dimanche 19 mai 2024

La brigade de fusiliers-marins de l'amiral Pierre RONARC'H

 Bien peu de gens connaissent - ou même en ont entendu parler - Pierre Alexis RONARC'H et de sa brigade de fusiliers marins. Pourtant, cet officier de Marine a eu un rôle primordial au début de la 1ère guerre mondiale puisqu'il a commandé cette brigade  qui s'est illustrée brillamment dans des combats terrestres lors des batailles de l'Yser et de Dixmude, contre des troupes allemandes pourtant supérieures en nombre et en armement.

 

Quelques précisions sur ce militaire, né en 1865 et entré à l'École Navale en 1880, à 15 ans.

En 1885, il est affecté sur la frégate l'Isère*, navire mixte, c'est-à-dire trois mâts et un moteur à vapeur. Ce bâtiment aura l'honneur de transporter la statue de la Liberté*, démontée et entreposée dans 210 caisses.
Pour mémoire, la statue a été offerte par la France aux États Unis pour la célébration des cent ans de l'indépendance.

 

L'Isère


L'arrivée de L'Isère dans le port de New York
 
Après diverses affectations et après avoir été nommé capitaine de vaisseau en 1908,  il est élevé au grade de contre amiral en 1914 et reçoit le commandement de la brigade fusiliers-marins.
 
Cette brigade est l'objet de mon billet d'aujourd'hui. 
 

Cette brigade de fusiliers-marins est d'abord affectée à Paris où elle doit assurer la défense de la capitale. Tâche peu évidente pour des marins, quelque peu empruntés. 
 
Un journal allemand de propagande les surnomma "les demoiselles au pompon rouge."
La suite des évènements leur prouva, s'il en était besoin, que ces marins n'avaient rien de demoiselles!!!
 
 
 
Les fusiliers-marins à Paris

Cette brigade de 6000 hommes est organisée en deux régiments: le 1er et le 2ème régiment de fusiliers-marins.
Parmi les effectifs, beaucoup d'inscrits maritimes, mais aussi, il y a 700 apprentis fusiliers-marins, tous très jeunes, 16,5 ans pour la plupart. Ils sont issus d'un centre de formation qui ne s'appelle pas encore l'École des Mousses*.
C'est un décret de Napoléon III qui crée formellement cette école en 1856. Il y a donc des mousses dans cette brigade.

En 1954, l'École des Mousses reçoit son drapeau* sur lequel sont accrochées la Légion d'honneur, la  Croix de guerre  1914 - 1918, remise le 12 novembre 1922 avec la citation suivante: "
L’école des apprentis marins de Brest a formé de nombreux contingents de marins dont l’esprit de devoir et de sacrifice s’est hautement manifesté soit à terre, soit à bord, au cours de la guerre de 1914-1918."
Figurent également la Croix de guerre 1939 - 1945 et la Croix de guerre des théâtres d'opérations extérieurs.
 
avance maximum des armées allemandes  

 En septembre, l'armée allemande est  repoussée lors de la bataille de la Marne*, ce qui fait que Paris n'est plus menacé. En conséquence de quoi, la brigade Ronarc'h est envoyée en Flandre, en renfort de l'armée Belge, encerclée à Anvers par les troupes allemandes. Il s'agit aussi de bloquer le passage vers la mer du Nord.
 


Même si cela peut paraitre anecdotique, les marins vont changer d'uniforme: ils vont revêtir la capote réglementaire de l'infanterie, mettre les bandes molletières et chausser les brodequins à clous. Et à la place du sac marin, encombrant quand on est à terre, porter le havresac du fantassin, lourd de quelques 25 kilos!!!


Heureusement les quartiers maitres et matelots pourront conserver le "bachi" et officiers et officiers marinier leur casquette....



 

Il s'agissait aussi d'empêcher ces mêmes troupes allemandes prendre les ports sur la Manche, l'axe Dixmude - Calais, ce qui aurait eu pour conséquence de bloquer le ravitaillement des Britanniques.
 

C'était ce qui s'est appelé par la suite "la course à la mer*
Conséquence de la victoire française lors de la bataille de la Marne, l'état major allemand avait retiré 150 000 hommes pour les transférer  sur le front belge. C'est la fin des offensives si coûteuses en vies humaines des deux côtés, remplacées par l'enfouissement des armées en deux réseaux démesurés de tranchées. 


Les 6000 fusiliers marins de Ronarc'h vont se battre sur différents fronts: Melle, Dixmude, Ypres.
Concernant Dixmude, le 15 octobre, Ronarc'h donne l'ordre suivant: "le rôle que vous avez à remplir est de sauver notre aile gauche jusqu'à l'arrivée des renforts. Sacrifiez-vous. Tenez au moins quatre jours."
L'armée belge va ouvrir les écluses à marée haute et les refermer à marée basse, ce qui a pour effet de fixer le front et de stopper  les corps de réserve allemands.
Avec le renfort d'un régiment de Tirailleurs Sénégalais, ils tiendront jusqu'au 10 novembre, date à laquelle, après des bombardements intensifs et de sanglants combats au corps à corps, à la baïonnette ou au couteau, ils sont contraints d'abandonner la ville. Mais l'avancée allemande est stoppée.
 
