mardi 22 juin 2021

Patrice de MAC MAHON ou "le pourquoi du comment des choses"

Patrice de Mac Mahon

Dans ce "pourquoi du comment des choses", j'ai choisi d'évoquer Patrice de Mac Mahon, monarchiste militant, mais pourtant second président de la République (troisième si l'on compte Louis Napoléon Bonaparte qui a trahi la République en devenant Napoléon III.)

 


Mac Mahon à Magenta

Descendant d'une famille d'origine irlandaise, dont la noblesse a été reconnue par une lettre patente de Louis XV, il est né en 1808 dans une famille où être militaire était la règle absolue.

Sorti troisième de l'école militaire de Saint Cyr* en 1827, il  effectue une bonne partie de sa carrière militaire en Algérie et cela dès le début de la conquête.

Pendant la guerre de Crimée, il participe à la prise de Sébastopol* en 1855 et aurait dit "j'y suis, j'y reste."

Pendant la seconde guerre d'indépendance italienne contre l'Autriche il commande le 2ème groupe d'armée à Magenta* où il est fait maréchal de France et duc de Magenta par Napoléon III.


Proclamation de La République par Gambetta

 

Mais avant d'aborder plus précisément la carrière politique de Mac Mahon, il est nécessaire de revenir quelques années en arrière. 


Après avoir été nommé gouverneur général en Algérie, il est rappelé en France lors de la guerre contre la Prusse. Il est fait prisonnier à Sedan avec Napoléon III et une partie importante de l'armée française: 80000 officiers et soldats sont alors internés en Allemagne dans des conditions lamentables.

« Capitulation de Sedan »
Caricature de Daumier parue dans Le Charivari le 22 septembre 1870.


La République est proclamée par Gambetta le 4 septembre 1870*.

Le 28 janvier 1871, l'armistice est signé entre la France et la Prusse, obligeant le gouvernement français d'organiser des élections. Celles-ci ont lieu le 8 février  et donne une très forte majorité royaliste: 400 contre 150 républicains. Le texte de l'armistice est approuvé par l'Assemblée le 1er mars par 546 voix contre 107 et 23 abstentions.

Nommé à la tête des armées du gouvernement d'Adolphe Thiers, Mac Mahon dirigera la répression sanglante contre la Commune de Paris.


Le traité de Francfort signé entre la France et la Prusse le10 mai 1871 impose à la France une indemnité de guerre de cinq milliards de francs-or, la perte de l'Alsace et de la Moselle qui deviennent territoire de l'empire allemand et l'occupation par les troupes allemandes d'une partie du territoire jusqu'au paiement total de l'indemnité.
Si on ajoute la proclamation de l'empire allemand le 18 janvier 1871 dans la galerie des glaces de Versailles, l'humiliation est totale.

Thiers caricaturé par Honoré Daumier (lithographie publiée dans Le Charivari, ).

Le 31 août 1871, Thiers devient président de la République.

Adolphe Thiers a une longue carrière politique derrière lui: plusieurs fois ministre sous le règne de Louis Philippe 1er, simple député sous la II ème République.  Toujours député pendant le règne de Napoléon III, il est le principal dirigeant de l'opposition libérale.
Il est "chef du pouvoir exécutif de la République Française" de février à août 1871, puis Président de la République jusqu'au 24 mai 1873, date à laquelle il démissionne suite à l'opposition royaliste qui renverse son gouvernement.
Il n'a jamais été partisan d'un retour de la monarchie, pas plus qu'il n'a été réellement républicain. Disons que sans être opportuniste, il était pragmatique.
François Furet le décrit ainsi: "Au fond, le républicanisme de Thiers est le produit d'une évolution déjà visible dans la pensée orléaniste des dernières années du Second Empire. Dans la France Nouvelle, publié en 1868, son jeune ami, Prévot-Paradol avait déjà montré qu'un gouvernement démocratique et libéral (c'est-à-dire fondé sur le suffrage universel et un régime parlementaire comportant deux Chambres) pouvait prendre aussi bien une forme républicaine que monarchique." (1)

 

  
portrait officiel d'A. Thiers en 1871
 

Et Furet d'ajouter: "À la fin de 1872, Thiers ne fait plus mystère de son ralliement à la République, "le régime qui nous divise le moins". Il le dit à l'Assemblée à l'ouverture de sa session d'automne, dans son message du 13 novembre: "la République existe. Elle est le gouvernement légal du pays", à quoi il ajoute aussitôt: "le République sera  conservatrice ou elle ne sera pas." (1)

 
On comprend donc que la majorité royaliste n'hésite pas à le renverser. Notons que Thiers a voté l'amendement Wallon* le 30 janvier 1875, amendement qui vise à instaurer définitivement le système républicain.


