mardi 17 janvier 2023

le pourquoi du comment des gens: Narcisse Pelletier, "le sauvage blanc"

 

Narcisse PELLETIER

Il est des destins qu'ils ont ceci de particulier, c'est qu'ils sont complètement inattendus.

Celui de cet homme, Narcisse Pelletier, surnommé "le sauvage blanc", est de ceux-là.

 Il est né le 1er janvier 1844 à Saint-Gilles sur-Vie devenu depuis Saint-Gilles-Croix-De-Vie. 

C'est en lisant le très beau livre de Thomas Duranteau et de Xavier* Porteau que m'est venue l'idée de vous en dire un peu plus sur le parcours atypique de Narcisse Pelletier. 


 

Dans ce livre, l'histoire proprement dite est écrite par Constant Merlan qui a recueilli les confidences de Narcisse, une fois ce dernier revenu en France, quelque peu contre son gré.

 

 

À huit ans, ans il embarque comme mousse sur le sardinier de son grand-père, Pierre-Étienne Babin. 

Toujours comme mousse, il embarque ensuite sur plusieurs navires pour arriver à bord du Saint-Paul, à Bordeaux, qui doit livrer une cargaison de vin à destination de Bombay. De là, le navire rallie Hong-Kong où il récupère trois cents ouvriers chinois pour les conduire en Australie. 

Trajet de Narcisse jusqu'au naufrage (carte tirée du livre de Duranteau et Porteau)

Le voilier Saint-Paul est un solide trois mats, de 620 tonneaux, commandé par le capitaine Pinard*.
Ayant embarqué insuffisamment de vivres pour nourrir l'équipage et les "coolies" chinois, le capitaine va tenter de ravitailler dans des iles de la mer de Corail. Mais ce sont des contrées peu connues, donc mal cartographiées et le Saint-Paul va s'échouer sur un banc de corail le 11 septembre 1858.


Pinard va laisser les ouvriers chinois sur une ile et s'installe avec le reste de l'équipage sur l'ile Rossel où ils seront attaqués par des autochtones. Huit marins sont tués et le capitaine décide de quitter l'ile pour se diriger vers l'Australie dans une chaloupe. 

Les marins du Saint-Paul attaqués par les indigènes de l'ile Rossel (dessin tiré du livre)

 

En oubliant Narcisse Pelletier, parti à l'intérieur des terres chercher de l'eau douce.
Dans la lettre qu'il écrit à l'armateur propriétaire du Saint-Paul, le capitaine Pinard écrit: "Ce jour-là, ayant aperçu une goélette anglaise de 60 tonneaux, je parvins à la joindre avec huit de mes hommes, trois ayant succombé, le mousse ayant disparu. " (1)

 Isolé, seul dans la brousse, mourant de faim et de soif, Narcisse est recueilli par deux indigènes, assez âgés qui, le voyant si affaibli, lui donnèrent des fruits et de l'eau.

Loin d'être hostiles, ils le nourrirent et, en quelque sorte, très vite l'adoptèrent. 

La tribu dans laquelle Narcisse fut accueilli s'appelait "Ohantaala" et ne comptait qu'une trentaine d'hommes et à partir d'appellations complexes, la tribu faisait partie des "Cayen". Son père adoptif s'appelait Maademan qui rebaptisa Narcisse Amglo.

Il va vivre comme les Arborigènes pendant dix sept ans. Il apprendra et parlera leur langue, oubliant le français, sa langue maternelle. Son corps comportera de nombreuses traces de scarification et il aura même des percings au nez et aux oreilles.

Narcisse affirme qu'il a été fiancé avec une fille bien plus jeune que lui et n'avoir jamais été marié avec elle et donc ne pas avoir eu d'enfants. Ce que contredira une chercheuse australienne qui affirme qu'il a eu deux voire trois enfants. 

