La V ème République nait sur les
décombres de la IV ème. La France n'est pas passée loin de la guerre
civile. Il n'est pas dans mon propos, en tout cas dans ce billet, de
revenir sur la légalité ou l'illégalité du retour au pouvoir du général
de Gaulle. Même si je pense qu'il n'a jamais été l'homme d'un coup d'état.*
Mais c'est une réalité que son retour aux affaires signe une volonté
nouvelle et affirmée de mettre en place une nouvelle constitution,
permettant au gouvernement légitimement élu de gouverner sans être sous
la menace de ce que de Gaulle appelait le "régime des partis".*
Je consacrerai deux billets au premier Président de la V ème, tant
cette partie de notre Histoire contemporaine me parait vaste et
importante: la première concernera le premier septennat, jusqu'à
l'élection de décembre 1965, la première au suffrage universel direct
d'un Président de la République.
Charles de Gaulle |
Charles de GAULLE: 1890 - 1970. Président du 8 janvier 1959 au 28 avril 1969.
Originaire d'une famille aisée,
Charles de Gaulle intègre Saint Cyr en 1908; il est ensuite affecté dans
un régiment placé sous les ordres du colonel Pétain. Blessé à trois
reprises pendant la guerre, il reste prisonnier pendant deux années,
malgré deux tentatives d'évasion. Pendant sa captivité, il organise des
conférences, conférences qui contribueront à sa réputation de militaire
intellectuel. Il est décoré de la Légion d'Honneur et de la Croix de
Guerre en 1919. Il écrit plusieurs ouvrages: "la discorde chez l'ennemi"
en 1924, "le fil de l'épée" en 1932 et "vers l'armée de métier" en
1934, pour ne citer que les plus connus. Il y énonce ses conceptions des
nouvelles stratégies militaires et en particulier se fait l'ardent
défenseur de l'arme blindée. En 1939, à la déclaration de guerre, il est
commandant d'une unité de chars. Nommé général de brigade en mai 1940,
il est brièvement sous secrétaire d'Etat à la guerre du gouvernement de
Paul Reynaud. Refusant l'armistice demandé aux armées allemandes par le
maréchal Pétain, il rejoint Londres le 17 juin 1940 d'où il organise et
dirige la résistance. A la Libération, il dirige le gouvernement
provisoire mais se retire en janvier 1946.
Le 1er novembre 1954 débute
l'insurrection algérienne. Les gouvernements successifs se montrent
incapables d'apporter la moindre ébauche de solutions. En Algérie, une
partie de l'armée et les "pieds noirs" s'opposent à toute tentative de
libéralisation du système politique sur le territoire algérien, accusée
d'être la porte ouverte à l'indépendance. L'état-major sur place laisse
planer la menace d'une intervention dans la capitale. Au terme de
plusieurs jours d'intrigues, de manipulations et d'intoxications, le
Président Coty fait appel au général de Gaulle. Ce dernier est investi
Président du Conseil par l'Assemblée Nationale le 1er juin 1958. Il sera
souvent reproché à de Gaulle, en particulier à gauche, d'être "arrivé
au pouvoir dans les fourgons des militaires". Il n'en est rien selon
lui. Ainsi, Alain Peyreffite rapporte les propos du général: "je
n'ai été pour rien dans l'insurrection d'Alger. Je n'ai rien su de ce
qui s'y préparait avant le 13 mai. (...) Mais je n'ai pas levé le petit
doigt pour encourager le mouvement. Je l'ai même bloqué quand il a pris
la tournure d'une opération militaire contre la métropole." (1)
Le 6 juin 1946, à Bayeux*, il avait exposé
sa vision de ce que devrait être le gouvernement de la France, via une
Constitution où le gouvernement gouverne, sous le contrôle du Parlement
qui légifère, lequel Parlement ne serait plus soumis au jeu des partis
politiques. Le 28 septembre 1958, la nouvelle Constitution,
inspirée par ce discours, est adoptée par référendum par près de 80% des
français. Le 21 décembre 1958, il est élu par les grands électeurs par
78% des suffrages. "Le premier des français est désormais le premier en France", déclare René Coty lors de la passation de pouvoirs le 8 janvier 1959.
