samedi 28 avril 2012

"les secrets de l'isoloir" de Alain Garrigou.


Je ne vous apprendrai rien en écrivant que nous sommes en période électorale et que d'ici la mi-juin, il nous faudra aller voter trois fois, une pour élire le Président de la République et deux autres pour élire les députés. Après avoir voté le 22 avril pour le premier tour.

Isoloirs à Vaulnaveys le Haut (38)
Nous avons donc pris les bulletins de vote, une enveloppe, glissé le bulletin dans cette enveloppe, puis nous sommes passés par l'isoloir avant que d'aller déposer notre enveloppe dans l'urne. Cette procédure, ces gestes pour remplir notre devoir électoral nous paraissent banals, anodins, tant ils nous sont familiers.

Pourtant, pour en arriver à cette banalité, à ces habitudes, il a fallu de longues années et de rudes combats pour passer d'un vote contrôlé à un vote libre. Un des éléments, et pas des moindres, de ce vote libre était le passage par l'isoloir. Il a fallu attendre le 24 juillet 1913 pour qu'une loi, votée à l'unanimité des députés et sénateurs, impose l'usage de cet "objet innommé", ainsi que le raillait ses détracteurs.

Je me propose dans ce billet de vous raconter ces longues années et ces rudes combats. Pour cela, je me suis référé à un "petit" livre passionnant, "les secrets de l'isoloir", écrit par Alain Garrigou, professeur de sciences politiques à Paris Ouest Nanterre. ( "les secrets de l'isoloir, Alain Garrigou, éditions "LE BORD DE L'EAU", 74 pages, 8€)

Du vote contrôlé au vote libre.

Remontons quelque peu dans le temps. Jusqu'en 1848, le vote était censitaire, c'est-à-dire que ne pouvaient voter que les hommes qui payaient le "cens", l'impôt sur la propriété. Donc uniquement des gens riches et sachant lire et écrire.

Inscrit dans la Constitution de 1793, mais jamais appliqué, le suffrage universel libre et secret a fait l'objet d'un décret le 5 mars 1848, juste après le renversement du "roi bourgeois" Louis Philippe et mis en oeuvre lors des premières élections législatives de la II ème République en Avril 1848. Tous les hommes majeurs pouvaient donc voter! Ce qui ne s'est pas fait sans opposition: ainsi, dans "la République souveraine" René Rémond écrit: Les adversaires dénonceront l'absurdité d'un système qui fait dépendre les décisions les plus importantes pour l'avenir de la patrie du nombre et qui, en vertu de la maxime "un homme, une voix", accorde le même pouvoir à l'illettré et au professeur au Collège de France."(1) Pourtant, événement considérable, autant par sa portée politique que par la composition du corps électoral qui passait de 246 000  à plus de... 8 millions d'électeurs!!

 « Ça c'est pour l'ennemi du dehors, pour le dedans, voici comme l'on combat loyalement les adversaires ... »
L'urne et le fusil, gravure de M.L. Bosredon, avril 1848
L'élection de l' Assemblée Constituante en avril 1848 fut assurée par près de 80% du nouveau corps électoral, même si les trois quarts des élus à cette assemblée appartenaient à l'ancienne chambre, élue au suffrage censitaire.

Il s'est alors dégagé, en quelque sorte, un nouveau scénario, plus particulièrement pour les nouveaux candidats, celui de "faire campagne". Il s'agissait de se faire connaitre et de faire connaitre son programme. Toutefois, les notables installés jugeaient indigne cette façon de faire qu'ils assimilaient peu ou prou à de la corruption. D'autant que la pratique des "agents électoraux" s'est développée fortement. Ces agents, payés par les candidats, distribuaient les bulletins, vantaient les mérites de leurs "clients", mais aussi, n'hésitaient pas à emmener les futurs électeurs au bistrot du village. Offrir à boire devenait petit à petit une obligation, avec toutes les conséquences que l'on peut imaginer. Mais, heureusement, au fur et à mesure que se développait l'usage de la campagne électorale, le recours à ces "cabaleurs" diminuait pour complètement disparaitre à la fin du XIX ème siècle.

