard car les adultes non plus n'y avaient pas tout compris, du moins vu de France !!!
Bravo, continue ! Pour les anciens, c'est le vide quasi total...
Amicalement
Jacques