dimanche 29 mai 2016

Les 55 oubliés de la bataille de Verdun.

Tout a été dit sur cette gigantesque boucherie qu'a été la bataille de Verdun. 


Tout ou presque. Tout, c'est-à-dire les combats meurtriers, l'héroïsme des combattants, leurs peurs, leurs sacrifices, l'inhumanité de leurs conditions de vie et de mort. Tout, c'est-à-dire les ordres et les contre ordres qui envoyaient à la tuerie des dizaines de milliers de soldats pour quelques mètres, gagnés le lundi et perdus le mardi. Tout, c'est-à-dire la folie meurtrière de la guerre, cette abomination qui habite l'homme au plus profond de lui.

Presque, c'est-à-dire que personne n'évoque, ne parle des 55 pauvres bougres, "fusillés pour l'exemple" et qui n'ont toujours pas été réhabilités. Presque, c'est-à-dire que l'on se gave de mots et de belles formules pour célébrer le courage des combattants, français et allemands, mais que, volontairement, ces mêmes beaux-parleurs passent à la trappe la mémoire de 55 soldats que la justice militaire de l'époque a condamné au terme de procès iniques.201408160889-full

Mon propos, dans ce billet, n'est pas de rentrer dans les détails de ces condamnations. Pour autant, il faut garder à l'esprit que faire passer en conseil de guerre un soldat était d'abord et surtout comme l'affirme un rapporteur devant un conseil de guerre: "Il s'agit moins de punir un coupable que d'empêcher par la sévérité de la répression la contagion du mal." (1) A partir de là, tout est dit.


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l'exécution d'un condamné devant tout le régiment
La faute, ou supposée telle, doit être punie et donc faire peur. Le condamné sera fusillé devant le régiment selon un rite quasiment religieux: "Réelle, la violence de l'exécution était aussi symbolique par le cérémonial imposé aux soldats. Son déroulement était réglé par les autorités militaires avec une précision comparable aux grands rituels du pouvoir et de l'Eglise. La participation de toute la société militaire (officiers, soldats, médecins militaires, aumôniers...) procédait de la pédagogie de l'exemple. Chacun jouait son rôle, écrit et limité à l'avance." (2)
 
 
Après la guerre, de nombreuses voix d'anciens combattants se sont élevées pour demander que tous soldats condamnés par des conseils de guerre soient réhabilités. Sans succès. Sans doute, les politiques de l'époque jugeaient-ils qu'il était difficile de contrarier la haute hiérarchie de l'armée, laquelle était farouchement opposée à la moindre réhabilitation. Mais bien entendu, il n'était pas question de remettre en cause les méthodes de commandement, les offensives aussi inutiles que meurtrières, les erreurs grossières de stratégie, bref toutes les fautes du haut commandement. 

Louis Barthas
Quand on pense que le général Nivelle* a été fait Grand Croix de la Légion d'Honneur en 1920, qu'il a reçu la Médaille Militaire en 1921 et qu'en 1931, son corps fut transféré aux Invalides, je ne peux m'empêcher de citer Louis Barthas*: "Quels châtiments auraient donc mérité ces généraux inhumains, artisans de la défaite puisqu'ils gâchaient, gaspillaient, exposaient à la souffrance et à la mort tant d'existences précieuses?"(3)

Aujourd'hui, hélas, ces réhabilitations ne sont pas toujours à l'ordre du jour. Même s'il est exact que quelques cas, bien trop rares, ont été réglés.

A Craonne*, le 5 novembre 1998, Lionel Jospin, Premier Ministre de Jacques Chirac, avait prononcé un long discours où il exaltait le courage des combattants, mais aussi où il souhaitait que cet hommage concerne aussi tous les soldats fusillés: "Que ces soldats, " fusillés pour l'exemple ", au nom d'une discipline dont la rigueur n'avait d'égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd'hui, pleinement, notre mémoire collective nationale. " Aussitôt, tout ce que la droite et l'extrême droite comptent de donneurs de leçons de patriotisme à la petite semaine s'élevèrent contre ce discours jugé "déshonorant" et "insultant" pour la mémoire. Les mêmes n'ont pas jugé utile de demander à ce que les médailles du "boucher du chemin des Dames" lui soient retirées.

Au-delà des mots des uns ou des autres, les actes ne suivent pas. Les 639 "fusillés pour l'exemple", dont les 55 de Verdun, pendant le première guerre mondiale, n'ont toujours pas été réintroduits dans la communauté des victimes de cette abominable tuerie. Il serait grand temps que nos parlementaires, surmontant leur différences politiques, aient le courage et l'audace de rétablir l'honneur de ces "fusillés pour l'exemple."

Pour conclure, je cite ici un passage de l'article de la Libre Pensée publié dans Médiapart le 24 février 2016: "Parce que le peuple souverain, c’est la République en marche, parce que nous sommes aussi la République, au nom de l’Humanité nous proclamerons que les 639 Fusillés pour l’exemple (dont les 55 de Verdun) sont réhabilités collectivement, qu’ils n’ont ni fauté ni trahi. Ils étaient des hommes au Front sous les bombes, les obus et la mitraille. Ils étaient dans la boue, le sang et l’horreur des tranchées. Ils ont dit NON à la mort inutile. Ils ont dit NON à des ordres imbéciles aboyés par une hiérarchie militaire qui se  souciait comme d’une guigne de la vie humaine."epalivetwo032325 

* clic sur le lien

(1) in "Fusillés" de Jean-Yves Le Naour, éditions Larousse, 2010, page 19, note 30.
(2) in "les fusillés de la Grande Guerre" de Nicolas Offenstadt, éditions Odile Jacob, 1999, 201.
(3) in "les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914 - 1918, éditions du centenaire, 2013, page 244. (première édition par la Librairie François Maspéro, 1978)


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de Claude Bachelier
aux éditions Zonaires: www.zonaires.com

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