Mais dans une France encore très rurale, l'émancipation des électeurs n'allait pas vraiment de soi puisque soumis à de fortes pressions extérieures. Alain Garrigou en répertorie trois: la pression patronale; la pression cléricale; la pression gouvernementale. On comprend facilement que pour la première, c'est le chantage à l'emploi, chantage d'autant plus efficace qu'il n'y avait quasiment pas de lois de protection des travailleurs; dans la seconde, les curés n'hésitaient pas à refuser les sacrements ou à promettre l'enfer à ceux qui oseraient voter républicain ou contre le notable local. Et même bien souvent à intervenir auprès des épouses, lesquelles épouses refusaient le devoir conjugal. Ce qui, d'après l'auteur, contribua longtemps à entretenir l'hostilité des élus républicains au vote des femmes, trop soumises selon eux aux influences cléricales. Quant à la pression gouvernementale, elle se manifestait pas le soutien des préfets aux candidats proches du pouvoir, y compris républicain.

Mais, me direz-vous, comment ces pressions pouvaient-elles s'exercer, dès lors que le vote était libre et secret? De différentes façons, une des plus efficaces et pratiquées étant les pouvoirs du président du bureau de vote.

La procédure en vigueur à cette époque obligeait l'électeur à donner son bulletin de vote au président, lequel président introduisait le bulletin dans l'urne électorale. Mais les bulletins, tous différents puisque payés par les seuls candidats, étaient facilement reconnaissables et permettait au président de savoir pour qui l'électeur avait voté. On voit par là que le secret du vote n'était donc que théorique, d'autant que le président du bureau de vote et ses assesseurs n'étaient jamais choisis au hasard, mais en fonction des influences des notables locaux.
Le vote n'était donc plus vraiment contrôlé, mais il n'était pas encore secret. D'où la nécessité de réformer la procédure.

La bataille de l'isoloir.

Les fraudes étaient alors, sinon massives, du moins très importantes: bourrage des urnes, achat de votes, bulletins annulés par le président du bureau. Certes, en début de chaque législature, une commission parlementaire examinait les résultats et parfois annulait certaines élections.
Dès les années 1860, des élus républicains décidèrent qu'il fallait assurer une réelle liberté du vote, en renforçant le secret de ce vote et qu'il fallait donc modifier en profondeur la procédure. Donc, en premier lieu, non seulement imposer le vote sous enveloppe, mais aussi mettre en place un isoloir où l'électeur pourrait en toute tranquillité mettre son bulletin (tous désormais identiques) dans l'enveloppe et glisser lui-même cette enveloppe dans l'urne électorale.

isoloirs à NYC en 1900 (au fond à gauche)
Les premiers isoloirs furent installés en Australie dès 1857, aux USA en 1891, en Allemagne en 1903, en Belgique en 1877, au Royaume Uni en 1872, même si pour ces deux derniers Etats, le vote était encore censitaire.
En France, la première proposition date de 1863. Les oppositions se déclarèrent très vite, aussi diverses que nombreuses. Certaines d'entre elles venant de députés élus dans des circonstances douteuses. L'humour, l'ironie furent des armes aux mains des opposants en affublant l'isoloir de divers sobriquets: "cabanon, cellule, roulotte, objet innommé, couloir d'écoulement..." Toute une panoplie donc, destinée à ridiculiser et l'objet  lui-même et son utilisation.

Les partisans de la réforme ne baissaient pas pour autant les bras. En 1882, le sénateur Léonard CORENTIN-GUYHO, dans un rapport, proposa une nouvelle ébauche de réforme où bulletin de vote sous enveloppe et isoloir seraient liés: "l'Electeur prend lui-même une enveloppe dans une corbeille sous les yeux du bureau et le bureau veille à ce qu'il n'en prenne qu'une seule (non gommée). Dans les angles de la salle, il sera disposé un ou plusieurs isoloirs au moyen de rideaux, paravents ou cloisons en planches dérobant entièrement l'Electeur au regard, dans lequel les Electeurs ne seront admis que l'un après l'autre et où l'Electeur devra introduire le bulletin apporté par lui dans l'enveloppe uniforme.  Après quoi, il devra sans désemparer venir lui-même déposer directement son enveloppe dans l'urne."(2) On ne saurait être plus précis. Pas plus que les autres, cette proposition ne fut retenue. Il y eut d'autres débats, tout aussi infructueux.

Finalement, le 24 juillet 1913, la loi instituant les éléments phares de la réforme du code électoral fut promulguée, après avoir été votée à l'unanimité à la Chambre des députés et sans décompte au Sénat!

