mercredi 14 décembre 2022

Le pourquoi du comment des gens: Louise MÉNARD et Paul MAGNAUD


 

Louise MENARD

Louise Ménard est née en 1875. Elle vit dans l'Aisne, dans le village de Charly-sur-Marne, avec sa mère et son fils de deux ans. Elle n'a pas de travail et reçoit une allocation du bureau de bienfaisance local. Allocation bien insuffisante pour nourrir cette famille de trois personnes.
Alors que sa mère et son fils n'ont rien mangé depuis 36 heures, le 22 février 1898, elle vole un pain de 3 kilos à la devanture d'une boulangerie. Elle se fait prendre, le boulanger porte plainte et les gendarmes la défèrent au tribunal de Chateau-Thierry le 4 mars 1898.

C'est à ce moment précis que cette affaire revêt un intérêt particulier.

En effet, le président du tribunal, Magnaud, relaxe l'accusée. Au grand dam du procureur.  

"Attendu que la faim est susceptible d’enlever à tout être humain une partie de son libre arbitre et d’amoindrir en lui, dans une grande mesure, la notion du bien et du mal ; Qu’un acte ordinairement répréhensible perd beaucoup de son caractère frauduleux, lorsque celui qui le commet n’agit que poussé par l’impérieux besoin de se procurer un aliment de première nécessité, sans lequel la nature se refuse à mettre en oeuvre notre constitution physique."(1)

À une époque où il ne fait pas bon, pour les pauvres, de se retrouver devant un tribunal, cette décision fait grand bruit.

 

Paul MAGNAUD

Alors, qui est ce Paul Magnaud, ce juge qui ose prendre une telle décision iconoclaste?

Il est né en 1848 à Bergerac et décédé dans la Haute Vienne en 1926. Entré dans la magistrature en 1880, il sera successivement substitut puis juge d'instruction avant d'être nommé président du tribunal civil de Chateau-Thierry en juillet 1887: il a alors 39 ans.
En 1906, il est élu député radical socialiste de la Seine pour un seul mandat et termine sa carrière dans la magistrature comme conseiller à la cour d'appel de Paris.

Il a la réputation d'être un républicain farouche, très anti clérical. Il a, pourrait-on dire, une vision moderne de ce que devrait être la justice.
Il déclare, alors qu'il siège à la Chambre:
 
« N’est-il pas souverainement déconcertant qu’en 1908, pour trancher un litige, le juge, abdiquant sa personnalité et se cristallisant dans les traditions d’un autre âge, aille copier sa décision dans les recueils poussiéreux de 1810 ? »

 

Alexandre MILLERAND

Alexandre Millerand, avocat de formation, va dans le même sens en déclarant dans "l'avenir de l'Aisne" en 1891:

« On comprend que les malheureux juges perdent la tête.
[…] Tantôt ils s’attachent désespérément à la lettre de la loi, au risque d’exaspérer l’opinion toujours tenue en éveil ; tantôt, sous la crainte d’une polémique violente, ils tombent dans l’excès contraire et, pour mériter une approbation qui leur manque, violent ouvertement les textes les plus précis »

Lorsqu'il relaxe Louise Ménard - "la fille Ménard" comme il est dit dans les attendus du procès - Magnaud est soutenu par l'opinion publique et certains politiques, ceux de gauche en particulier, comme Clemenceau qui le surnomme "le bon juge".

La relaxe de Louise, relaxe qui interprète le Code Pénal de l'époque, va donner lieu à la reconnaissance d'un "état de nécessité". Lequel état ne sera pas reconnu par la Cour d'Appel - qui pourtant validera la relaxe - étant entendu que "l'état de nécessité n'est pas fondé en droit."

 

 

 

Ce droit de nécessité ne sera introduit dans le Code Pénal qu'en ... 1994.

Qu'est-ce exactement ce droit de nécessité?

L'article 122-7, en vigueur depuis le 1er mars 1994, dispose: 

N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. (2)

Peut-on dire aujourd'hui que cet article de loi a encore sa pertinence? Bien sûr que oui. Même s'il existe des associations comme les Restos du Coeur ou le Secours Populaire, hélas bien insuffisantes pour faire face à la misère et à la pauvreté.


 

Car, c'est triste à dire, nous sommes la 7ème puissance économique mondiale en terme de PIB, nous faisons partie du G7 qui regroupe les sept puissances qui détiennent les 2/3 de la richesse mondiale.


 

Et, malgré cela, nous avons, chez nous, 8% de pauvres, c'est-à-dire près de 9 millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté, fixé en 2021 à 1063€ nets par mois ou 34€ par jour. (3)

On peut me répondre que la pauvreté n'est pas un phénomène nouveau et qu'il a toujours existé dans toutes les sociétés. Ce qui est exact, hélas.
Pour autant, doit-on excuser une injustice par une autre injustice? Non!

Je n'ai pas, bien sûr, de solutions miracles, tout comme tous les présidents qui se sont succédés depuis des lustres. Sauf que eux, ils ont, ou plus exactement ils devraient avoir une volonté réelle d'éradiquer ces pauvretés en s'en donnant les moyens financiers 


Certes, ils affirment la main sur le coeur qu'ils vont tout mettre en oeuvre pour y mettre  un terme. 


Sauf que ni les moyens ni la volonté ne sont au rendez-vous. 


D'autant que certains font honteusement l'amalgame entre pauvreté et assistanat; que d'autres font confiance au "ruissellement" ou que d'autres encore évoquent la nécessité d'une révolution; d'autres enfin s'en remettent à la fatalité.
Sans oublier les fous qui affirment que les "Français sont des passagers de 1ère classe"(4), y compris bien sûr les 9 millions de pauvres!!!

Bref, un peu partout dans le monde, nous allons entendre les mêmes discours sur les bonnes résolutions à prendre, sur ce qu'il faudra faire pour "aider les pauvres".


Mais les pauvres n'ont pas besoin de bonnes résolutions: ils ont besoin de ne plus être pauvres. Ils ont besoin de salaires décents et pérennes qui leur permettront de vivre décemment. Et de respect!

Le reste, tout le reste n'est que bavardage dérisoire!

 

(1) extrait de la revue "Graines d'histoire", la mémoire de l'Aisne, automne 1999, N°7
(2) https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006417220
(3) https://www.ordredemaltefrance.org/quel-est-le-seuil-de-pauvrete-en-france
(4) François PATRIAT, sénateur de la Côte d'Or, lemonde.fr du 14/12/2022 dans l'article "réforme des retraite: divergences entre Emmanuel Macron et Elisabeth Borne."
 

 



2 commentaires:

  1. en effet, la pauvreté existe depuis que l'être humain est sur terre. Ces modalités se modifient au fil des siècles, par je ne sais pas si elle pourrait être éradiquer. je ne le crois pas ….malheureusement. Bonne soirée

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  2. Tes blogs sont autant de focus sur des évènements inconnus ou oubliés. C'est passionnant Claude. Continue à enrichir notre culture
    et notre goût pour l'histoire et la politique. Merci

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