mardi 7 août 2012

Les Présidents de la République: 7ème partie (2/2): 1965 - 1969.

Charles de Gaulle

Charles de Gaulle a donc été réélu à la faveur d'un second tour le 19 décembre 1965 avec un peu plus de 55% des suffrages exprimés, la participation étant de 84,40%. Le ballottage a surpris, de Gaulle le premier. Le 8 décembre 1965, lors du Conseil des Ministres, il déclare: "on a vu les résultats. Je pensais qu'ils seraient meilleurs. J'avais tort."(1)

Il a mené à bien la décolonisation et mis en place des institutions solides. Il pense avoir les coudées franches pour mener la politique nécessaire à la restauration de la place de la France dans le monde: une politique étrangère et une politique de défense indépendantes des "deux grands", USA et URSS; une politique européenne qui laisse à chaque Etat son entière souveraineté tout en favorisant les coopérations économiques et industrielles; s'il ne dédaigne nullement la politique intérieure, il la laisse cependant aux bons soins de Georges Pompidou*, reconduit dans ses fonctions de Premier Ministre le 8 janvier 1966. Il faut noter que Valéry Giscard d'Estaing n'est pas reconduit au ministère des finances, ce qui ne sera pas sans conséquences lors du référendum d'avril 1969.

La politique étrangère.

Elle fait partie de ce que Jacques Chaban-Delmas* avait appelé le "domaine réservé" du chef de l'Etat. Et, effectivement, le président de Gaulle prend en main ce qu'il considère comme étant l'axe essentiel d'une bonne politique: "C'est parce que nous ne sommes plus une grande puissance qu'il nous faut une grande politique, parce que, si nous n'avons pas une grande politique, comme nous ne sommes plus une grande puissance, nous ne serons plus rien." (2)

Comme nous l'avons rappelé précédemment, il n'a jamais manqué aux USA dans les grands moments de tension. Pour autant, il tient à marquer sa différence et cela de façon parfois brutale.

Ainsi, lors du conflit vietnamien, il condamne sans ambiguïté l'intervention américaine. Le désaccord remonte en réalité en août 1963, quand le chef de l'Etat avait déclaré qu'une intervention militaire étrangère ne pouvait régler le conflit entre les deux Vietnam. Alors que les combats montent en intensité, de Gaulle se rend au Cambodge, invité par le roi Sihanouk.* Le 1er septembre 1966, il prononce alors à Phnom-Penh un discours resté fameux où il réaffirme avec force la position de la France: "Et bien, la France considère que les combats qui ravagent l'Indochine n'apportent, par eux-mêmes et eux non plus, aucune issue....Bref, pour longue et dure que doive être l'épreuve, la France tient pour certain qu'elle n'aura pas de solution militaire... Au contraire, en prenant une voie aussi conforme au génie de l'Occident, quelle audience les Etats-Unis retrouveraient-ils d'un bout à l'autre du monde et quelle chance recouvrerait la paix sur place et partout ailleurs! En tout cas, faute d'en venir là, aucune médiation n'offrira une perspective de succès et c'est pourquoi la France, pour sa part, n'a jamais pensé et ne pense pas à en proposer aucune." (3) Après avoir propagé le chaos dans toute la péninsule indochinoise, les Etats-Unis quitteront le Vietnam en 1975, défaits et affaiblis, sans avoir réussi à empêcher les forces communistes d'y prendre le pouvoir partout.

