Nous entendons très souvent
parler de « l’État providence » via les médias, lors des campagnes
électorales ou des mouvements sociaux comme c’est le cas actuellement.
Il arrive aussi que nous en discutions en famille ou entre amis.
Mais qu’est-ce réellement cet « État providence »? Mais aussi pourquoi ce « providence »?
Cette expression aurait été utilisée pour la première fois sous le Second Empire.
D’abord
par certains républicains soucieux de la mise en place d’un état social
au service des citoyens et de l’intérêt général; un député, Emile
Ollivier l’aurait utilisé pour moquer l’État incapable selon lui
d’assumer un système efficace de solidarité sociale; un juriste, Alain
Supiot, affirme qu’elle serait d’origine religieuse suite à l’encyclique
du papa Léon XIII en 1891; les lois sociales de Bismark de 1880
auraient créées les « assurances sociales ».
Plus près de nous, en 1942, au Royaume Uni, le rapport de l’économiste William Beveridge*
propose que chaque salarié paie des cotisations sociales pour
bénéficier en retour de prestations en cas de maladie, de chômage et de
retraite.
Convaincu par J.M. Keynes « qu’une société ne peut s’appauvrir qu’en ne dépensant pas assez »
(1), Beveridge estime que cette dépense sociale doit être garantie par
l’État: il propose ce système pour lutter ce qu’il appelle les « cinq
maux »: pauvreté, insalubrité, maladie, ignorance et chômage. Il s’agit
alors pour l’État d’être plus protecteur et redistributeur.
En France, création de la Sécurité Sociale en 1945, suivant
en cela les propositions du Conseil National de la Résistance du 15 mars
1944, CNR qui proposait entre autre le rétablissement du suffrage
universel, les nationalisations.
Dans son programme adopté le 15 mars 1944, le CNR prévoit dans son article 2 chapitre 5b: « un
plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens
des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se
le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants
des intéressés et de l’État . »
Cette Sécurité Sociale pour tous
remboursera les frais médicaux, versera des indemnités en cas de
chômage et paiera une retraite pour tous les salariés. Les commerçants
et les artisans, ne voulant pas être assimilés à de « vulgaires prolétaires » (2) en étant, à leur demande, exclus.
Donc, résumons: l’État, via la Sécurité Sociale
intervient dans la protection des citoyens lorsqu’ils sont malades, au
chômage ou lors de la retraite en versant des indemnités ou des pensions
en échange du paiement de cotisations versées par les salariés et leurs
employeurs. Le droit aux indemnités est lié à des conditions de plus en
plus strictes en fonction des durées de cotisations.
Il verse aussi
des prestations dans le cadre familial pour aider les familles en
échange de cotisations versées par le seul employeur.
L’État
intervient également pour aider les chômeurs en fin de droits; il verse
aussi une prime d’activité aux salariés en guise de compléments de
salaire, se substituant ainsi en quelque sorte aux entreprises. Ce qui
dans un système économique libéral comme le nôtre peut amener à
s’interroger.
Quant aux fonctions régaliennes de l’État, elles sont financées par les différents impôts.
Mais alors, dans la mesure où l’État verse des prestations en
échange de cotisations, pourquoi dire État providence et non pas État
assureur? Chacun d’entre nous est assuré pour sa maison, sa voiture ou
sa responsabilité civile auprès d’une société d’assurances qui
intervient en cas de sinistre. Et pourtant, personne ne parle d’assureur
providence!
Le mot providence, si je me réfère au dictionnaire historique
de la langue française (3), publié sous la direction de Alain Rey a
deux significations bien précises, je cite:
1. « prévision, prévoyance, employé spécialement pour désigner la possibilité de prévoir en tactique militaire »
2. « pour désigner la prévoyance divine, d’ou la divinité servant même de nom propre à une déesse. »
Mais aussi, « par extension, le mot désigne une personne ou une chose contribuant au bonheur, à la fortune de quelqu’un. »
Donc, il me semble qu’il y a dans cette expression un abus de
langage: les diverses prestations servies par la Sécurité Sociale ne
sont en rien une tactique militaire ni un effet d’une divinité
religieuse, pas plus que contribuant à notre bonheur ou à notre fortune.
Alors, pourquoi aujourd’hui utiliser cette expression « État providence »?
Dans toutes mes recherches, mes lectures, je n’ai pas trouvé de réponses: pas de pourquoi. Pas de quand.
L’expression
est passée dans le langage courant. Tant chez les citoyens que dans la
classe politique ou les médias; tant chez les économistes que les
politistes.
Elle est devenue une expression populaire que chacun utilise sans en connaitre le sens exact. Un peu comme on dit « en faire un fromage » ou « monter sur ses grands chevaux » ou encore « se faire rouler dans la farine ». Il y a belle lurette que nous avons perdu le sens de ces expressions que nous utilisons pourtant quotidiennement.
Il n’en reste pas moins que cet « État providence » a certes
des défauts que dénonce à l’envie un certain ultra libéralisme. Mais
quoique l’on puisse en dire ou en penser, il permet à chacune et à
chacun d’entre nous de pouvoir faire face lors des accidents de la vie.
Méfions
nous des marchands d’illusions, ces boutiquiers qui voudraient tant
mettre à mort l’État providence pour le remplacer par leurs camelotes
illusoires et mensongères.
(1) in « la prospérité du vice » de Daniel Cohen, éditions Albin Michel, 2009, page 141
(2) in « Ambroise Croizat ou l’invention sociale » de Michel Etiévent, éditions GAP, 1999, page 94
(3) in « Dictionnaire historique de la langue française » sous la direction de Alain Rey, éditions dictionnaire Le Robert, troisième édition 2000, tome 2, page 1785.
Merci pour ces rappels.
RépondreSupprimerIl suffira pour mettre tout le monde d'accord, je l'espère, sur la question que vous posez, de rappeler que "prévoyance" et "providence" sont des doublets, c-à-d des mots ayant la même origine étymologique mais dont l'évolution sémantique ou lexicale a pu varier selon les régions, les auteurs ou les époques.
En l'occurrence, ici, il s'agit bien d'un "Etat prévoyance" (où la divine Providence n'a rien à faire).
Cordialement.C.S.