Donc, il s'est non seulement adapté à sa nouvelle identité, mais surtout il est devenu parfaitement arborigène, suivant les codes de la tribu, ses règles et ses traditions.

Le 11 avril 1875, Narcisse est découvert, par hasard, par des marins britanniques qui l'emmènent - ou plus exactement qui le kidnappent - à bord de leur bâtiment contre son gré.

Capture de Narcisse Pelletier (le journal illustré du 8 aout 1875)

 Le 30 mai 1923, J. Ottley qui l'a aidé et protégé, écrit "Il est également vrai que Narcisse lui-même n'avait aucun désir de quitter la tribu.(...) Bref son sentiment était évidemment que plutôt d'avoir été sauvé, il avait été kidnappé le 11 avril 1875."(2)

À Sommerset, en Australie où il avait été emmené de force, il tente à plusieurs reprises de s'évader, ne comprenant visiblement pas  la nouvelle vie qu'on lui imposait.

Dans cette même correspondance, J. Ottley écrit: "ce serait un jour diabolique pour son vieux capitaine, s'il avait le malheur de rencontrer le mousse qu'il avait abandonné des années auparavant. Pelletier ne cacha jamais son intention de le tuer s'il en avait eu l'opportunité." (3)

 

La première lettre de Narcisse à ses parents 

Au mois de mai 1875, il écrit une lettre à ses parents où il leur affirme qu'il est toujours vivant. Il est évident qu'il avait perdu quelque peu l'usage du français. Mais au contact des nombreux français qui résidaient à Brisbane, C. Merland affirme qu'il retrouve "entièrement la mémoire de sa langue". 

Ce qui est surprenant, même si les fautes d'orthographe étaient nombreuses, c'est que Narcisse savait toujours lire, écrire et même compter. 

À Nouméa, il prend place à bord d'un navire français qui le ramène à Toulon. À Paris, il sera hospitalisé à l'hôpital Beaujon pour des examens complémentaires: Narcisse Pelletier est en parfait santé!!!

Le 2 janvier 1876, il est de retour à Saint Gilles-sur-Vie où il est accueilli triomphalement.

Il obtient un poste de gardien de phare à St Nazaire, sur la côte nord de l'estuaire de la Loire et se marie en 1880 avec une jeune couturière de 22 ans, Louise Mabileau. (1857 - 1930)

Il meurt en septembre 1894, sans postérité.


 

Ce que le récit de  Constant Merlan nous apprend sur la vie de Narcisse Pelletier parmi les Arborigènes a ceci d'essentiel qu'il a retranscrit ce qu'a vécu le naufragé et au de-là de lui, le quotidien d'une tribu, sur ses traditions, ses rapports entre les individus, ses luttes quotidiennes pour se nourrir.
Narcisse est devenu un membre de cette tribu: il en a adopté le langage, les chants, les danses. Sans aucun doute, au milieu de ces arborigènes dont il était devenu l'un des leurs, sans aucun doute n'a t-il jamais eu l'envie de retourner d'où il venait.
Ses violentes protestations lorsque les marins britanniques l'ont enlevé sont là pour le prouver.

Des films, des livres, des manifestations festives, des conférences nous rappellent la mémoire de cet homme modeste et intelligent:

Narcisse PELLETIER, le sauvage blanc.

 

Loup Odoevsky-Maslov est l’initiateur du projet de restauration de la tombe de Narcise Pelletier (©L’Echo de la Presqu’île)




 


 







le podcast de France Culture, très bien documenté: https://podcloud.fr/podcast/une-histoire-particuliere-un-recit-documentaire/episode/narcisse-pelletier-laborigene-vendeen

http://www.vlipp.fr/articles/narcisse-pelletier-ou-comment-representer-l-histoire

 

 (1) in "la vraie histoire du sauvage blanc" de Thomas Duranteau et Xavier Porteau, édition Elytis, 2016, page 25.
(2) ibid page 142
(3) ibid page 147


 

 

2 commentaires:

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