dimanche 16 septembre 2012

"Parlez moi d'moi, ya qu'ça qui m'intéresse"


La semaine dernière, j'ai dîné avec un ami comme nous le faisons plusieurs fois par an. Nous parlons de tout, de politique, de sports, d'histoire, de littérature, de nos familles, de nos projets, enfin tout ce qui peut faire la conversation entre deux amis qui ont plaisir à se retrouver.
Mais dès que je l'ai vu, j'ai tout de suite compris qu'il y avait quelque chose qui ne "collait" pas. Je transcris ci-après notre dialogue, à quelques mots près. Lui en rouge et en italique, moi en bleu.

- et bien, tu en fais une tête!
- il m'arrive un drôle de truc
- ...
- dimanche dernier, j'ai reçu un coup de fil de MP, tu vois qui c'est?
- oui, bien sûr
- elle m'a tenu le crachoir pendant près de dix minutes. Elle m'a raconté sa vie, ou presque. Ses problèmes avec ses gamins, avec son mec. Et même ses problèmes de santé. Elle a été au cinéma avec une copine, sa meilleure amie comme elle dit, et elle s'est emmerdé à cent sous de l'heure, mais elle est restée parce que sa copine, elle, elle aimait. Bref, tout un tas de trucs sans aucun intérêt. A part quelques oui, non, ah, par ci, par là, je n'ai pas pu placer un mot. Et le meilleur, c'est pour la fin: elle m'a demandé: et toi, ça va? Et sans me laisser le temps de répondre, elle a ajouté, bon, il faut que j'y aille. A la prochaine!...
- effectivement. Mais bon, ce n'est pas quelque chose de très original, non?
- tu as raison. Sauf que jusqu'à ce coup de fil, je n'y avais jamais prêté attention. Tu vas me croire si tu veux, mais j'ai pris conscience tout d'un coup que bien souvent que bien des conversations se résumaient en fait à des monologues. Je me suis remis en mémoire quasiment toutes les conversations que j'ai eues ces derniers temps.
- et alors?
- alors, chacun m'a raconté ce qu'il faisait, ce qu'il allait faire, ses problèmes, ses projets, etc, etc. Mais jamais, un seul ne m'a demandé ce que je faisais, quels étaient mes projets. Si je commençais à dire un truc, j'étais aussitôt coupé par un "moi je" et patati et patata...
- c'est un peu le mal du siècle ce phénomène, chacun ne s'intéresse qu'à ce qui l'intéresse. Je crois que je t'en ai parlé, mais il y a quelques années, dans mon ancienne boite, les cadres avaient reçu, au cours d'un séminaire sur "comment être un bon chef", une plaquette de recommandations. Et une de ces recommandations étaient la suivante, je m'en souviens comme si c'était hier: "je m'intéresse à ce qui intéresse... ceux qui m'intéressent!" Les autres n'ont qu'à aller se faire dorer.  Un autre exemple: Apple et les I mac, les I phone, les I pod et j'en passe. I en anglais, ça veut dire je. Toujours le moi je...

Le serveur nous alors amené une pression bien fraîche. Nous avons trinqué et bu en silence. Il était toujours perdu dans ses pensées moroses.

- et le plus beau dans tout ça, c'est que même mes gamins sont comme ça. Jamais, ou si peu, un seul me demande ce que je fais, ce que je prépare. Certes, ils me demandent toujours si ça va, mais ça s'arrête là. Savoir où j'en suis de mes projets, sur quoi je bosse, c'est aussi rare qu'une augmentation de salaire!
- tu sais qu'on a souvent parlé tous les deux de l'individualisme, du chacun pour soi. C'est un phénomène de société que je pense irréversible. Il ne faut pas non plus trop généraliser, on a encore des gens avec qui on peut échanger. Tes gamins, ils sont encore jeunes, ils débutent leur vie d'adulte et je pense que nous devions sans doute faire pareil qu'eux à leurs âges.
- tu es bien fataliste tout d'un coup!
- fataliste? Peut-être. Peut-être pas. Disons que je fais avec. Je ne te cache pas que ça me chagrine souvent, mais bon, je ne vais pas me fâcher avec tout le monde parce qu'ils ne s'intéressent pas à ce que je fais. D'ailleurs,je suis certain que si je leur disais ça, ils me diraient que c'est faux et que je raconte n'importe quoi....


Puis nous avons parlé d'autre chose, des JO qui venaient de se terminer, des premiers jours du Président, sans oublier, bien sûr, nos "petits"...
En rentrant chez moi, en repensant au "trouble" de mon ami, je me suis mis à chantonner une chanson de Guy Béart: "parlez moi d'moi, ya qu'ça qui m'intéresse"... *

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