"Pour Hannah Arendt, la "bêtise" désigne un certain rapport à soi, une manière de coller à ses propres préjugés, jusqu'à devenir sourd aux vues d'autrui. Vous vous adressez à quelqu'un et vous avez l'impression de vous adresser à un mur? À coup sûr, vous touchez du doigt la bêtise. Celle qui permet à un homme de faire fonctionner une immense machine de mort sans éprouver le moindre scrupule, parce que son entendement tourne à vide, et que ce pur fonctionnement le fait jouir."(1)
Dans "le courage de la nuance", texte magnifique de Jean Birnbaum, inspiré de la grande Hannah Arendt, texte qui correspond parfaitement à Vladimir Poutine.
En effet, le président Russe nous apparait comme un animal à sang froid: visage éternellement fermé, inexpressif, même quand il roule des mécaniques, torse nu sur un cheval.
Les raisons qu'il donne pour justifier l'agression contre l'Ukraine, nation démocratique et pluraliste, faut-il le rappeler, les raisons donc font penser à celles que donnaient Hitler pour annexer l'Autriche d'abord - l'Anschluss le 14 mars 1938 - puis, à la suite des accords de Munich en septembre 1938, l'occupation des Sudètes dans un premier temps et l'annexion pure et simple de la Tchécoslovaquie dans un second temps en mars 1939, aidé il est vrai par la Pologne et la Hongrie qui s'accaparent la région de Zaolzie pour la première et la Ruthénie pour la seconde. Voir la carte jointe.
Dans le cas de l'Autriche, une partie de la population est acquise aux idées et aux méthodes nazies et Hitler va exiger la démission du gouvernement autrichien, remplacé par Seyss-Inquart*, le chef des nazis autrichiens. Suite à une consultation fort peu démocratique parce que organisée par les seuls nazis locaux, l'Anschluss est majoritairement approuvé par la population et l'Autriche fait alors partie de "l'Empire allemand" comme l'a affirmé Hitler.
Dans le cas des Sudètes, Hitler affirme vouloir "libérer les allemands de l'oppression tchécoslovaque". Pour mémoire, la Tchécoslovaquie a été créée par le traité de Saint Germain en Laye en 1919 qui démantèle l'empire des Habsbourg. Elle réunit Tchèques et Slovaques; les Allemands des Sudètes deviennent une minorité au sein du nouvel état.
Se référant une fois de plus au pangermanisme, Hitler déclare vouloir "libérer les Allemands des Sudètes".
Sur l'initiative de Mussolini, Hitler accepte de rencontrer les dirigeants français et britanniques, alliés et protecteurs de la Tchécoslovaquie. Rencontre qui aboutira aux fameux "accords de Munich*".
Dès le 21 octobre 1938, les Sudètes sont rattachées au Reich allemand.
Dans les deux cas, il s'agissait pour les nazis de rassembler toutes les populations germanophones en un seul état dans le but d'oeuvrer pour le "grand Reich."
Dans le cas ukrainien, nous retrouvons chez le dirigeant russe la volonté de réunir les populations russophones en affirmant que l'Ukraine a toujours été une terre russe, sauf pendant la période communiste. Et motif supplémentaire, les agressions dont seraient victimes ces populations de la part des nationalistes ukrainiens.
V. Poutine le dit dans son discours le 21 février 2022:
"Je tiens à souligner à nouveau que l'Ukraine n'est pas seulement un pays
voisin pour nous. C'est une partie inaliénable de notre propre
histoire, de notre culture et de notre espace spirituel.(...)
Je commencerai donc par le fait que l'Ukraine moderne a été entièrement
créée par la Russie ou, pour être plus précis, par la Russie bolchevique
et communiste. (...)
Pendant ce temps, le monde dit civilisé, dont nos collègues occidentaux
se sont proclamés les seuls représentants, préfère ne pas voir cela,
comme si cette horreur et ce génocide, auxquels près de 4 millions de
personnes sont confrontées, n'existaient pas. Mais ils existent et cela,
uniquement parce que ces personnes n'ont pas approuvé le coup d'État
soutenu par l'Occident en Ukraine en 2014 et se sont opposées à la
transition vers le nationalisme néandertalien et agressif et le
néonazisme qui ont été élevés en Ukraine au rang de politique nationale.
Ils se battent pour leur droit élémentaire à vivre sur leur propre
terre, à parler leur propre langue et à préserver leur culture et leurs
traditions."
Tout est dit dans ces extrais d'un discours de plus d'une heure.
Il se dit que l'histoire ne se répète pas. Ce n'est pas tout à fait vrai, mais ce n'est pas tout à fait faux non plus.
Si les buts d'Hitler en 1938 -1939 étaient clairement la guerre, il est permis de s'interroger: le président russe est-il dans la même démarche? Bien malin qui pourrait l'affirmer.
En France, l'ensemble de la classe politique condamne cette agression russe contre l'Ukraine. Même si pour cela, certains candidats à la présidentielle ont dû rétropédaler en urgence ou, pour employer une expression familière, manger leur chapeau. Du moins, en apparence.
Il est notable de remarquer que chez nous, certains politiques ont un tropisme certain pour les régimes autoritaires: Poutine, XI Jinping, Erdogan, Chavez, Castro et bien d'autres. L'un d'entre eux, candidat à la présidentielle, a même affirmé dans un quotidien en 2018 "qu'il rêvait d'un Poutine français*".
Souvent les mêmes demandent que l'Ukraine soit déclaré pays neutre; ou que ni l'Union Européenne ni l'OTAN ne l'accepteront jamais en leur sein, cela pour que la Russie ne sente plus agressée ou que sa sécurité soit menacée.
Mais, franchement, qui veut agresser la Russie? Qui menace la Russie? Personne! Aucun pays de l'UE, pas même les USA, pas même l'OTAN! Quels intérêts auraient-ils à chercher le conflit avec la Russie?
On retrouve chez le dirigeant russe la même paranoïa que chez ses prédécesseurs soviétiques ou chez les dictateurs en place sur notre planète: la peur de l'autre, la peur de l'étranger qui permettent la mise en place de régimes de terreurs dont leurs populations sont les premières victimes.
Cette fascination pour ces régimes autoritaires ne date pas d'aujourd'hui: certains politiques, mais aussi certains intellectuels, avaient les yeux de Chimène pour les régimes nazis et fascistes avant la seconde guerre mondiale et d'autres pour les régimes communistes avant et après la guerre.
À l'heure où j'écris ce blog, le 27 février 2022, l'agression russe contre l'Ukraine n'a que quatre jours. Les combats font rage, des civils, des militaires sont tués, des milliers d'Ukrainiens fuient leur pays.
Des pourparlers seraient prévus, mais pour décider quoi? L'arrêt des combats? Certes, ce serait très bien, mais voit-on Poutine donner l'ordre à ses troupes de faire demi tour alors qu'il n' a rien obtenu et surtout pas le changement de gouvernement?
Les gouvernements européens font preuve de fermeté. Les diverses sanctions, économiques, sportives, financières visent à affaiblir le régime poutinien. Leur efficacité se fera sans doute sentir sur le long terme.
En attendant, quid de l'Ukraine en tant qu'état indépendant, démocratique?
Espérons et souhaitons que les mobilisations un peu partout dans le monde démocratique, ainsi que les différentes mesures coercitives prises à l'encontre du pouvoir russe par les États véritablement démocratiques, espérons que tout cela fasse fléchir Mr Poutine. Il est bien évident que ce n'est pas encore d'actualité.
(1) in "le courage de la nuance" de Jean Birnbaum, éditions du Seuil, 2021, 138 pages, page 58.
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