Les royalistes vont donc élire Patrice de Mac Mahon, président de la République par 390 voix sur  391, les députés républicains s'étant abstenus.
Aussitôt élu, Mac Mahon nomme le duc de Broglie* président du Conseil afin de préparer l'instauration de la monarchie. Il s'agit donc  de mettre en place des institutions qui, dans son esprit, doivent souligner la prééminence du camp conservateur.

Bien que monarchiste déclaré, dont le projet politique consiste à rétablir la monarchie, il est très légaliste: ainsi, il refuse officiellement de prendre parti. À tel point qu'il ne rencontrera jamais Henri d'Artois.
Même s'il est plutôt légitimiste, c'est-à-dire partisan de ce dernier, comte de Chambord,
petit fils de Charles X et prétendant au trône de France sous le nom de   Henri V*.


Henri d'Artois
 

Au sein de la famille royaliste existe une autre branche: les Orléans, partisans du comte de Paris, Louis-Philippe d'Orléans, petit fils de Louis-Philippe 1er et prétendant au trône sous le nom de Louis-Philippe II.
Sachant que d'Artois n'a pas de descendance et qu'à sa mort, ils récupèreront le trône, les orléanistes le reconnaissent comme prétendant légitime. 

 

Mais, le 5 juillet 1871, dans une déclaration, Henri d'Artois refuse le drapeau tricolore: "Jai reçu le drapeau blanc comme un dépôt sacré du vieux roi, mon aïeul, mourant en exil; il a toujours été pour moi inséparable du souvenir de la patrie absente; il a flotté sur mon berceau, je veux qu’il ombrage ma tombe. Dans les plis glorieux de cet étendard sans tache, je vous apporterai l’ordre et la liberté. Français: Henri V ne peut abandonner le drapeau de Henri IV." (2)

Dès lors, la position de d'Artois a changé la donne  dans le camp monarchique.

Original de la loi constitutionnelle du , avec son sceau (Archives Nationales)

Mac Mahon n'intervient pas lors du vote de l'amendement Wallon le 30 janvier 1875, amendement adopté une première fois par 353  voix contre 352 et qui stipule que: « Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans ; il est rééligible. »

Repris dans l'article 2 de la Loi Constitutionnelle du 25 février 1875*, cet amendement pose les fondations de la République. L'article 4 de la loi stipule: "
Le Président de la République peut, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant l'expiration légale de son mandat." C'est une disposition importante qui ne sera pourtant utilisée qu'une seule fois sous la III ème République.
Notons au passage que cet amendement sera abrogé par le premier des actes constitutionnels de Vichy* le 11 juillet 1940.

Les élections législatives de février mars 1876 sont un triomphe pour les républicains (291 sièges) et une défaite cinglante pour les monarchistes. (242 sièges).

Jules Simon


Le 12 décembre 1876, Jules Simon qui s'affirme lui-même "profondément républicain et résolument conservateur", est nommé président du Conseil.

Les républicains sont devenus les maitres du jeu politique qui a pour conséquence des tensions avec le président de la République.
   


À cette époque, l'agitation ultramontaine* menée par plusieurs évêques et cardinaux  oppose frontalement les élus républicains au maréchal de Mac Mahon. Cet ultramontanisme affirme la subordination du pouvoir civil à l'autorité ecclésiastique, cette doctrine reposant sur l'infaillibilité du pape et la suprématie du spirituel sur le temporel. Ce qui est bien sûr totalement inacceptable par les élus républicains.


Dans "la Révolution Française", Furet écrit: " Un dernier trait est essentiel à définir ce républicanisme: la bataille contre le cléricalisme. (...) L'église est devenue ultramontaine, drapée dans le Syllabus*, et penchant vers l'excommunication du moderne; elle condamne indistinctement les libéraux et les socialistes, la liberté de la presse et l'athéisme, Renan et la Commune ensemble. Du côté républicain, l'idée forte est celle de la science, pensée comme contradictoire avec la religion et devant s'y substituer, avec le développement de l'école républicaine."(3)


Léon Gambetta* reproche vertement au président du Conseil, Jules Simon, de ne pas être suffisamment ferme face à cette agitation: "Je ne fais que traduire les sentiments intimes du peuple de France en disant ce qu'en disait un jour mon ami Peyrat : le cléricalisme ? Voilà l'ennemi ! »

Lors d'un débat à l'Assemblée Nationale, les députés républicains adoptent un ordre du jour condamnant ces agitations cléricales, sans que le gouvernement de Jules Simon ne s'y oppose. Ce que lui reproche Mac Mahon. Ce dernier accepte la démission du président du Conseil et nomme de Broglie pour le remplacer.
Sous l'impulsion de Gambetta, la Chambre refuse la confiance à de Broglie.