L'idée de l'indépendance de la France vis à vis des "grands" a toujours été une des priorité du président français, sinon la priorité. La place de la France au sein de l'OTAN* se pose dès son accession à la présidence. Le traité instituant l'OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord) a été signé le 4 avril 1949 par les USA, la Grande Bretagne, la Belgique, le Canada, le Luxembourg, les Pays Bas et la France dans le but d'assurer la sécurité commune de ces Etats face à l'URSS et ses satellites. Le siège politique se trouve à Paris à partir de 1952 et l'Etat Major à Rocquencourt dans les Yvelines. La France fait partie, comme tous les autres Etats, du commandement intégré de l'alliance. En réalité, les américains exercent quasiment seuls les divers commandements. Dès son retour à la tête de l'Etat, de Gaulle, après avoir réclamé d'être traité sur un même pied d'égalité avec les USA, ce qui lui a été refusé, prend ses distances et refuse en 1959 de laisser des armes nucléaires étrangères sur le territoire français. La crise culmine en 1965 quand la France se retire du commandement intégré de l'OTAN. Mais sans toutefois se retirer de l'organisation elle-même. Par parenthèse, il a été reproché au président Sarkozy d'avoir "réintégré" l'OTAN, ce qui constitue une grossière erreur, la France ne l'ayant jamais quittée. Une des conséquences de la décision du président de Gaulle a été l'évacuation immédiate des bases américaines installées sur notre territoire ainsi que le déménagement des sièges politiques et militaires en Belgique. En France, mis à part les gaullistes et les communistes, les partis politiques s'opposent à ce retrait, la FGDS, sous la houlette de Guy Mollet, allant jusqu'à déposer une motion de censure!!!

Parallèlement à cette politique quelque peu agressive à l'égard de ses alliés, C. de Gaulle opère un rapprochement avec les pays communistes. La France reconnait le gouvernement de Mao Zédong en Janvier 1964. Ce n'est pas une première pour un pays occidental, mais surprend quand même.

Comme le souligne Jean Lacouture dans son ouvrage, de Gaulle n'a pas de sympathie particulière pour l'URSS : "si bien retrouvée qu'il ne l'appellera jamais que du nom qu'elle portait sous les tsars - le vocable Union Soviétique ne lui échappant que par mégarde." (4), d'autant que l'entrevue orageuse avec Staline en 1944 avait fortement irrité le chef de la France Libre. Même s'il est vrai qu'il l'a souvent utilisée, ce n'est pas lui qui a inventé l'expression "de l'Atlantique à l'Oural" pour parler de l'Europe. Il développe donc une politique de concertation et de coopération, non seulement avec l'URSS, mais aussi avec tous les pays qui lui sont rattachés. En juin 1966, il est reçu en URSS avec beaucoup d'égards. Des programmes culturels et économiques sont mis en place et perdureront, même si des crises comme l'intervention militaire soviétique en Tchécoslovaquie portent des coups sévères à l'entente franco soviétique. Cette politique aura cependant permis à la France de se poser en acteur majeur sur la scène internationale: l'intransigeance vis à vis de l'URSS se double d'une intransigeance identique par rapport à l'allié américain. L'indépendance de la France, selon la vision de Charles de Gaulle, est assurée et assumée.

Le conflit entre Israël et les pays arabes en juin 1967 donne au président français l'occasion de préciser sa pensée par rapport à l'Etat hébreu et sa politique, ce qui n'améliorera point les relations avec les USA. Au cours d'une conférence de presse donnée à Paris le 27 novembre 1967, soit plus de 5 mois après la guerre dite des "six jours", le chef de l'Etat enjoint Israël à rendre les territoires conquis en juin. Mais dans cette conférence, de Gaulle déclare: "Et certains mêmes redoutaient que les Juifs jusqu’alors dispersés et qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps c’est-à-dire un peuple d’élite sûr de lui-même et dominateur n’en viennent une fois qu’ils seraient rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, n’en vienne à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis 19 siècles : l’an prochain à Jérusalem !" Ce qui va soulever des polémiques sans fin, y compris en France. D'autant que non seulement, il condamne l'agressivité israélienne, mais il stoppe aussi toutes les livraisons d'armes. En affirmant au cours de cette même conférence: "Maintenant, il organise sur les territoires qu’il a pris l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsion. Et s’y manifeste contre lui la résistance qu’à son tour il qualifie de terrorisme", il "prédit" en quelque sorte ce que sera le devenir de cette région, devenir devenu réalité qui, hélas, perdure encore aujourd'hui.

