lundi 18 juin 2012

les Présidents de la République Française: 6 ème partie: 1947 - 1958.


Le 25 août 1944, Paris est libéré. Le général de Gaulle, Président du Gouvernement Provisoire de la République Française prononcera à cette occasion un discours* resté dans les mémoires. Alors que Georges Bidault* lui demande de rétablir la République, de Gaulle a cette réponse formidable: "La République n'a jamais cessé d'être ! Vichy fut toujours et demeure nul et non avenu." Donc, la République a survécu à la guerre. Mais chacun est conscient qu'il ne faut pas reconduire les erreurs de la III ème République dont l'impuissance a été un des éléments -mais pas le seul- de la défaite face aux nazis et de la prise de pouvoir par Philippe Pétain et de la collaboration qui s'en est suivie. La classe politique dans son ensemble  convient de la nécessité de changer les institutions, mais dès l'instant où il s'agit de passer aux actes, les divisions ressurgissent. Le général de Gaulle démissionne en janvier 1946: "Quant au pouvoir, je saurais, en tout cas, quitter les choses avant qu'elles ne me quittent." (1) Une seconde Assemblée Constituante est élue le 2 juin 1946 où le MRP et le PCF remportent la majorité des sièges. La nouvelle Constitution est approuvée par référendum le 13 octobre 1946 par 53% des voix. La IVème République est née.

Vincent AURIOL
Vincent AURIOL: 1884 - 1966. Président du 16 janvier 1947 au 16 janvier 1954.

D'origine modeste, il est avocat à Toulouse avant d'être élu député en 1914. Ministre des finances en 1936, il est un des 80 parlementaires qui, en juillet 1940, refusent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Emprisonné, il s'évade et rejoint le général de Gaulle à Londres en 1943. Il est élu président de l'Assemblée Constituante en 1945, puis Président de la République en janvier 1947 par 452 voix sur 883.

"Avec moi, ce sera tout différent. Je viens ici pour travailler." (2) Mais, c'est sans compter les partis politiques qui entendent bien conserver leurs influences. En effet, la Constitution de 1946 affirme dans son article 3: "l'Assemblée Nationale détient le monopole de l'expression de la souveraineté nationale." Ce qui revient en réalité à priver le Président de la moindre initiative politique. Le mode de scrutin des élections législatives étant celui de la proportionnelle, les partis politiques font et défont les gouvernements: ainsi, il n'y aura pas moins de seize Présidents du Conseil pendant le septennat de V. Auriol! Pour autant, ainsi que l'affirme René Rémond, "Ce Président à qui la Constitution accorde encore moins de pouvoirs qu'à celui de la III ème République exercera de fait un pouvoir bien plus étendu: il étirera jusqu'à leurs limites les compétences attribuées par les textes. Il profitera des dissentiments entre partis pour exercer une présidence active du Conseil des ministres.". Mais, souligne l'historien, "en soumettant le choix de ses ministres à l'approbation de l'Assemblée, sans percevoir que pareille procédure va à l'encontre de la Constitution et trahit son esprit, il affaiblit l'autorité de sa fonction et restaure la suprématie de l'Assemblée sur le gouvernement. Faux pas fatal que d'autres suivront et qui a, dès le premier jour, engagé l'interprétation de la Constitution sur un chemin dangereux." (3)

Peu après l'élection du nouveau président, le général de Gaulle crée le Rassemblement du Peuple Français. Ce RPF aura quelques succès, en particulier aux élections municipales d'octobre 1947 et cantonales de 1949. Les législatives de 1951 ne correspondent pas aux attentes. Dès lors, des fissures apparaissent dans le mouvement; après l'échec rencontré lors des municipales de 1953, de Gaulle met le RPF en sommeil. Le Président Auriol n'a pas de sympathies particulières pour ce mouvement. A la limite, il considère de Gaulle comme un adversaire. Ainsi, dans son "Journal du septennat", il écrit: "Voici que, en face des communistes, de Gaulle s'agite à son tour. Impossible de compter sur lui. J'ai fait des approches pour lui demander de suspendre son activité hostile, mais il demeure muré dans son orgueil et il est seul."

Sur le plan international, il accepte la proposition américaine du "plan Marshall"; il est partisan de la participation de la France dans l'OTAN*, dont le traité sera signé le 4 avril 1949. Il encourage Robert Schuman à développer la CECA*, qui débouchera quelques années plus tard sur le Marché Commun.
C'est pendant son mandat que se déroulera l'essentiel de la guerre d'indépendance de l'Indochine: c'est un conflit lointain et impopulaire. L'instabilité ministérielle à Paris et des erreurs stratégiques et politiques sur place conduiront à une défaite humiliante. La fin du conflit - sur lequel le Président en exercice n'avait aucune prise - interviendra après le départ de V. Auriol.

Malgré sa volonté affichée en début de son mandat de peser sur la politique nationale, Vincent Auriol aura assisté, impuissant au "jeu" des partis politiques.  En refusant de voir en de Gaulle autre chose qu'un adversaire, il affiche aussi une incompréhension de ce régime des partis qui affaiblit la IV ème République.
Il ne sollicitera pas de second mandat.

René COTY
René COTY: 1882 - 1962. Président du 16 janvier 1954 au 8 janvier 1959.

