J'ai
écrit ce texte il y a un peu plus de deux ans dans le cadre d'un "appel
à l'écriture" lancé par Patrick L'Ecolier, barman et animateur du café
philosophique et littéraire "Calipso". Et édité par le même, mais qui a mis sa casquette de patron des éditions Zonaires: "rendez-vous après la fin du monde".
Le dernier livre de Michel Houellebecq évoque l'arrivée au pouvoir en France d'un chef religieux en 2022. Et, bien sûr, sans vouloir, à aucun moment, me hausser du col ou me comparer à cet auteur reconnu, j'ai pensé que ce texte écrit il y a deux ans et qui traitait lui aussi de la prise du pouvoir par des religieux, je me suis donc dit que ce texte avait toute son actualité.
J'avais
prévu de publier ce texte le 7 janvier. Mais ce jour-là, il s'est passé
ce que vous savez. J'ai donc préféré attendre quelques jours. D'autant
que ce qui s'est passé le 11 janvier démontre - et c'est heureux et
réconfortant à la fois - que nous ne sommes pas disposés à "entrer en
religion."
Dont acte.
Au cœur de l’apocalypse.
Bien cher ami,
J’espère
que ma lettre vous trouvera en bonne santé, physique autant que morale.
Pour ma part, le physique va plutôt bien : à quatre vingt quatorze ans,
je ne peux pas demander l’impossible. Par contre, pour le moral, ça
c’est autre chose.
Vous savez que j’ai toujours été quelqu’un
d’optimiste, mais pour le coup, depuis l’élection du nouveau Président,
j’ai, comme on dit un peu familièrement, « le moral dans les
chaussettes. »
En
effet, depuis que le cardinal Henri de Brignan a été élu Président de
la République, tout est bouleversé. Permettez moi de vous décrire en
détail la situation. Sans toutefois trop m’appesantir.
Le
premier geste politique du nouveau Président a été de nommer l’iman
Cheik Abdul El Rackary Premier Ministre. Ce dernier a composé son
gouvernement avec uniquement des personnalités toutes issues du monde
religieux : cinq catholiques dont le ministre de l’Education Nationale ;
quatre musulmans dont le ministre de l’Intérieur ; quatre juifs dont le
ministre des Affaires Etrangères ; deux protestants dont le ministre de
l’Economie ; un témoin de Jéhovah, ministre de la Santé ; un mormon,
ministre du Commerce et un sikh ministre des Armées. Et bien sûr, pas la
moindre femme.
Vous
me direz avec raison que ce n’est pas vraiment une surprise, de Brignan
l’avait annoncé bien avant d’être élu. Et, hélas, personne ne peut nier
qu’il a été élu dès le premier tour avec plus de 65% des voix.
Cela
dit, et sans être mauvais perdant, cette élection, exclusivement via
internet, me paraît suspecte. D’abord parce que ce sont des entreprises
américaines liées au Tea Party et à la Congrégation Saint Nicolas du
Chardonnet qui les ont mises en place, organisées et contrôlées.
Ensuite, parce que ce sont des chaines de télévision contrôlées par
Civitas qui ont annoncé les résultats, deux heures avant la fin du
scrutin.
Mais,
de toutes façons, triches ou pas, l’époque est à la religion : les
église, les mosquées, les temples, les synagogues ne désemplissent pas.
Il y a même une liste d’attente longue comme le bras pour aller à
Lourdes. Sans parler de celle pour se rendre à La Mecque. Et ce
phénomène, hélas, n’est pas que français. Tous les pays se sont donnés
des gouvernements religieux, y compris l’Albanie, c’est dire !
Gouvernements élus à de fortes majorités, via internet, comme il se
doit ! Je n’explique pas ce phénomène. Je me souviens quand même qu’il a
commencé au début du siècle. Il y a deux ans, j’avais signé des
pétitions et même défilé à plusieurs reprises pour dénoncer une
directive de la Commission Européenne imposant le vote électronique dans
tous les pays de l’Union Européenne. Mais pétitions et manifestations
n’ont servi à rien, d’autant qu’elles n’ont pas rencontré les succès
escomptés par leurs organisateurs.
Cette
épidémie de religiosité est planétaire, vous le savez j’imagine. Après
l’Amérique du Nord – les Etats Unis sont dirigés par un mormon, le
Canada par un sikh et le Mexique par un prêtre issu de l’Opus Dei –
c’est l’Amérique du Sud qui s’est abandonnée dans les bras des
catholiques et des évangélistes, imitée en cela par l’Amérique Centrale.
Même chose en Asie, livrée aux bouddhistes de toutes obédiences. Quant à
la Russie, il y a belle lurette que l’église orthodoxe avait placé ses
pions en la personne d’un ancien officier du KGB qui s’est effacé
lorsqu’elle lui en a donné l’ordre.