Il avait donc fallu plus de cinquante ans, des centaines  d'heures et des dizaines de débats pour en arriver là, qui plus est à l'unanimité. On peut, légitimement, se poser la question de savoir pourquoi cela avait prit tant de temps.

Alain Garrigou nous propose plusieurs pistes:

- une réaction de castes de la part de parlementaires pour qui "l'honneur exige la visibilité". (page 43) C'était, pour certains d'entre eux, une procédure humiliante. Ainsi, Théodore Girard en 1905 affirmait: "je me demande quelle idée vous vous faites de la dignité et de l'indépendance de l'électeur."(3) D'autres, tel Charles Ferry, frère de Jules, s'interrogeait-il sur "la possibilité de voter dans l'obscurité la plus complète."

- un sentiment de supériorité sociale: certains élus considéraient que l'électeur ne pouvait raisonnablement choisir sans être "conseillés" ou "guidés." Auquel s'ajoutait un espèce de paternalisme: ainsi Charles Ferry n'affirmait-il pas en 1898 en parlant des paysans: "ils pénètrent dans le local, ils cherchent à introduire dans l'enveloppe le bulletin. Combien, de leurs doigts durcis par le travail, déchireront l'enveloppe pour faire cette opération délicate qui aura lieu souvent dans l'obscurité la plus complète."(4)

- la corrélation entre le refus de l'isoloir et l'ancienneté: plus un parlementaire était ancien dans son mandat et plus il était hostile. Sans oublier bien sûr l'appartenance à tel ou tel parti: les élus les plus anciens étaient le plus souvent issus des partis conservateurs. Mais pas uniquement eux, affirme Alain Garrigou: les élus modérés, après avoir conquis la majorité en 1876, se sont coulés dans le moule électoral qu'ils n'avaient pourtant pas été les derniers à dénoncer.

- la corrélation entre le refus de la réforme et la propriété foncière: là où étaient les élus propriétaires fonciers (Bretagne) ou industriels (Nord), le refus de la réforme était très marqué.

Au-delà de l'aspect technique de cette réforme avec la mise en place physique d'un isoloir, "l'électeur affirme sa pleine souveraineté" ainsi que l'affirme A. Garrigou (page 59). A mon sens, là est l'essentiel: le citoyen est devenu pleinement électeur et ne saurait déléguer à qui que ce soit le geste fondamental de choisir ses représentants.

Ces longues années, ces rudes combats furent donc nécessaires pour affirmer le secret du vote, essentiel dans une démocratie, et ont installé la République dans la conscience des citoyens. A. Garrigou écrit que "le secret donne de l'importance au statut d'électeur." (page 55)

Aujourd'hui, en principe, plus personne ne remet en cause l'existence du suffrage universel, libre et secret. Notre rapport à ce suffrage a certes changé au cours des années. Oserais-je écrire qu'il est devenu banal et qu'il a perdu de sa sacralisation, à tel point que certains beaux esprits ne le considèrent pas comme étant l'élément central de la Démocratie et parfois,  vont même jusqu'à affirmer que la Démocratie n'est pas soluble dans tous les peuples! Ainsi va l'existence fragile et tourmentée de la Démocratie!

La prochaine fois que vous irez voter, attardez vous quelques instants sur cet objet banal et moche: l'isoloir. Et quand vous serez à l'intérieur et que vous glisserez votre bulletin dans l'enveloppe, rappelez vous que ce geste et cet endroit ne sont pas innocents, mais fondateurs et continuateurs de notre vie démocratique.


(1). in la République Souveraine. La vie politique en France. page 26. René Rémond. Editions Fayard. 431 pages.
(2). archives nationales (C320)
(3). JO, Sénat, 20 juin (1905)
(4). JO, Ass. Nat. 1er avril  1898
crédits photos: 
isoloir: inconnu
isoloir à NYC: E. Benjamin Andrews 1912
gravure Bosrédon: BNF

vendredi 27 avril 2012

le petit exercice littéraire du vendredi (11)


Cette semaine, je vous propose un auteur à la fois écrivain, poète, aventurier, voyageur. Peu connu malgré tout, même si son nom vous dira quelque chose. Donc, deux textes, aussi différents l'un de l'autre, mais qui illustrent parfaitement la complexité de cet auteur, truculent autant que sensible, déconcertant autant que passionné. Le nom de cet auteur et les titres des deux extraits. Réponses dimanche dans la soirée. Bonne lecture.



