Il y a six ans, le 4 août 2009, je publiais le billet qui suit. Je n'ai pas changé un seul mot; uniquement la mise en page...
Mais il me semble que cette nuit fondatrice est plus que jamais d'actualité.
Mais il me semble que cette nuit fondatrice est plus que jamais d'actualité.
Voilà exactement 220 ans qu'était proclamée
l'abolition des droits féodaux dans la nuit du 4 août. C'est une date
fondatrice dans le sens que c'est elle, bien plus que la prise de la
Bastille, qui a sonné le glas de l'absolutisme et, partant, celui de la
Monarchie absolue de droit divin.
Comment en est on arrivé là? Comment en est on
arrivé à remettre en cause la légitimité de la royauté, mais
aussi celles de l'église et de l'aristocratie? Il y avait déjà eu en
France des révoltes, des jacqueries, toutes brutales et sanglantes. Mais jamais de remise en cause du roi, jamais de remise en cause du régime royal.
Voltaire |
Denis DIDEROT |
Il y a plusieurs facteurs à cela:
- l'influence des philosophes des Lumières, de Voltaire à Rousseau; de Diderot à Montesquieu; de d'Alembert à Condorcet et quelques autres, tous ont semé des idées qui, petit à petit, ont germé dans les esprits, y compris ceux des aristocrates, mais aussi parmi les élites d'une bourgeoisie (notion qui n'existait pas vraiment encore, en tout cas pas en tant que corps social reconnu) et enfin, parmi les paysans et les ouvriers, excédés d'être écrasés d'impôts et de charges diverses et soumis à l'arbitraire seigneurial;
-
des récoltes en 1788 très mauvaises, ce qui entraîne dans différentes provinces de terribles disettes, aggravées par un hiver 1788 - 1789 des plus rigoureux;
-
les Etats Généraux du 12 mai 1789, convoqués par Louis XVI sous la pression conjointe des Parlements et du peuple, pression qui avait commencé avec la "journée des tuiles" de Grenoble, le 7 juin 1788. les Etats Généraux donc sont en eux même un commencement de révolution dans la mesure où le Tiers Etat exige et obtient autant de représentants que la Noblesse et le Clergé réunis. (578 pour les premiers, 270 pour les seconds et 291 pour les derniers)
-
le pigeonnier de Vascueil les cahiers de doléances, établis à partir de janvier 1789, pour être présentés par les députés aux Etats Généraux de mai, vont être un des éléments déterminants du processus qui va mener aux décisions du 4 août. Ils sont établis à partir des plus petites unités administratives du royaume: "Sa Majesté à désiré que des extrémités de son royaume et des habitations les moins connues, chacun fût assuré de faire parvenir jusqu’à elle ses vœux et ses réclamations." A Vascueil, j'ai eu l'occasion de consulter quelques doléances propres au village. Une d'entre elles concerne les pigeons. En effet, le château possédait en propre son pigeonnier, une superbe bâtisse pouvant contenir jusqu'à plusieurs centaines de ces volatiles. Bien que ces pigeons s'en prennent tout naturellement aux récoltes, les paysans avaient interdiction formelle de les tuer ou même de les en empêcher! Des gens se sont retrouvés aux galères ou en exil pour n'avoir pas respecté cette interdiction!!! (cette disposition sera abolie par l'article 2) -
la "grande peur": commencée après la prise de la Bastille, elle résulte de rumeurs (un complot aristocratique), de peurs multiples, de fantasmes. Les paysans s'arment, pillent et brûlent un peu partout les châteaux, les lieux de pouvoir. Les députés, réunis à Versailles et qui se sont constitués d'abord en Assemblée Nationale le 17 juin, puis en Assemblée Nationale Constituante le 9 juillet, entendent le message transmis par les émeutiers: le pouvoir féodal doit être remis en cause.
