mardi 29 janvier 2013

l'Apocalypse est en nous



Toujours dans le cadre des "cent jours après l'apocalypse", Patrick L'Ecolier publie mon second texte sur son site "Calipso".
Si l'aventure vous tente, vous pouvez vous aussi prendre la plume et lui envoyer votre texte. Je ne doute pas qu'il se fera un plaisir de le publier. Bonne lecture


Ma chère Amie,
 
Je lis et je relis votre lettre et je m’aperçois avec stupeur que vous n’êtes pas la femme rationnelle et cartésienne que je pensais. J’en veux pour preuve cette espèce de terreur que vous a inspirée la fin du monde annoncée pour le 21 décembre dernier. Vous, une femme si cultivée, si intelligente, comment avez-vous pu vous laisser abuser comme une midinette par cette mascarade ? Comment avez-vous pu un seul instant croire ces sornettes d’un autre âge ?
Il est vrai cependant que l’apocalypse n’est pas une vue de l’esprit, une invention de je ne sais quels prophètes de l’Antiquité. Parce que, ma chère Amie, elle existe, mais pas là où vous redoutiez qu’elle soit, mais plutôt dans l’Homme. Au cœur de l’Homme. Et vous remarquerez la majuscule à Homme.
Depuis que le monde est monde, et cela a commencé avec Caïn et Abel, les hommes se déchirent, se battent, s’entre-tuent. Sur chaque continent, dans chaque pays, parfois même dans chaque village. Et pour quelles raisons ? Pour quels motifs ? Pour de l’argent, pour le pouvoir et même pour des femmes. Parfois même pour rien, sinon pour le seul plaisir absurde de montrer sa force, d’étaler sa puissance.
Un philosophe anglais du XVIIe siècle, Thomas Hobbes je crois, a écrit dans un de ses ouvrages: « dans son état de nature, l’homme est un loup pour l’homme. » La modernité de cette phrase n’a rien perdu de son actualité, hélas. À ceci près que le loup tue pour se nourrir, pour vivre. Alors que l’Homme, lui, tue par orgueil, vanité ou pour le plaisir.
Voulez-vous des exemples ? Je n’en citerais que quelques-uns. La place et le temps me manqueraient pour les citer tous.
On a souvent affirmé que la première guerre mondiale avait été provoquée par l’assassinat d’un aristocrate à Sarajevo. Foutaises que cela ! Balivernes pour gogo ! En réalité, si cette abominable boucherie a été déclenchée, c’est parce que les Français, depuis la défaite de 1870, rêvaient d’en découdre ; mais aussi parce que le militarisme prussien, l’orgueil et la suffisance d’une caste militaire prussienne décadente, la morgue et l’aveuglement d’un monarque borné ont été la cause de la pire boucherie qu’il ait été donné aux hommes de subir.
Si cette guerre n’a pas été l’apocalypse, alors, qu’est-ce que l’apocalypse ?
Et comme si cela n’avait pas suffi, le monde est reparti dans sa folie meurtrière vingt ans plus tard, mais en montant de plusieurs crans dans l’horreur, dans le cauchemar, dans l’épouvante. D’Auschwitz à Hiroshima. Et là encore, pourquoi, bon dieu, pourquoi ? Parce que l’Homme porte en lui, au plus profond de lui la terreur infinie, l’horreur absolue ! Et comment appeler cela, sinon l’apocalypse ?
Mais aussi, comment ne pas parler de toutes ces guerres locales à travers le monde ? Ces guerres où des enfants sont enrôlés, de force, pour tuer leur propre père, leurs propres frères ; pour violer leur propre mère, leurs propres sœurs ! Ces guerres où des millions de pauvres gens sont affamés, empoisonnés, réduits à l’état de troupeaux errant d’une famine à une autre !
Ne s’agit-il pas, là aussi, de l’apocalypse ?
Et que dire de ces tueurs armés jusqu’aux dents et qui vont d’une école à une autre, d’une fête à une autre et qui tuent, qui massacrent le sourire aux lèvres !
Que dire aussi de ces obscurantistes qui lapident la femme adultère, qui coupent la main du voleur, qui brulent les livres, qui détruisent les temples qui font la richesse de l’Humanité ?
Oui, que dire de tout cela ?
Rien. Ou plutôt que cette apocalypse dont on nous a rebattu les oreilles ces derniers temps, une autre apocalypse est là, réelle, vivante, au cœur de l’Homme. Depuis la nuit des temps et jusqu’au moment où l’Homme par sa démesure et sa vanité se détruira lui-même.
Quand j’étais jeune, j’avais coutume d’affirmer haut et fort que si je n’attendais rien de l’homme, je croyais en lui, en son humanité, en son intelligence.
Mais les années passants, mes lectures et la réflexion aidant, je ne suis plus aussi optimiste et j’ai revu à la baisse cette vision quelque peu naïve de ma jeunesse : si je n’attends toujours rien de l’Homme, je ne crois plus du tout en lui.
D’ailleurs, que peut-on attendre d’un être qui porte si fièrement l’apocalypse au plus profond de lui ?
Je vous embrasse ma chère amie.
H.A.

lundi 21 janvier 2013

Le traité de l'Elysée: 22 janvier 1963.



les sceaux du traité de l'Elysée
Les gouvernements français et allemand s'apprêtent à célébrer en grande pompe le cinquantième anniversaire de la signature du Traité de l'Elysée le 22 janvier 1963 par Charles de Gaulle (1890 - 1970), Président de la République Française et Konrad Adenauer* (1876 - 1967), Chancelier de la République Fédérale d'Allemagne (RFA).

Que disait ce traité? Quelles étaient les motivations, les buts de ses auteurs?  C'est ce que je vais essayer d'expliquer dans ce billet.

Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, revenons quelques années en arrière.

Il n'est pas inutile de rappeler qu'il n'y a jamais eu de traité de paix entre la France et l'Allemagne, inutile en droit puisque l'Allemagne avait signé sa capitulation sans conditions* le 8 mai 1945 et que la France était partie prenante dans cette signature en la personne du Maréchal de Lattre de Tassigny.

Il n'est pas inutile non plus de rappeler que les deux pays en étaient à leur troisième conflit en moins d'un siècle, les deux derniers ayant entrainé le monde entier dans des folies meurtrières. Sans compter la ruine tant physique que morale de l'Europe.

Mais très vite, des hommes, des européens ont compris et décidé qu'il fallait mettre un terme une bonne fois pour toutes à ces conflits. Et pour cela, mettre en place des institutions au plus haut niveau des Etats, institutions qui empêcheraient tout retour à la guerre.

Ces hommes s'appelaient Jean Monnet* (1888 -1979), Robert Schuman* (1886 - 1963), Alcide de Gaspéri* (1881 - 1954), Paul-Henri Spaak* (1899 - 1972), Johan W. Byen* (1897 - 1976) et bien sûr Konrad Adenauer. Pour ne citer que les plus connus.
Jean Monnet
Robers Schuman
Alcide de gaspéri
Paul-henri Spaak
Johan Willem Beyen


Mais, il n'est pas difficile d'imaginer les difficultés rencontrées pour construire une Europe unie: des communistes qui rejetaient "une Allemagne revancharde" (Robert Schuman, en 1948, alors Président du Conseil, est accueilli par un "voilà le boche" par Jacques Duclos, député PCF) (1) aux gaullistes qui craignaient l'émergence d'une politique supra nationale, la tâche n'a pas été aisée.

Pourtant, dès le 9 mai 1950, Robert Schuman déclarait dans un discours que je qualifierai de fondateur: "L’Europe n’a pas été faite, nous avons eu la guerre. (...) L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord des solidarités de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que l’opposition séculaire de la France et de l’Allemagne soit éliminée. L’action entreprise doit toucher au premier chef la France et l’Allemagne."

Dans la foulée de ce discours, le 18 avril 1951 est signé le Traité de Paris qui fonde la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier* (CECA) entre six Etats: la France, l'Allemagne, l'Italie, la Belgique, le Luxembourg et les Pays Bas. Ce traité est le véritable commencement de "l'aventure européenne".

Face à la puissance militaire et politique de l'URSS, il est question du réarmement de l'Allemagne. Là aussi, très forte opposition du PCF, relayant en cela la politique soviétique. Un traité instituant la Communauté Européenne de Défense* est signé le 27 mai 1952 par six Etats, dont la France. Mais la ratification de ce traité est rejetée par l'Assemblée Nationale en août 1954 par les députés communistes et gaullistes, la moité des socialistes et des radicaux. "Le PCF et le RPF en furent des adversaires acharnés, le premier parce qu'il y voyait une opération anti soviétique, le second parce qu'il considérait comme une atteinte inadmissible à la souveraineté nationale dans un domaine aussi sensible que la défense nationale."(2) Rappelons qu'à cette époque, le Président du Conseil n'est autre que Pierre Mendès France qui vient de signer (en juin) les accords de Genève qui mettent à la guerre d'Indochine.

Pour autant, les "pro-européens" ne vont pas rester sur cet échec et se mettent à réfléchir à une nouvelle étape de la construction européenne: c'est le Marché Commun instituant la Communauté Economique Européenne (CEE). Le 25 mai 1957, le Traité de Rome* organise la CEE. Il est signé à Rome par les 6 mêmes Etats qui avaient créé la CECA. Il est à noter que le même jour, les mêmes Etats signent le traité qui fonde Euratom*.

Pourtant, dès l'origine, la légitimité des instances européennes est mise en cause, comme le souligne Jean Louis Quermonne* (que j'ai eu comme professeur de sciences politiques à l'IEP): "Guidée par la volonté des auteurs des traités d'établir un pouvoir chargé de dégager l'intérêt général de l'Europe, cette forme de légitimité fait l'objet de deux séries de critiques. (...) La deuxième critique, plus pertinente, a eu recours au spectre de la technocratie. Elle a alimenté les polémiques du général de Gaulle à l'encontre de "l'aéropage technocratique" qui visait, selon lui, à se substituer au pouvoir légitime des Etats." (3) 

Mais, quand on se souvient que la capitulation allemande remonte à douze années, on mesure le chemin parcouru: parti de rien, l'idéal européen de quelques uns a  abouti à l'ébauche d'une Europe en devenir.


Charles de Gaulle, ex chef de l'ex RPF, retiré à Colombey les deux Eglises, a t-il  vraiment été opposé à la mise en place du Marché Commun? Je ne le pense pas, sans en être toutefois certain. Sans doute était-il farouchement opposé à toute idée de supranationalité. Ainsi qu'il l'a déclaré à Alain Peyrefitte le 27 janvier 1960: "Moi, je veux l'Europe pour qu'elle soit européenne, c'est-à-dire qu'elle ne soit pas américaine. (...) Reprenez mes textes d'avant-guerre, de la guerre et de l'après-guerre, vous constaterez que j'ai toujours préconisé l'Union de l'Europe. Je veux dire l'union des Etats européens. (...) Je souhaite l'Europe, mais l'Europe des réalités. C'est-à-dire celle des nations - et des Etats qui, seuls, peuvent répondre des nations." (4)

Dans le premier tome de ses Mémoires d'espoir", Charles de Gaulle écrit: "En attendant, la République fédérale doit jouer un rôle essentiel au sein de la Communauté économique et, le cas échéant, du concert politique des Six." (5)


Charles de Gaulle et Konrad Adenauer

A la lecture de ces lignes, on comprend mieux la genèse du Traité de l'Elysée.

Il va donc entreprendre résolument une politique de rapprochement avec la RFA. Même si l'opinion publique allemande de cette époque avait à son égard plus que de la méfiance. Pour commencer, il invite le chancelier fédéral à la Boisserie: "Il me semble, en effet, qu'il convient de donner à la rencontre une marque exceptionnelle et que, pour l'explication historique que vont avoir entre eux, au nom de leurs deux peuples, ce vieux Français et ce très vieil Allemand, le cadre d'une maison familiale a plus de significations que n'en aurait le décor d'un palais. Ma femme et moi faisons donc au Chancelier les modestes honneurs de la Boisserie." (6)

Les 14 et 15 septembre 1958 - de Gaulle n'est encore "que" président du Conseil - les deux hommes d'Etat sont seuls à la Boisserie, leurs ministres et leurs conseillers étant restés à la préfecture de Chaumont. Le courant passe très vite entre les deux hommes. Tous les sujets sont abordés, y compris les divergences comme par exemple la différence d'appréciation sur les rapports avec les alliés américain et britannique. Mais l'essentiel n'est pas là: il est dans la volonté des deux hommes de tourner définitivement la page du passé et d'ouvrir celles de l'avenir.

A son retour en Allemagne, le chancelier déclare:" Il (de Gaulle) était bien informé de l'ensemble des affaires mondiales et particulièrement conscient de la grande importance de la relation franco-allemande, tant pour les deux pays considérés que pour toute l'Europe et, partant, pour le reste du monde... Je m'était représenté de Gaulle tout autre que je le découvris." (7)

Dans ses "Mémoires d'espoir", de Gaulle écrit: "Plus tard et jusqu'à la mort de mon illustre ami, nos relations se poursuivent suivant le même rythme et avec la même cordialité. En somme, tout ce qui aura été dit, écrit et manifesté entre nous n'aura fait que développer et adapter aux évènements l'accord de bonne foi conclu en 1958. (...) A travers nous, les rapports de la France et de l'Allemagne s'établiront sur des bases et dans une atmosphère que leur histoire n'avait jamais connues." (8)

Il me semble que tout est dit. La France et l'Allemagne ont donc, une bonne fois pour toutes, tourné la page de siècles d'affrontements. Cette réconciliation vient à point nommé pour que l'Europe, voulue par les pères fondateurs, prenne toute sa place dans le concert des nations.

Il y aura de multiples voyages du Président de Gaulle en Allemagne et du Chancelier Adenauer en France. Au-delà des portées symboliques de ces échanges, il faut y voir la volonté commune de mettre en place les fondements des politiques de coopération franco-allemande, elles-mêmes fondements des politiques de coopération européenne.

Le traité de l'Elysée* sera l'aboutissement logique de cette volonté.

Ce traité sera un catalogue d'une vingtaine de paragraphes, rédigés de façon claire, qui concernent, outre les détails de son organisation, les principaux domaines politiques:  A. la politique étrangère; B. la défense; C. l'éducation et la jeunesse.

Concernant la défense, les deux Etats s'engagent à harmoniser leurs industries d'armement, à organiser des échanges de personnel et à effectuer des rapprochements de leurs doctrines militaires.

Concernant l'éducation et la jeunesse, l'enseignement mutuel des langues sera la règle, tout comme les équivalences des diplômes; la recherche scientifique sera développée. Un programme d'échanges d'étudiants sera développé par un organisme commun.

Concernant la politique étrangère, les deux gouvernements s'engagent à se consulter avant de prendre une décision concernant entre autres la politique européenne ou les relations avec les alliés; de même pour les politiques de coopération ou la politique agricole.

Mais c'est le premier chapitre, celui de la politique étrangère qui va poser problème. Le Chancelier Adenauer aurait voulu ajouter un paragraphe concernant la politique de coopération avec les Etats Unis. Refus de président de Gaulle qui, au contraire, voulait, sinon exclure, du moins réduire l'influence de l'allié américain.

Ce refus ne sera pas sans conséquences. En effet, avant de le ratifier, le Bundestag ajoute au traité initial un préambule qui rappelle la "fidélité indéfectible de la RFA vis à vis de l'Alliance Atlantique", mais aussi une référence poussée à la Grande Bretagne dans le cadre de la construction européenne. Ce préambule qui détourne le traité de son objectif initial, à savoir, l'émergence d'une Europe réellement européenne, sans lien de dépendance extérieure, ramène le traité, selon les mots de Charles de Gaulle à une "aimable virtualité."

Est-ce à dire pour autant que ce traité est mort né? Dans son esprit, certainement. Mais pas tout à fait dans sa lettre.

Dans son esprit parce que ce préambule vidait de son sens l'article 1 du paragraphe relatif à la politique étrangère: en effet, à quoi cela sert-il de se consulter sur un sujet comme les relations avec l'OTAN où il ne peut y avoir d'entente?

Dans sa lettre, les politiques de coopération concernant la jeunesse et l'éducation ont été mises en place et il me semble qu'ERASMUS* en soit une des conséquences. Dans le domaine de la défense, la brigade franco allemande créée en 1989 également.

Mais en réalité,  le Président de Gaulle n'avait signé ce traité que pour en faire l'outil de sa politique européenne, farouchement détachée des influences nord américaines et britanniques. A ses yeux, la seule idée d'une Europe supra nationale était quasiment une insulte. La politique européenne menée jusqu'à son départ en avril 1969 en sera la démonstration permanente.

Il n'en reste pas moins que la dimension politique autant que symbolique d'un tel traité n'est pas sans signification. Les différents gouvernements qui se sont succédé depuis 1963 ont tous eu à coeur de ne pas briser l'élan voulu par le traité, même si, pour y parvenir, les méthodes ont pu être quelque peu iconoclastes.

Les médias qui évoquent le cinquantième anniversaire du traité et qui analysent ce traité, ses motivations et ses résultats, ces médias sont parfois ironiques, voire condescendants. Après tout, pourquoi pas? Sauf que ces médias-là oublient l'essentiel: le traité de l'Elysée, voulu par deux hommes d'Etat que tout séparait, sauf leur volonté commune de mettre définitivement fin à des siècles de tueries entre leur deux nations, ces deux hommes donc ont permis à l'Europe de se construire autre part que sur un lit de sable.

Rien que pour cela, il convient de donner au traité de l'Elysée la place qui lui revient: centrale.

* clic sur le lien

(1) in "de Gaulle, le politique", de Jean Lacouture, page 324, éditions du Seuil. 1985.
(2) in "Histoire Politique de la France depuis 1945" de Jean-Jacques Becker, page 69, éditions Armand Colin, collection Cursus Histoire, 2011.
(3) in "l'Europe en quête de légitimité" de jean Louis Quermonne, page20, éditions des Presses de Sciences Po, 2001.
(4) in "C'était de Gaulle" de Alain Peyrefitte, page 61, éditions de Fallois, 1994.
(5) in "mémoires d'espoir" de Charles de Gaulle, page 185, éditions Rencontre, 1970.
(6) ibid, page 186
(7) in "de Gaulle, le politique", page 638.

(8) in "Mémoires d'espoir" pages 193 - 194.

mercredi 9 janvier 2013

Au coeur de l'Apocalypse.


Patrick L'Ecolier (http://calipso.over-blog.net/) a eu la bonne idée de renouveler l'exercice qu'il avait initié l'année dernière, à savoir les cent jours qui précèdent l'élection présidentielle (voir mon billet du 7 décembre 2012: http://claudebachelier.blogspot.fr/2012/12/les-cent-derniers-jours-le-livre.html). Cette fois-ci, il nous a proposé d'écrire un texte relatant les cent jours qui suivent ce qui aurait du être la fin de notre monde le 21 décembre, ou si vous préférez les cents jours qui suivent ce qui aurait du être l'apocalypse.
Il me fait l'amitié de publier le texte qui suit:

Bien cher ami,

J’espère que ma lettre vous trouvera en bonne santé, physique autant que morale. Pour ma part, le physique va plutôt bien : à quatre-vingt-quatorze ans, je ne peux pas demander l’impossible. Par contre, pour le moral, ça, c’est autre chose. Vous savez que j’ai toujours été quelqu’un d’optimiste, mais pour le coup, depuis l’élection du nouveau Président, j’ai, comme on dit un peu familièrement, « le moral dans les chaussettes. »

En effet, depuis que le cardinal Henri de Brignan a été élu Président de la République, tout est bouleversé. Permettez-moi de vous décrire en détail la situation. Sans toutefois trop m’appesantir.

Le premier geste politique du nouveau Président a été de nommer l’iman Cheik Abdul El Rackary Premier Ministre. Ce dernier a composé son gouvernement avec uniquement des personnalités toutes issues du monde religieux : cinq catholiques, dont le ministre de l’Éducation Nationale ; quatre musulmans, dont le ministre de l’Intérieur ; quatre juifs dont le ministre des Affaires Etrangères ; deux protestants, dont le ministre de l’Économie ; un témoin de Jéhovah, ministre de la Santé ; un mormon, ministre du Commerce et un sikh ministre des Armées. Et bien sûr, pas la moindre femme.

Vous me direz avec raison que ce n’est pas vraiment une surprise, de Brignan l’avait annoncé bien avant d’être élu. Et, hélas, personne ne peut nier qu’il a été élu dès le premier tour avec plus de 65% des voix.

Cela dit, et sans être mauvais perdant, cette élection, exclusivement via internet, me paraît suspecte. D’abord parce que ce sont des entreprises américaines liées au Tea Party et à la Congrégation Saint Nicolas du Chardonnet qui les ont mises en place, organisées et contrôlées. Ensuite, parce que ce sont des chaines de télévision contrôlées par Civitas qui ont annoncé les résultats, deux heures avant la fin du scrutin.

Mais, de toute façon, triche ou pas, l’époque est à la religion : les églises, les mosquées, les temples, les synagogues ne désemplissent pas. Il y a même une liste d’attente longue comme le bras pour aller à Lourdes. Sans parler de celle pour se rendre à La Mecque. Et ce phénomène, hélas, n’est pas que français. Tous les pays se sont donnés des gouvernements religieux, y compris l’Albanie, c’est dire ! Gouvernements élus à de fortes majorités, via internet, comme il se doit ! Je n’explique pas ce phénomène. Je me souviens quand même qu’il a commencé au début du siècle. Il y a deux ans, j’avais signé des pétitions et même défilé à plusieurs reprises pour dénoncer une directive de la Commission Européenne imposant le vote électronique dans tous les pays de l’Union Européenne. Mais pétitions et manifestations n’ont servi à rien, d’autant qu’elles n’ont pas rencontré les succès escomptés par leurs organisateurs.

Cette épidémie de religiosité est planétaire, vous le savez, j’imagine. Après l’Amérique du Nord – les Etats Unis sont dirigés par un mormon, le Canada par un sikh et le Mexique par un prêtre issu de l’Opus Dei – c’est l’Amérique du Sud qui s’est abandonnée dans les bras des catholiques et des évangélistes, imitée en cela par l’Amérique Centrale. Même chose en Asie, livrée aux bouddhistes de toutes obédiences. Quant à la Russie, il y a belle lurette que l’Église orthodoxe avait placé ses pions en la  personne d’un ancien officier du KGB qui s’est effacé lorsqu’elle lui en a donné l’ordre.

En Afrique, tous les pays sont dirigés par des évêques ou des imans. La seule différence avec les autres pays, c’est que les religieux qui n’ont pas été élus accusent ceux qui l’ont été d’avoir organisé des fraudes massives. Encore que tous n’ont pas été élus puisque la pratique du coup d’état est encore bien pratiquée là-bas. De ce côté-là, rien de nouveau sous le soleil.
Le paradoxe – mais en est-il vraiment un ? – est que seuls les États qui ont échappé à ce tsunami religieux sont les États communistes : la Chine, le Vietnam, la Corée du Nord et Cuba, là où vous résidez.

