Le patron du café littéraire, Calipso, me fait l'honneur
autant que l'amitié de publier mon troisième texte de cette aventure
collective qu'il a initiée: "les 100 jours après l'Apocalypse". Je vous
rappelle qu'il vous est toujours possible, à chacun(e) d'entre vous, de
contribuer à cette aventure en envoyant votre texte à Calipso*.
Je m’appelle Jean - Ezéchiel. Jean parce que c’est
le nom de celui qui a écrit « le livre de la Révélation », ou si vous
préférez « l’Apocalypse de Jean ». C’est en tout cas ce que me disent
mes parents quand je fais une bêtise : « tu te rends compte de ce que
tu fais ? Toi qui porte le nom de celui qui a écrit le livre de la
Révélation » ? Non, je ne me rends pas compte et je me garde bien de
le dire car j’aurai alors droit à une explication de texte qui n’en finit pas.
Ezéchiel ? Je ne sais pas trop. Je sais juste
que c’est le nom d’un prophète.
Il faut bien dire que mes parents sont des gens bien
particuliers : ils croient dur comme fer dans tout ce qui est écrit dans
le bouquin du type dont je porte le prénom.
Et moi, j’ai pas tout à fait onze
ans, et ça me gave !
En plus, mes parents mélangent tout. Un
exemple : le 21 décembre dernier, ce devait être la fin du monde. Il
paraît que les Incas l’avaient annoncé il y a quelques siècles. Et mes parents
ont cru à ce truc parce que annoncé par Jean ! Je n’ai pas très bien
compris pourquoi. Alors, au collège, je suis allé voir sur Google, pour essayer
de comprendre. En fait, les Incas n’ont rien à voir avec Jean : ils
vivaient en Amérique et lui en Grèce. Et en plus, pas à la même époque.
J’ai bien essayé de le dire à mes parents, mais ils
n’ont pas voulu en démordre. Il nous a fallu nous préparer, mes six frères et
sœurs et moi, même la petite dernière de huit mois : on a dû écouter mon père
nous lire des passages du bouquin, des trucs de fous qui parlent de l’enfer,
des démons, des tortures qu’ils infligeront aux pêcheurs ! Et ça faisait
si peur aux petits qu’ils se sont mis à pleurer, à hurler et quand l’un s’y
mettait, tous les autres suivaient ! Et si ma sœur jumelle et moi, les
aînés, on protestait, on se prenait une baffe et il nous menaçait des feux de
l’enfer !...
Début novembre, ils ont commencé à faire des
provisions : des dizaines de bouteilles d’eau, des pates, du sucre, de l’huile,
des biscuits et des tas d’autres trucs, ce qui faisait qu’il n’y avait plus
d’espaces de libres quand on revenait du Lidl, entre les sept enfants, mes
parents et les provisions dans le vieux combi Volkswagen. On y allait presque
tous les jours, jusqu’au moment ou la carte bleue a refusé de fonctionner.
Alors là, aussitôt, mes parents ont décidé que cela
ne servait à rien de faire des provisions puisque, de toutes façons, tout le
monde allait mourir. Même nous. En entendant çà, ma sœur et moi, on s’est mis à
pleurer, à crier qu’on ne voulait pas mourir, qu’on voulait vivre. Et tous les
autres se sont mis aussi à brailler. Ca a été un beau concert, surtout que nos
parents n’ont pas voulu être en reste et s’y sont mis aussi. A tel point que
les voisins ont tapé sur les murs. Il y en a même un qui est venu et qui a dit
à mon père que si le bordel continuait,
l’apocalypse allait arriver plus vite
que prévu.
Je suis retourné plusieurs fois sur Google pour
essayer de comprendre quelque chose sur cette foutue fin du monde. Mais je n’ai
rien trouvé, ou alors des trucs idiots ou incompréhensibles. En tout cas pour
moi.
Alors, j’en ai parlé à la CPE, au collège. Elle m’a
saoulé avec tout un discours sur la tolérance, sur le respect que l’on doit à
ceux qui ne pensent pas comme nous. Elle n’a rien compris, ce n’est pas ça que
je lui demandais. J’en ai parlé à Karim, un bon copain, et lui, il a commencé à
me saouler avec le Prophète. J’aurais dû me méfier, car depuis qu’il va à la
mosquée avec son grand frère, c’est tout juste s’il ne se ballade pas en
djellaba ! J’en ai parlé à d’autres copains après le cours de gym. Et là,
éclat de rire général et ils se sont tous foutus de moi.
Bref, le 21 décembre est passé. Ca n’a pas été une
journée très cool à la maison. Mes parents ont passé leur temps à prier, à lire
leurs foutus bouquins. Ils ne sont pas plus occupés de nous que si nous
n’avions jamais existé. Ma sœur et moi, on a changé les plus petits, on s’est
amusé avec eux, on a regardé la télé et des films. On a tous eu faim. Alors on
s’est attaqué aux provisions, surtout au Nutella. Mais trop de Nutella, ça
devient écœurant. Et on a tous vomi. Un peu partout. Ca ne sentait pas très bon
dans l’appart…
Le lendemain, nos parents nous ont fait une scène
terrible. Mais ils n’ont pas parlé de l’enfer. Ou des démons. Et, apocalypse ou
pas, il a fallu quand même aller au collège. Comme ils ont dit à la radio, la
fin du monde est remise à plus tard.
Nous avons continué de vivre comme avant avec des
prières, des lectures des livres saints. J’ai demandé à mon père pourquoi la
fin du monde n’avait pas eu lieu. Il alors joint les mains, a regardé vers le
ciel et m’a dit : « mon fils, les voies du Seigneur sont
impénétrables ». Maman m’a fait la même réponse.
Même s’ils sont un peu déjantés, je les aime bien
mes parents. Quand je parle avec mes copains de la vie qu’ils ont chez eux, je
me dis qu’ils doivent souvent s’ennuyer.
C’est vrai que tout le monde n’a pas la chance
d’avoir des parents fans de l’apocalypse.
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