dimanche 12 janvier 2020

l'État providence, késako?

Nous entendons très souvent parler de « l’État providence » via les médias, lors des campagnes électorales ou des mouvements sociaux comme c’est le cas actuellement. Il arrive aussi que nous en discutions en famille ou entre amis.

Mais qu’est-ce réellement cet « État providence »? Mais aussi pourquoi ce « providence »?


Cette expression aurait été utilisée pour la première fois sous le Second Empire. 

D’abord par certains républicains soucieux de la mise en place d’un état social au service des citoyens et de l’intérêt général; un député, Emile Ollivier l’aurait utilisé pour moquer l’État incapable selon lui d’assumer un système efficace de solidarité sociale; un juriste, Alain Supiot, affirme qu’elle serait d’origine religieuse suite à l’encyclique du papa Léon XIII en 1891; les lois sociales de Bismark de 1880 auraient créées les « assurances sociales ».


William BEVERIDGE

Plus près de nous, en 1942, au Royaume Uni, le rapport de l’économiste William Beveridge* propose que chaque salarié paie des cotisations sociales pour bénéficier en retour de prestations en cas de maladie, de chômage et de retraite. 

Convaincu par J.M. Keynes « qu’une société ne peut s’appauvrir qu’en ne dépensant pas assez » (1), Beveridge estime que cette dépense sociale doit être garantie par l’État: il propose ce système pour lutter ce qu’il appelle les « cinq maux »: pauvreté, insalubrité, maladie, ignorance et chômage. Il s’agit alors pour l’État d’être plus protecteur et redistributeur.


Le programme et les membres du Conseil National de la Résistance

En France, création de la Sécurité Sociale en 1945, suivant en cela les propositions du Conseil National de la Résistance du 15 mars 1944, CNR qui proposait entre autre le rétablissement du suffrage universel, les nationalisations.

Dans son programme adopté le 15 mars 1944, le CNR prévoit dans son article 2 chapitre 5b: « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État . »

Cette Sécurité Sociale pour tous remboursera les frais médicaux, versera des indemnités en cas de chômage et paiera une retraite pour tous les salariés. Les commerçants et les artisans, ne voulant pas être assimilés à de « vulgaires prolétaires » (2) en étant, à leur demande, exclus.



Donc, résumons: l’État, via la Sécurité Sociale intervient dans la protection des citoyens lorsqu’ils sont malades, au chômage ou lors de la retraite en versant des indemnités ou des pensions en échange du paiement de cotisations versées par les salariés et leurs employeurs. Le droit aux indemnités est lié à des conditions de plus en plus strictes en fonction des durées de cotisations. 

Il verse aussi des prestations dans le cadre familial pour aider les familles en échange de cotisations versées par le seul employeur. 

L’État intervient également pour aider les chômeurs en fin de droits; il verse aussi une prime d’activité aux salariés en guise de compléments de salaire, se substituant ainsi en quelque sorte aux entreprises. Ce qui dans un système économique libéral comme le nôtre peut amener à s’interroger.

Quant aux fonctions régaliennes de l’État, elles sont financées par les différents impôts.


Mais alors, dans la mesure où l’État verse des prestations en échange de cotisations, pourquoi dire État providence et non pas État assureur? Chacun d’entre nous est assuré pour sa maison, sa voiture ou sa responsabilité civile auprès d’une société d’assurances qui intervient en cas de sinistre. Et pourtant, personne ne parle d’assureur providence!

Alain REY, linguiste (photo AFP)

Le mot providence, si je me réfère au dictionnaire historique de la langue française (3), publié sous la direction de Alain Rey a deux significations bien précises, je cite:

1. « prévision, prévoyance, employé spécialement pour désigner la possibilité de prévoir en tactique militaire »

2. « pour désigner la prévoyance divine, d’ou la divinité servant même de nom propre à une déesse. »

Mais aussi, « par extension, le mot désigne une personne ou une chose contribuant au bonheur, à la fortune de quelqu’un. »


Donc, il me semble qu’il y a dans cette expression un abus de langage: les diverses prestations servies par la Sécurité Sociale ne sont en rien une tactique militaire ni un effet d’une divinité religieuse, pas plus que contribuant à notre bonheur ou à notre fortune.

Alors, pourquoi aujourd’hui utiliser cette expression « État providence »?


Dans toutes mes recherches, mes lectures, je n’ai pas trouvé de réponses: pas de pourquoi. Pas de quand. 

L’expression est passée dans le langage courant. Tant chez les citoyens que dans la classe politique ou les médias; tant chez les économistes que les politistes. 

Elle est devenue une expression populaire que chacun utilise sans en connaitre le sens exact. Un peu comme on dit « en faire un fromage » ou « monter sur ses grands chevaux » ou encore « se faire rouler dans la farine ». Il y a belle lurette que nous avons perdu le sens de ces expressions que nous utilisons pourtant quotidiennement.


in https://lewebpedagogique.com/culturefrancaisepourtous/vie-quotidienne/les-expressions-courantes/

Il n’en reste pas moins que cet « État providence » a certes des défauts que dénonce à l’envie un certain ultra libéralisme. Mais quoique l’on puisse en dire ou en penser, il permet à chacune et à chacun d’entre nous de pouvoir faire face lors des accidents de la vie. 
Méfions nous des marchands d’illusions, ces boutiquiers qui voudraient tant mettre à mort l’État providence pour le remplacer par leurs camelotes illusoires et mensongères.







(1) in « la prospérité du vice » de Daniel Cohen, éditions Albin Michel, 2009, page 141
(2) in « Ambroise Croizat ou l’invention sociale » de Michel Etiévent, éditions GAP, 1999, page 94
(3) in « Dictionnaire historique de la langue française » sous la direction de Alain Rey, éditions dictionnaire Le Robert, troisième édition 2000, tome 2, page 1785.

1 commentaire:

  1. Merci pour ces rappels.
    Il suffira pour mettre tout le monde d'accord, je l'espère, sur la question que vous posez, de rappeler que "prévoyance" et "providence" sont des doublets, c-à-d des mots ayant la même origine étymologique mais dont l'évolution sémantique ou lexicale a pu varier selon les régions, les auteurs ou les époques.
    En l'occurrence, ici, il s'agit bien d'un "Etat prévoyance" (où la divine Providence n'a rien à faire).
    Cordialement.C.S.

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