Le nouveau président doit
d'abord régler le "problème" algérien. Il a, entre autres, été élu pour
cela. Le 16 septembre 1959, il propose l'autodétermination, c'est à dire
le choix par les algériens, européens et musulmans confondus, entre
trois possibilités: l'indépendance, l'intégration à la France ou un
gouvernement autonome rattaché à la France. Ce qui n'est pas pour
rassurer les partisans de l'Algérie française. Cette proposition est
ratifiée par référendum le 8 janvier 1961 par 75% des votants (70% en
Algérie). Le 22 avril 1961, quatre généraux, Salan, Challe, Zeller et
Jouhaud, ("un quarteron de généraux en retraite", selon de Gaulle) déclenchent un putsch pour tenter de renverser de Gaulle, putsch qui échoue quatre jours plus tard. L'OAS*,
créée en janvier 1961, organise attentats et assassinats, tant en
métropole qu'en Algérie. A au moins cinq reprises, l'OAS essaiera
d'assassiner le Président de la République, la tentative la plus connue
étant celle dite du "Petit-Clamart*" le 22 août 1962.
Les accords d'Evian*
sont signés le 18 mars 1962 entre le gouvernement français et la
délégation du FLN algérien. L'Algérie devient un état indépendant le 5
juillet 1962.
La crise algérienne est donc
terminée. Elle aura duré près de huit ans, avec son lot
d'incompréhensions, de drames et de massacres. René Rémond les résume
parfaitement: "La conclusion de ces huit années est bien éloignée des buts que se fixaient Pierre Mendès France et François MItterrand, bien
différente aussi des intentions de Guy Mollet et de Robert Lacoste, et
sans doute également des vues et des espérances du général de Gaulle en
1958: la France a dû amener le drapeau sur une terre où il flottait
depuis cent trente-deux ans. C'est en effet l'une des toutes premières
conquêtes coloniales de la France qui accède la dernière à
l'indépendance: après l'Indochine, après les protectorats maghrébins,
après l'Afrique noire qui est devenue indépendante, entre le retour du
général de Gaulle et l'émancipation de l'Algérie." (2)
Le 1er Janvier 1960, le franc
laisse place au "nouveau franc": c'est à dire que 100 "anciens francs"
deviennent alors 1 "nouveau franc". C'est le "plan Rueff - Pinay*"
conçu dès décembre 1958 pour combattre l'inflation et permettre le
retour de la France dans la compétition économique mondiale. Ainsi, Jean
Lacouture, dans sa fameuse et exceptionnelle trilogie, "de Gaulle",
écrit-il: "Et, s'agissant de l'Europe,
il venait de patronner la décision de libérer 90% des échanges avec ses
partenaires européens qui donnait l'impulsion décisive à la mise en
place du Marché Commun. Un de Gaulle libéral, socialement austère et
"européen", voilà ce que les impératifs de la situation avaient fait du
chef du gouvernement tripartite de 1944 - 1946, et du président du
Rassemblement." (3)
Il mène à bien la décolonisation
de l'Empire colonial, sans conflits majeurs, tout en gardant des liens
étroits (sauf avec la Guinée) pour ne pas dire des liens de
subordination de ces Etats nouvellement indépendants.
Bien qu'originellement hostile au traité de Rome*
signé le 25 mars 1957 par le gouvernement de Guy Mollet, de Gaulle
veille scrupuleusement à sa mise en oeuvre, sans en changer ni la lettre
ni l'esprit. Pour autant, il rejette toute idée de supranationalité
chère aux centristes du MRP qui démissionnent du gouvernement en mai
1962 pour protester contre la politique européenne du Président et
rejoignent l'opposition. Aux présidentielles de 1965, Jean Lecanuet* sera leur représentant mettant ainsi le général de Gaulle en ballotage...
Pour de Gaulle, la France doit
avoir l'entière maîtrise de sa politique. Il continue et amplifie la
politique nucléaire initiée par la IV ème République, de façon à
acquérir l'arme nucléaire sans être tributaire des USA. En février 1960,
la première bombe atomique française explose dans le désert du Sahara.
Avec le chancelier allemand, Konrad Adenauer*,
il entreprend la réconciliation franco allemande. Deux moments forts
dans cette réconciliation: K. Adenauer reçu à la Boiserie, privilège
jamais accordé à aucun homme d'Etat étranger; le traité de l'Elysée*,
signé le 22 janvier 1963. Ce traité a jeté les bases d'une coopération
forte entre les deux nations, même si le chancelier Ehrard, successeur
de K. Adenauer, n'adhérait pas vraiment à ce traité.