Le 24 juillet 1967, à Québec, le président de Gaulle prononce un discours et lance: "Vive le Québec libre." On imagine sans mal les réactions canadiennes à ce discours d'autant que les indépendantistes québecois, même minoritaires, sont plutôt actifs. Il écourte sa visite et les relations franco canadiennes ne reprendront vraiment qu'après la démission du président français.  En mai 1963, dans une de ses conversations avec Alain Peyrefitte, de Gaulle déclare: "Le Canada français est en pleine évolution et en plein développement. Un jour ou l'autre, ils se sépareront du Canada anglais parce qu'il n'est pas dans la nature des choses que les Français du Canada vivent éternellement sous la domination des Anglais. (...) Je crois bien qu'il y aura une République française du Canada." (5) Pour autant, la question reste entière sur la signification politique de ce "vive le Québec libre", les historiens se partageant entre une "préméditation" et improvisation spontanée.

La politique européenne.

Elle est marquée principalement par le refus du Chef de l'Etat de laisser la Grande Bretagne rentrer dans la Communauté Européenne. En effet, il considère qu'elle serait "le sous marin" des USA au sein de la CE. Il est vrai aussi qu'à l'origine, les britanniques n'acceptaient d'adhérer qu'à la condition que la CE se transforme en une grande zone de libre échange. Sans compter que l'opinion publique anglaise n'était sans doute pas d'un grand enthousiasme, comme l'écrit Raymond Aron après une visite à Londres en 1961: "Les Britanniques ne souhaitaient pas de tout coeur participer à la Communauté Européenne, ils détestaient d'en être exclus". Plus loin, il poursuit: "Les Cinq ne rompirent pas avec Paris parce que notre président les avaient traité cavalièrement. Au fond d'eux mêmes, ils n'ignoraient pas que la candidature de Londres n'était pas soutenue par un fort mouvement d'opinion." (4)

Parallèlement, il engage un bras de fer avec la Commission Européenne au sujet de la modification de la Politique Agricole Commune (PAC), mais aussi, mais surtout de la modification de la règle de l'unanimité au profit de la règle majoritaire dans les prises de décision. Pendant six mois, de juillet 1965 à janvier 1966, la France ne siègera pas au Conseil des ministres de la CE, ("politique de la chaise vide") ce qui aura pour effet de bloquer la moindre décision. La France aura gain de cause par la signature du compromis de Luxembourg: l'Europe des Patries chère au président de Gaulle aura eu raison de l'Europe supranationale.

La politique française.

L'économie français est en pleine expansion: elle a su profiter à plein du Plan Marshall* au début des années 50 et l'Etat aide puissamment l'industrie,  l'agriculture, mais aussi mène des politiques de recherche efficaces: industries nucléaire et spatiale entre autres. La politique économique menée est alors mi dirigiste, mi libérale: si l'Etat contrôle les finances, organise le plan ("l'ardente obligation du plan"*, selon de Gaulle), il développe le libre échange ou encourage les exportations. Mais cela n'empêche pas une montée de l'inflation et l'émergence du chômage. Ce qui amènera le ministre des finances, Valéry Giscard d'Estaing, à lancer un plan de rigueur.

Plusieurs conflits sociaux majeurs éclateront pendant cette période, dont la grande grève des mineurs de 1963. "Charlot des sous" sera un des slogans préférés des grévistes et des manifestants.

Les élections législatives de mars 1967 sonnent comme un coup de semonce: en effet la majorité qui soutient le gouvernement ne dispose que d'une seule voix d'avance sur les forces de gauche!

Les évènements de mai 1968 éclatent alors que personne ne s'y attendait. Parti de contestations estudiantines, les syndicats se joignent au mouvement, suivi par une grande partie des intellectuels. Grève générale, barricades à Paris et dans les grandes villes, blocage de la vie économique... bref, tout semble réuni pour faire tomber le pouvoir gaulliste. Mais de Gaulle dans un discours radio diffusé le 30 mai 1968 dissous l'Assemblée Nationale et reprend la main. Les élections donnent une majorité nette aux partis présidentiels.

