mardi 30 octobre 2012

les Présidents de la République Française: suite et fin en forme de conclusion.


Dans son "discours à la jeunesse" prononcé à Albi le 30 juillet 1903, Jean Jaurès affirmait: "Dans notre France moderne, qu’est-ce donc que la République ? C’est un grand acte de confiance. Instituer la République, c’est proclamer que des millions d’hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action ; qu’ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l’ordre ; qu’ils sauront se combattre sans se déchirer ; que leurs divisions n’iront pas jusqu’à une fureur chronique de guerre civile, et qu’ils ne chercheront jamais dans une dictature même passagère une trêve funeste et un lâche repos. Instituer la République, c’est proclamer que les citoyens des grandes nations modernes, obligés de suffire par un travail constant aux nécessités de la vie privée et domestique, auront cependant assez de temps et de liberté d’esprit pour s’occuper de la chose commune. Et si cette République surgit dans un monde monarchique encore, c’est d’assurer qu’elle s’adaptera aux conditions compliquées de la vie internationale sans entreprendre sur l’évolution plus lente des peuples, mais sans rien abandonner de sa fierté juste et sans atténuer l’éclat de son principe. Oui, la République est un grand acte de confiance et un grand acte d’audace. (...) C’était la République d’un grand peuple où il n’y avait que des citoyens et où tous les citoyens étaient égaux. C’était la République de la démocratie et du suffrage universel. C’était une nouveauté magnifique et émouvante."
J'ai mis le lien avec l'intégralité de ce discours en début de texte.

Passons sur l'éloquence du verbe, propre à cette époque, mais malgré tout d'une remarquable modernité.

Nous pouvons affirmer sans risque d'erreur que, exception faite de Louis Napoléon Bonaparte, la quasi totalité de ceux qui se sont succédés à la magistrature suprême ont été des protecteurs, mais aussi des défenseurs de la République telle que Jaurès la magnifiait.

La I ère et la II ème République ont été assassinées; la III ème et la IV ème se sont suicidées; la V ème, en place depuis 1958 permet la continuité et l'action gouvernementales, sans empêcher pour autant l'alternance démocratique.

A de très rares exceptions, toutes ultra minoritaires, plus personne, aucun parti, aucune organisation ne remet en cause la République en tant que telle. Au contraire, tous les partis qui aspirent à gouverner s'en réclament, même si pour certains, aux extrêmes, leur conception autoritaire de la République est bien éloignée de celle de Jaurès.

Il est de bon ton aujourd'hui de dénoncer les Présidents comme des "monarques républicains", tout comme ceux d'hier étaient-ils moqués parce que habitués des "banquets républicains" ou des comices agricoles.

Les Présidents des III ème et IV ème n'avaient que peu de pouvoirs, je l'ai écrit dans mes précédents billets. Mails ils ont tous, sans exception, y compris Adolphe Thiers, orléaniste et Patrice de Mac Mahon, monarchiste, ils ont tous été les gardiens vigilants de la Constitution. Chacun avec des nuances,  tel Alexandre Millerand (1920 - 1924) qui déplore l'instabilité ministérielle; ou Raymond Poincaré (1913 - 1920) qui regrette de ne pouvoir agir plus directement sur les affaires de l'Etat.

Parce qu'il a toujours voué aux gémonies le "régime des partis", partis accusés d'être, par leurs querelles, responsables de l'instabilité ministérielle et, partant, de la fragilité de l'Etat, Charles de Gaulle (1958 -1969), le fondateur de la V ème République, a fait en sorte que le Président de la  République soit le véritable détenteur du pouvoir, même si la Constitution, dans son article 20 stipule: "Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation." Si cette Constitution permet aux gouvernements de gouverner dans la durée, il n'en reste pas moins que le Parlement  n'est que trop souvent une simple chambre d'enregistrement et  députés et sénateurs, des "godillots".(1)

Quelle que soit la République, chaque Président a laissé sa propre empreinte. Certes, il est bien évident que la gouvernance a changé: quoi de commun, en effet, entre un Président qui "inaugurait les chrysanthèmes" et "l'hyper président" que nous avons connu entre 2007 et 2012? Cela est dû bien sûr à l'évolution des institutions. Mais aussi d'un phénomène plus global: la mondialisation. Qu'elle soit commerciale, financière ou sociétale. Le Président d'aujourd'hui se doit d'être présent sur tous les fronts, de réagir dans l'instant au moindre évènement, au risque d'en faire trop ou ... pas assez! Mais ce qui est vrai pour le Président l'est tout aussi pour chacun d'entre nous: que ce soit dans la vie professionnelle ou personnelle, l'équation est quasiment la même. Sauf que le Président est le Président de la République. Ce qui n'est pas tout à fait la même chose...

Pour conclure ce billet, je voudrais évoquer ceux qui auraient pu occuper cette haute fonction. Tous n'ont pas été candidat, mais, à des titres divers, ils font partie de mon "Panthéon personnel."

JULES FERRY (1832 - 1893): il est le véritable architecte de l'école publique, à savoir obligatoire, laïque et gratuite. Cela ne s'est pas fait sans peine et sans oppositions: pour les bien pensants de l'époque, apprendre à lire, à écrire et à compter à des enfants d'ouvriers et de paysans n'avait aucun sens, et dans une école sans Dieu, payée par les contribuables!!! Certains lui reprochent sa politique coloniale et sa conception du "devoir" des colonisateurs au regard des populations indigènes.