"Toutefois le chancelier Ehrard lorsqu'il succéda à Adenauer (octobre
1963), manifesta peu d'enthousiasme pour cette politique, préférant très
nettement des liens étroits avec les Etats-Unis." (4) Un
préambule ajouté au traité par les députés allemands lui en enlevait la
substance initiale. Sans pour autant casser la dynamique de la
réconciliation.
Parce qu'il trouvait
l'Angleterre trop inféodée aux Etats-Unis, le Président de Gaulle
s'opposera à son entrée dans le Marché Commun, bien que les cinq autres
membres n'y soient pas opposés. Dans une conférence de presse, le 14
janvier 1963, il affirme: "Alors,
c'est un autre Marché commun dont on devrait envisager la construction
et qui verrait se poser à lui tous les problèmes de ses relations
économiques avec une foule d'autres Etats, et d'abord avec les Etats
Unis." (5)
En matière de politique
étrangère, le Président de Gaulle applique le principe du "domaine
réservé", principe qui sera repris et même amplifié par tous ses
successeurs. Il s'appuie sur un principe: la France reconnait les Etats,
et eux seuls, sans prendre en compte leurs régimes politiques. Il se
rapproche donc des pays de l'Est, sans pour autant rompre avec les USA:
ainsi, lors de la crise de Berlin* en 1961 (construction du Mur de séparation de la ville) et de la crise des missiles de Cuba*,
en octobre 1962, il se rangera sans hésitation aux côtés des
américains. Pour autant, il condamne leur soutien militaire aux
dirigeants sud vietnamiens. Il reconnait la Chine communiste dès le 27
janvier 1964. En Afrique, il soutient les régimes en place. C'est à
cette époque que nait réellement la "Francafique", chère à Jacques Foccart*.
Mais la grande affaire de ce
premier septennat fut la décision de soumettre l'élection du Président
de la République au suffrage universel direct. Il a été dit que
l'attentat du Petit Clamart avait décidé le Président à changer la règle
de l'élection présidentielle. Alain Peyrefitte affirme qu'il n'en est
rien: "On l'a cru, on le croit
toujours: c'est en réplique à l'attentat du Petit-Clamart du 22 août
1962 que le général aurait eu l'idée d'un référendum pour établir
l'élection du Président au suffrage universel. Il faut dissiper cette
légende. Quinze jours après le départ de cinq ministres MRP, il était
bien décidé à brusquer cette réforme." (6). Il veut
soumettre cette réforme par voie référendaire. Ce que ne prévoit pas la
Constitution puisque son article 89 stipule que "l'initiative
de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président
de la République sur proposition du Premier Ministre, et
aux membres du Parlement. (...) Le projet ou la proposition de
révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La
révision est définitive après avoir été approuvée par référendum."
Les parlementaires sont vent debout contre ce projet. De Gaulle, lui,
s'appuie sur l'article 11 de cette même Constitution qui stipule: "le
Président de la République, sur proposition du Gouvernement (...) peut
soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation
des pouvoirs publics...) S'ensuit donc un conflit majeur entre le pouvoir et l'opposition, le Président du Sénat, Gaston Monnerville*,
allant jusqu'à accuser Georges Pompidou de "forfaiture". Ce que le
Président de Gaulle ne lui pardonnera jamais.
On peut s'interroger sur
le rude combat menée par quasiment tout les partis politiques, à
l'exception de l'UNR-UDT. Jean Jacques Becker, et avec lui nombre
d'historiens et de juristes, avance une explication pertinente: "La
crise qui couvait entre de Gaulle et les forces politiques allait
brutalement éclater pour deux raisons: une raison de fond, beaucoup de
parlementaires estimaient que l'équilibre constitutionnel serait rompu
par cette élection au suffrage universel en donnant une autorité
excessive au chef de l'Etat et que c'était donc une évolution vers le
pouvoir personnel, et une raison de forme: le choix de la procédure
référendaire." (7)
Organisé le 28 octobre 1962, le
"oui" l'emporte avec plus de 61% des suffrages et une abstention
relativement faible de 22,7%. Les élections législatives qui suivront
conforteront ce résultat: l'UNR-UDT et ses alliés Républicains
Indépendants obtiennent la majorité absolue à l'Assemblée Nationale. Le
"cartel du non" qui réunissait communistes, socialistes, radicaux et
extrême droite sortait plus qu'affaibli de ces élections, avec nombre de
personnalités battues dès le premier tour, comme Pierre Mendès France,
Paul Reynaud et, déjà, Jean Marie Le Pen.