À partir de ce constat, certains chez nous affirment que la Démocratie ne fait pas le poids face aux religions. Il est vrai que même la France, malgré la loi de 1905, a été submergée.
D’ailleurs, à peine nommé, le gouvernement a organisé un référendum où deux questions étaient posées : « voulez vous que la Loi de séparation entre les églises et l’État soit abrogée ? » et « acceptez-vous la nouvelle Constitution qui fonde la VIe République ? »

Le « oui » l’a emporté dans les deux cas à plus de 80%. Donc, maintenant, la France est devenue la fille ainée des religions !
Au début, on était plutôt dans le « tout le monde il est beau, tout le monde, il est gentil. » Mais cela n’a pas duré : dès la mise en place de la nouvelle Constitution, tous les syndicats, tous les partis politiques, toutes les associations ont été dissous. Sauf celles et ceux qui, selon les nouvelles autorités, « pensent bien. »
De nouvelles pièces d’identité ont été imposées sur lesquelles doit obligatoirement figurer l’appartenance à une communauté religieuse. Comme par hasard, ceux qui se déclarent « sans religion » mettent un temps infini à recevoir le document pourtant indispensable, car les contrôles dans la rue par les policiers du service dit des « bonnes mœurs » sont permanents et tatillons. Ceux qui ne peuvent prouver leur identité sont emmenés au poste, manu militari !

Les fonctionnaires sans appartenance religieuse ont été licenciés, y compris les universitaires, les diplomates, les militaires ou les magistrats.

Toutes les bibliothèques ont été purgées de leurs ouvrages jugés licencieux par tout ce que notre pays compte de grenouilles de bénitier, regroupées dans le « Conseil Supérieur de la Litterrature. » Rien que la dénomination de ce groupuscule fait froid dans le dos. Ce conseil n’a pas encore fixé la date des futurs autodafés, mais je ne doute pas que cela ne devrait pas tarder.

Chaque entreprise, y compris les plus petites, est tenue de laisser à ses salariés le temps nécessaire pour leurs prières quotidiennes. Les cantines publiques – il n’en reste qu’une centaine sur tout le territoire – ou privées se doivent de tenir compte des différents interdits religieux pour composer les repas.

Toutes les fêtes nationales, du type 14 juillet ou 11 novembre ont été supprimées au profit des fêtes religieuses. D’ailleurs, les jours de congé religieux ont explosé, chaque église voulant avoir les siens propres. Étant entendu cependant qu’un musulman ne pourrait être en congé pour Noël ou qu’un catholique ne pourrait l’être pour l’Aït Al-Kabïr. Ce qui n’est pas sans désorganiser nombre d’entreprises et de commerces.
Les femmes, bien sûr, ont été renvoyées dans leurs cuisines. Elles peuvent encore voter, mais le mari se doit de contrôler le vote. Le mari, car seul le mariage est reconnu, toutes autres formes d’union entre homme et femme est prohibée. Quant à la contraception, elle est rigoureusement interdite, et je n’évoque même pas l’avortement, redevenu un péché mortel et comme tel voué aux gémonies célestes et poursuivi devant des tribunaux religieux ! Il est inutile de préciser que les homosexuels sont particulièrement pourchassés et tous les mariages qui les concernaient ont été annulés. 

La liste est encore fort longue de tous ces bouleversements. Et je préfère en rester là, je ne voudrais pas vous importuner avec cette liste à la Prévert.

Vu mon grand âge, personne ne peut me faire un trou là où j’en ai déjà un. Vous voudrez bien excuser cette familiarité, mais elle me rappelle trop cette liberté de ton de ma jeunesse, celle où l’on pouvait chanter la carmagnole ou les filles de Camaret ou lever le poing au ciel sans qu’un cureton ou un ayatollah ne vienne me faire sa morale ou m’envoyer dans un camp de rééducation religieuse.

Malraux aurait dit que « le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas ». À supposer qu’il l’ait vraiment dit, il ne pouvait imaginer combien il avait raison et surtout l’ampleur que cela prendrait !

Tout ça pour vous dire, mon cher ami, que je compte demander l’asile politique aux autorités politiques de Cuba et que je compte bien avoir votre aide pour faire aboutir ma demande.
 
Bien à vous.
Votre dévoué,
VH

Soixante ans..... Déja!!!!

 Soixante ans..... Déjà!!!!!