mercredi 29 novembre 2017

le 27 novembre 1942: sabordage de la flotte française à Toulon.

Il y a soixante quinze ans, le 27 novembre 1942, une partie de la flotte française se sabordait à Toulon alors que les troupes allemandes se préparaient à entrer dans la ville après avoir commencé à bombarder l'arsenal.







Au total, ce seront plus de 120 bâtiments qui seront sabordés, dont 2 croiseurs de bataille, un cuirassé, 28 torpilleurs et contre torpilleurs, 12 sous marins. Soit plus de 230 000 tonnes.





Le chef de la France Libre, le général de Gaulle écrit dans ses "Mémoires de guerre": "Quant à moi, submergé de colère et de chagrin, j'en suis réduit à voir sombrer au loin ce qui avait été une des chances majeures de la France, à saluer par les ondes les quelques épisodes courageux qui ont accompagné le désastre et recevoir au téléphone les condoléances, noblement exprimées mais sourdement satisfaites du Premier Ministre anglais." (1)
Comment en est-on arrivé là? Sans doute faut-il quelque peu remonter dans le temps pour y trouver, sinon les justifications, du moins les explications.
1942 a été une année charnière où toutes les cartes ont été redistribuées:
  • en décembre 1941, les Etats-Unis sont entrés dans le conflit aux côtés des britanniques, des soviétiques et de la France Libre;
  • en juillet 1942, commence la bataille de Stalingrad* qui verra six mois plus tard la première défaite d'importance des troupes allemandes;
  • le même mois, puis en octobre, l'Afrika Corps* du maréchal Rommel* et les troupes italiennes sont défaits à El Alamein* par les britanniques et leurs alliés;
  • dans le Pacifique, l'attaque japonaise contre l'ile de Midway* avec des moyens considérables échoue à détruire la flotte américaine et son aéronavale;
  • le 8 novembre 1942*, les troupes américaines et anglaises débarquent en Afrique du Nord, Casablanca, Oran et Alger, alors colonies françaises.
Tous ces évènements placent l'Allemagne hitlérienne dans la défensive, alors que jusque là, c'est elle qui avait l'initiative sur tous les théâtres d'opération. Et bien sûr, cela change tout.

le maréchal Pétain et le chancelier Hitler à Montoire le 24 octobre 1940



les trois évlutions de la ligne de démarcation
L'armistice signé en juin 1940 par le gouvernement français de Philippe Pétain et les autorités allemandes, puis italiennes, coupait la France en deux zones par une ligne de démarcation, une zone dite occupée et une zone dite libre, zone que pour ma part j'appellerai zone non occupée, l'Etat Français qui la gouverne étant étroitement lié et dépendant du Troisième Reich.
L'article 8 de cette convention d'armistice* certifie que "Il (le gouvernement allemand) déclare, en outre, solennellement et formellement, qu'il n'a pas l'intention de formuler de revendications à l'égard de la flotte de guerre française lors de la conclusion de la paix."









Dès lors, pourquoi les allemands, dans la nuit du 10 au 11 novembre, ont-ils franchi la ligne de démarcation?
La raison invoquée est le débarquement des allés en Afrique du Nord.

Dans une lettre de cinq pages que l'ambassadeur d'Allemagne auprès du gouvernement de Vichy remet à Charles Rochat, secrétaire général du ministère français des Affaires Etrangères, Hitler écrit: "Dans l'espoir de pouvoir encore porter la guerre en Europe, l'Angleterre et l'Amérique ont, dès lors, commencé à attaquer et à occuper les territoires français de l'Afrique Occidentale et du Nord. (...) Mais l'Allemagne et l'Italie ne sauraient en aucun cas voir avec indifférence la convention d'armistice entrainer des conséquences qui ne pourraient à la longue tourner au détriment de ces deux Etats."(2)

Pierre Laval proteste mollement. Le maréchal Pétain lit une déclaration à la radio qu'il termine en disant ceci: "Français de la Métropole et de l'Empire, faites confiance à votre Maréchal qui ne pense qu'à la France."
La preuve était donnée  que le gouvernement de Vichy n'était qu'une marionnette aux mains des nazis. Mais, même à cette époque, avait-on vraiment besoin de preuves?

Un plan signé le 19 octobre 1940 par le général Huntziger* prévoyait qu'en cas d'invasion de la zone non occupée "une attitude (de la troupe) de résistance morale empreinte d'ordre, de discipline et de dignité, évitant à tout prix  ce qui ressemble fort à une fuite, attendrait dans le plus grand ordre, dans les casernes où elle demeurait rassemblée, l'envahisseur allemand."
Et Henri Amouroux* de préciser: "L'attitude prescrite ressemblait fort à celle qui avait été imposée, à partir du 17 et du 18 juin 1940, à certaines unités de l'armée française ainsi regroupées, comme pour être mieux prise au nid bien que la bataille ne soit pas achevée. (3)

Les armées allemandes progressent vers la Méditerranée par les vallées de la Garonne et du Rhône. La résistance, surprise, ne réagit pas.
Dans un premier temps, l'armée française organise une ligne de défense autour de Toulon. Mais abandonnera très vite ses velléités de résistance.
Pourquoi ce sabordage?

