dimanche 3 décembre 2017

les 2 décembre et les Bonaparte




2 décembre 1804: couronnement de Napoléon Bonaparte, alors Premier Consul, sous le nom de Napoléon 1er;

2 décembre 1805: victoire de Napoléon 1er à Austerlitz;

2 décembre 1851: coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte, alors Président de la Seconde République;

2 décembre 1852: Louis Napoléon Bonaparte devient empereur sous le nom de Napoléon III.





On ne saurait dire si ces dates sont le fait du hasard. Mais, sans aucun doute, peut-on trouver chez Louis Napoléon la volonté toute symbolique d’une référence directe à son oncle. Ce dernier bénéficie alors en France d’une popularité surprenante: Louis Philippe 1er, roi des français, n’a t-il pas fait, en 1840, revenir en grandes pompes les cendres à Paris de l’empereur déchu*?

Napoléon III





















Mis à part le lien de parenté, – Louis Napoléon est le fils de Joseph, frère de Napoléon – ils ont en commun le fait d’avoir organisé et réussi un coup d’état chacun, mettant ainsi fin au régime républicain qu’ils étaient censés protéger, et d’avoir subi deux défaites militaires entrainant leur abdication, l’oncle permettant le retour des Bourbons sur le trône et le neveu l’avènement de la République, même si formellement, il fallut attendre 1875.

Ils ont également en commun le fait d’avoir organisé un plébiscite pour proclamer l’empire. Auparavant, un sénatus-consulte rétablit la dignité impériale, le 4 mai 1804 pour l’oncle et le 7 novembre 1852 pour le neveu. Le plébiscite est remporté  par le premier avec 99,9% des votants; celui remporté par le second, le 21 novembre 1852, avec 98,7% des votants.
Dans les deux cas,le régime de l’hérédité impériale est confirmée.


Napoléon 1er empereur

Le sacre de Napoléon 1er * est grandiose: le pape Pie VII, quelque peu contraint et forcé, a fait le déplacement de Rome à Paris. Malgré le froid intense, la cérémonie dure près de cinq heures et contrairement à ce qui était initialement prévu, Napoléon se place lui-même la couronne impériale sur la tête, puis couronne Joséphine, devenue, par ce geste, impératrice. Puis, la main sur les Evangiles, il prête le serment suivant:
« Je jure de maintenir l’intégrité du territoire de la République, de respecter les lois du Concordat et de la liberté des cultes ; de respecter et de faire respecter l’égalité des droits, la liberté politique et civile, l’irrévocabilité des ventes des biens nationaux ; de ne lever aucun impôt, de n’établir aucune taxe qu’en vertu de la loi ; de maintenir l’institution de la Légion d’honneur ; de gouverner dans la seule vue de l’intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français. »


Napoléon III empereur


Pour Napoléon III, il n’y aura pas de sacre: le pape Pie IX ayant posé des conditions – sacre à Rome et non à Paris, mariage catholique obligatoire pour tout mariage civil, annulation des articles organiques de Napoléon 1er, ou autrement dit, l’annulation du Concordat signé en 1801 par le Premier Consul et Pie VII* – conditions inacceptables à raison pour Louis Napoléon Bonaparte. Pour autant, il y aura des festivités un peu partout en France et à Paris, au palais des Tuileries, à l’hôtel de ville et à la cathédrale où un Té Déum sera chanté. Désormais, l’empereur Napoléon III signera de cette façon: « Napoléon, par la grâce de Dieu et la volonté nationale, empereur des Français »


Le déroulement des règnes des deux Bonaparte seront fondamentalement différents:
  • Napoléon 1er sera constamment en guerre contre l’Angleterre en particulier, mais aussi contre le reste de l’Europe, au gré des alliances, souvent éphémères, toujours fragiles. Le blocus continental décidé en 1806 pour étouffer l’ennemi britannique unit petit à petit les souverains russes et autrichiens contre les français. L’aventure espagnole ajoutera à la confusion. Certes, il y aura encore des victoires importantes, mais  la guerre contre la Russie signera le début de la fin, ainsi que le souligne Jean Tulard, un des meilleurs historiens de cette époque, fin connaisseur de l’épopée napoléonienne: « La catastrophe survint en 1812, gigantesque, à la mesure des évènements qui avaient précédé; elle favorisait la formation de la plus grande coalition européenne que la France ait jamais eu à affronter. » (1)
  • Napoléon III n’a pas eu les ambitions territoriales de son oncle. Il a réussi à rompre l’entente diplomatique de la Sainte Alliance * issue du Congrès de Vienne de 1815 visant à isoler la France, en s’alliant avec l’Angleterre contre la Russie lors de la guerre de Crimée* en 1853. Il soutiendra avec succès les indépendantistes italiens contre l’Autriche, mais subira un échec humiliant lorsqu’il dépêcha un corps expéditionnaire au Mexique* en 1861, dont on se demande encore aujourd’hui ce qu’il « allait faire dans cette galère ». Tombé dans le piège diplomatique que la Prusse lui avait tendu en 1870, il entreprit une guerre qu’il perdit en quelques semaines. Pourtant, dès le début, il avait déclaré: « Rien n’est prêt (…) Je nous considère d’avance comme perdu » (2)

l'entrée des troupes russes à Paris

L’oncle et le neveu ont eu un autre point commun: leur défaite ont amené les troupes étrangères en France: en 1814 et 1815, puis en 1870.



Dans les deux cas, un affaiblissement politique, économique et moral de la France. Et pour 1870, la perte humiliante d’une partie du territoire.


Ce qui reste malgré tout, sinon une énigme, du moins une certaine incompréhension: pourquoi ces deux empereurs n’ont-ils pas, face à l’Histoire, la même mémoire, la même postérité?
Napoléon 1er est, depuis 1815, l’objet d’un véritable culte alors que son neveu, lui, n’est l’objet que de détestations.
Victor Hugo

Sans nul doute, Victor Hugo y est-il pour quelque chose: ses textes où il encense l’oncle pour mieux démolir le neveu ont eu une influence considérable. Le poète n’a jamais pardonné le coup d’état du 2 décembre 1851, alors qu’il n’a jamais évoqué celui du 18 Brumaire.
Les républicains victimes de la répression impériale, ceux qui ont donné naissance à la Troisième République, ne pouvaient, eux non plus, pardonner la mise à mort de la Seconde République.

Napoléon 1er, en plus d’avoir mis fin à la Première République, a mis l’Europe à feu et à sang. Il a rétabli une noblesse d’empire, ce que Jean Tulard considère comme une « faute »: « avant même la guerre d’Espagne, il commet sa première faute: la création d’une noblesse. » (3) Il a instauré un régime autoritaire, ruiné la France, la mettant au ban des nations. Sans oublier le retour des Bourbons dans les malles des armées coalisées.


2 décembre 1804, 1805, 1851, 1852: quatre dates qui ont marqué, chacune à leur manière, l’Histoire de France. Quatre dates qui ont révélé ce que des hommes, de simples mortels, ont pu agir sur le destin d’une nation, sur sa grandeur ou son déclin. Mais aussi sur le destin de millions d’hommes et de femmes, pris au piège d’idéaux dévoyés et d’une mégalomanie destructrice.


(1) in  « Napoléon », de Jean Tulard, éditions Fayard, 1987, page  387;
(2) in « Histoire de France », de Marc Ferro, éditions Odile Jacob pour GLM, 2001, page 295
(3) ibid page 325

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