Les élus républicains signent un manifeste dit des "363"* pour s'opposer à la nomination du duc de Broglie, royaliste militant le 18 mai 1877. 
En réaction à ce manifeste qui affirme: "la prépondérance du pouvoir actuel s'exerce par la responsabilité ministérielle (...) et que la confiance de la majorité ne saurait être acquise qu'à un cabinet libre de son action et résolu à gouverner suivant les principes républicains." (3), le président Mac Mahon dissout l'Assemblée Nationale avec l'accord du Sénat.
Dans un discours resté célèbre, Gambetta dira: Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, il faudra se soumettre ou se démettre."

Les 14 et 28 octobre 1877, les élections législatives donnent une nette majorité aux élus républicains.
Même s'ils perdirent 37 sièges, les républicains avaient une majorité de 363 députés contre 109 pour les conservateurs.

Malgré quelques tentatives de se maintenir au pouvoir en nommant un gouvernement de centre gauche, il est acculé à la démission.
Le 30 janvier 1879, n'ayant plus aucun soutien, ni à l'Assemblée Nationale ni au Sénat (passé aux républicains lors des élections du 5 janvier 1879), Patrice de Mac Mahon démissionne. Il est aussitôt remplacé par Jules Grévy.

Il existait depuis le début de la III ème République  une sorte de parlementarisme dualiste, d'essence sinon d'inspiration orléaniste, à savoir l'existence de deux pouvoirs égaux, celui de l'Assemblée et celui du président, permettant à ce dernier d'agir à sa guise, y compris contre son propre gouvernement et même de dissoudre la chambre.
Mais les députés ont eu une lecture toute différente de la Constitution: "le maréchal Mac Mahon a dû se ranger au point de vue des républicains et valider l'interprétation parlementaire des institutions. Dès lors, le sort est scellé de la prérogative présidentielle: elle est morte. Sa reddition assure le triomphe définitif de la lecture de la Constitution qui affirme la supériorité des Chambres sur l'exécutif, président et gouvernement confondus."(4)


Et Jacques Juillard de confirmer: "le débat était tranché: la III ème République serait parlementaire, et l'usage du droit de dissolution, symbole  et instrument de la révolte de Mac Mahon contre ce parlementarisme, tomba en désuétude. Gambetta avait gagné." (5)

Cette possibilité de dissolution de la Chambre ne sera plus jamais utilisée sous la III ème République, même si elle figure toujours dans la Constitution. Les douze présidents de la République qui se succéderont de 1879 à 1939 n'auront quasiment aucun pouvoir, si ce n'est de désigner le président du Conseil et, bien sûr, celui de... dissoudre l'Assemblée Nationale. 

Sous la V ème République, l'Assemblée a été dissoute cinq fois, dont deux pour confirmer les élections présidentielles de F. Mitterrand, en 1981 et 1988.
La seule dissolution conforme à la théorie parlementaire a été celle opérée par le Président de Gaulle suite au renversement du gouvernement de Georges Pompidou le 5 octobre 1962.
Celle de 1968 pour mettre fin aux évènements de mai et celle de 1997,  suite à une erreur stratégique du président Chirac.

J'ai consacré ce "pourquoi du comment des choses" à Patrice de Mac Mahon parce que c'est quand même un paradoxe que ce "traineur de sabre" monarchiste, devenu Président de la République républicain, ait été l'acteur involontaire de l'émergence et de la consolidation de la République et de ses institutions. 

Et le témoin impuissant d'une France devenue définitivement républicaine.  


 

le triomphe de la République

 

 

(1) in "la Révolution Française" de François Furet, édition GLM pour les éditions Gallimard, 1999, page 769

(2) https://www.sylmpedia.fr/index.php/Drapeau_blanc

(3) ibid François Furet, page 782.

(4) in "la République souveraine: la vie politique en France de 1879 - 1939, de René Rémond, éditions GLM pour les éditions Arthème Fayard, 2002, page 90.


(5) in "les gauches Françaises, 1762 - 2012, Histoire, politique et imaginaire" de Jacques Juillard, éditions Flammarion, 2012, pages 370 - 371

 

disponible à


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https://www.lysbleueditions.com/produit/trois-cents-dollars/  
 
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claudebachelier@wanadoo.fr

2 commentaires:

  1. Très belle documentation. Instructif! Ch. N

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  2. Merci Claude de cet éclairage sur Mac-Mahon et la III ème République. Blog toujours utile et passionnant.

    Je te signale deux erreurs de frappe :
    La première : Furet ... Elle est le gouvernement légal du pays (et non légale)
    La deuxième : Sous les Vème République les élections (et non les élection)

    Belle iconographie, belle recherche et beau rendu.
    Gérard

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