Je suis allé voir cette semaine le très beau film de Margarethe Von Trotta* consacré à Hannah Arendt, et les articles que cette dernière a écrit sur le procès d'Adolf Eichmann*
et publiés dans le "New Yorker" en février et mars 1963 sous le titre
"A Reporter at Large: Eichmann in Jerusalem."
Barbara SUKOWA |
Ces articles seront
ensuite regroupés dans un livre, "Eichamnn à Jérusalem", publié en France chez Gallimard en 1966. C'est Barbara Sukowa qui interprète magnifiquement la philosophe.
Ce sont surtout ses travaux sur les totalitarismes qui la font connaitre cette année-là à travers trois ouvrages majeurs regroupés dans "les origines du totalitarisme"; "sur l'antisémitisme"; "l'impérialisme" et "le système totalitaire". (1) Pour diverses raisons, ces ouvrages ne seront traduits et publiés en France que bien plus tard: 1972, 1973 et 1982.
Elle quitte l'Allemagne nazie en 1933 et se réfugie en France. En 1940, elle sera brièvement internée dans le camp de Gurs avant de réussir à s'enfuir vers les Etats-Unis où elle suivra une brillante carrière universitaire.
Hannah Arendt |
"Assister à ce procès est, d'une certaine manière, une obligation que je dois à mon passé." (2) C'est ainsi que H. Arendt justifie son insistance pour assister au procès Eichmann, en réponse aux réticences de son entourage. En particulier Karl Jaspers*
qui a été son professeur de philosophie en 1926 et avec qui elle était
restée très proche: pour lui, la légalité de ce procès est douteuse
puisqu'au moment des faits, l'Etat d'Israël n'existait pas. Mais elle
passe outre et est présente le 12 avril 1961 dans la Maison du Peuple à
Jérusalem, surnommée Eichmanngrad par les israéliens, où va être jugée
Adolf Eichmann.
Le film se sert d'images d'archives, en particulier
d'interrogatoires d'Eichmann par le procureur Gideon Hausner. Procureur
dont le moins que l'on puisse dire, c'est que H. Arendt ne l'appréciait
vraiment pas: "Ben Gourion*
n'assiste à aucune audience. Au tribunal, sa voix est celle de Gedeon
Hausner, le procureur qui, représentant le gouvernement, fait de son
mieux, vraiment de son mieux, pour obéir à son maitre."(3)
Effectivement, dès la publication du premier article, c'est le tollé. Il faut dire que l'auteure n'y va pas par quatre chemins: "Partout où les juifs vivaient, il y avaient des dirigeants juifs, reconnus comme tels, et cette direction, presque sans exception, a coopéré, d'une façon ou d'une autre, pour une raison ou pour une autre, avec les nazis. Toute la vérité, c'est que si le peuple juif avait été vraiment non organisé et dépourvu de direction, le chaos aurait régné, il y aurait eu beaucoup de misère, mais le nombre total des victimes n'aurait pas atteint quatre et demi à six millions. (Selon les calculs de Freudiger, environ 50% auraient pu être sauvés s'ils n'avaient pas suivi les instructions des Conseils juifs.)" (4)
Ces lignes et d'autres lui attirèrent des critiques virulentes sous formes d'articles indignés et vengeurs dans la presse, de lettres anonymes reçues par centaines et bien sûr entrainèrent la rupture avec beaucoup de ses amis les plus proches, comme Kurt Blumenfeld et nombre d'universitaires. Malgré ces critiques et ces ruptures douloureuses, Arendt a toujours défendu ses thèses, avec parfois une certaine arrogance.
A cet égard, le film est particulièrement dans le vrai quand il montre une Arendt sûre d'elle même face à la direction de l'université ou face à Hans Jonas, un collègue universitaire pourtant très proche. Les dernières scènes du film montrent H. Arendt allongée sur un divan, semblant perdue dans ses réflexions. En réalité, elle revoit certains épisodes de sa jeunesse, en particulier sa relation avec Martin Heidegger, le maitre à penser qu'elle n'a jamais abandonné, même lorsqu'il fut accusé d'une courte complicité avec les nazis, mais son aussi son premier amour.
C'est
dans la seconde édition de "Eichmann à Jérusalem" que Hannah Arendt
ajouta le sous titre "rapport sur la banalité du mal". Cette expression,
elle aussi, a mal été comprise: pour certains, elle signifiait la
banalisation du mal, voire sa justification.
Or, ce qu'a démontré Arendt
dans cet ouvrage, c'est qu'Eichmann était quelqu'un d'ordinaire. Un
criminel, bien sûr, mais néanmoins ordinaire. Il ne pensait pas par
lui-même parce qu'il s'était totalement abandonné aux idées de ses
maitres nazis. Il faisait son "travail", sans se poser de questions. En
cela, il ne pensait pas. Cela n'explique ni n'excuse ses crimes et
Hannah Arendt le dit et le redit.
Elle a souvent écrit que "vivre,
c'est penser et que sans penser, il n'y a pas de vérité". C'est aussi
ce que nous rappelle le film de Margareth Von Trota.
* clic sur le lien
(1) tous les trois parus aux éditions Fayard, collection Points- Politique, respectivement 279, 348 et 298 pages.
(2) in "Hannah Arendt" de Sylvie Courtine-Denamy, 435 pages, éditions Belfond, 1994, page 103.
(3) in "Eichmann à Jérusalem" de Hannah Arendt, 518 pages, éditions Gallimard, collection folio images, page 46.
(4) ibid page 239.
(2) in "Hannah Arendt" de Sylvie Courtine-Denamy, 435 pages, éditions Belfond, 1994, page 103.
(3) in "Eichmann à Jérusalem" de Hannah Arendt, 518 pages, éditions Gallimard, collection folio images, page 46.
(4) ibid page 239.
Hello
RépondreSupprimerJe viens de lire ton article qui me conforte dans mon souhait d'aller voir le film et de lire son livre sur le procès
Fanfan