Fernand Léger
1. Mille millions d'individus m'ont consacré toute leur activité d'un jour, leur force, leur talent, leur science, leur intelligence, leurs habitudes, leurs sentiments, leur cœur. Et voilà qu'aujourd'hui j'ai le couteau à la main. L'eustache de Bonnot. "Vive l'humanité!" Je palpe une froide vérité sommée d'une lame tranchante. J'ai raison. Mon jeune passé sportif saura suffire. Me voici les nerfs tendus, les muscles bandés, prêt à bondir dans la réalité. J'ai bravé la torpille, le canon, les mines, le feu, les gaz, les mitrailleuses, toute la machinerie anonyme, démoniaque, systématique, aveugle. Je vais braver l'homme. Mon semblable. Un singe. Œil pour œil, dent pour dent. À nous deux maintenant. À coups de poing, à coups de couteau. Sans merci, je saute sur mon antagoniste. Je lui porte un coup terrible. La tête est presque décollée. J'ai tué le Boche. J'étais plus vif et plus rapide que lui. Plus direct. J'ai frappé le premier. J'ai le sens de la réalité, moi, poète. J'ai agi. J'ai tué. Comme celui qui veut vivre.


Abel Gance
2.
- Vérole!... disait l'homme en ahanant, et il travaillait la femme, vérole!...
- Tu me fais mal!... disait la femme en se tortillant, en se coulant, en se lovant, écartant les jambes puis les nouant dans le dos de l'homme, s'appuyant sur les coudes pour effectuer une subtile reptation, un mouvement de torsion pour arriver à chevaucher sans désemparer l'homme, maintenant à moitié chaviré sous elle.
Tarsila do Amaral
- Ah! tu veux le faire à la turque?... Vérole!... Tiens, je vais te l'apprendre... Tiens, tiens et tiens...Constantinople!... et se retournant avec une brusquerie inouïe, l'homme se dégagea d'un tour de reins de l'enlacement de la femme, mais sans lâcher prise et, rendu furieux, embrochait à fond la vieille essoufflée, maintenant étendue en travers de la couche, la tête sur le plancher comme une autruche la tête dans le sable, ne comprenant rien à ce que l'homme voulait lui faire et entreprendre avec ce qui lui restait de son corps au lit, s'attendant à Dieu sait quoi d'autres..., des coups, des caresses, des morsures, des crachats,... le viol!... et elle râlait, gloussait, gémissait, roucoulait, proférant des injures et des gros mots, guettant, provoquant la volupté qui allait foudroyer son partenaire, y prenant une part active, quoique rebelle, pour mieux l'accaparer et en jouir sans en perdre une goutte en un point secret de son être porté à l'incandescence..., cependant que là-haut, l'homme n'arrêtait pas de lui flanquer de gnons, de la tourner et de la retourner, toujours emmanchée, de la faire virer plusieurs fois sur elle-même comme empalée sur un pivot, de lui foutre le vertige, si bien que la femme ne savait plus au juste où elle était quand sa tête revint comme une vesse pour la deuxième fois au tapis, le talon nu de l'homme lui portant une rouste sur le museau, ce qui lui fit sauter son dentier hors de la bouche, lequel dentier faillit l'éborgner avant d'aller rouler sous un fauteuil, alors que le beau dard du mâle la brûlait à une profondeur insoupçonnée, s'implantant parmi ses plis et replis, se frayant un chemin inédit dans le ventre, la faisant hoqueter, la compénétrait.

vendredi 20 avril 2012

le petit exercice littéraire du vendredi (10)

Une femme, cette semaine. Une femme qui a marqué de son empreinte la science politique et la philosophie du XX ème siècle. Elle a su, avant tout le monde, avec une lucidité exceptionnelle, analyser les systèmes politiques qui ont ravagé ce siècle. Pourtant reconnue comme une intellectuelle de renommée internationale, son premier ouvrage ne fut traduit en France qu'en 1973. Le nom de cet auteur et le titre de l'ouvrage. Réponses: dimanche en fin d'après midi, en tout cas avant 20H00...