Dès le début des Etats Généraux, le Tiers Etat, à l'initiative de Seyes,
invite les deux autres ordres à le rejoindre. Il n'existe plus qu'un
seul groupe face au roi, ( 578 du Tiers Etat, 2 de la Noblesse et 22 du
Clergé) groupe qui se proclame Assemblée Nationale. Refusant ce qu'il
considère comme un coup de force, Louis XVI fait fermer la salle des
"menus plaisirs", sous un prétexte idiot (des travaux à faire dans cette
salle), où siégeaient les députés, députés qui occupèrent aussitôt la
salle du Jeu de Paume.
le serment du Jeu de Paume |
Ils jurèrent alors de ne se séparer qu'après
avoir donné une Constitution à la France: c'est le serment du Jeu de Paume: les signataires juraient "de
ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances
l’exigeront, jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et
affermie sur des fondements solides." Louis XVI voulut faire expulser les députés et c'est à cette occasion que Mirabeau aurait dit: "nous
sommes ici par la volonté du peuple. Allez dire à ceux qui vous
envoient que nous n'en sortirons que par la force des baïonnettes!"
Désormais, le conflit est ouvert entre le
souverain qui est encore de droit divin et les députés qui ne sont plus
les sujets de ce souverain. D'autant que face aux émeutes un peu partout
dans le royaume, les députés doivent agir. Comme il ne peut être
question d'envoyer la troupe réprimer les paysans, les députés, à
l'initiative du vicomte de Noailles, soucieux de mettre fin à l'agitation, décident d'abolir les droits seigneuriaux; le duc d'Aiguillon,
dans la foulée, propose l'égalité de tous devant l'impôt et le rachat
des droits féodaux. On peut imaginer sans peine l'ambiance dans la salle
du Jeu de paume, les propositions des uns succédant aux propositions
des autres dans un consensus surprenant et un chahut indescriptible.
Le 11 août 1789, l'Assemblée publiait 1 décret de 18 articles qui
n'aura force de loi qu'après la signature du roi. Car si la monarchie
absolue disparaissait, le monarque, lui, n'était nullement remis en
cause en tant que monarque: les députés avaient aboli les privilèges,
mais pas la royauté: l'article 17 affirmait: " l'Assemblée Nationale proclame solennellement le roi Louis XVI Restaurateur de la Liberté Française." On
voit par là que pour les Constituants, il n'était nullement question de
renverser la monarchie et d'établir la République. Pourtant, Louis XVI
refusait de signer le décret et ce n'est que, contraint et forcé le 5
octobre 1789 qu'il consentit enfin à le parapher. Le souverain n'avait
pas compris la gravité de la crise qui secouait son royaume. D'ailleurs,
il n'a jamais compris. Ce qui l'a conduit à l'échafaud.
Que disaient ces 18 articles? En résumé, le
système féodal était aboli sans indemnités; le système fiscal
complètement modifié; le système judiciaire également puisque
disparaissait la justice seigneuriale et que le principe de la gratuité
de la justice établi; le droit de la chasse transformé.
Il n'en restait pas moins que tout n'était pas
aboli et que certains droits étant "rachetables", il fallut attendre un
vote de la Convention le 17 juillet 1793 pour que l'abolition totale
et irréversible des privilèges entre dans les faits. Et le code civil de
1804 pour leur donner une base juridique définitive.
Une conséquence indirecte de cette nuit du 4
août est la mise en place d'un nouveau centralisme d'état. Le système
administratif de l'ancien régime était fort éclaté: provinces, diocèses,
paroisses... etc, tous avaient quasiment une vie administrative propre:
fiscalité, justice, commerce. La Constituante, en supprimant le système
féodal, puis en créant le 11 novembre 1789 les départements, renvoyait
vers le pouvoir central tous les leviers de commande. Cela n'a pas été
sans conséquence pour la suite de notre Histoire.
Outre la fin de la monarchie absolue et de la
légitimité divine du souverain, cette nuit du 4 août 1789 a aussi ouvert
la voie à une nouvelle société; a donné naissance aux Citoyens, tous
égaux devant la Loi et la Justice; elle allait inspirer la Déclaration
des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, cette Déclaration
qui figure dans le préambule de la Constitution de la Vème République.
En guise de conclusion, il me semble que François Furet
dans "la Révolution Française", page 298, (éditions Gallimard, 2007,
1055 pages) résume bien les conséquences de cette nuit historique
initiée par l' Assemblée Constituante, et de ce qu'elle implique pour
l'avenir: "C'est le problème principal de l'été pour la
Constituante: en détruisant le "régime féodal, celle-ci vient de
redéfinir les Français en individus libres et égaux devant la loi. Elle
doit ensuite les constituer comme tels en corps politique."
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire