lundi 11 mars 2019




Iossif Vissarionovitch Djougachvili, ou si vous préférez Joseph STALINE, est mort le 5 mars 1953. Il y a donc soixante six ans.
Il a été beaucoup dit, beaucoup écrit sur cet homme qui a donné, bien involontairement, son nom à une variante du totalitarisme: le stalinisme.

Avant d'aborder sa mort et les réactions qu'elle a suscitées, quelques lignes sur le parcours de cet homme que rien, à priori, ne destinait au destin qui a été le sien.

Il est né en décembre 1878 en Géorgie, d'une famille de petit artisan. Sa mère, très religieuse, l'oblige à rentrer au séminaire, mais il en est expulsé à l'âge de vingt ans.
Il va très vite militer dans des organisations révolutionnaires, ce qui lui vaut de multiples arrestations et de nombreux séjours en Sibérie.
Entre deux arrestations, il rencontre Lénine à plusieurs reprises. En 1917, de retour d'un exil sibérien, il prend la direction du parti bolchévique à Pétrograd.
Même s'il a un rôle relativement mineur pendant les deux révolutions, il travaille directement et discrètement sous les ordres de Lénine. Il y a au sujet des relations entre les deux hommes des avis contradictoires: pour les uns, Lénine* appréciait Staline au point de le définir en 1911 comme "le merveilleux georgien; mais pour la grande majorité des autres, dans son testament, Lénine reprochait à Staline sa brutalité et proposait de le destituer de son poste.

Après la mort du père de la révolution bolchévique en 1924, Staline est à la tête du parti communiste et écarte tous ceux qu'il estime lui être hostile. Au premier rang de ceux-ci Trotsky* qu'il fait exiler en 1929 et assassiner en 1940.

Au début des années 30, il met en place la collectivisation des terres; ce qui a pour effet la déportation en Sibérie de deux millions de "koulaks"*, accusés d'être des propriétaires et donc des exploiteurs. Mais aussi une famine qu'il a, sinon organisée, en tout cas encouragée, famine qui a causé la mort de plusieurs millions de paysans.

Les grandes purges qu'il mettra en place entre 1936 et 1938 lui permettent d'éliminer toutes personnes suspectées d'opposition et/ou de "déviationnisme"; parmi elle une grande partie des hauts gradés de l'Armée Rouge.

En matière de politique étrangère, il impose aux autres partis communistes la politique dite "classe contre classe", son principal ennemi étant la social démocratie.

Prétextant une mauvaise volonté de la France et du Royaume Uni à l'égard de l'URSS, il signe le pacte germano-soviétique le 23 août 1939, pacte qui prévoit le partage de la Pologne entre les deux dictatures et l'annexion par l'URSS des Pays Baltes.

L'Allemagne nazie attaque l'URSS en juin 1941, mais est mise en échec sans atteindre ses objectifs: Moscou, Léningrad et Rostov. Encerclée et vaincue à Stalingrad, l'armée allemande commence alors la retraite qui amènera l'Armée Rouge au coeur de Berlin, alors qu'à l'ouest, les armées alliées ont débarqué en Normandie, en Provence et en Italie.
Le 8 mai 1945, l'Allemagne nazie capitule.
Le prestige et l'autorité de Staline sont les grands vainqueurs de cette guerre.

W. Churchill, H. Truman, J. Staline


En Août 1945, la conférence de Postdam* qui réunit Churchill*, Truman* et Staline décide des zones d'influence: l'Europe de l'ouest aux alliés occidentaux; celle de l'est à l'URSS. En quelques années, les régimes communistes s'imposent dans les démocraties populaires sous l'autorité sans appel de Staline.
La mort de Staline en 1953 entrainera un timide début de "déstalinisation", mais n'empêchera nullement l'écrasement des révoltes populaires contre les partis communistes au pouvoir, à Berlin en juin 1953; à Budapest en octobre 1956 et à Prague en août 1968.


crédit photo: Rue des Archives/Rue des Archives/Tallandier[/caption]






 LES RÉACTIONS EN FRANCE

"Le petit père des peuples" ou "vodj" ("le guide" en russe) s'éteint donc le 5 mars 1953, officiellement suite à une hémorragie cérébrale.
L'Humanité, "l'organe central du Parti Communiste Français", annonce en une la mort du "grand Staline".
Il faut dire que le dictateur est l'objet d'un véritable culte, particulièrement en France, au sein des communistes.

Maurice Thorez et sa femme Jeannette Vermeersch

Maurice Thorez*, alors secrétaire général du PCF, écrit dans son autobiographie "Fils du peuple" après sa rencontre avec Staline en 1925: "Lors de mon premier voyage à Moscou, j'avais eu le rare bonheur de voir et d'entendre le camarade Staline. (...) La veille de notre départ, le camarade Staline reçut notre délégation. Sa cordialité souriante nous mis à l'aise dès l'abord. Une pensée que Staline exprima ce jour-là est restée gravé dans ma mémoire: "l'influence réelle d'un Parti se mesure aux actions qu'il est capable d'organiser de diriger." (1)

Paul Eluard* publiera en 1950 un recueil de poèmes, "Hommages" dans lequel il écrit ceci:
« Staline dans le coeur des hommes
Sous sa forme mortelle avec des cheveux gris
Brûlant d’un feu sanguin dans la vigne des hommes
Staline récompense les meilleurs des hommes
Et rend à leurs travaux la vertu du plaisir
Car travailler pour vivre est agir sur la vie
Car la vie et les hommes ont élu Staline
Pour figurer sur terre leurs espoirs sans bornes.
Et Staline pour nous est présent pour demain
Et Staline dissipe aujourd’hui le malheur
La confiance est le fruit de son cerveau d’amour
La grappe raisonnable tant elle est parfaite. »

Tout de suite après la mort de Staline, Aragon*, directeur des "Lettres Françaises" demande à Picasso de dessiner un portrait du défunt. Dans le numéro du 12 mars 1953,qui rend compte de la mort de Staline, il écrit: "
« La France doit à Staline tout ce que, depuis qu’il est à la tête du parti bolchevik, il a fait pour rendre invincible le peuple soviétique, et dans son armée rouge, et dans sa confiance en Staline, l’homme qui disait que gouverner c’est prévoir, et qui a toujours prévu juste... La France doit à Staline son existence de nation pour toutes les raisons que Staline a données aux hommes soviétiques d’aimer la paix, de haïr le fascisme, et particulièrement pour la constitution stalinienne, qui est une de ces raisons, pour lesquelles un grand peuple peut également vivre et mourir. (2)
Merci à Staline pour ces hommes qui se sont forgés à son exemple, selon sa pensée, la théorie et la pratique stalinienne ! "(2)

Ce dessin ne plaira pas à la direction du PCF qui le fait savoir dans l'Humanité du 18 mars: «Le Secrétariat du Parti communiste français désapprouve catégoriquement la publication dans Les Lettres françaises du 12 mars du portrait du grand Staline par le camarade Picasso."(2)
A Paris, le siège du PCF est drapé de noir. Partout dans le pays, les communistes organisent des manifestations en l'honneur de Staline.


Les plus hautes autorités de l'État rendent elles aussi hommage au dirigeant communiste: ainsi, Edouard Herriot*, président de l'Assemblée Nationale, impose t-il aux députés une minute de silence "au vainqueur d'Hitler et au modernisateur de l'Union Soviétique."

Aimé Césaire*, le poète martiniquais, y va lui aussi de son éloge: "Je suis originaire d'un petit pays qui souffre sous le joug du régime colonial. Mais j'ai visité l'Union soviétique, et je sais que la cause de la paix et de la libération nationale, la cause pour laquelle se bat le peuple de ma patrie et les peuples opprimés dans toutes les parties du monde, triomphera, car elle est indissolublement liée aux grandes idées de Lénine et de Staline ! »
Le général de Gaulle, alors président du RPF, envoie un télégramme à Mr Molotov*,  vice-président du Conseil des commissaires du peuple, télégramme de circonstance il est vrai, mais qui ne mentionne que le rôle de Staline pendant la guerre: "... Le nom de Staline restera toujours attaché au souvenir de la grande lutte menée en commun jusqu'à la Victoire par les peuples de l'URSS, le peuple français et les peuples alliés." (3)

La relation de Staline aux français communistes relève quasiment d'une relation filiale: dans presque tous les logements des familles, le portrait de Staline, orné d'un crêpe noir, trône dans la salle à manger. Des objets divers, confectionnés au sein de ces familles, sont envoyés aux sièges des différents comités départementaux et sont exposés comme un ultime hommage des camarades au petit père des peuples.

L'Humanité du 11 mars souligne, sous la plume de Pierre Courtade*: "Le peuple de France prenant le deuil en même temps que le peuple de l'Union Soviétique; tant de silence accumulés à travers le pays entier au moment où les canons soviétiques saluaient l'arrivée du corps de Staline au mausolée de la Place Rouge." (4)

A l'exception bien sûr de l'Humanité, la presse française rend compte du décès de Staline de façon sinon neutre, en tout cas sans grandes envolées lyriques.

Ainsi le Figaro se contentant de citer les médias officiels soviétiques: "Radio-Moscou transmit d'abord, comme d'habitude, la sonnerie des cloches de la grande tour du Kremlin. Puis vint l'hymne national soviétique. Enfin, le speaker a commencé la lente lecture du communiqué officiel rédigé au nom du Comité central du parti, du Conseil des ministres et du Præsidium du Conseil suprême: «Le cœur du camarade Staline, continuateur inspiré de la volonté de Lénine, guide et éducateur du parti communiste et des peuples soviétiques, a cessé de battre.» Aussitôt après cette lecture, Radio-Moscou a diffusé le solennel dernier mouvement de la «Symphonie pathétique», de Tchaïkovski."
Le Monde, daté du 7 mars 1953, dans un éditorial titré "l'homme et son héritage",  sans doute sous la plume de son fondateur Hubert Beuve-Méry*, pointe la volonté implacable de Staline et leurs conséquences: "La poursuite de ce bonheur mathématique a peuplé les camps de concentration et les charniers; elle a transformé des millions d’hommes en robots civils ou militaires. Elle en a réduit d’autres au rôle de thuriféraires dépourvus de la plus élémentaire dignité."

France-Soir consacre toute sa une au décès de Staline. "La mort de Staline survenue à Moscou à 19h50 a été connue à 2h09Le corps du maréchal, qui sera embaumé, va être exposé à la Maison des syndicats. Les Russes s'attendaient à une issue fatale. L'hémorragie cérébrale qui l'avait frappé "avait étendu ses effets jusqu'au coeur, entraînant un désordre aigü du système cardio-vasculaire et aggravant les difficultés de respiration. Staline est mort sans avoir repris connaissance" Puis, il reprend le communiqué des autorités soviétiques: "Le coeur du camarade de Lénine et continuateur inspiré de sa volonté, chef avisé et maître du Parti communiste et du peuple soviétique Joseph Vissarionovitch Staline, a cessé de battre". Le journaliste chargé des questions diplomatiques s'interroge "sur le mystère de la succession de Staline".

Mis à part les militants et l'appareil du PCF, le décès de Joseph Staline n'a pas été ressenti comme une perte. Certes, il faisait partie des vainqueurs, mais sa main mise sur les pays de l'est, les procès fabriqués à la chaine faisaient de lui un repoussoir. Pourtant, bien peu de gens connaissait l'étendue des crimes staliniens. Les intellectuels, dont la raison d'être est justement  d'être lucide et curieux, ont été aveuglés par l'idéologie communiste et par le culte de la personne de Staline. A cette époque, bien peu d'entre eux s'en sont détournés et ont cessé d'être des "compagnons de route."

Staline disparu, le stalinisme a t-il disparu avec lui? Sans  doute. Pour autant, le régime imposé par Mao Zédoung en Chine, ou par la famille Kim en Corée du Nord ou par Henver Hodja en Albanie, ces régimes ont de fortes concordances avec celui du "petit père des peuples": parti unique, contrôle absolu de l'État, culte du chef, terreur et crimes de masse, idéologie obligatoire.

Pour conclure cet article, permettez moi de citer Laure Adler* dans son excellent ouvrage "dans les pas de Hannah Arendt".
"Pour elle (Hannah Arendt), le totalitarisme, par essence, diffère de la tyrannie et de la dictature. Il brise la tradition, la justice, la morale, le sens commun. (...) Essence de la domination totalitaire, le terreur dispose de son propre tribunal où ne sont plus jugés des coupables ou des innocents, mais des exécutants ou des opposants à la loi historique ou naturelle." (5)

Staline a mis en place un régime totalitaire dès sa prise de pouvoir qu'il a consolidé jusqu'à sa mort. Il est malgré tout surprenant, voire incompréhensible, que des milliers de personnes à travers le monde aient idolâtré cet homme. Et encore plus surprenant et tout aussi incompréhensible qu'aujourd'hui encore beaucoup rechignent à faire le procès et de l'homme et de son régime.

  • clic sur le lien
(1) in "Fils du peuple" de Maurice Thorez, éditions sociales, 1949, page 51.
(2) in le blog de Philippe Solers: http://www.pileface.com/sollersdu 4 mars 2013.
(3) in "Charles de Gaulle, lettres notes et carnets, 1942 - mai 1958" éditions Robert Laffont, collection Bouquins, page 1110.
(4) in "la liturgie funèbre des communistes 1924 - 1983" de  Jean-Pierre A. Bernard, article dans Persée, 1986, page 44.
(5) in "dans les pas de Hannah Arendt" de laure Adler, éditions Gallimard, 2005, page 360.

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