En
Afrique, tous les pays sont dirigés par des évêques ou des imans. La
seule différence avec les autres pays, c’est que les religieux qui n’ont
pas été élus accusent ceux qui l’ont été d’avoir organisé des fraudes
massives. Encore que tous n’ont pas été élus puisque la pratique du coup
d’état est encore bien pratiquée là-bas. De ce côté là, rien de nouveau
sous le soleil.
Le
paradoxe – mais en est-il vraiment un ? – est que seuls les Etats qui
ont échappé à ce tsunami religieux sont les Etats communistes : la
Chine, le Vietnam, la Corée du Nord et Cuba, là où vous résidez.
A
partir de ce constat, certains chez nous affirment que la Démocratie ne
fait pas le poids face aux religions. Il est vrai que même la France,
malgré la loi de 1905, a été submergée.
D’ailleurs,
à peine nommé, le gouvernement a organisé un référendum où deux
questions étaient posées : « voulez vous que la Loi de séparation entre
les églises et l’Etat soit abrogée ? » et « acceptez vous la nouvelle
Constitution qui fonde la VI ème République ? »
Le « oui » l’a emporté dans les deux cas à plus de 80%. Donc, maintenant, la France est devenue la fille ainée des religions !
Au
début, on était plutôt dans le « tout le monde il est beau, tout le
monde, il est gentil. » Mais cela n’a pas duré : dès la mise en place de
la nouvelle Constitution, tous les syndicats, tous les partis
politiques, toutes les associations ont été dissous. Sauf celles et ceux
qui, selon les nouvelles autorités, « pensent bien. »
De nouvelles pièces d’identité ont été imposées sur lesquelles doit obligatoirement figurer l’appartenance à une communauté religieuse. Comme par hasard, ceux qui se déclarent « sans religion » mettent un temps infini à recevoir le document pourtant indispensable, car les contrôles dans la rue par les policiers du service dit des « bonnes mœurs » sont permanents et tatillons. Ceux qui ne peuvent prouver leur identité sont emmenés au poste, manu militari !
Les
fonctionnaires sans appartenance religieuse ont été licenciés, y
compris les universitaires, les diplomates, les militaires ou les
magistrats.
Toutes
les bibliothèques ont été purgées de leurs ouvrages jugés licencieux
par tout ce que notre pays compte de grenouilles de bénitier, regroupées
dans le « Conseil Supérieur de la Litterrature. » Rien que la
dénomination de ce groupuscule fait froid dans le dos. Ce conseil n’a
pas encore fixé la date des futurs autodafés, mais je ne doute pas que
cela ne devrait pas tarder.
Chaque
entreprise, y compris les plus petites, est tenue de laisser à ses
salariés le temps nécessaire pour leurs prières quotidiennes. Les
cantines publiques – il n’en reste qu’une centaine sur tout le
territoire – ou privées se doivent de tenir compte des différents
interdits religieux pour composer les repas.
Toutes les fêtes nationales, du type 14 juillet ou 11 novembre ont été supprimées au profit des fêtes religieuses. D’ailleurs, les jours de congés religieux ont explosé, chaque église voulant avoir les siens propres. Etant entendu cependant qu’un musulman ne pourrait être en congé pour Noël ou qu’un catholique ne pourrait l’être pour l’Aït Al-Kabïr. Ce qui n’est pas sans désorganiser nombres d’entreprises et de commerces.
Les
femmes, bien sûr, ont été renvoyées dans leurs cuisines. Elles peuvent
encore voter, mais le mari se doit de contrôler le vote. Le mari, car
seul le mariage est reconnu, toutes autres formes d’union entre homme et
femme est prohibée. Quant à la contraception, elle est rigoureusement
interdite, et je n’évoque même pas l’avortement, redevenu un péché
mortel et comme tel voué aux gémonies célestes et poursuivi devant des
tribunaux religieux ! Il est inutile de préciser que les homosexuels
sont particulièrement pourchassés et tous les mariages qui les
concernaient ont été annulés.
La
liste est encore fort longue de tous ces bouleversements. Et je préfère
en rester là, je ne voudrais pas vous importuner avec cette liste à la
Prévert.
Vu
mon grand âge, personne ne peut me faire un trou là où j’en ai déjà un.
Vous voudrez bien excuser cette familiarité, mais elle me rappelle trop
cette liberté de ton de ma jeunesse, celle où l’on pouvait chanter la
carmagnole ou les filles de Camaret ou lever le poing au ciel sans qu’un
cureton ou un ayatollah ne vienne me faire sa morale ou m’envoyer dans
un camp de rééducation religieuse.
Malraux
aurait dit que « le XXI ème siècle sera religieux ou ne sera pas ». A
supposer qu’il l’ait vraiment dit, il ne pouvait imaginer combien il
avait raison et surtout l’ampleur que cela prendrait !
Tout
ça pour vous dire, mon cher ami, que je compte demander l’asile
politique aux autorités politiques de Cuba et que je compte bien avoir
votre aide pour faire aboutir ma demande.
Bien à vous.
Votre dévoué
VH
de Claude Bachelier, aux éditions Zonaires: www.zonaires.com
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