Léon Gambetta
LEON GAMBETTA (1838 - 1882): il est l'un de ceux qui a proclamé la République après la chute du second empire; il tente, sans succès d'organiser la résistance à l'armée prussienne.  Il est Président du Conseil pendant un peu plus de deux mois et demi. On retiendra de lui son engagement sans faille en faveur de la République.

Goerges Clemenceau
GEORGES CLEMENCEAU (1841 - 1929): c'est sans doute l'homme politique le plus complexe et le plus actif de la III ème République. Journaliste, avocat, député, ministre, il a de multiples casquettes. Anti clérical, opposé à la colonisation, défenseur farouche de Alfred Dreyfus, il est sur tous les fronts. Président du Conseil à deux reprises, de 1906 à 1909 et de 1917 à 1920. C'est surtout ce second ministère qui restera dans l'Histoire: en effet Clemenceau n'a qu'un mot d'ordre: "Politique intérieure ? Je fais la guerre. Politique étrangère ? Je fais la guerre. Je fais toujours la guerre" (2) Sa politique intransigeante mènera les alliés à la victoire contre l'Allemagne et lui vaudra l'appellation méritée de "Père la Victoire." Il est candidat à la succession de Raymond Poincaré en 1920, mais est battu à la "primaire" de son parti par Paul Deschanel. Au regard de la classe politique de son époque, Clemenceau était  une personnalité trop forte, sans compter que tout au long de sa carrière, il s'était fait de nombreux ennemis.
Jean Jaurès

JEAN JAURES (1859 - 1914): toutes les villes de France ou presque ont une rue ou une avenue Jean Jaurès. C'est dire l'empreinte que cet homme a laissé dans notre Histoire. C'est d'abord un brillant intellectuel qui rentre en politique à 25 ans. Républicain indiscutable, il se fait connaitre en soutenant la grève des mineurs de Carmaux en 1892. Il est élu député de la ville l'année suivante en battant le député sortant, Jérôme Solage, un industriel pourtant très bien implanté. Dans un premier temps, il il refuse de prendre partie  dans l'affaire Dreyfus, estimant que "c'est une affaire de la bourgeoisie." Mais devant l'injustice criante faite au capitaine, il prend parti pour lui et devient un de ses plus ardents défenseurs. En 1904, il fonde le journal l'Humanité. Alors que les tensions montent entre la France, l'Angleterre et l'Allemagne, il a une position en retrait par rapport au militarisme ambiant et au parfum de revanche qui flotte particulièrement à l'extrême droite. Son pacifisme lui vaut la haine et de multiples appels au meurtre. Pour autant ce pacifisme n'est pas la capitulation devant l'empire allemand. Jaurès est assassiné le 31 juillet 1914, soit 4 jours avant la déclaration de guerre. On peut s'interroger, en vain cependant, pour savoir si Jaurès aurait rejoint "l'union sacrée". En tout état de cause, on ne peut que regretter que son pacifisme n'ait pas été suivi, tant en France qu'en Allemagne: cela aurait évité des millions de victimes et la ruine de l'Europe.
Pierre Mendès france

PIERRE MENDES FRANCE (1907 - 1982): il n'aura été Président du Conseil que neuf mois, de juin 1954 à février 1955. Elu pour régler le conflit en Indochine et amener la Tunisie à l'indépendance, il a rapidement mené à bien les missions qui lui ont été confiées. La guerre d'Algérie, appelée alors pudiquement "évènements d'Algérie", commence le 1er novembre 1954, donc sous sa présidence. Il engage alors une politique de fermeté tout en préparant les réformes indispensables en Algérie. Il sera chassé du pouvoir par une coalition hétéroclite et contre nature de députés de droite le soupçonnant de sympathies indépendantistes, de  communistes et  de radicaux. Son extrême rigueur et son intransigeance sont souvent une référence dans la vie politique d'aujourd'hui. Mais à pousser trop loin cette intransigeance, il a pu devenir procédurier. Ainsi, partisan à l'excès du parlementarisme, il n'a pas su - ou pas voulu - voir que les excès de ce système paralysait la vie démocratique, jusqu'à lui faire courir les plus grands dangers.

Pour conclure cette longue série consacrée aux vingt trois Présidents de la République Française, de Louis Napoléon Bonaparte à Nicolas Sarkozy, je laisserai le dernier mot à René Rémond, historien éminent s'il en est:
"Le ralliement, presque général, aux institutions qui nous régissent, l'acceptation de la Démocratie, la conviction qu'il ne peut plus y avoir de pouvoir légitime que procédant du suffrage de la nation, ne sont-ils pas, à leur manière, des indices du progrès de l'unité? Comme l'est aussi le rejet en politique de la violence qui a retenu la France de basculer dans la guerre civile en des situations qui, un siècle plus tôt, auraient vraisemblablement dégénéré en affrontements armés et qui nous a épargné l'épreuve du terrorisme intérieur."(3)

(1) expression due à André Valabrègue, député gaulliste de l'UNR de Béziers, qui l'utilisa pour la première fois en 1958: "nous sommes les godillots du général."
(2) déclaration à la Chambre des Députés le 8 mars 1918.
(3) in "le siècle dernier", de René Rémond, Librairie Arthème Fayard, édition 2003, page 1130.

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