vendredi 3 février 2012

le petit exercice littéraire du vendredi (5)

L'auteur que je vous propose aujourd'hui est relativement peu connu. C'est pourtant un historien qui a amené une nouvelle approche de la "chose" historique en France, mais aussi dans le monde entier. Sans pour autant avoir révolutionné la matière. Internet devrait pouvoir vous aider. Le nom de cet auteur et de son ouvrage: réponses dimanche dans la soirée, rubrique commentaires.

Lucien Febvre
Août 1914! Je me vois encore, debout dans le couloir du wagon qui nous ramenait, mon frère et moi de Vevey où nous avions appris dans la journée du 31 juillet la déclaration par l'Allemagne de l'état de guerre. Je regardais le soleil se lever, dans un beau ciel nuageux, et je me répétais à mi-voix ces mots, en eux-mêmes parfaitement insignifiants et qui me paraissaient pourtant lourds d'un sens redoutable et caché: "Voici l'aube du mois d'Août 1914." En arrivant à Paris, gare de Lyon, nous connûmes par les journaux l'assassinat de Jaurès. A notre deuil, une poignante inquiétude se mêla. La guerre semblait inévitable. L'émeute en souillerait-elle les prémices? Tout le monde sait aujourd'hui combien ces angoisses étaient injustes. Jaurès n'était plus. Mais l'influence de son noble esprit lui survivrait: l'attitude du parti socialiste le prouva aux nations.


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Henri IV, roi thaumaturge, touche les éscrouelles
Il est probable que tant que je vivrai, à moins que je ne finisse mes jours dans l'imbécillité, je n'oublierai jamais le 10 septembre 1914. Mes souvenirs de cette journée ne sont pourtant pas extrêmement précis. Surtout ils s'enchainent assez mal. ils forment une série discontinue d'images, à la vérité très vives, mais médiocrement coordonnées, comme un rouleau cinématographique qui présenterait par place de grandes déchirures et dont on pourrait, sans que l'on s'en aperçût, intervenir certains tableaux. Nous avions ce jour-là, sous un feu extrêmement violent de grosses artillerie et de mitrailleuses, progressé de quelques kilomètres, trois ou quatre sans doute, depuis dix heures du matin, jusqu'à six heures du soir. 
l'église du Bourg d'Helm
Nos pertes furent très fortes; elles montèrent pour ma compagnie, qui ne fut pas la plus éprouvée, à plus du tiers de l'effectif. Je ne sais si ma mémoire me trompe, mais il ne me semble pas que le temps m'ait paru très long. Ces effroyables heures ont passé assez vite. Nous nous avancions sur un terrain vallonné, d'abord semé de petits bois, puis tout à fait découvert. Je me souviens qu'au passage d'une haie j'interpellai assez rudement un homme qui s'était arrêté; il me répondit: "Je suis blessé"; il venait en effet d'être, sinon précisément blessé, au moins contusionné par un éclat. Ce fut le premier atteint. Plus loin, j'aperçus le premier cadavre. C'était un caporal qui n'appartenait pas à notre régiment. Il gisait sur une pente, tout crispé, la tête en contre-bas; et de sa marmite de campement, qui s'était ouverte dans la chute, des pommes de terre s'étaient échappées, s'égrenant sur le sol au-dessous de lui.

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Combien de temps sommes-nous restés dans ce repli de terrain? Combien de minutes ou combien d'heures? Je n'en sais rien. Nous étions serrés les uns contre les autres, entassés les uns sur les autres. Comme l'artillerie ennemie nous prenait de flanc, par la droite, le talus qui s'élevait devant nous ne nous offrait qu'un abri illusoire. Beaucoup d'hommes furent tués ou blessés. J'eus quelques temps à ma droite notre sergent-major, un gros garçon blond, de manières cordiales, rustique en son langage. Il avait été touché à la main; un linge ensanglanté emmaillotait ses doigts. La blessure était légère. Le pauvre homme fut tué vers la fin de la journée; mais je l'avais alors perdu de vue. 

Bronislaw Gérémek

L'esprit de curiosité, qui m'abandonne rarement, ne m'avait pas quitté. Je me souviens avoir remarqué pour la première fois que les fumées d'obus fusants ont une couleur ocre, à la différence de celles des percutants, qui sont très noires. Mais je trouvais que la guerre est une chose assez vilaine. Je jugeai que les visages d'hommes qui attendent la mort et la redoutent ne sont pas beaux à voir, et je me remémorai vaguement quelques pages de Tolstoï.

1 commentaire:

  1. il est vrai que ce n’était pas facile de trouver Marc BLOCH (1886 – 1944): « souvenirs de guerre 1914 -1915 (in M. Bloch, l’Histoire, la Guerre, la Résistance; éditions Gallimard pour GLM, pages 125 – 126, sous la direction de Annette Becker et Etienne Bloch). M. Bloch a été un des historiens qui a ouvert l’Histoire et à son étude à une autre dimension en ce sens qu’il a introduit le social,l’économique, voire une certaine sociologie. Avec Lucien Febvre, il a créé une revue, « les annales d’histoire économique et sociale » revue qui été à l’origine justement d’une nouvelle façon d’appréhender les différents champs historiques. Bloch a été titulaire de la chaire d’histoire économique à la Sorbonne. Résistant actif, il a été fusillé par les allemands en 1944.
    * Lucien Febvre: co-créateur de la revue avec M. Bloch d’où émergera le courant dit de « l’école des Annales ».
    * Henri IV: l’ouvrage majeur de M. Bloch, « les rois thaumaturges », écrit en 1924, traite des pouvoirs dits miraculeux attribués aux rois de France et d’Angleterre; Henri IV, roi populaire s’il en fut, allait souvent à la rencontre des « pestiférés » de l’époque à qui il apportait, à défaut de guérison, un réconfort certain;
    * église du Bourg d’Hem: commune de la Creuse où la famille Bloch avait une maison où l’historien venait souvent se reposer et travailler;
    *Bronislaw Gérémek: historien et homme politique polonais (1932 – 2008): il a été très actif dans l’émergence de la démocratie polonaise aux côtés du syndicat « Solidarité » et de Lech Walésa; il devait donner à Paris une conférence sur Marc Bloch et son oeuvre mais en fut empêché par le pouvoir polonais de l’époque.

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