l'amiral de la flotte françois Darlan



Dans une note de juin 1940, écrite après la signature de l'armistice, l'amiral Darlan* ordonnait dans ses articles 2 et 3 de de "prendre des précautions secrètes d’autodestruction en cas d’agression de la part de l’Axe ou des forces Alliées. (...) en aucun cas, ils ne doivent rester intacts à l’ennemi." On ne saurait être plus clair.
Mais, après le débarquement allié du 7 novembre, Darlan s'est plus ou moins éloigné du gouvernement de Vichy.
Dans son ouvrage "de Gaulle, le rebelle" (4), Jean Lacouture écrit: "C'est sans le moindre doute d'être obéi que l'amiral Darlan a donné l'ordre, le 13 novembre, au responsable de cette flotte, l'amiral Jean de Laborde, de rallier Alger. Il n'en reçoit qu'un refus insultant, ponctué, dit-on, du mot de Cambronne. La haine personnelle de Laborde à l'encontre de Darlan (...) se doublait d'une anglophobie frénétique. Quelques jours avant Darlan (le 12 novembre) Auboyneau qui avait succédé à Muselier à la tête des forces navales gaullistes avait déjà appelé la flotte de Toulon à se joindre aux "armées de la délivrance". Si Darlan s'était attiré une réponse méprisante, Auboyneau, lui, ne reçut pas même de réplique."

l'amiral jean de Laborde
Dans la nuit du 26 au 27 novembre, une unité SS investit le port de Toulon. Aussitôt, l'amiral de Laborde* ordonne le sabordage de la  flotte. 


Et Jean Lacouture de poursuivre: "Ainsi,pris au piège qu'il a obstinément voulu refermer sur lui, l'amiral de Laborde donna l'ordre - prêt depuis juin 1940 - d'envoyer par le fond la flotte dont il s'était refusé à faire une arme de combat. Tout plutôt que de se battre aux côtés des alliés." (5)

On ne peut bien sûr réduire le sabordage de la flotte au seul antagonismes de deux amiraux. Mais ils étaient nombreux au sein de l'armée et de la Marine à refuser  de se battre aux côtés des alliés, quitte à ne pas combattre les allemands.

L'ordre du jour du 12 novembre 1942 signé par de Laborde est explicite: ".. que les forces placées sous nos ordres n'entreprendront aucune action dirigée contre les puissances de l'Axe et défendront Toulon contre les Anglo-Saxons et les Français ennemis du gouvernement du Maréchal." (6)

La passivité des troupes le 11 novembre en est la triste illustration et le sabordage de la flotte la triste et lamentable démonstration.

Certains historiens se sont interrogés: et si la flotte, au moment du débarquement anglo américain avait pris la mer et rejoint Alger pour défendre Alger et Oran assiégées comme l'amiral de Laborde l'avait un moment envisagé, qu'aurait-il pu se passer?
A ce questionnement, toutes les réponses sont possibles. Mais il ne faut pas oublier deux éléments essentiels, à savoir que, 1, les équipages des bâtiments de la flotte de Haute Mer n'avaient quasiment plus pris la mer et par conséquent n'avaient plus été entrainés à la navigation et à l'utilisation des armements et chacun sait que faute d'entrainements, les réflexes se perdent très vite; 2, que l'autonomie en carburant était limitée à deux jours, trois grand maximum du fait des restrictions allemandes. Dans ces conditions, il est quand même difficile d'imaginer une sortie de l'escadre.

le sous-marin Casabianca
[
Seuls, trois sous marins le Casabianca, le Marsouin et un petit bâtiment atteindront l'Algérie. D'autres, de petites unités, seront récupérées par les italiens, mais pas ou peu utilisés.
Après ce sabordage, la Marine Française aura perdu plus de la moitié de ses unités. Un beau gâchis!

Marc Bloch en uniforme

Pour conclure, il m'est revenu à la mémoire un texte de Marc Bloch* que j'avais lu il y a fort  longtemps: "l'étrange défaite", un texte écrit entre juillet et septembre 1940. Officier de liaison pendant "la drôle de guerre", il essaie d'expliquer la défaite française.
Il cite un jeune officier: "Cette guerre m'a appris beaucoup de choses. Celle-ci entre autres: qu'il y a des militaires de profession qui ne seront jamais des guerriers." (7)
et plus loin, il écrit: " A vrai dire, un très récent général de brigade fut bien appelé au conseil du gouvernement. Qu'y fit-il? Je ne sais. Je crains fort, cependant, que devant tant de constellations, ses deux pauvres petites étoiles n'aient pas pesé bien lourd. Le Comité de Salut Public eût fait de lui un général en chef. Jusqu'au bout, notre guerre aura été une guerre de vieilles gens ou de forts en thème, engoncés dans les erreurs d'une histoire comprises à rebours (...) Le monde appartient à ceux qui aiment le neuf. C'est pourquoi, l'ayant rencontré devant lui, ce neuf, et incapable d'y parer, notre commandement n'a pas seulement subi la défaite; pareils à ces boxeurs, alourdis par la graisse, que déconcerte le premier coup imprévu, il l'a acceptée."(8)




(1) in "Mémoires de guerre, l'unité, 1942 - 1944", éditions Rencontre, librairie Plon,1971, page 58;
(2) in "la grande histoire des Français sous l'occupation: les passions et les haines, avril - décembre 1972", de Henri Amouroux, éditions Robert Laffont, 1981, page 413;
(3) ibid, page 414
(4) in "de Gaulle, le rebelle", de Jean Lacouture aux éditions du Seuil, 1984, page 618;
(5) ibid, page 619;
(6) ibid Henri Amouroux, page 479;

(7) in "l'histoire, la guerre, la résistance" de marc Bloch, aux éditions Gallimard pour GLM, 2006, page 526
(!) ibid, page 616.

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