Pour autant, Charles de Gaulle est atteint: c'est ce qu'écrit Alain Peyrefitte après un entretien avec le général le 14 juin au cours duquel il lui déclare:" Mais il ne faudra pas refuser d'entendre ce qui a pu s'exprimer au cours de ce mois. (...) Sinon, un jour tout finira pas basculer et nous n'aurons gagné qu'une victoire à la Pyrrhus. Vous pensez bien que ce mois de mai ne s'effacera pas si tôt que ça de l'histoire de France." Et Peyrefitte d'écrire: "Je crois bien deviner qu'il a perdu quelque chose de sa confiance en lui-même." (6)

Maurice Couve de Murville* succède à Georges Pompidou à la tête du gouvernement. Il s'agit de mettre en oeuvre certaines réformes, dont celle de l'Université. D'après René Rémond, de Gaulle y est plutôt favorable: "de Gaulle penche plutôt du côté des réformes: il a soutenu Edar Faure. Il croit le moment venu de faire de la participation la règle de la vie collective." (7)

Le chef de l'Etat décide de changer en profondeur les institutions: réforme du Sénat, ce dernier fusionnant avec le Conseil Economique et Social et en y associant des élus locaux et des représentants d'organisations professionnelles: c'est la décentralisation ainsi qu'il l'avait annoncé à Lyon le 24 mars 1968: "Au contraire, ce sont les activités régionales qui apparaissent comme les ressorts de sa puissance économique de demain." (8)

Il décide donc d'organiser un référendum qui devra avaliser cette réforme, malgré les risques de rejet. Car la classe politique y est plutôt hostile. Y compris Valéry Giscard d'Etaing qui appelle à voter "non". Sans doute une conséquence de son éviction du gouvernement en 1967, mais plus sûrement l'envie de la classe politique dans son ensemble de tourner la page Charles de Gaulle. D'autant que Georges Pompidou, à Rome, en janvier 1969, déclare qu'il sera candidat à la présidence. Même s'il affirme "qu'il n'est pas pressé", cette déclaration laisse entendre qu'il n'y aura pas de vide si de Gaulle venait à quitter l'Elysée. 

Le 29 avril 1969, le référendum sur la réforme du Sénat et la régionalisation donne une majorité au non par 52,41 % des suffrages exprimés.

Le 30 avril, vers minuit, de Gaulle annonce par un communiqué laconique: "Je cesse d'exercer mes fonctions de président la République. Cette décision prend effet aujourd'hui à midi."

Le 9 novembre 1970, il meurt chez lui, à Colombey les Deux Eglises, d'une rupture d'anévrisme. Ainsi qu'il l'avait décidé dans son testament* écrit en 1952, ses obsèques furent d'une très grande simplicité.

Je laisse à René Rémond le soin de conclure ces deux billets consacrés à Charles de Gaulle. Tant il est vrai que je partage cette opinion: "Une poignée de français exceptée, le mot qu'on lui prête est plus vrai encore que du temps où il fut peut-être prononcé: tout le monde a été, est ou sera gaulliste - à une différence toutefois: le futur est aujourd'hui du présent. Qui aujourd'hui ne se réfère à sa pensée, ne se réclame de son exemple, les plus gaulliens n'étant pas nécessairement ceux qui furent les plus gaullistes? Le gaullisme ne définit plus un parti, ne spécifie plus un courant particulier: il est un élément du consensus national et ce n'est pas le moins des services rendus par Charles de Gaulle à la patrie que de l'avoir ajouté au patrimoine de souvenirs et de références qui constitue la mémoire collective et fonde l'identité nationale."


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(1) in "C'était de Gaulle", tome 2, de Alain Peyrefitte, Editions de Fallois fayard, page 607.
(2) entretien avec Philippe de Saint Robert en avril 1969 (extraits des Septennats interrompus, Laffont, 1975, page 18) in de Gaulle, le souverain, t. 3, de Jean Lacouture, éditions du Seuil, page 286.
(3) ibid, page 437(4) ibid page 382.
(4) in "Mémoires" de Raymond Aron, éditions Robert Laffont, pages 545 et 551.
(5) in "C'était de Gaulle", page 307.
(6) ibid page 584.
(7) in "le siècle dernier", de René Rémond, éditions Arthème Fayard, page 713.
(8) ibid, page 713.

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