Rien ne caractérise mieux les mouvements totalitaires en général, et la gloire de leurs chefs en particulier, que la rapidité surprenante avec laquelle on les oublie et la facilité surprenante avec laquelle on les remplace.
le camp de réfugiés de Gurs en 1939
 Ce que Staline accomplit laborieusement, en beaucoup d'années et au moyen d'implacables luttes intestines et de concessions immenses au moins au nom de son prédécesseur (précisément pour établir sa légitimité comme héritier politique de Lénine), les successeurs de Staline essayèrent de le faire sans concession au nom de leur prédécesseur.  Pourtant, Staline avait disposé d'une période de trente ans , et il avait pu manipuler, pour immortaliser son nom, un appareil de propagande inconnu du temps de Lénine. 
procès d'Adolf Eichman
Il en va de même de Hitler, qui pendant sa vie exerça une fascination prétendument irrésistible, et qui, depuis sa défaite et sa mort, est si complètement oublié qu'il ne joue plus guère de rôle, même au sein des groupes néo-fascistes et néo-nazis d'Allemagne. Ce caractère éphémère a sans doute un rapport avec l'inconstance proverbiale des masses et de la gloire qui repose sur elles; mais il s'explique davantage par l'obsession totalitaire du mouvement perpétuel: les formations totalitaires ne restent au pouvoir qu'aussi longtemps elles demeurent en mouvement et mettent en mouvement tout ce qui les entoure. 
Gunther Anders
Aussi, dans un certain sens, cette précarité même est-elle un témoignage plutôt flatteur pour les chefs disparus, puisqu'elle atteste qu'ils ont réussi à contaminer leurs sujets avec le virus spécifique du totalitarisme; car, s'il es vrai qu'il existe une personnalité ou une mentalité totalitaire, cette capacité d'adaptation et cette absence de continuité extraordinaires en sont assurément les caractéristiques principales.

vendredi 13 avril 2012

le petit exercice littéraire du vendredi (9)

Cette semaine, une auteure peu connue. Universitaire, comédienne, écrivaine, elle a tracé son sillon dans la discrétion. Le passage que je vous propose aujourd'hui n'est pas tiré de l'un de ses romans, mais d'un épisode de sa vie. Episode douloureux s'il en est. Et qui rejoint un débat de société qui, d'une façon ou d'une autre, nous concerne toutes et tous.
Le nom de cette auteure; le titre de l'ouvrage. Réponses dimanche dans la soirée, rubriques commentaires.

Mireille DANDIEU
"Ce sera donc le 17 octobre."
C'est ainsi, par cette phrase, toute simple, ces six mots, tout simples, que tu nous l'as annoncée, ta mort.
Phrase guillotine que cette petite phrase-là. Couperet. Six mots fait d'acier tranchant aiguisé avec constance, depuis des années.
Tu l'as prononcée tranquillement, calmement. Pour qu'elle fasse le moins de mal possible, qu'elle paraisse naturelle, comme on annonce la date d'un voyage, pour qu'elle soit audible à l'oreille de tes enfants en principe préparés à l'entendre, depuis des années. 
Lionel JOSPIN
Cette phrase, je n'étais pas prête, pas prête du tout, à l'entendre pour de bon, je l'ai compris ausitôt.
De la lame des six mots, j'ai juste senti le froid. Rien d'autre que le froid. Pas de douleur. Que le froid. Pas de sang non plus: le sang s'était glacé, à moins qu'il ne se soit d'un coup retiré de moi, jusqu'à la dernière goutte de vie.
J'ai pensé: Ce doit être cela le froid de la mort. J'ai pensé: Je n'en reviendrai pas. 
Se réchauffe-t-on d'un tel froid? Le froid de la mort, seuls les morts le vivent, pas les vivants, non?
J'avais tort: je suis chaude à présent. Chaude et vivante. Réchauffée. J'en suis revenue du froid de la mort annoncée des six mots d'acier...
film Vera Baxter
Il m' a fallu pour cela retourner à l'école, mais pas n'importe quelle école.
La date du 17 octobre m'a inscrite, de force, à l'école de la mort, de ta mort. 
C'est toi qui m'as désigné le banc où je devais m'asseoir, toujours tranquillement, et tout aussi obstinée.
Je n'y serai jamais allée de moi-même. Je ne voulais pas 
y entrer à cette école. Je ne voulais pas apprendre, pas savoir.
Je me suis rebiffée, d'abord. D'abord j'ai protesté. Donné des coups de pied, de poing contre ton obstination, ta tranquillité. Et puis je me suis assise sur le banc que tu m'avais désigné.
Vaincue, j'ai ouvert le cahier, le cahier avec l'étiquette à ton nom écrit en lettres noires. A aucun enfant je n'aurais souhaité une telle rentrée des classes. Quand même, sur la date, tu as transigné. 
Tu as bien voulu concéder que la précision de la date ajoutait à la violence de ton geste. 
Il fut demandé que la date ne soit pas précisée. 
Institut français de Florence
Soit. Ce ne serait plus le 17 octobre, mais ce serait. Bientôt. Très bientôt. Un fol espoir m'a traversé, irréaliste comme souvent l'espoir: ce serait bientôt, très bientôt, certes, mais plus de date guillotine. Ta mort ressemblait soudain à n'importe quelle mort. Une menace normale, sur une très vieille dame, normale, qui sait que c'est pour bientôt. Plus de date, plus de mort? Enfin, presque, presque normale, la mort. Suspendue, un peu abstraite. Surtout, plus le couloir, le couloir des condamnés, jusqu'au 17 octobre...
Le 17 octobre... Tu dis avoir hésité entre le 17 et le 16 octobre, jour de ma naissance, premier jour de mes jours: "Je ne t'aurai pas fait cela quand même!" Merci maman. Merci pour l'attention. Tu as donc choisi le lendemain pour ne pas mettre fin à tes jours le jour de mon premier jour. Joyeux anniversaire, ma chérie, demain, je vais mourir. Demain, je me tue. Je les vois d'ici, la fête, les bougies.
Merci, maman. Coups de pied, coups de poing dans le gâteau. 
Mais plus de 17 octobre. Je l'ai échappé belle.

