lundi 19 mars 2012

les 100 jours (suite)


Nous sommes maintenant à moins de cinquante jours du second tour de l'élection présidentielle. L'aventure initiée par Patrick Lécolier, barman en chef et maitre des lieux du café philosophique Calipso continue. Chaque jour, jusqu'au 6 mai, un texte écrit par un(e) habitué(e) du lieu est publié sur le site. D'où une belle compilation d'écrits, humoristiques, ironiques, sérieux, farfelus, poétiques, visionnaire ou décalés...

Samedi dernier, un des miens.

Bonne lecture.


Madame la Présidente du bureau de vote.

Quand le maire l’a appelée pour lui proposer d’assurer la présidence de l’un des deux bureaux de vote du village lors des prochaines élections présidentielles, Elisabeth a aussitôt accepté : cette proposition était plus qu’un honneur, un devoir.
Elle s’est préparée à ce rôle avec le plus grand sérieux : outre une courte formation suivie à la mairie, elle est allée sur internet recueillir un maximum d’informations et de témoignages. Elle qui n’avait jamais lu un seul ouvrage de sciences politiques a lu plusieurs livres traitant de la politique en général et des élections en particulier, écrits par des gens savants, en général des universitaires. Mis à part un ou deux, et encore, il lui a bien fallu reconnaître ne pas comprendre grand-chose de tous ces textes censés expliquer simplement et clairement des processus compliqués. En conséquence de quoi, elle a donc décidé de s’en tenir à ce que lui avait dit le secrétaire général de la mairie, tout en épluchant les procédures prévues par le code électoral. Ce qui n’était quand même pas une mince affaire.
Les nuits précédant le scrutin, elle n’a pas très bien dormi. Elle essayait d’imaginer tous les scénarios possibles au cours de ce dimanche, et surtout de quelles façons, elle pourrait ou devrait réagir si un incident venait à se produire. Certes, elle aurait avec elle deux assesseurs, sans compter trois représentants des partis politiques. Mais c’est peut-être de ces gens, toujours prêts à monter en épingle la moindre chicane, que pourrait survenir de grosses difficultés. Il lui faudrait alors, en qualité de présidente, décider et régler le problème, dans le respect absolu des procédures prévues. C’est cela qui la stressait le plus.
Pourtant, décider, elle savait faire. Au cours de sa vie professionnelle, cela avait été son quotidien. De plus, elle avait exercé la présidence de deux associations, sans compter son unique mandat de conseillère municipale il y a bien des années. Mais dans le cadre de ces élections, il y avait un enjeu autrement plus important qui ne permettait pas le moindre faux pas.
La veille du scrutin, elle était allée se faire coiffer, en prenant soin de demander à Manue, sa coiffeuse attitrée de lui faire une coiffure décontractée, sans être pour autant ébouriffée. Elle ne voulait pas ressembler à ces américaines permanentées à l’excès.
Elle avait ensuite longtemps hésité sur le choix des vêtement qu’elle allait porter : pantalon, jupe, robe ? Et quelles couleurs : vives ou neutres ? Chaussures à talons ou plates ? Devait-elle porter des bijoux ? Et si oui, lesquels ?
Sur la table de la salle à manger, elle avait tout étalé, essayant de trouver les meilleurs assortiments possibles. Tout l’après midi y avait été consacré et c’est après de longues hésitations qu’elle avait décidé d’opter pour un pantalon noir avec un corsage blanc, sous une veste elle aussi noire, veste où était accroché discrètement le ruban violet des palmes académiques. Avec un collier de petites perles et des boucles d’oreilles, en perle elles aussi et à sa main gauche, uniquement son alliance et sa bague de fiançailles. Et des mocassins noirs, certainement plus confortables à porter toute une journée que des talons hauts.
Elle était contente de ses choix qui marquaient une certaine neutralité, évitant à la fois le bon chic bon genre et le négligé, même si elle s’était toujours située plus proche du premier que du second.
Le samedi soir, elle s’était couchée assez tard. Elle avait parcouru distraitement quelques notes qu’elle avait prises. Comme souvent quand elle n’arrivait pas à s’endormir,  elle  pensa à  Claude, son mari mort cinq ans plus tôt d’une crise cardiaque. Elle aurait bien voulu l’avoir à ses côtés ce dimanche. Comme à son habitude, il serait tenu en retrait, comme il avait toujours fait, mais sa présence auprès d’elle l’aurait rassurée.
Le dimanche matin, elle s’était levée à six heures, prenant le temps de prendre un bain, avant de déjeuner puis de s’habiller sans précipitation.
Il n’y avait encore pas grand monde dans les rues, même s’il y avait quelques clients chez le boulanger. Il faisait un peu frais, mais de cette fraicheur qui annonce une belle journée. Elisabeth se disait que peut-être les électeurs préfèreraient aller se promener plutôt que de voter, à moins que, justement parce qu’il faisait beau temps, ils sortiraient plus facilement.

A huit heures précises, le premier électeur se présenta.

Madame la Présidente du bureau de vote de l’école maternelle des Ayettes était prête.

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