Gauche et droite sont les deux vocables le plus couramment utilisés pour désigner les champs politiques d'une démocratie, c'est-à-dire ceux d'un pays où le suffrage universel et la pluralité des opinions sont les règles absolues et incontournables, associées à des valeurs réellement démocratiques. Pour autant, on a pu dire que le régime de la Russie soviétique était de gauche et celui de l'Allemagne nazie était de droite.
Mais d'où viennent ces deux termes? C'est l'objet de mon billet d'aujourd'hui.
Michel Biard*, historien spécialiste de la Révolution Française, fait référence, sur France Culture*, à Philippe Buchez* et Pierre-Célestin Roux-Lavergne et à leur monumentale "Histoire parlementaire de la Révolution Française" parue entre 1834 et 1838.
C'est donc à partir de cet ouvrage et de quelques autres que j'essaie d'expliquer "le pourquoi du comment de choses".
Mais auparavant, il faut effectuer un léger retour en arrière, c'est-à-dire en novembre 1788 quand Louis XVI décide de réunir les États Généraux l'année suivante.
Jacques Necker |
Il n'est pas inutile de rappeler que Jacques Necker* était alors ministre d'État et directeur général des finances. Cette déclaration suscite des commentaires indignés parmi la noblesse et le tiers-état pour qui la proportionnalité renvoie "au concept d'individus porteurs de droits égaux dans la formation du pouvoir politique et d'une assemblée "nationale." (1)
Louis XVI |
Il est important de rappeler que la noblesse dispose de 291 députés, le clergé de 270 et le tiers-état de 578. Mais le vote se faisant par ordre, les députés du tiers demandent un vote par tête, ce que refusent bien sûr les deux autres ordres. Et donc, il y avait de fortes probabilités que l'augmentation des impôts ne concernent que le tiers-état et que toute possibilité de réforme ne soit possible.
Le 5 mai 1789, au lendemain d'une procession dans les rues de Versailles et d'une messe dite par l'évêque de La Fare* et député du clergé, les États Généraux proprement dits commencent sous la présidence du roi Louis XVI.
La salle dite des "Menus Plaisirs" a été aménagée dans l'urgence pour recevoir les délégations: en effet, recevoir 1139 députés, leurs collaborateurs et leurs invités n'a pas été une mince affaire.
l'ouverture des États Généraux le 5 mai 1789 | |
La salle prend la forme d'une sorte de rectangle et les députés seront placés selon le "règlement fait par le roi* pour l'exécution des lettres de convocation du 24 janvier 1789" et où l'article XXXIX stipule: "Dans les séances, l’ordre du clergé aura la droite, l’ordre de la
noblesse occupera la gauche, et celui du tiers-état sera placé en face."
Il
n'y a là aucune connotation ou volonté politique de la part du souverain,
mais plutôt le respect d'usages anciens comme il le précise plus loin: "Entend, Sa Majesté, que la place que chacun prendra en particulier dans
son ordre ne puisse tirer à conséquence dans aucun cas, ne doutant pas
que tous ceux qui composeront ces assemblées n’aient les égards et les
déférences que l’usage a consacrés pour les rangs, les dignités et
l’âge."
En janvier 1789, l'abbé Sieyès* avait écrit un texte: "qu'est-ce que le tiers-état?" où il répondait:
"qu'est-ce que le tiers-état? Tout. Qu'a t-il été jusqu'à présent dans l'ordre politique? Rien. Que demande t-il? À devenir quelque chose."(2)
Sans rentrer dans le détail, il faut néanmoins rappeler que le 10 juin 1789, Sieyès invite les deux autres ordres à rejoindre le tiers, ce que font des un tiers des nobles, des libéraux tels La Fayette* et Du Port*, et quelques membres du clergé.
Le 17 juin, toujours à l'initiative de Sieyès, ce groupe se proclame Assemblée Nationale. François Furet écrit: "C'est bien une autre souveraineté qui vient d'être baptisée: la Révolution est née." (3)
Pour autant, le vote n'est pas unanime et des pressions sont exercées sur les "réfractaires", comme le souligne Emmanuel de Waresquiel: "Il ne faudra que quelques heures avant que les députés "réfractaires" ne soient livrés à toutes les pressions possibles. Des listes d'opposants circuleront immédiatement dans Paris et ces derniers seront vite jetés en pâture à la vindicte publique."(4)
Et d'ajouter: "Les conditions extraordinaires qui accompagnent la proclamation de l'Assemblée nationale conduisent tout droit à la loi du même nom qui, le 17 septembre 1793, inaugurera la Terreur." (4)
Le 28 août 1789, pour facilité le décompte des voix, les députés de l'Assemblée nationale constituante se répartissent pour la 1ère fois géographiquement: il faut voter pour ou contre le droit de véto royal:
- à droite pour le maintien absolu du véto du roi
- à gauche pour une monarchie constitutionnelle sans véto du roi.
Il fallut attendre la proclamation de la République par Gambetta* le 4 septembre 1870 pour que gauche et droite retrouvent leur sens politique: à gauche, les républicains, à droite les monarchistes.
Suite aux élections législatives de février 1870, demandées sinon imposées par l'empire allemand, alors que ce même empire occupe une partie de la France, Philippe Levillain* écrit au sujet des députés réunis à Bordeaux: "Les voici donc rassemblés dans un théâtre à l'italienne. (...) Dans la salle où ils siègent, les députés de droite se sont naturellement placés à la droite du bureau établi sur la scène et les députés de gauche à sa gauche." (6)
"Pour désirable qu'il puisse être, le consensus en politique est cependant une utopie. Il peut être un objectif légitime; il ne sera jamais que transitoire. (...) Il est des esprits pour reprocher à la politique d'entretenir, voire de susciter les divisions, comme si ce n'était pas sa fonction propre de les évoquer, et la responsabilité spécifique du pouvoir d'arbitrer entre les sollicitations qui l'assaillent. C'est son rôle et sa grandeur de faire des choix." (7)
Alors, ne faisons pas la fine bouche quand les indispensables débats entre partis de droite et partis de gauche prennent parfois l'allure de foire d'empoigne et qu'au final, une décision doit être prise.
(1) in "la Révolution Française" de François Furet, éditions GLM pour Gallimard, 2007, page 278.
(2) in "Histoire de France" de Marc Ferro, éditions GLM pour éditions Odile Jacob, 2001, page 207.
(3) in "la Révolution Française, page 290.
(4) in "Sept jours 17 - 23 juin 1789, la France entre en révolution" de Emmanuel de Waresquiel, éditions Tallandier, 2020, pages 142 - 143.
(5) in "Histoire de la Révolution française, journal des Assemblées nationales de 18_789 jusqu'à 1815, de Philippe Bustel, Gallica, tome 2, page 349.
(6) in "Histoires des droites en France" sous la direction de Jean François Sirinelli, Philippe Levillain, "les droites en République", éditions Gallimard, 1992, page 148.
(7) in "la politique n'est plus ce qu'elle était" de René Rémond, éditions Champs Flammarion, 1994, page 37.
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