jeudi 5 avril 2012

Les 100 derniers jours (4): Madame La Présidente de la République

Dans le cadre des "cent jours" initié par le barman du café littéraire "Calispo" et à trente deux jours du second tour de la présidentielle, voilà mon quatrième texte que Patrick Lécolier me fait l'honneur et l'amitié de publier sur son blog: http://calipso.over-blog.net/article-les-100-derniers-jours-j-32-102769634.html
bonne lecture et Joyeuses Pâques à toutes et tous....





Madame la Présidente de la République.


Je viens de raccompagner mon prédécesseur jusqu’à la voiture qui le ramènera chez lui. J’ai attendu qu’il sorte de la cour d’honneur de l’Elysée avant de retourner dans le bureau qui sera le mien pendant cinq ans. Cinq longues années où je serai, entre autres, amenée à prendre des décisions qui engageront la France et les français.

L’ultime entretien que j’ai eu avec lui – j’ai du mal à l’appeler par son nom ; même pendant la campagne électorale, je ne parlais, pour l’évoquer, que du président sortant ou du président candidat. Et il n’y avait là aucune stratégie de communication, aucun calcul électoral. Donc cet ultime entretien m’a révélé un homme blessé, abattu, même s’il n’en laissait rien paraître. D’ailleurs, comment en aurait-il pu en être autrement ? Il a été digne, presque chaleureux, à l’inverse de son attitude belliqueuse pendant la campagne. Quand il a prit congé, il a pris ma main dans les siennes et m’a dit : » je vous souhaite de tout mon cœur de réussir. Pour la France et les français. »

Tout à l’heure, dans le salon d’honneur, le président du Conseil Constitutionnel, après avoir lu les résultats définitifs de l’élection, me proclamera Présidente de la République Française. Puis le Grand Chancelier de l’Ordre de la Légion d’Honneur me reconnaitra comme Grand Maitre de l’Ordre de la Légion d’Honneur.

