Tout
ou presque. Tout, c'est-à-dire les combats meurtriers, l'héroïsme des
combattants, leurs peurs, leurs sacrifices, l'inhumanité de leurs
conditions de vie et de mort. Tout, c'est-à-dire les ordres et les
contre ordres qui envoyaient à la tuerie des dizaines de milliers de
soldats pour quelques mètres, gagnés le lundi et perdus le mardi. Tout,
c'est-à-dire la folie meurtrière de la guerre, cette abomination qui
habite l'homme au plus profond de lui.
Presque,
c'est-à-dire que personne n'évoque, ne parle des 55 pauvres bougres,
"fusillés pour l'exemple" et qui n'ont toujours pas été réhabilités.
Presque, c'est-à-dire que l'on se gave de mots et de belles formules
pour célébrer le courage des combattants, français et allemands, mais
que, volontairement, ces mêmes beaux-parleurs passent à la trappe la
mémoire de 55 soldats que la justice militaire de l'époque a condamné au
terme de procès iniques.
Mon
propos, dans ce billet, n'est pas de rentrer dans les détails de ces
condamnations. Pour autant, il faut garder à l'esprit que faire passer
en conseil de guerre un soldat était d'abord et surtout comme l'affirme
un rapporteur devant un conseil de guerre: "Il s'agit moins de punir un coupable que d'empêcher par la sévérité de la répression la contagion du mal." (1) A partir de là, tout est dit.
l'exécution d'un condamné devant tout le régiment |
La
faute, ou supposée telle, doit être punie et donc faire peur. Le
condamné sera fusillé devant le régiment selon un rite quasiment
religieux: "Réelle,
la violence de l'exécution était aussi symbolique par le cérémonial
imposé aux soldats. Son déroulement était réglé par les autorités
militaires avec une précision comparable aux grands rituels du pouvoir
et de l'Eglise. La participation de toute la société militaire
(officiers, soldats, médecins militaires, aumôniers...) procédait de la
pédagogie de l'exemple. Chacun jouait son rôle, écrit et limité à
l'avance." (2)
Après
la guerre, de nombreuses voix d'anciens combattants se sont élevées
pour demander que tous soldats condamnés par des conseils de guerre
soient réhabilités. Sans succès. Sans doute, les politiques de l'époque
jugeaient-ils qu'il était difficile de contrarier la haute hiérarchie de
l'armée, laquelle était farouchement opposée à la moindre
réhabilitation. Mais bien entendu, il n'était pas question de remettre
en cause les méthodes de commandement, les offensives aussi inutiles que
meurtrières, les erreurs grossières de stratégie, bref toutes les
fautes du haut commandement.
Louis Barthas |
Quand on pense que le général Nivelle*
a été fait Grand Croix de la Légion d'Honneur en 1920, qu'il a reçu la
Médaille Militaire en 1921 et qu'en 1931, son corps fut transféré aux
Invalides, je ne peux m'empêcher de citer Louis Barthas*: "Quels
châtiments auraient donc mérité ces généraux inhumains, artisans de la
défaite puisqu'ils gâchaient, gaspillaient, exposaient à la souffrance
et à la mort tant d'existences précieuses?"(3)
Aujourd'hui,
hélas, ces réhabilitations ne sont pas toujours à l'ordre du jour. Même
s'il est exact que quelques cas, bien trop rares, ont été réglés.
A
Craonne*, le 5 novembre 1998, Lionel Jospin, Premier Ministre de
Jacques Chirac, avait prononcé un long discours où il exaltait le
courage des combattants, mais aussi où il souhaitait que cet hommage
concerne aussi tous les soldats fusillés: "Que
ces soldats, " fusillés pour l'exemple ", au nom d'une discipline dont
la rigueur n'avait d'égale que la dureté des combats, réintègrent
aujourd'hui, pleinement, notre mémoire collective nationale. "
Aussitôt, tout ce que la droite et l'extrême droite comptent de
donneurs de leçons de patriotisme à la petite semaine s'élevèrent contre
ce discours jugé "déshonorant" et "insultant" pour la mémoire. Les
mêmes n'ont pas jugé utile de demander à ce que les médailles du
"boucher du chemin des Dames" lui soient retirées.
Au-delà
des mots des uns ou des autres, les actes ne suivent pas. Les 639
"fusillés pour l'exemple", dont les 55 de Verdun, pendant le première
guerre mondiale, n'ont toujours pas été réintroduits dans la communauté
des victimes de cette abominable tuerie. Il serait grand temps que nos
parlementaires, surmontant leur différences politiques, aient le courage
et l'audace de rétablir l'honneur de ces "fusillés pour l'exemple."
Pour conclure, je cite ici un passage de l'article de la Libre Pensée publié dans Médiapart le 24 février 2016: "Parce
que le peuple souverain, c’est la République en marche, parce que nous
sommes aussi la République, au nom de l’Humanité nous proclamerons que
les 639 Fusillés pour l’exemple (dont les 55 de Verdun) sont réhabilités
collectivement, qu’ils n’ont ni fauté ni trahi. Ils étaient des hommes
au Front sous les bombes, les obus et la mitraille. Ils étaient dans la
boue, le sang et l’horreur des tranchées. Ils ont dit NON à la mort
inutile. Ils ont dit NON à des ordres imbéciles aboyés par une
hiérarchie militaire qui se souciait comme d’une guigne de la vie
humaine."
* clic sur le lien
(1) in "Fusillés" de Jean-Yves Le Naour, éditions Larousse, 2010, page 19, note 30.
(2) in "les fusillés de la Grande Guerre" de Nicolas Offenstadt, éditions Odile Jacob, 1999, 201.
(3) in "les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914 - 1918, éditions du centenaire, 2013, page 244. (première édition par la Librairie François Maspéro, 1978)
(2) in "les fusillés de la Grande Guerre" de Nicolas Offenstadt, éditions Odile Jacob, 1999, 201.
(3) in "les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914 - 1918, éditions du centenaire, 2013, page 244. (première édition par la Librairie François Maspéro, 1978)
de Claude Bachelier
aux éditions Zonaires: www.zonaires.com
aux éditions Zonaires: www.zonaires.com
Excellent, merci Claude
RépondreSupprimerBetty