Proche des républicains modérés, René Coty est avocat. Conseiller municipal du Havre, il est élu député en 1923. Élu sénateur en 1936, il votera les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, ce qui lui vaudra quelques problèmes avec la Résistance à la Libération. Il sera cependant réhabilité par un jury d'honneur en octobre 1945. Il sera élu Président de la République au terme de 13 tours de scrutin. Il est à noter qu'il avait voté contre la Constitution, mais par un retournement de situation dont l'Histoire a le secret, il en devient le gardien et le garant!

 Le Traité de Rome, acte fondateur du Marché Commun, sera signé le 25 mars 1957, traité  auquel communistes et gaullistes sont farouchement opposés.

Mais ce qui a surtout marqué le mandat de ce notable discret, c'est la crise coloniale  et particulièrement la crise algérienne. L'empire colonial français est en crise: l'Indochine d'abord, mais aussi le Maghreb. Pour y faire face, le président Coty va très intelligemment choisir comme Président du Conseil  un homme politique controversé, mais dont chacun reconnaît la stature d'un homme d'Etat: Pierre Mendès France*, opposant à la guerre d'Indochine, mais aussi  anti communiste convaincu et militant.
Ce dernier est investi à une large majorité Président du Conseil le 18 juin 1954, à charge pour lui d'engager des négociations pour mettre fin au conflit indochinois. Ce qui sera fait par la signature des accords de Genève* le 21 juillet 1954. Il engagera également les négociations qui mèneront à l'indépendance de la Tunisie et du Maroc. 
Mais alors que, le 1er novembre, débute la révolte algérienne, il a un tout autre discours: le 9 novembre 1954, il déclare à l'Assemblée Nationale: "L'Algérie, c'est la France, et non un pays étranger… On ne transige pas quand il s'agit de défendre la paix intérieure de la nation, l'unité et l'intégrité de la République." Il sera renversé quelques mois plus tard par une coalition hétéroclite de gaullistes, de communistes et autres centristes.
Malgré l'envoi du contingent, malgré les pleins pouvoirs accordés aux militaires en janvier 1956, la rébellion algérienne va crescendo. En métropole, les élections législatives de janvier 1956 amènent 52 députés poujadistes * à l'Assemblée Nationale, ce qui ajoute à la confusion.
Le 9 mai 1958, le général Salan*, commandant en chef en Algérie, adresse au Chef de l'Etat le télégramme suivant: "l'Armée française, d'une façon unanime, sentirait comme un outrage l'abandon de ce patrimoine national... On ne saurait préjuger de sa réaction de désespoir." (4) A cette date, la France n'a pas de gouvernement, le dernier présidé par Félix Gaillard* a démissionné le 15 avril. Ce n'est que le 13 mai que celui de Pierre Pflimlin* sera investi. Ce jour là ont lieu à Alger des évènements qui marquent clairement l'intention des militaires de renverser le gouvernement par la force. Un Comité dit de salut public -le "dit" est de René Rémond- présidé par le général Massu* envoie au gouvernement un télégramme comminatoire: "Exigeons création à Paris d'un gouvernement de salut public seul capable de conserver l'Algérie partie intégrante de la métropole." Des partisans du général de Gaulle agissaient de concert avec ces militaires. 
Le 27 mai, de Gaulle déclare qu'il "est prêt à assumer les pouvoirs de la République", ce qui fera dire à certains politiques, dont P. Mendès France, qu'il est arrivé au pouvoir par un coup d'Etat.
Le 29 mai, le Président Coty ne voit d'autre issue que d'appeler à la Présidence du Conseil "le plus illustre des français." Le 1er juin, Charles de Gaulle est investi par l'Assemblée Nationale par 329 voix sur 553, qui lui donne la possibilité de gouverner par ordonnances pendant six mois.
Ce qu'on appelait encore à cette époque les évènements d'Algérie ont eu raison de René Coty. Il faut cependant reconnaître qu'aucun homme politique ne pouvait être à la hauteur de cette crise tant les institutions le cantonnaient dans un rôle mineur et favorisaient le jeu délétère des partis politiques. D'où l'instabilité ministérielle et l'impuissance qui en découle.
La IV ème République a fini comme la III ème: à bout de souffle, étouffée par des institutions qui, au prétexte du libre jeu démocratique, la paralysaient. Pourtant, malgré cela, elle a rétabli la vie démocratique; elle a commencé la reconstruction d'un pays saigné à blanc par cinq années d'occupation; elle a entrepris de relancer l'université  et la recherche. Son bilan est loin d'être négatif, mais faute de pouvoir réellement gouverner, les hommes politiques n'ont pu faire face à la crise majeure qui a failli conduire la France vers la guerre civile.

* clic pour aller sur le lien correspondant

(1) in Mémoires de Guerre. Le Salut. éditions Rencontre, tome VI, page 149.
(2) in les présidents de 1870 à nos jours, de Raphaël Piastra, éditions Eyrolles, page 101.
(3) in "Le siècle dernier 1918 -2002" de René Rémond, Librairie Arthème Fayard, pages 391 et 392
(4) ibid page 517.

1 commentaire:

  1. Bonjour Claude

    Avec cette série, nous entrons dans un monde connu, nous qui sommes nés sous V. AURIOL, mais je me souviens plus de R. COTY surtout à cause de cette période sombre de la guerre d'Algérie à laquelle nous, enfants, nous ne comprenions pas grand chose... Un peu rassurés plus tard car les adultes non plus n'y avaient pas tout compris, du moins vu de France !!!
    Bravo, continue ! Pour les anciens, c'est le vide quasi total...

    Amicalement
    Jacques

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