Mais avant tout cela, j’ai demandé à rester seule quelques instants. J’ai besoin, non pas de réfléchir, cela je le fais en permanence depuis que je me suis lancée dans cette course à la présidence. Non, j’ai besoin d’être seule. De ne pas avoir tous les regards braqués sur ma personne, sur le moindre de mes faits et gestes. De ne pas avoir à sourire ou à faire semblant. J’ai besoin de goûter encore quelques courts instants au silence et à la solitude. Parce que je sais que, dès l’instant où je franchirai les portes du salon d’honneur où m’attendent les Corps Constitués, les invités, ma famille, je sais que je ne serai plus moi mais Madame la Présidente de la République. Je ne saurai pour autant m’en plaindre car j’ai tout fait  pour en arriver là.
Sans vouloir m’étourdir de mots ou de formules toutes faites, je sais que, désormais, je suis la voix de la France. Je suis la France. A moi de revêtir l’habit présidentiel avec ce qu’il faut de grandeur et de force. Mais aussi, mais surtout avec ce qu’il faut d’humilité et de modestie.
Et pour cela, j’ai placé sur mon bureau la photo de mes quatre grands-parents. Tous les quatre venus de leur Sénégal natal juste après la guerre, les uns pour travailler en usine chez Renault, les autres pour vider les poubelles de la capitale. Ils me rappelleront, si besoin est, d’où je viens et surtout de quel milieu je viens.

J’ai envie d’appeler Mathilde. J’aimerais bien qu’elle pénètre dans le salon d’honneur en même temps que moi. Après tout, ce serait normal : voilà trente ans qu’elle partage ma vie. Trente ans qu’elle est à mes côtés, qu’elle participe de mes joies ou de mes chagrins, qu’elle vit auprès de moi  tous ces moments intenses du militantisme, ceux de ma vie d’élue. Trente ans que je l’aime autant qu’il est possible d’aimer. Mais elle refusera, comme elle a toujours refusé de se mettre en avant ; parce qu’elle a toujours voulu rester en retrait, derrière moi, discrète mais heureusement si présente.

Dans quelques instants, l’huissier m’ouvrira les portes du salon d’honneur et annoncera d’une voix forte : Madame la Présidente de la République.

dimanche 1 avril 2012

Lucio BUBACCO

En février dernier, lors de notre passage au carnaval de Venise, nous avons fait un petit détour à Murano, rendre visite, en son atelier, à notre ami Lucio Bubacco.
Murano est un des centres mondiaux de la verrerie d'art, mais Lucio est unique en son genre, tant par son imagination, sa poésie que par sa maitrise de cet art complexe et délicat.
Pour faire plaisir à Anne, il lui a "confectionné" une araignée... en verre!


Suite à notre première visite en 2006, j'avais écris un texte sur les mains de cet Artiste.



Les mains de Lucio.

  Les mains de Lucio sont d’une étrange poésie, comme venant d’un monde où n’existeraient que légèreté, agilité. Elles vont, elle viennent, loin de la pesanteur, loin des contraintes du temps et de l’espace.
Les mains de Lucio nous renvoient à notre propre fantaisie, là où notre humeur se laisse aller à cette folie de l’esprit qui fait de nous les acteurs inconscients de la Comédia dell’arte. Elles se font le miroir de nos rêves et de nos fantasmes et nous entraînent là où nous n’osons aller.
  
   Les mains de Lucio sont belles, de cette beauté secrète qui leur donne une part de mystère insaisissable où le merveilleux le dispute à l’imaginaire. Elles ont ce petit rien qui les distingue, qui font d’elles les messagères de ce qui ne se dit pas et qui ne peut se dire, les ambassadrices de ce qui ne se voit pas et qui ne peut se voir.

Les mains de Lucio donnent la vie, et parce qu’elles donnent la vie, elles donnent à ceux qui les regardent les clefs d’un autre univers, peuplé de rêves et d’utopies qui illuminent le quotidien d’une lumière surnaturelle.

Les mains de Lucio dansent avec le feu, jouent avec lui et de cette ronde étrange et sensuelle naissent des personnages, tour à tour bouffon, ingénue, faune lubrique ou vierge callipyge. Elles l’apprivoisent, elles le charment et nul ne sait à la fin où est la flamme et où sont les mains; puis dans un ballet mystérieux et furtif, font d’un morceau de verre, un monde intime, un monde aérien, gracile et vaporeux. Les mains de Lucio n’ont de maître que Lucio, que son imagination, sa fantaisie, au seul service de l’imaginaire, de cet univers peuplé de nymphes et de satyres, de bateaux en partance ou de mythologies fantastiques. Elles sont libres, de cette liberté du poète qui n’a pour compagnons que le vent et la mer.

  

Soixante ans..... Déja!!!!

 Soixante ans..... Déjà!!!!!