Le général d'Urbal, commandant la VIII ème armée - dont faisait partie la brigade Ronarc'h - passe les troupes en revue et déclare: "Vous venez d'inscrire avec votre sang une des pages de cette guerre qui commence et je suis fier de commander des hommes tels que vous."
 

Si 10 000 allemands furent tués lors de cette attaque et 4 000 blessés, les pertes de la brigade Ronarc'h, elles aussi, ont été très élevées:
3 000 hommes morts ou hors de combat : 23 officiers, 37 officiers mariniers et 450 quartiers maîtres et matelots ont été tués ; 52 officiers, 108 officiers mariniers et 1 774 quartiers maîtres et matelots sont blessés ; 698 d'entre eux ont été faits prisonniers ou portés disparus. Concernant les Tirailleurs Sénégalais, il reste 400 hommes au Bataillon Frèrejean et seulement 11 officiers, dont un capitaine, au Bataillon Brochot - 411 survivants sur 2 000.

Il est à noter que beaucoup de soldats allemands sont de jeunes conscrits, envoyés se battre sans quasiment  d'entrainement. Leur mort inutile sera appelée "kindermord" - que l'on peut traduire par "meurtre d'enfants" par l'opinion allemande - à qui parviennent des échos des combats. 
Après 40 jours de combats, la brigade est relevée le 18 novembre 1914 pour prendre quelques jours de repos et se ravitailler en habillement et en matériel. Dans son livre de mémoire (1), Ronarc'h écrit: "Du côté matériel, nous avons aussi atteint les limites qu'on ne peut ni ne doit dépasser. L'habillement est lamentable, l'équipement ne l'est pas moins et les armes ne sont plus entretenues. Nous avons besoin absolu de quelques jours, je n'ose espérer plus, pour mettre tout en ordre."
Mais trouver un lieu pour se reposer, se laver, reprendre des forces est très compliqué: en effet, d'autres compagnies, d'autres unités, elles aussi, recherchent des maisons, des granges ou des écoles pour reprendre des forces et il arrive que l'amiral fasse preuve d'autorité, sinon de mauvaise foi, pour permettre à se hommes d'accéder à plus de "confort". "Naturellement, la prise des cantonnements est très laborieuse, car il y a des troupes partout." (2)
 

Le 18 décembre, plusieurs compagnies de marins sont envoyées à Steenstrate, sur l'Yser: il s'agit d'attaquer les positions allemandes, protégées par un réseau de barbelés très épais. 
Les marins compteront parmi les premières victimes des attaques au gaz.
Les troupes françaises et belges sont prises sous des bombardements massifs, renseignés par l'aviation allemande qui donne leurs positions.
L'attaque échoue, soldée par une centaine de disparus, tués ou disparus et de nombreux blessés.
Le 28 décembre, les marins et des dragons prennent une barricade allemande après une intense préparation d'artillerie et prennent position dans le village de Saint Georges. L'offensive sud a réussi, cependant avec des pertes qualifiées par Ronarc'h de "taux raisonnable".
 
le 11 janvier, l'amiral Ronarc'h devant le drapeau


 
 
Le 11 janvier 1915,  après avoir remis le drapeau de la brigade à l'amiral Ronarc'h, le Président de la République déclare:
« Fusiliers marins, Mes Amis,
Le drapeau que le Gouvernement de la République vous remet aujourd’hui, c’est vous-mêmes qui l’avez gagné sur les champs de bataille. Vous vous êtes montrés dignes de le recevoir et de le défendre. "




 
 
 En février 1915, la brigade est intégrée au groupement Nieuport, sous les ordres du général Hély d'Oissel.
Elle sera également présente lors de la seconde bataille de l'Yser, en avril et mai 1915.
En juin 1915, sur la crête des Éparges, en Champagne; le ravin de Sonvaux dans la Meuse; la butte de Souain; le plateau de Massiges.(3)
Les pertes sont particulièrement élevées lors de ces combats. 

Au vu des énormes pertes en hommes, des besoins des inscrits maritimes pour  la marine de commerce, mais aussi de la Marine Nationale pour fournir des équipages aux bâtiments de surface pour contrer les sous-marins allemands, la brigade est dissoute le 6 novembre 1915.
Cependant, il reste un bataillon de marins qui combattra, entre autre, en avril 1916 dans le secteur du mort-homme*  et plus tard à la reprise du chemin des dames*.
 
Pour conclure ce billet, en forme de bilan, je cite le vice-amiral Ronarc'h: 
" En y comprenant l'effectif de départ du camp retranché de Paris, mais non les blessés récupérés, 340 officiers et environ 13 500 officiers-mariniers, quartiers-maitres et marins ont servi dans la brigade de marins, entre le mois d'octobre 1914 et le mois de novembre 1915.

Dans le même laps de temps, la brigade a perdu, en tués, blessés et disparus, 172 officier, 346 officiers-mariniers et environ 6000 quartiers-maitres et marins, soit la totalité de son effectif normal."
 
La Marine a donné le nom de l'amiral Ronarc'h à l'une de ses frégates de défense et d'intervention.* 
 



Quelques photos de la brigade...


 

 
 


 


 

(1) in"les fusiliers-marins sur le font de l'Yser 1914-1915" par Pierre Ronarc'h, éditions De Schore, page 113
(2) ibid, page 117
(3) https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2010-4-page-5.htm

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