Le
premier tour de l'élection présidentielle est prévu le 5 décembre 1965.
C'est une première en France et qui passionne l'opinion publique: il y
aura près de 85% de votants aux deux tours. Six candidats se disputent
la faveur des électeurs: Charles de Gaulle; François Mitterrand
représentant la gauche; Jean Lecanuet le centre et Jean Louiis
Tixier-Vignancourt, avocat, secrétaire général adjoint à l’Information
de l’État français du gouvernement de Vichy en 1940 et 1941, l'extrême
droite. Pierre Marcilhacy, candidat libéral et Marcel Barbu, "candidat
des chiens battus", selon sa propre expression.
Pour la première fois,
les candidats interviennent à la télévision. Chacun à sa manière. Jean
Lecanuet, toutes dents blanches dehors, voulait donner l'image d'un
homme jeune et nouveau, un peu à l'américaine; François Mitterrand,
certes plus sobre, voulait aussi donner l'image de la modernité; quant
au général, rentré très tard dans le vif de la campagne, il donna, entre
les deux tours, trois entretiens à Michel Droit, entretiens qui
contribuèrent à le rendre plus proche, moins distant. Jacques Faizant,
dans un dessin resté célèbre, fait dire à Marianne, assise sur les
genoux du général: "Et, bien!...Tu vois, gros bêta ! Tu m'aurais parlé comme ça plus tôt !.."
Rien ne
laissait présager la mise en ballotage du Chef de l'Etat. Et pourtant ce
dernier ne recueille "que" 44,65% des suffrages exprimés. On a souvent
dit que c'était François Mitterrand qui avait provoqué ce ballotage. Il
me semble que c'est plutôt Jean Lecanuet. Au second tour, ce dernier
donna à ses électeurs la consigne de ne pas voter pour de Gaulle.
Pourtant, 60% d'entre eux ne suivirent pas cette consigne. Le général de
Gaulle fut élu au second tour avec 55,20% de suffrages exprimés.
François Mitterrand pour qui l'extrême droite avait donné consigne de
voter (5,20%) marquait par cette élection son arrivée aux premières
places dans le monde politique français. Pour l'anecdote, il est à
signaler que de Gaulle avait interdit à son ministre de l'intérieur,
Roger Frey, de publier une photo qui aurait pu être gênante pour le
candidat unique de la gauche, à savoir celle où le maréchal Pétain en
avril 1943 le décorait de la Francisque. Autre temps, autres moeurs!!!
Ainsi
s'achevait le premier septennat de la V ème République. Commencé dans la
douleur de la crise algérienne, il se terminait dans une sorte de
banalité de la vie démocratique, à savoir une élection. Je laisse la
conclusion de cette première partie à Arnaud Teyssier qui écrit dans son
"histoire politique de la V ème République": "Certes
le père fondateur est descendu parmi les hommes. Mais en s'exposant aux
feux directs du jeu politique, en obtenant la ré-investiture du
suffrage universel dans sa plénitude, loin de toute manipulation plébiscitaire,
n'a t-il pas démontré la viabilité du régime qu'il a installé? Certes,
de Gaulle se trouve quelque peu banalisé, mais le régime est entré avec
lui dans les moeurs. Le général n'a d'ailleurs pas perdu son aura
extraordinaire, comme il le montrera dans sa mort. Son ballotage a
simplement facilité la tâche de ses successeurs." (8)
* clic vers le lien
(1) in "C'était de Gaulle", tome 1, de Alain Peyrefitte, éditions de Fallois Fayard, page 75
(2) in "le siècle dernier" de René Rémond, éditions Librairie Arthème Fayard, page 604.
(3) in "de Gaulle, tome 2: le politique" de Jean Lacouture, édition du Seuil, page 678.
(4) in "histoire politique de la France depuis 1945" (10 ème édition) de Jean Jacques Becker, éditions Armand Colin, page 126.
(5) in "de Gaulle", tome 3: le souverain" de Jean Lacouture, éditions du Seuil, page 336.
(6) ibid "C'était de Gaulle", page 177
(7) ibid "histoire politique de la France depuis 1945", page 115.
(8) in ibid "Histoire politique de la Vème République", page 140.
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